Obédience : NC Loge : NC Date : NC

 

Le doute

Il y a sept ans et plus, j’intégrai à 50 ans le Grand Orient de France en me posant cette question :

Suis-je encore capable d’apprendre ?

C’est un peu court me direz-vous et pourtant, il ne s’agissait que de cela : Découvrir, connaître, comprendre le mystère qui se cachait derrière cette porte.

En homme pressé, je cherchais à connaître la fin de l’histoire avant de l’avoir commencée. Pressé, je l’étais sans aucun doute. Je le fus dès mon adolescence. Je ne sais si mon déficit de cursus scolaire en fût la cause mais j’ai toujours pensé que j’étais en retard sur les autres. En savoir, en âge, qu’importe, il me manquait toujours une tranche de vie, une strate de connaissance pour apprécier la distance parcourue. Cette inquiétude m’a valu d’être en proie au doute de manière permanente pendant de longues années.

Durant mes périodes d’intense activité professionnelle où ma capacité de persuasion était la clé de voûte de la réussite, le doute m’accompagnait de façon récurrente. Ces interrogations, visions pessimistes diront certains, n’ont jamais bloqué mes décisions. Elles les ont quelquefois ralenties sans arrêter ma course folle vers un je ne sais quoi que j’ai peine à définir encore aujourd’hui.

Mon passé taraudait mon présent, égratignant un futur balbutiant.

Ce doute permanent s’apparentait plus à un calcul de probabilité visant à m’orienter vers la meilleure solution ou la moins mauvaise.

Un doute tout de même, une douleur plus qu’un épanouissement personnel qui a sans doute valu bien des désagréments à tous ceux qui m’étaient proches. Nul doute que mon histoire eut été bien différente si j’avais intégré la Franc-maçonnerie à vingt ans lors de mon premier contact avec le Grand Orient de France. Pourquoi ne pas avoir accepté ? Je me pose encore cette question et mon grade ne suffira pas à y répondre.

Une seule certitude, on ne se livre pas aussi facilement à 20 ans qu’à 50 après avoir compris le caractère aléatoire de ses convictions. Une manière également de se protéger du regard des autres. Vous vous rendez compte avec les années, du courage, de la force et de l’amour que vos proches ont du déployer pour supporter cet « autisme ».

J’étais loin de me douter qu’un jour, Socrate éclairerait mon existence, ferait partie de mes livres de chevet et qu’il m’entraînerait vers un peu plus de sagesse.

Lui qui fut empoisonné pour avoir douté du bien fondé des règles établies par la toute nouvelle démocratie athénienne devait m’apprendre que, si douter c'est d'abord être dans une incertitude telle qu'elle nous fait hésiter sur le parti à prendre ou l'opinion à adopter, il existe un doute salvateur qui nous aide à y voir plus clair, d’une manière différente.

Sa démarche ne consistait pas à colporter ses vérités ou à contester les thèses de ses détracteurs mais à leur poser des questions déroutantes pour mieux les mettre face à leurs contradictions en les incitant à reformuler le problème, obligeant ses interlocuteurs à remettre en cause leurs vérités absolues. Un franc-maçon avant l’heure, un Maître dans l’art du doute. Mes vérités, je les ai transportées jusqu’à ce fameux jour.

Un soir d’avril où tout a commencé, comme vous, par un temps interminable à mon goût, passé dans le cabinet de réflexion. Tout y était hostile, noir et intrigant. Cette attente bouscula mes convictions, desserra l’étau de ma vie profane pour mieux me préparer à ma nouvelle condition d’Homme. Celle d’un être libre et sans contrainte.

Je me souviens de mes premiers pas après avoir passé la porte basse. Les yeux bandés, accroché au bras de celui qui allait m’accompagner durant mes premiers voyages. Lui qui, plus tard, par son pragmatisme, sa disponibilité et sa vision de la Maçonnerie, saura calmer mon impatience et m’accompagner dans les moments de doute.

Je n’avais pas peur de ce qui pouvait m’arriver, j’avais peur de ne pas être à la hauteur. Le doute n’était pas encore le moteur de ma démarche initiatique mais il transpirait de mon corps et de mon esprit.

J’entamai mon premier travail sur la pierre sans même le savoir. Labeur qui n’en finira jamais, je le comprendrai plus tard.

J’acceptai de remettre en cause cette forme d’arrogance profane que tout un chacun connaît et qui nous laisse croire que seule l’expérience personnelle suffit à construire son temple. Les mois qui suivirent mon initiation, sur la colonne du nord, sombre et silencieuse, m’apprendront, pas suffisamment sans doute, qu’il me faudrait creuser profondément et longtemps avant d’apercevoir les cimes de la sagesse.

A cette époque, je dus m’employer à ignorer ma destination pour mieux mesurer le chemin que je devrai parcourir.

Lorsqu’un an plus tard, après avoir ferraillé dur, sans mes métaux mais pour leur survivance, je remis ma démission à mon Vénérable Maître, qui ne comprit rien à ma décision, j’entrepris ce que j’appelle encore aujourd’hui mon parcours solitaire, ma Maçonnerie singulière. Si le doute avait changé de forme, il n’en restait pas moins qu’il restait un vecteur négatif. En profane averti ou en initié subversif, je me questionnais en dehors du temple, dans mon temple.

A cet instant, je redoutais qu’il me faille abandonner totalement cette démarche. Malgré les interrogations constructives qu’elle suscitait, elle ne correspondait pas à ce que j’étais venu chercher ou tout du moins, à l’idée préconçue que je m’en faisais.

Seul, je l’ai été quelques mois mais je n’ai jamais été abandonné.

Le doute s’était installé dans mon esprit. Ce zeste d’incertitude, ce frein qui assombrit ce travail de remise en cause et vous interdit de vous poser ces questions existentielles si nécessaires :

Qui suis-je, que sais-je, ou vais-je ? Quels secrets vais-je rencontrer ? Quelles vérités vont-ils m’apprendre ?

A ce moment précis, vous croyez au doute sans retour, celui qui vous enferme dans vos convictions. Ce frein ravageur.

Et bien non ! La lumière réapparaît au bout de ce tunnel d’indécision. Elle vient réchauffer l’âme de ce Cherchant que vous n’êtes pas encore.

Mon histoire avec la Franc-maçonnerie ne devait pas s’arrêter là. Grâce aux Frères qui m’ont suivi, accompagné dans mes atermoiements profanes, 6 mois plus tard, je demandai à ma Loge d’adoption, après ces quelques mois d’errance, ma réintégration.

Ce n’est pas sans quelques appréhensions que j’ai franchi à nouveau la Porte. Certains Frères étaient dubitatifs mais les plus optimistes l’ont emporté. Ils ont su trouver les mots pour que s’installe le doute en ma faveur.

Ils ont su rassembler ce qui aurait pu être épars en démontrant que nul ne connaît le chemin qu’il devra arpenter pour se retrouver avant d’avoir exécuté le premier pas.

J’avais changé. Mes proches me le confirmaient. Les Frères qui ne s’étaient pas détournés me le certifiaient.

De nouvelles questions s’offraient à moi :

Suis-je perfectible ? Saurais-je me remettre en question ? Suis-je en capacité d’accepter qu’une part de moi-même n’a pas encore trouvé de réponse ? Serai-je en mesure d’emprunter ce chemin où le doute, tant redouté, est le véhicule le plus sûr pour nous mener vers la lumière ?

Fort de cette première expérience infructueuse mais riche de cet enseignement, j’ouvrai à nouveau cette porte avec la certitude qu’adviendrait le jour où cette lumière aperçue dans le lointain viendrait m’éclairer de sa blancheur éclatante.

Je marchais désormais !

Certes, mes pas d’apprenti n’étaient pas assurés mais ils me permettraient d’acquérir les fondamentaux précieux pour entamer une démarche plus claire, m’offrant aux autres pour une meilleure connaissance de moi-même.

Les mois ont passé. Mes Frères m’ont offert l’opportunité d’exécuter ce pas de côté nécessaire à ma progression.

J’ai voyagé, découvert d’autres obédiences et compris, à travers ces nouvelles rencontres, que tous les chemins pouvaient mener à Rome si tant est que celui ou celle qui sillonnait ce chemin différent du mien avait le cœur sincère.

Respect, tolérance, écoute, bienveillance ont toujours été les maîtres mots de ces causeries. Bien sûr, elles bousculent de temps en temps, souvent même. Vous rentrez chez vous avec bien plus de questions que de solutions. Mais n’est-ce pas là le but de la Franc-Maçonnerie ? Nous inviter à nous poser les bonnes questions ? Les Frères bousculent nos certitudes, tant dans leurs questionnements que par leurs travaux qu’ils proposent à la Loge. Ils nous obligent à aller bien au-delà des frontières de la pensée profane.

Durant ces moments d’effervescence, le corps n’existe plus. Seuls les mots subsistent. Votre esprit s’arrache à la terre pour mieux épouser votre nouvelle condition d’homme libéré de toutes contraintes.

Mes pas étaient plus assurés désormais. La lumière, plus vive. J’étais en mesure de m’interroger sur des sujets plus vastes et aussi variés que le bien et le mal, la vie et la mort, le vice et la vertu sans être accablé par ma méconnaissance. Je ne phosphorais pas sur les uns ou les autres, je les confondais pour mieux nourrir mon parcours.

Ce fut une période riche d’enseignements. Mon sac de voyage était bien plus lourd et pourtant ma déambulation plus légère. Mon chemin s’élargissait, laissant apparaître de nouveaux paysages qui, jour après jour, rencontre après rencontre, écrasaient mes certitudes, foulaient au pied cet individualisme exacerbé par cet environnement égoïste sociétal, pour laisser place à ce sentiment de légèreté de l’être.

N’être plus un mais faire partie d’un tout au regard bienveillant mais si mystérieux d’un Univers uni.

Il y a peu, j’ai enjambé la mort pour pouvoir mieux la dépasser. J’ai rencontré Hiram pour mieux épouser sa vertu. Ce qui me semblait être une finalité est devenue une simple étape de mon parcours. Je me suis familiarisé avec elle sans en comprendre tout à fait son sens profane mais je sais aujourd’hui le rôle qui est le mien en tant qu’initié.

Je suis un transmetteur éphémère qui, par son travail, ses interrogations permanentes sur l’évolution de l’humanité « doit pouvoir donner des avis utiles aux Compagnons et aux Apprentis pour développer en eux l’amour du Vrai et du Bien ».

En ce qui concerne la mort, quelle amertume lorsqu’elle frappe ! Surtout lorsqu’elle s’attaque à vos proches, vos Frères. Elle nous paraît injuste, fourbe lorsque la maladie s’insinue et qu’elle vous rappelle qu’elle peut frapper quand et où elle veut. Personne ne peut rester indifférent et si j’ai beau fanfaronner en disant à qui veut l’entendre : « Vas où tu veux, meurs où tu dois ! » Le doute s’installe à chaque fois que je m’interroge sur elle et donc sur moi. Elle génère un flot de questions qui vous ramène à votre condition d’homme et vous apprend à vous mesurer face à l’adversité.

Les réponses ne viennent pas d’elles-mêmes. Cela prend du temps pour l’apprivoiser. Alors on se cramponne aux mains des Frères qui communient comme vous avec ceux qui nous ont quitté mais aussi avec ceux qui nous rejoindrons bientôt en nous assurant que la lumière luit même dans les profondeurs des ténèbres.

Réunir, rassembler ce qui est épars, est ma quête aujourd’hui. Elle nécessite d’apprivoiser ses peurs, ses doutes face à l’inconnu et accepter que nos certitudes d’aujourd’hui peuvent disparaître demain.

Si ce travail aboutit, la comparaison des uns et des autres, fruit de la division, doit laisser la place à l’addition des différences. Je marche aujourd’hui ! Mais en toute humilité. Je sais que je ne sais rien face à l’univers infini. Mais qu’importe, je suis !

Trublion, je le suis sûrement, perfectible sans aucun doute ! Et pour cause, je m’interroge encore puisque le doute m’habite !

Je ne sais pas si cette planche répond totalement à la question qui m’a été posée. J’ai souhaité abordé ce travail sur le doute qui m’accompagne depuis longtemps. Ce doute a évolué depuis, j’en suis conscient mais je reste persuadé que le premier ne va pas sans le second. D’ailleurs, je doute qu’il puisse être possible d’entrer en Maçonnerie sans douter. Mais vous, en doutez-vous ?

J’ai dit.

P\ B\


7328-8 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \