Obédience : NC

Loge : L’Heureuse Amitié - Orient de Quimper

13/04/2012


Le Doute

Pourquoi le Doute ? Le Doute me semble être une vertu et un outil essentiels à tout quêteur de Lumière.

Pourquoi au 3ème degré ? Parce que je n'ai jamais parlé du mythe d'Hiram.

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Alors pourquoi ne pas chercher les liens entre cette notion de Doute, et l'histoire qui nous est racontée lors de notre exaltation ?

Des liens il y en a, que ce soit le Doute qu'on peut porter sur les outils symboliques que l'on nous donne, et qui peuvent servir le bien mais aussi le Mal, que ce soit dans le questionnement qui est suggéré au compagnon lors de l'exaltation, ou que ce soit les liens entre le Doute et les 3 mauvais compagnons que sont l'Ignorance, le Fanatisme et l'Ambition. J'en parlerai.

Lorsqu'un profane frappe à la porte du temple, quel est le travail de son parrain, des 3 frères enquêteurs, des FF\ de la loge pendant le passage sous le bandeau, lors des votes ? C'est de s'assurer qu'il est initiable, c'est-à-dire qu'il est capable de travailler sa pierre pour trouver sa place dans l'édifice.

S'il est sûr de lui, pétri de certitudes et de suffisance, il n'apportera rien à l'oeuvre commune et la F\ Mie\ ne lui apportera rien.

Par contre, si on peut déceler chez lui une part de fragilité, s'il se pose des questions, s'il a une part d'inquiétude de ne pas franchir les différentes épreuves, s'il est capable de se remettre en question, sans se sentir dévalorisé, s'il est capable de soumettre ses opinions ou même ses certitudes au filtre du doute, alors il sera capable de vivre pleinement la démarche initiatique.

Cette démarche initiatique ne peut fonctionner avec une personne qui base sa vie sur des dogmes, des préjugés, des certitudes inébranlables, avec une personne pour qui le Doute est une faiblesse ou une tare.

Dans l'inconscient collectif, le doute a une connotation négative. Notre culture judéo-chrétienne ne nous apprend pas le doute. Au contraire. Il faut croire, sous-entendu le doute est une faiblesse. Ceci est d'ailleurs valable dans toutes les idéologies et dans toutes les religions du Livre.

Ce n'est pas tout à fait le cas du Bouddhisme. Le philosophe Bruno Giuliani dit à propos du Bouddhisme - « Le doute est très important dans le message de Bouddha dans la mesure où il est toujours négatif. Il signale une incertitude, et cette incertitude est le signe que l'on n'a pas trouvé la vérité. Elle va donc entraîner une recherche de vérité dont le doute est le signe.

On peut dire que la sagesse sceptique est présente dans le bouddhisme, puisque être sceptique ne veut pas dire douter au sens de ne rien affirmer, mais être en recherche, examiner pour atteindre la vérité ».

Le doute est l'ennemi de tous les pouvoirs, de tous les ordres établis.

Le travail de l'apprenti est d'apprendre à se connaître, celui du compagnon d'appréhender le monde. Pour agir dans ce monde, le maître doit utiliser le doute comme un outil d'approche de la vérité. Il s'agit de savoir ce que je peux admettre, ce que je dois refuser, ce que je peux tolérer. D'où l'importance du libre-arbitre. Grâce au doute nous pouvons rectifier nos erreurs et nous perfectionner. Le doute, c'est cet instant ou notre liberté s'autorise à décider. C'est le symbole de la maîtrise.

Le doute, c'est ce temps de pause durant lequel je m'autorise à m'interroger. Si j'ai bien effectué le travail de l'apprenti, le « connais-toi toi-même », j'assume mes qualités et mes défauts, et en conséquence je m'autorise à émettre des doutes envers moi-même ou envers autrui. Douter c'est s'autoriser à avoir une opinion personnelle, c'est s'autoriser l'esprit critique, en son âme et conscience. Cela peut déplaire, si mes doutes se heurtent à l'opinion générale, cela peut même me déplaire, si j'ai des doutes sur une de mes actions ou sur des propos que j'ai tenu. C'est le prix à payer pour avancer et tailler sa pierre, c'est le prix de la liberté. Le doute, c'est ma liberté.

Il y a ceux pour qui le Doute est une vertu et ceux pour qui c'est un vice. Quelques citations. Je commence par ceux pour qui le Doute est une faiblesse. « Il n'est qu'un remède au doute, c'est la prière. Or la prière du militant, c'est l'action politique ».

Pour monsieur Le Pen le doute est une maladie, puisqu'il parle de remède. Pour lui, il ne faut pas réfléchir, il faut agir.

« Personne n'est plus redoutable que celui qui n'a jamais de doutes ». Jacques Sternberg

Le père de Jacques Sternberg est mort en déportation à Majdanek et Nietzsche rajoute : « Ce n'est pas le doute qui rend fou, c'est la certitude ».

Il y a ainsi des personnes pour qui le doute est l'ennemi de leurs certitudes. Pourquoi ? Simplement parce qu'il est beaucoup plus confortable et rassurant de ne jamais douter de rien. C'est un gage de longue vie et de bonheur, mais c'est aussi l'expression d'une paresse intellectuelle certaine. Que ce soit en religion, en politique ou dans tous les domaines de la vie, des certitudes inébranlables, des dogmes rassurent.

Etre persuadé qu'ici bas on fait partie de ceux qui détiennent la vérité, et que dans l'au-delà on a la vie éternelle, quoi de plus rassurant et réjouissant ? Pour cela il suffit de se complaire dans une certaine ignorance.

Il y a quelques années, j'avais acheté une série de cassettes d'Arte qui s'appelait « Corpus Christi ». C'était un recueil d'interviews de savants, d'exégètes, d'universitaires, d'historiens, d'archéologues, de dignitaires des religions du livre, sur la vie de Jésus. J'ai voulu prêter ces cassettes à une personne très religieuse que j'aimais beaucoup. Elle les a refusé en me disant :

« Je préfère ne pas les regarder, je pourrais douter ». Je n'ai pas insisté, et me suis même senti un peu coupable, parce que cette personne était heureuse de s'être trouvé des certitudes qui la rassuraient, peut-être face à l'angoisse du néant, de la mort. De quel droit, est ce que je pouvais l'amener à douter ? La tolérance va-t-elle jusqu'à accepter de laisser les autres dans une certaine ignorance, s'ils s'y sentent bien et qu'ils y trouvent leur équilibre ? Je répondrai oui, si leurs certitudes ne font de mal à personne, et non, si ces certitudes peuvent être dangereuses pour autrui.
A nous de choisir. Un proverbe hongrois dit : « Qui croit est heureux, qui doute est sage ».

Salämah Müssa dit : « Si la certitude est apaisante, le doute est plus noble ».

Le doute est essentiel dans la démarche de recherche de la vérité.

Jean-Charles Harvez dit : « Le doute est la base même du savoir, puisqu'il est la condition essentielle de la recherche de la vérité ».

Cicéron ajoute : « En doutant, on atteint la vérité ».

On comprend que le doute doit être pour nous cet outil, pour faire progresser notre réflexion. Georg Christoph Lichtenberg dit : « Douter ne signifie rien d'autre que d'être vigilant, sinon cela peut être dangereux ». Effectivement la vigilance, qui nous est conseillée depuis le cabinet de réflexion, n'est rien d'autre que ce temps de réflexion face à toute situation pour faire le meilleur choix. Pousser à l'extrême, le doute peut être dangereux parce qu'il peut devenir un frein qui nous paralyse. Il ne faut pas céder à l'hésitation permanente, à la résignation, au découragement, au manque de confiance en soi, à la faiblesse. Le doute doit rester un moteur pour notre réflexion et notre action.

Il doit être avant tout vigilance permanente, envers les autres mais aussi envers soi-même, soif de progrès dans la connaissance, prudence, écoute, relativité permanente de nos certitudes. Pour cela nous avons un outil adapté, bien présent lors de la cérémonie d'exaltation, c'est le Compas. Il nous permet de mesurer en permanence la part qu'il faut laisser au doute et celle de notre certitude d'agir pour le bien et le progrès selon notre loi morale.

Le Compas est le symbole de l'Esprit, alors que l'Equerre est le symbole de la Matière. En chambre du milieu le Compas est posé sur l'Equerre, c'est le pouvoir de l'Esprit sur la Matière. Ouvert à 90° il y a équilibre parfait entre les 2 forces, car le Compas devient Equerre juste. Cela évoque la prudence, la tempérance, la justice et la vérité que nous devons rechercher en pratiquant le doute raisonné, en notre âme et conscience.

Face à une situation, lorsque nous avons un doute sur l'attitude à adopter, nous faisons travailler notre raison, évidemment, mais également notre intuition, notre cœur. L'intuition et la raison, même si elles semblent pouvoir s'opposer, doivent travailler ensemble, pour déterminer ce qui nous semble juste. Le Doute doit faire travailler conjointement ces deux niveaux, si on ne veut pas être simplement pragmatiquement raisonnable, ou simplement victime de nos émotions.

Il n'est jamais simple d'ouvrir l'équerre à l'angle idéal.
Trop douter de soi-même est se sous-estimer.
Ne pas douter de soi-même peut être se surestimer.
Trop douter des autres peut engendrer de la méfiance.
Ne pas douter des autres peut être de la naïveté.
Il faut essayer de marcher sur cette ligne invisible entre les cases blanches et noires du pavé mosaïque.

On ne peut pas parler du Doute sans parler du Courage. Je parle du courage qu'il faut pour oser douter de soi-même lorsque c'est nécessaire, mais également du courage qu'il faut pour se fier à un doute sincère, lorsque l'environnement est totalement opposé à ce que l'on croit vrai et juste. Je pense à Copernic et Galilée qui ont mis en doute la théorie qui plaçait la terre au centre de l'univers. Giordano Bruno pour avoir osé défendre ces thèses est mort sur le bûcher de l'inquisition.

On peut parler également de ceux qu'on a appelé les justes, qui ont osé mettre leur vie en péril au cour des années de guerre. Il leur en a fallu du courage pour faire confiance à leur intuition et à leur cœur, pour mettre, sans douter, leur vie en jeu, pour sauver les juifs et ceux qui étaient condamnés à disparaître par le régime nazi. Puisque j'ai choisi de vous parler de doute au 3ème degré, il convient de chercher le lien avec le mythe d'Hiram.

Le doute est présent tout au long du rituel d'exaltation.

A commencer par l'entrée du Récipiendaire à reculons. Puis les injonctions du V\ M\ : « Avez-vous bien réfléchi à la démarche que vous faites ? Vos mains sont elles pures ? Votre conscience est-elle tranquille ? Prenez garde à vos paroles. Avez-vous rempli vos Devoirs d'homme d'honneur et de F\ M\ ? » Le rituel suscite le doute dans l'esprit du récipiendaire pour le forcer à réfléchir. Puis le cadavre, ce face à face avec la mort, le cercueil qu'on lui fait enjamber, le questionnement sur les auteurs du crime. Le doute jeté sur la possible culpabilité du récipiendaire.

Durant la deuxième partie du rituel d'exaltation, le doute est encore présent. Aux 2 premiers grades le compagnon avait appréhendé le fil à plomb, le niveau et le maillet comme des outils devant servir à la construction du temple. Voilà qu'ils servent d'armes pour faire périr l'homme juste, maître Hiram personnifié à ce stade du rituel par le récipiendaire lui-même. De coupable potentiel, le voilà victime. Victime de quoi ? Du mauvais usage des outils, et potentielle victime de lui-même. La fin du rituel ramène plus de sérénité dans l'esprit du récipiendaire. Par les 5 points parfaits de la maîtrise, le « maître est retrouvé et il reparaît aussi radieux que jamais ».

Revenons un peu sur les 3 mauvais compagnons qui symbolisent : l'Ignorance, le Fanatisme et l'Ambition. L'absence de doute est un élément commun à l'ignorant, au fanatique et à l'ambitieux.

Celui qui se complaît dans l'Ignorance ne doute de rien, puisqu'il ne cherche pas à savoir.

Victor Hugo : « La liberté commence ou l'ignorance finit ».

Aristote dit : « L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit ».

Le doute qui engendre la réflexion est le chemin vers la sagesse et la connaissance. Et Turgot disait : « Le despotisme perpétue l'ignorance et l'ignorance perpétue le despotisme ».

C'est grâce à l'ignorance que les despotes et les dictateurs perpétuent leur pouvoir. L'instruction est de ce point de vue un instrument essentiel pour combattre l'ignorance, l'obscurantisme.

L'obscurantiste est celui qui prône et défend une attitude de négation du savoir, de restriction dans la diffusion des connaissances, ou de propagation de théories dont la fausseté est avérée. La F\ Mie\ doit combattre tous ceux qui s'appuient sur l'ignorance pour asseoir leur pouvoir. Que ce soit en interdisant ou limitant l'instruction aux femmes, que ce soit en limitant ou interdisant la liberté d'expression, ou la liberté de conscience, que ce soit en pratiquant l'intolérance vis à vis de croyances différentes des dogmes officiels. L'ignorance de celui qui n'a pas pu accéder à l'instruction n'est bien entendu pas condamnable. Seul l'ignorant qui se complaît dans l'ignorance, par paresse ou par intérêt est condamnable.

- Notre second mauvais compagnon symbolise le Fanatisme.

On en a un peu parlé en abordant les liens entre l'ignorance et le despotisme. Plus encore que l'ignorant, le fanatique, qui est l'intolérance incarnée, ne doute pas. L'ignorance et le fanatisme vont de paire et s'alimentent l'un l'autre.

Elie Wiesel nous en parle : « Le fanatisme est aveugle, il rend sourd et aveugle. Le fanatique ne pose pas de questions, il ne connait pas le doute ; il sait, il pense qu'il sait ».

Et pour Voltaire : « Le fanatisme est un monstre, qui ose se dire le fils de la religion. Il est mille fois plus dangereux que l'athéisme philosophique ».

L'ignorant écrase ses doutes, en sur-affirmant son maigre savoir. Le fanatique écrase ses doutes, en sur-affirmant sa foi. L'ambitieux écrase ses doutes, en focalisant son esprit sur le but qu'il s'est fixé.

On en arrive donc à notre troisième mauvais compagnon qu'est l'Ambition.

Tout comme l'ignorance symbolise le mauvais usage du Fil à Plomb par le second surveillant, qui devrait être particulièrement instruit, et que le fanatisme symbolise le mauvais usage du Niveau du premier surveillant, qui devrait exercer un contrôle éclairé sur les travaux sans faire subir aux F\ F\ une contrainte étouffante à cause de son fanatisme, l'ambition symbolise le mauvais usage du Maillet du V\ M\, qui devrait diriger les travaux avec un dévouement total, sans céder à des visées personnelles dérivées de son ambition.

L'ambition est le désir de réussite, mais c'est aussi et surtout le désir excessif de réussite. Il convient donc de distinguer l'ambition-vertu qui est le désir naturel d'entreprendre et de réussir, de l'ambition-vice, démesurée, celle qui a les dents trop longues. Parce que cette ambition là, qui ne s'encombre pas de doutes, ne s'encombre pas non plus de scrupules. Pour elle la fin justifie les moyens, et la fin se résume souvent simplement à l'argent, au pouvoir et aux honneurs. « L'ambition est le fumier de la gloire » disait Pierre l'Arétin. (XVIè s)

L'ambition-vertu, c'est le désir de réussir, c'est ne pas escompter plus que ce que nous vaut le mérite de notre action. La propension à l'orgueil, à la prétention, à l'excès de désir de réussite, à rechercher plus qu'il n'est mérité, au-delà de nos moyens, c'est l'ambition-vice. C'est celle qui animait les mauvais compagnons.

On le voit, le Doute est une composante importante de l'exaltation. Ce Doute peut être déconcertant, inquiétant, source d'insatisfaction. Il pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. C'est probablement pourquoi j'ai tant tardé à aborder ce sujet et le mythe d'Hiram. Au final, je suis heureux de m'y plonger, parce que ma saine curiosité, et mon intuition me disent que l'acacia peut être source d'espérance.

Henry James dit : « Il faut croire dans le Doute, passionnément, parce que c'est ce qui fait la beauté de l'homme ».

V\ M\ j'ai dit.

J\M\ M\


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