Obédience : NC Site : http://www.artsetprogres.org 20/05/2008


Le Doute

ARISTOTE dit : « l’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit » Dès que la conscience est apparue chez l’homme, le doute est né. Nous connaissons tous très bien pour l'avoir pratiqué: le doute ordinaire qui est l'expression d'un sentiment d'incertitude. Le doute est à l’origine des questions les plus essentielles de la vie, fondamentales mêmes : qui suis-je ? Mais aussi de la mort : ou vais-je, qu’y a-t-il maintenant ? De la Connaissance : Que sais-je ? Questions sans réponses, interrogations de toute une vie !

Doute (du latin dubium, dont la racine est duo), état de l'esprit qui ne se sent pas assez éclairé pour porter un jugement et prononcer entre deux choses. Le doute est particulièrement un fait de l'intelligence et indépendant de la volonté; aussi, quoiqu'il semble identique avec le scepticisme, il en diffère puisque ce dernier consiste à examiner, à considérer le pour et le contre, alors que le doute est souvent le résultat d'un examen qui n'a pas donné la lumière. Le doute examine, critique, vérifie et nous empêche de verser dans une crédulité aveugle et fanatique, la Franc-maçonnerie n’a-t-elle pas le même rôle, nos travaux en Loge ne sont ils pas faits pour nous faire réfléchir pour nous faire douter de nos certitudes, les questions de nos frères ne sont elles pas là pour nous obliger à aller plus loin, car le doute fait avancer en nous obligeant à aller plus profond au coeur de nos connaissances ou de nos pensées. Si les meilleures planches n’apportent pas de solution, elles sont là pour nous faire réfléchir, essayer d’aller plus loin dans la pensée de l’autre. Dès le début, dans le cabinet de réflexion on s’interroge et on doute : pourquoi suis-je là, qu’est ce que je cherche, la Franc-maçonnerie va t’elle m’apporter les réponses aux questions que je me pose ? Et bien non ! A mon avis, la franc-maçonnerie n’est pas là pour cela, elle n’apporte pas de réponses, elle permet de se poser les bonnes questions et de douter d’un certain nombre de certitudes. Toujours dans le cabinet de réflexion les phrases et les symboles sont là pour te dire : « Connais toi toi-même » et là on commence à douter ! Suis-je apte, ai-je assez réfléchi me suis-je assez posé de question, serai-je capable ?

Alain dans ses propos dit : « Quand un homme doute au sujet de ses propres entreprises, il craint toujours trois choses : les autres hommes, la nécessité extérieure, et lui-même. Or c'est de lui même qu'il doit s'assurer d'abord ; car, qui doute s'il sautera le fossé, par ce seul doute il y tombe. Vouloir sans croire que l'on saura vouloir, sans se faire à soi-même un grand serment, sans prendre, comme dit Descartes, la résolution de ne jamais manquer de libre arbitre, ce n'est point vouloir ». La pensée implique le doute. Elle a pour fonction, en effet, d'éprouver la vérité de faits, de récits ou de doctrines; sa tâche est d'examiner l'exactitude d'opinions, d'idées ou d'affirmations. Pour cela, elle doit les mettre en question. Descartes nous fournit un exemple célèbre de cette démarche de la pensée dans son Discours de la méthode; il décide de douter de tout afin de découvrir quelque chose qui soit incontestable. On peut donc dire que le doute est bénéfique quand il n’empêche pas d’agir, mais qu’il permet de réfléchir. Il y a des moments ou le doute peut s’avérer nocif, dangereux, c’est dans toutes les situations qui nécessitent une réponse immédiate, prenons l’exemple d’un pilote de course automobile : il faut qu’il soit sur de lui, il n’a pas le temps de douter. On peut donc dire que le doute doit nous permettre de réfléchir sans nous empêcher d’agir, il en est de même de nos travaux en loges qui nous font approfondir les sujets mais jamais ne nous empêchent de faire quelque chose. Thèse et anti-thèse : le doute est bénéfique ! Oui, mais ! Trop de doute ne risque t’il pas de vous amener à l’immobilisme ou à l’inertie. Le doute peut même devenir une maladie mentale. De même, l’argument « prouve ta preuve » est trompeur. Mieux vaut juger la connaissance à ses fruits que d’exiger une certitude absolue sur toutes choses dès le départ. On apprend à nager en nageant, pas en restant sur le bord pour se demander s’il est possible de nager. La valeur de la connaissance ne se prouve pas, elle s’éprouve et elle s’éprouve d'abord dans une prise de conscience qui est un passage de l’implicite à l’explicite.

On peut également parler du doute scientifique qui fit son apparition avec les philosophes, les mathématiciens et les physiciens. Ils révolutionnèrent des concepts que certains, comme l’Église, avaient intérêt à maintenir tels qu’ils avaient été considérés des siècles auparavant. C’est après le jugement de Galilée en 1633, pour avoir remis en cause le principe de la Terre comme étant le centre de l’univers défini et pour avoir été le déclencheur de tout un bouleversement idéologique, que Descartes rendit compte des erreurs que les certitudes engendrent dans les esprits. Contrairement aux sceptiques, il n’utilisa pas le doute pour douter mais mit en place une méthode radicale, excessive mais uniquement dans une phase temporaire, dans le but de se dégager du doute, et de le faire évoluer. C’est l’apparition du doute cartésien. Le doute scientifique s’applique donc aux choses démontrables, auxquelles on peut trouver une réponse plus ou moins vérifiable.

Douter, c’est admettre que l’on peut se tromper et être trompé par nos sens ou par nos propres pensées. On peut prendre l’exemple des illusions d’optiques ou même des rêves comme le fait René Descartes. Dans ces instants, on ne doute pas que ce que l’on croit vrai n’est pas la vérité alors que notre jugement est leurré. Refuser le doute, c’est se fermer à l’éventualité que la réalité puisse être différente et donc risquer de se tromper.

Il existe le doute suspensif et provisoire, a la suite duquel l'esprit ajourne son jugement; il prend le temps de chercher l'évidence, qui lui donne la certitude. Descartes en a fait la règle de sa méthode; c'est le doute méthodique ou philosophique. Ainsi considéré, le doute est utile et même inévitable, puisqu'il n'est pas donné à l'humain d'arriver sans efforts à la vérité. Il arrive que nous soyons pris de vertiges lorsque nous pensons à notre vie: avons-nous su faire les bons choix ? Les principes que nous avons voulu respecter, défendre et concrétiser en valent-ils vraiment la peine ? Nos croyances, nos valeurs ne sont-elles pas des illusions dont nous sommes les victimes ? Le monde, la vie et l'histoire ne sont-ils pas parfaitement et totalement absurdes, comme l'ont suggéré les écrivains existentialistes d’après-guerre ? Cette angoisse existentielle se trouve dans le Nouveau Testament. Elle saisit les disciples quand la tempête menace d'engloutir leur barque. Elle s'empare des amis de Jésus quand, le vendredi saint, leur cause semble définitivement perdue. Jésus lui-même la découvre quand il s'écrie sur la Croix: "mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?" Habituellement on considère que le doute va contre la foi. Un véritable croyant, pense t-on, est inaccessible au doute, et celui qui doute n’a pas véritablement la foi. On trouve, par exemple, cette opinion chez Calvin insistant sur l’assurance inébranlable du chrétien qui, selon lui, ne doit éprouver ni peurs, ni angoisses parce qu’il se sait gardé par Dieu. Le fidèle a des certitudes absolues et une confiance totale, il est sûr de ce qu’il croit, sûr de son destin et de son salut, et surtout sûr de son Dieu. Mais n’est ce pas de telles certitudes qui ont amené Marx à dire que « la religion est l’opium du peuple » ?

Parlons maintenant d’une forme de doute beaucoup moins connue qui est le doute agnostique. L’agnosticisme est une philosophie qui déclare l’absolu, le divin et plus généralement ce qui ne peut-être appréhendé par l’expérience, inaccessible à l’esprit humain et à la perception. En conséquence, l’existence de Dieu ne peut être prouvé. Dans ce cas, le doute ne porte pas sur l’existence de Dieu mais sur la validité de la question. Le principal argument des agnostiques est celui de la sagesse. Pour eux les questions existentielles telles « L’univers a-t-il un sens ? » , « D’où vient l’homme ? » , « Quelle est sa destinée ? » ne peuvent avoir de réponses dans les religions car elles sont inaccessibles. La théologie et la métaphysique ne peuvent prouver l’existence de Dieu, la science ne peut prouver son inexistence. La position la plus sage consiste à reconnaître qu’on ne sait pas si Dieu existe ou pas et, en conséquence, de respecter les croyances et opinions de chacun. Cette position est parfois critiquée aussi bien par les croyants que par les athées : « Les agnostique ne se mouillent pas ! » « Ils ne prennent pas position » « Ils sont indécis » Peut-on leur reprocher de ne pouvoir ou vouloir opter ? De quel droit pourrait –on leur reprocher de ne pas prendre position ? Le doute est une des formes de solutions possibles à un problème. Dans ces « Propos sur l’éducation » Alain a dit : « Le doute n’est pas au-dessous du savoir, mais au-dessus ». L’Inquisition ne doutait pas de détenir la vérité et au nom de la religion ils ont tué sans état d’âme, quand on pense à Simon de Montfort lors de la Croisade des Albigeois disant : « tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Pas de doute, lui ne doutait pas de détenir la vérité. Des exemples similaires, d’hommes, de dictateurs qui ont perpétué des massacres sans douter un seul instant d’avoir raison, on pourrait en citer des centaines, nous les connaissons tous et l’histoire les a jugés ou les jugera. Il ne faut pas confondre doute et scepticisme : Le sceptique (qui a été dépeint avec talent et de manière séduisante par Montaigne et par Anatole France) ne prend rien au sérieux; il voit dans la vie un jeu, où tout n'est qu'apparence et illusion. A ses yeux, c'est une entreprise vaine que de lutter pour la justice, de s'interroger sur la vérité, ou de chercher quel sens a l'existence. Il se laisse porter par les circonstances; il vit au gré ses événements; il va vers le plus facile, il n'a aucune conviction profonde. Pilate se comporte vraisemblablement en sceptique lorsque, au cours du procès de Jésus, il demande: "qu'est-ce que la vérité ?". Très probablement, cette phrase signifie: "à quoi bon se préoccuper de la vérité ? De toutes façons, elle nous échappe; nous ne pouvons pas la connaître.

Dans le bouddhisme et d’autres philosophies orientales, le doute est une part importante du travail de réflexion. Il est considéré comme nécessaire pour élever sa conscience. Les apparentes certitudes sont reconsidérées et l’on réfléchit aux significations de la vie. En effet, on trouve, dans ces raisonnements, l’idée que les perceptions que l’on a de ce que l’on croit être la vie sont illusoires ou ne sont qu’une très petite partie de la réalité. Dans ce cas là, il devient primordial de développer une capacité d’amener le doute vers des considérations qui sont moins évidentes et parfois difficiles à comprendre ou à accepter. Mais revenons à la franc-maçonnerie :

Les pas de l'Apprenti sont prudents, hésitants et dirigés vers l'Orient. Dans le grade de Compagnon, s'ils sont faits dans la même direction, ils apparaissent cependant plus fermes, plus hardis et expriment la volonté d'obtenir une lumière plus vive. Mais le Compagnon ne se contente pas de marcher dans cette seule direction; il veut connaître le monde dans son ensemble, il veut aller au sud et au nord, étudier le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, la vertu et le vice, la vie et la mort. De chaque valeur positive, il cherche le complément négatif et grâce à son intelligence, il ramène à l'unité les termes contraires.

Rassembler ce qui est épars ! La Franc-maçonnerie nous fait réfléchir nous fait nous interroger sur nous et sur les autres et dès l’instant que l’on s’interroge on doute. Le doute est bénéfique car souvent il naît de l’analyse mais souvent également l’analyse naît du doute. On ne peut pas parler du doute et de la franc-maçonnerie sans évoquer les enquêtes et le passage sous le bandeau. On écoute les enquêtes, on se fait une idée, mais il ne faut pas oublier que ces enquêtes sont faites par des femmes ou des hommes qui quelquefois se laissent aller a leur sympathie ou leur antipathie pour la personne qu’ils ont en face d’eux, et, je pense que c’est pour cela qu’il y a 3 enquêtes. Après il y a le passage sous le bandeau : influencés par ce qui a été dit précédemment, nous devons poser des questions afin de forger notre propre jugement. Nous devons douter, oui ! Mais de quel droit pouvons nous exclure quelqu’un qui n’a ni tué ni volé, et il ne faut pas oublier que le passage sous le bandeau est très stressant. Chacun a le droit de voir la lumière, selon moi. Bien sur, on doit s’interroger mais de là à rejeter ! Permettez moi de vous parler de ma propre expérience. Un jour des Soeurs et des Frères d’une autre obédience, m’ont laissé à la porte du Temple, blackboulée après le passage sous le bandeau et ce jour là j’ai douté de la franc maçonnerie, pourquoi ne me laissait elle pas voir la lumière, moi qui n’aspirait qu’à travailler, mais j’ai surtout douté de moi, peut-être n’étais je pas capable, peut-être n’en étais je pas digne ? Le doute et la justice : Dieu qu’il doit être difficile d’être juge ! Que de doutes doivent l’assaillir avant de prononcer un jugement, mais n’est ce pas là la base de sa réflexion, il doit douter ! Jamais je pense il ne doit se fier à une certitude sans que celle-ci soit passée par le hachoir du doute. Dans les cours d’assises les jugements sont rendus par un jury populaire et anonyme, des gens comme vous et moi, choisis au hasard et sans connaissance du droit et qui doivent décider de la liberté ou de l’emprisonnement d’un homme, je pense que jusqu’à la dernière minute, ils doivent douter et peut-être même après le jugement ! Ont-ils pris la bonne décision ? Le doute profite à l’accusé, oui mais cela veut dire, que peut-être on a laissé un assassin en liberté ! Le doute n’existe pas à tous les âges, une des nombreuses différences entre l’enfant et l’adulte est que l’enfant ne doute pas, il est plein de certitudes et sur d’avoir raison, il ne se pose pas de questions sur la vérité, il affirme et croit ce qu’il dit ! Ce qui d’ailleurs, et nous l’avons vu dans des procès récents, peut poser de graves problèmes à la justice. L’adolescent doute, car il s’interroge c’est l’âge ou beaucoup de 6

choix doivent être faits, mais surtout il doute de lui-même. Après, à l’age adulte on continue à douter et à s’interroger sur soi mais également sur les autres. Quant à la vieillesse je vous dirai cela dans quelques années. Et comment ne pas parler du doute qui a assailli chacun de nous, homme ou femme et qui a causé tant de drames, a été le sujet de romans, poèmes, pièces de théâtre : le doute sentimental. M’aime t’il autant que je l’aime ? La jalousie est la racine du doute, la perte de confiance, c’est la partie négative, celle qui peut aller jusqu’à la tragédie. L’homme qui doute fait preuve d’humilité, il reconnaît ne pas savoir, il est le contraire de l’arrogant qui croit tout savoir. Et puis je vais terminer par cette phrase de Pierre Desproges qui exprime très bien ma pensée à la fin de cette planche :

« La seule certitude que j'ai, c'est d'être dans le doute ! » J’ai dit …


Geneviève CIV\

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