Obédience : NC Loge : La Fraternité Latine - Orient de Foix 09/06/2006

Quelle Europe demain ?

Quelle Europe demain ?

Voilà bien la question qui se pose aujourd’hui après le NON français au projet de Constitution européenne recalé il y a tout juste un an par référendum.

Bruxelles peut bien, dans sa grande mansuétude, accorder un an de plus de réflexion avant de reprendre les consultations, la France reste à ce jour majoritairement défavorable à ce projet là. Car ne nous y trompons pas, c’est bien à ce projet que le NON s’est appliqué, pas à l’Europe.

N’oublions pas que nos compatriotes hollandais (j’emploie le mot à dessein) n’ont pas hésité, eux non plus, à rejeter ce projet amélioré de commerce international. Rassurez-vous, mon propos n’est pas de vous faire un topo magistral sur les différentes instances européennes au risque de finir d’endormir ceux qui résistent encore. Je me contenterais, si vous le permettez, de fixer schématiquement le cadre européen, pour bien comprendre de quoi nous parlons.

Historiquement, l’Homme a toujours transcendé sa vie par l’élaboration de rêves, le plus classique étant celui de la puissance des empires, et parmi eux bien sûr, celui de l’Empire romain.

Depuis deux mille ans l’Européen rêve de ROME, de bâtir l’Empire, de le maintenir, de le reconstituer. Bien sûr le centre de gravité s’est déplacé, vers l’Est d’abord avec Constantinople, puis vers le Nord ensuite (empire de Charles Quint, empire britannique, empires français, Reich allemand, empire soviétique enfin).

L’Europe, l’Empire, les empires ont tout vu, du meilleur au pire, du génie visionnaire au plus effroyable des dictateurs. L’Europe a tout expérimenté, de la démocratie directe des cités grecques de l’antiquité au pouvoir le plus absolu.

Selon le Prince il en est sorti de belles et de moins belles choses. Un Empereur comme Marc Aurèle, philosophe ayant une très haute idée de sa charge, sûrement très proche de nos valeurs humanistes, donne à réfléchir quant à la gouvernance d’une Europe pétrie de nos valeurs occidentales. Quel magnifique exemple de volonté, de clairvoyance, de lucidité sur ses contemporains et sur la nature humaine, en cette fin du IIème siècle qui annonçait déjà tous les tourments du IIIème et le naufrage des IVème et Vème siècle. Il nous faudra traverser mille ans d’errance politique pour retrouver un début de Renaissance européenne.

Nous, Maçons, porteurs de valeurs solides, anciennes, à la culture enrichie de milliers d’expériences individuelles, unis par une solide Fraternité avons une responsabilité particulière pour élaborer ce magistral projet européen, à la lumière de nos ancêtres, tous les Frères qui ont œuvré de près ou de loin au projet révolutionnaire et ont donné à la République notre devise : Liberté Egalité Fraternité.

Notre richesse historique est immense, notre réflexion sur le monde et les Hommes d’une infinie variété. La pierre Europe est à peine dégrossie mais tous les outils pour la tailler et la polir sont là, devant vos yeux. Géographiquement, nous situons bien l’Europe de nos manuels scolaires, l’Europe en tant que continent, de l’Atlantique à l’Oural, pour paraphraser un visionnaire de l’Europe, un grand constructeur des premiers jours.

Vous imaginez bien que la donne a changé depuis l’après guerre. Et même si une conception géostratégique n’est pas à négliger, de nos jours la conception européenne qui nous anime est bien plus politique que géographique.

Politique, il va sans dire, au sens organisation de la Cité.

Nous pourrions bien mieux parler de Concept européen que d’Europe.

La frontière est fluctuante, dans l’espace, dans le temps, dans le contenu même. N’en sommes-nous pas à parler d’Europe à plusieurs vitesses ?

Dans cette vision, car il faut avoir une vision générale pour tout grand projet, et il faut bien l’admettre, l’Europe actuelle n’en a pas, considérons l’Homme européen porteur de valeurs plutôt que l’Europe des réglementations, des directives et des dérogations. Et pour que l’édifice soit solide, donnons-lui de robustes fondations.

Fondations, principes fondateurs, voilà bien l’essentiel de notre démarche. Tout le reste en découlera naturellement, évoluera au fil du temps, prendra selon le lieu des connotations locales qui n’altèreront pas la base commune.

Réunir ce qui est épars, créer un sentiment d’appartenance collective, tout en respectant profondément l’individu, rendre à l’Homme les moyens collectifs qui lui permettront de gagner sa liberté individuelle en s’affranchissant des contraintes matérielles qui l’entrave encore trop souvent, telle devrait être notre ambition.

Nous approchons là de la concrétisation du principe d’Harmonie si cher au cœur de tout Maçon. Harmonie dans la dualité respectée.

Dualité aux infinis visages, équilibre entre mondes masculins et féminins, équilibre entre Etat et liberté individuelle, équilibre entre besoin d’une langue unique qui facilite les rapports et langue nationale, voir régionale, qui conserve toute la richesse de nos diversités culturelles, équilibre politique entre pouvoirs régaliens de l’Etat fédéral et pouvoirs locaux qui donnent du sens à l’engagement citoyen, équilibre entre le Nord et le Sud qui, au-delà de l’évidence fraternelle, nourrit la diversité de complémentarité.

Si nous devions n’aborder qu’un seul sujet, le plus lourd de conséquences serait probablement celui de l’Europe sociale. Il faut bien avoir conscience que notre magnifique système de protection sociale, hérité des travaux du Conseil National de la Résistance, élaboré pendant la dernière guerre et non en 1945 comme nous l’entendons trop souvent, notre système bien sûr perfectible mais tellement précieux pour les plus défavorisés, est très lourdement menacé.

Nous devons à l’évidence le dépoussiérer, régler notamment le problème de son financement, mais surtout ne pas l’abandonner au marché libéral qui rêve de s’en emparer. Je n’ai pas non plus besoin de vous exposer la nécessité cruciale d’une Europe administrative, fiscale, militaire, policière, diplomatique.

Nous avons un besoin impérieux d’unir tous les grands corps qui font un Etat solide, cohérent, apte à assumer ses charges et ses devoirs, tant en interne qu’à l’international. L’Homme, en tant qu’individu, a toute sa place dans un Etat moderne, pragmatique et généreux.

Et dans cette mosaïque de peuples européens, quel est notre apport spécifiquement français ? L’essentiel, le plus important à mes yeux, c’est la distinction très nette entre sphère publique et sphère privée, avec comme conséquence immédiate et sans appel, la laïcité de l’Etat. Sur ce point, nous ne saurions transiger, tant notre expérience en la matière nous fait obligation de préserver tous les futurs citoyens de l’Europe du fléau de l’ingérence des religions dans le politique. Nous voyions bien à quels excès le fanatisme d’inspiration religieuse entraîne des Etats, et le plus puissant économiquement d’entre eux notamment, à moins qu’il ne s’agisse que du même vieux subterfuge qui avait servi de prétexte à la croisade des Albigeois pour justifier une conquête militaire.

Apport français également que notre modèle d’assimilation des populations immigrées (ce qui ne veut en aucun cas dire que l’immigration doit être ouverte à tout va).

Modèle qui est le copié-collé du modèle romain, pour des raisons un peu différentes cependant, de simple efficacité militaire à Rome, là où nous avons un véritable soucis d’assimilation.

Rien n’empêche certains territoires des futurs Etats Unis d’Europe de prôner et d’encourager le communautarisme tel que modélisé par les anglo-saxons et pratiqué en Crète et ailleurs. Après un nécessaire temps d’adaptation, le mixage des populations, la fusion culturelle se réalisera tout naturellement au-delà des clivages idéologiques.

Et n’ayons pas peur d’être créatifs, révolutionnaires dans nos aspirations face à ce néo-libéralisme sclérosant, à la seule ambition matérialiste, qui asphyxie l’enthousiasme de nos concitoyens européens.

A l’évidence, et pour ne pas répéter les erreurs du passé, une réussite économique durable, faisant l’investissement du respect aussi large que possible de la nature, assurera la concrétisation d’une générosité sans angélisme.

La force de notre Constitution sera entre autres choses sa capacité à ne pas nous laisser enfermer dans une compétition purement économique face à des concurrents sans état d’âme, ayant le seul profit pour but.

En 1789 nous étions les seuls en Europe à penser Liberté, Egalité, Fraternité. L’Histoire nous a donné raison. Aujourd’hui nous sommes quasiment les seuls à avoir dit NON à ce très mauvais projet constitutionnel. Ne nous laissons pas impressionner par les menaces de fin du monde, d’absence de plan B et autres balivernes.

Ceci étant, mon propos n’est pas de vous présenter un projet de société complet, mais tout simplement de vous proposer de rentrer dans une démarche de réflexion, de participer collectivement à la mise en application de nos valeurs, de façon très pragmatique, en engageant notre Respectable Loge La Fraternité Latine à participer à l’élaboration d’un texte au sein de notre Obédience.

Napoléon disait que l’Ariège produit du fer et des Hommes. C’en est fini du fer, et bientôt de l’aluminium aussi. Restent les Hommes et la plus ancienne Loge de l’Ariège.

Je n’ai pas d’éléments à ce jour qui puisse me permettre d’affirmer que la rédaction d’un projet de Constitution européenne se prépare au Grand Orient de France, mais je ne serais pas surpris que des Frères d’autres Loges y travaillent.

Si vous le souhaitez, mes Très Chers Frères, si notre Vénérable Maître nous y engage, nous pourrions nous mettre au travail au plus vite en constituant un groupe des Frères intéressés par le projet.

J’avoue avoir déjà quelques idées à vous soumettre, tant en ce qui concerne la méthode de travail que nous pourrions adopter que le contenu lui-même, aussi bien pour ce qu’il pourrait comporter que ce qu’il ne faudrait pas y voir.

En ce sens, nous pourrions mettre en pratique l’Eveil que nous impose notre démarche maçonnique.

Eveil à tous les stades de notre réflexion, Eveil pragmatique pour définir le cadre de notre engagement. Il est vraisemblablement trop tard pour aborder un projet constitutionnel lourd qui devra, nécessité oblige, voir le jour dans un délai très court. Nous pourrions à ce stade tout juste tenter de rappeler les grands principes chers à nos cœurs et à valeur universelle.

Eveil de nos consciences également pour bâtir dans la durée un véritable projet de Constitution européenne qui verra immanquablement le jour à moyen terme, lorsque les Européens, las de leur Projet constitutionnel bâti dans l’urgence en mesureront toutes les insuffisances.

Et c’est là que nous pourrions faire Œuvre en associant notre réflexion à celles de multiples Loges, de multiples Obédiences, tant en France que dans le reste de l’Europe, notamment chez nos Frères anglais et écossais. Rien de complet ne pourra se faire sans la Grande-Bretagne, rien ne sera facile avec les anglo-saxons. Etrange dualité, dont le modèle est blanc et noir à l’image du Pavé mosaïque, parcours spirituel et initiatique du noir au blanc, mais dont la réalité est faite de toutes les nuances de gris.

Mes Très Chers Frères, le temps du repos n’est pas encore venu.

Rappelons-nous si besoin en était que le Cinquième voyage du Compagnon est celui du Travail maçonnique qui vise au perfectionnement de l’homme et de la société.

Nous vivons dans un monde qui peut nous sembler complexe, mais qui se réduit à quelques grandes idées dont tout le reste découle.

Nous avons Œuvre à réaliser si nous ne voulons pas abandonner nos sociétés à des esprits purement matérialistes qui n’ont d’autre vocation que de piller le monde et d’en exploiter les diverses populations à leur seul profit.

Nous sommes sur le chemin de la Connaissance, nos valeurs nous portent vers un idéal d’un tout autre niveau. Notre devoir de maçons est de nous exprimer, de proposer un chemin fait de partage, de générosité, d’Amour, de Fraternité.

La Raison nous y porte, la Morale l’exige, la Connaissance nous le permet, la Maçonnerie nous y conduit.

J’ai dit, Vénérable Maître.

J\ G\


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