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Le Doute
 
Un certain soir d’octobre, il y a déjà quelques années, je recevais la Lumière. Elle m’éblouissait, me portait et me laissait espérer la résolution de mes remises en question. J’allais emprunter un nouveau chemin, pour enfin me connaître, connaître les autres, approchant ma vérité et la connaissance.
Avec ma fougue et ma naïveté d’apprentie, j’avais la certitude que ce chemin entrepris dans une communauté chaleureuse aboutirait envers et contre tout, en dépit des obstacles que je ne manquerais pas de rencontrer. Rien ne m’arrêterait. J’avais confiance.
Et pourtant chercher à connaître, n’est ce pas apprendre à douter ?
Le mot est lâché «  DOUTE ». Il est un outil inévitable, tant que la dualité nous dirige, tant que nous avons connaissance de notre liberté, de notre possibilité de choix.
 
Comme tout outil, selon l’utilisation que l’on en fera, le résultat sera négatif ou positif.
Rappelons que, tout ce que l’on sait, c’est que nous ne savons rien et revenons sur cette notion de Doute.
Il faut différencier le doute philosophique et le doute méthodique.
Le doute philosophique est un doute naturel qui accompagne l’absence de connaissances certaines : d’où venons nous ? Où allons nous ? Ainsi que toutes les grandes questions métaphysiques. Ce doute repose sur des notions trop importantes et trop fondamentales pour être développées ici, ce soir.
 
Le doute méthodique peut correspondre à la citation de Lalande :
« Le doute, c’est l’état d’esprit qui se pose la question de savoir si une énonciation est vraie ou fausse, et qui n’y répond pas actuellement :
soit qu’il ne puisse y réussir
soit qu’il ne veuille pas examiner le pour et le contre
soit qu’il remette la question à plus tard
soit qu’il y renonce » .
 
Le doute méthodique est une opération fondamentale de la méthode philosophique selon Descartes. Ne disait-il pas « Je pensais qu’il fallait que je rejetasse comme absolument faux, tout ce en quoi, je pourrais imaginer le moindre doute, afin de Voir, s’il ne resterait point après cela, quelques chose en ma créance qui fut indubitable ».
 
LE DOUTE - FREIN
 
A la fin du rituel, il est dit « la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point reçue ». Peut être à cause du doute ?
Notre démarche doit aboutir à remettre en question toutes nos connaissances, notre perception des choses et du monde, tant que nous ne connaissons pas le principe de tout savoir. Mais poussé à l’extrême, il peut devenir folie, lorsqu’il devient rumination anormale des problèmes métaphysiques, à la recherche indéfinie du pourquoi, dans les choses insignifiantes. IL peut, de ce fait, entraîner la maladie du scrupule. Il peut atteindre jusqu’à la suspension du jugement.
Le sujet redoute souvent de voir apparaître l’ombre de l’incertitude, de peur d’avoir à les assumer, les maîtriser et de se trouver ainsi, face à sa complexité.
 
Alors, poussé à l’extrême le doute devient Frein.
 
Pouvons nous construire vraiment quoique ce soit, en cédant à la résignation, en se décourageant ou en se laissant ballotter par les évènements, c'est-à-dire, en se laissant envahir par le Doute ?
Cette attitude au morcellement extérieur du monde est une manifestation du morcellement intérieur existant dans le cœur de chacun. C’est l’origine du Doute.
 
Impliqué dans l’aventure créatrice l’homme, s’il veut s’engager sur le chemin initiatique, doit procéder au recul indispensable qui lui dévoilera le Un dans le Multiple.
S’enliser dans le dualisme, équivaut à refuser la Lumière, à être hors du centre de l’Union.
Le mal être qui s’ensuit amène à geindre et à renâcler ; mais cela ne sert à rien, accuser les autres non plus.
Il ne faut surtout pas attendre que quelqu’un nous propose une recette, une méthode qui donnera la compréhension, la confiance et la force. On doit travailler seul, et chercher ses propres solutions. Rester dans le doute, c’est ne plus avoir de discernement et s’installer dans l’incertitude.
Seul, un enfant ou un fou n’ayant pas conscience de ses agissements, ni dans son action, ni dans sa pensée, ne connaît pas le doute. Par contre, dès que sa conscience s’éveille en nous, le doute sera présent à nos côtés, dérangeant, déroutant, perturbant.
 
Mais, lorsque l’homme parvient à se détourner un instant des soucis quotidiens, qui tendent à faire de sa vie un automatisme et un enfermement, pour descendre en lui-même ; lorsqu’il s’interroge sur cette troublante époque qui est toute sa vie d’homme, une foule de question viennent l’assaillir, détruisant un « repos » qui n’était en fait, qu’une absence à soi-même, par peur de son vide intérieur et de sa dépendance aux autres.
 
Le doute naît souvent de la comparaison que l’on fait par rapport aux autres, à leurs jugements et leurs regards. Cette incessante comparaison conduit au trouble, à la fuite et à la division.
Ce doute destructeur entraîne inexorablement la culpabilité latente qui n’est en fait qu’une façon de nous déculpabiliser, de nous redonner bonne conscience, par une certaine autopunition, rassurante quelque part. Notre univers est plus que jamais, un univers de paradoxes, où s’enchevêtrent difficultés et facilités, obscurité et évidence.
J’ai connu ce doute, avec le désir panique de changer d’endroit, de s’échapper du moment. Mon horizon ne s’élargissait plus. Je doutais des autres, de tout et de mon propre doute. Quand reconnaîtrai-je enfin que l’Autre ne devait plus me déranger dans la recherche de ma vérité et de la Vérité ? Quand deviendrai-je adulte, ne comptant que sur moi-même, corrigeant mes erreurs par rapport à l’essence qui m’est propre, en veillant toutefois à ne pas nuire à l’essence de ceux qui nous entourent ?
 
Bien sur, la première étape de mon apprentissage ne pouvait qu’en appeler une deuxième, qui me demanderait probablement beaucoup d’efforts. Le doute grandissant, souvent je n’avais plus la juste vision des choses. Mes a priori, mon éducation, le regard des autres pesaient lourds dans la balance. Mes métaux n’étaient pas encore bien dépouillés. La Pierre brute que j’étais était loin d’être dégrossie. Et pourtant j’étais toujours dans cet Ordre, je n’arrivais à enlever ma robe et à abandonner ma qualité de Maçonne. Quelque part au fond de moi, une lumière combattait mes doutes. En acceptant ce doute, en tentant de l’apprivoiser de le maîtriser, j’en ferai peut être un moteur pour faire grandir cette Lumière reçue virtuellement le soir de mon Initiation.
Ce doute frein devenait donc le mal nécessaire qui constitue un pont conduisant des ténèbres à la lumière. Et que celle qui n’a jamais douté, me lance la première pierre.
 
LE DOUTE MOTEUR
 
Pour se transformer et s’illuminer, notre âme a besoin d’une résonance. Il faut douter « juste » par rapport à sa vérité, à sa propre nature, en ayant bien compris qu’on est une personne distincte des autres, et que nous aurons, tout au long du chemin, à accepter cette différence, pour que nos actions et nos doutes soient justes, non pas en rapport du bien et du mal, mais en rapport à notre essence. Il faut commencer à se faire confiance, recommencer sa propre éducation. Ne plus s’appuyer à l’extérieur, mais en soi, voir le monde et les autres d’une manière différente, devenir le lieu où tout se passe et où peut briller notre petite lumière. PASCAL a dit : « C’est le consentement de vous à vous-mêmes et la voix constante de votre raison et non celle des autres qui doit vous faire croire ».
Ainsi le doute peut être l’engrais suprême pour aller au bout du chemin, pour retrouver la parcelle de lumière que nous avons tous en nous, en naissant dans ce monde. Approchons nous de la splendeur à travers nos doutes. Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part.
Le doute c’est comme un bandeau. En suspendant le jugement pour une meilleure vision des choses, il permet un changement d’état, nous assurant de ne pas sombrer dans le pessimisme.  « Toute connaissance ou toute expérience est entourée de la clarté du Doute ».          
Même si aujourd’hui, ma moyenne des êtres humains est moins « courageuse » qu’autrefois à tous égards, la vie matérielle est organisée pour être la plus facile possible. Beaucoup de remèdes analgésiques, antibiotiques, antidépresseurs sont à notre disposition. Mais dans une recherche intérieure, il n’existe pas de remèdes extérieurs. Seule notre foi intérieure nous permettra de nous métamorphoser, le but ultime du chemin étant, sans doute, la disparition de nos souffrances et de nos divisions.
Le doute permettra alors de réconcilier ombre et lumière. K. Gilbran n’a-t-il pas écrit : « En tout homme réside deux êtres, l’un éveillé dans les ténèbres, l’autre assoupi dans la lumière ». Ce doute permettra de se reconnaître, de reconnaître l’autre et un jour peut être d’être l’autre.
Le doute est ainsi devenu la veilleuse entre mes ombres et ma lumière. Avec une attention et une vigilance soutenues, lors de mes tribulations, je parviendrai à me libérer de mon enferment. Essayant de me libérer de l’attente frénétique d’être reconnue, je m’engagerai sur le chemin de ma propre reconnaissance.
 
Conclusion
Même si le doute justifie le découragement de celui qui ressent le poids de l’obscurité spirituelle, il doit permettre de combattre les ténèbres de l’ignorance, qui se confondent toujours avec la sécheresse du cœur et qui ferment nos sens aux perceptions subtiles. Le doute n’est pas une fin, c’est une halte nécessaire. C’est une méditation, une nouvelle chance de ne pas s’égarer sur la voie. Alors la transformation du moi qui s’opérera au centre du labyrinthe marquera la victoire du spirituel sur le matériel, de l’éternel sur le périssable, de l’intuition sur l’intelligence, du savoir sur la violence aveugle. En apprenant à connaître le doute, à l’apprivoiser à le maîtriser, je pourrai en sa compagnie , traverser le pont qui me mènera du chaos à l’ombre, du néant à l’être, de la dualité à l’unité. Il est plus facile de se laisser porter par le flot que de remonter vers la source. Mais en me servant, habilement des vents du doute, rien ne m’empêchera d’arriver à la source lumineuse.

J’ai dit

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