Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Réflexions sur le rituel de l’élévation au grade de la maîtrise

Je suis à la fois contente et perplexe de m’atteler à la tâche de tenter de dégager quelques idées fortes sur la magnifique cérémonie d’élévation à la maîtrise. En effet, l’abondance des symboles est si frappante que je n’ai pu en choisir un seul. J’aimerais donc vous emmener avec moi sur le fil rouge de mes réflexions et suivre le chemin bien étroit jouxtant un précipice de possibles interprétations.

L’élévation à la maîtrise est le résultat d’un long et progressif accouchement à soi-même, la maturation d’un questionnement constant sur le rôle de chacun dans la société et l’Univers, le fruit récolté lors de nos voyages, intérieurs et extérieurs, vers l’approfondissement des rituels portant la transmission maçonnique.

Avant de partager avec vous ce qui m’a interpellée dans le rituel d’élévation à la maîtrise, ne pourrions-nous pas réfléchir sur l’importance de notre attitude intérieure quand nous abordons ces rivages symboliques nous incitant à ôter le voile recouvrant les apparences d’une réalité prétendument banale mais qu’une M\ devrait pouvoir accueillir dans sa profondeur réelle. Savons-nous encore savourer le rituel, nous laisser déplacer de nos certitudes ou le répétons-nous comme des formules devenues « usées » parce que tant rabâchées qu’elles nous paraissent presque insipides…pouvons-nous renaître à son écoute, nous laisser vibrer dans l’élan novateur qu’il nous propose à chaque tenue ? Suscite-t-il en nous la distance nécessaire pour nous plonger à l’intérieur de notre terreau et en ressortir renouvelées grâce à l’alchimie qu’il nous invite à accomplir ?

Je suivrai pas à pas la cérémonie et partagerai mes interrogations. Pourquoi commémorer le lugubre événement de l’assassinat de M\ Hiram par les trois Compagnons ? En effet, pourquoi Hiram doit-il mourir ? Le disciple du Christ, Jean, a formulé dans son enseignement : « Si le grain de froment tombant dans la terre ne meurt point, il demeure seul mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits ». En mourant, H\ sème des graines de connaissance dans la terre intérieure de la future M\ qui, si elles sont bien arrosées par la lumière habitant la Loge, germeront en elle et porteront des fruits qui unies aux gerbes des autres M\ formeront et accroîtront la moisson dans notre monde. Ainsi, H\ renaît en chacune de nous ! Par conséquent, et même si cela peut nous surprendre au premier abord, nous commençons ce qui pourrait constituer une fête joyeuse par le rappel d’un événement triste et difficilement compréhensible. Or, la cérémonie d’élévation n’est-elle pas semblable à une promotion, une reconnaissance de nos efforts accomplis pour la mériter ?

D’après le catéchisme interprétatif du grade du M\, et selon O\ Wirth, l’assassinat du M\ est « une fictions symbolique, profondément vraie par l’enseignement qui s’en dégage » cad. que la tradition m. est constamment « mise en péril par l’ignorance, le fanatisme et l’ambition des M\ ».

La C\ et future M\ doit donc (et ceci la surprend fortement) se justifier du soupçon d’avoir pris part au complot des meurtriers d’H\ et prouver son innocence, ce qui peut heurter sa sensibilité. Elle a pourtant gravi un escalier tournant, divisé en deux repos, l’un de trois marches et l’autre de cinq… Cette montée progressive du cercle se modifiant en ellipse l’a transformée, lui a permis de prendre du recul par rapport à sa vie et à observer la réalité selon d’autres points de vue. Parvenue dans le temple, la marche à reculons, l’incite également à faire un bilan de ses expériences passées, d’en dégager les fruits pour s’avancer, allégée vers un futur qui lui apportera d’autres éclaircissements. L’étoile flamboyante continue de la soutenir dans cette étape du nécessaire désencombrement intérieur. Peu à peu, elle a appris que l’harmonie doit se deviner aussi dans le désordre, elle a affiné sa perception de la relativité et, son discernement grandissant, elle comprend que rien n’est tout à fait vrai ni tout à fait faux. L’étoile illumine les ténèbres et lui permet d’espérer.

En montrant que ses mains et son tablier sont purs, elle peut surmonter la méfiance de la T\R\M\. Pourtant, elle doit encore et malgré une légère peur intérieure enjamber le cadavre car, malgré sa bonne foi, elle est contrainte à continuer de prouver qu’elle n’est pas complice des meurtriers. En accomplissant les pas demandés, elle accepte de lâcher prise, de respecter et de faire confiance à l’autorité de la S\ Experte.

En lui révélant les circonstances du meurtre d’H\ la T\R\M\ incitera la future M\ à réfléchir plus tard sur sa propre complicité à l’assassinat de H\. En effet, ne devons-nous pas constamment chercher dans quelle mesure, par ignorance, fanatisme ou ambition, nous avons contribué à la mise à mort d’H\ ?

Privées de la guidance éclairée d’H\, les ouvrières avaient perdu confiance en elles-mêmes et étaient découragées. Selon O\ Wirth elles « se sentent solidaires du forfait commis par les C\. Elles se reprochent de n’avoir rien su prévoir, de ne s’être occupées que d’elles-mêmes, sans veiller à la conduite d’autrui, sans se soucier des sentiments qui se développent dans le cœur de quelques-unes ».

Les trois C\ frustrées, impatientes s’étaient érigées en juges, condamnant la lenteur des M\ à les reconnaître et se sentaient injustement traitées. Elles croyaient avoir droit à leur avancement. Sincèrement, ne partageons-nous pas parfois cette tendance à l’arrogance impatiente ?

L’intégrité, la fermeté d’H\, le courage dans l’action symbolisé par la règle, l’équerre et le maillet avec lesquels les trois C\ frappent H\ l’achèvent mais ne le tuent pas intérieurement. Le secret n’a pu être violé par les trois C\ pas encore assez mûres. Les M\ sont appelées à ne pas se laisser abattre par les obstacles sur leur chemin. Par conséquent, la T\R\M\ envoie les sept S\ M\ rechercher H\ pour pouvoir continuer à suivre la voie sur les traces de la Connaissance.

La branche d’acacia indiquant que tout n’est pas impérissable, ainsi que le compas et l’équerre posés près du cadavre, invitent à l’espoir.

Le compas nous rappelle que la M\ doit partir de son centre intérieur pour aller explorer les limites de la réalité et, grâce à son discernement, composer avec les possibilités du milieu dans lequel elle travaille. L’équerre, se trouvant également près du cadavre, nous incite à ne pas nous perdre dans des spéculations manquant de rigueur.

Je partage l’avis d’O\ Wirth qui dit que « quand la Tradition n’est devenue qu’une observance servile, elle ne se vit plus dans les esprits et peu à peu tend à se disloquer et devient une superstition ».

« La chair quitte les os ». Je tenterai de déchiffrer ce que ces mots énigmatiques provoquent en moi. La chair, notre corps et notre vie sont le fruit d’un développement constant. Pour que nous puissions intégrer la Gnose et en vivre, il ne suffit pas d’accumuler des connaissances. Afin qu’elles ne soient pas qu’une enveloppe superficielle entourant notre corps mais qu’elles pénètrent nos os, nous transforment dans notre chair et, qu’au-delà et malgré nos souffrances,  nous puissions rester attachées à notre centre qui, lui, connaît la sérénité. Les épreuves nous amènent à nous détacher de nos attitudes mortifères pouvant nous faire vivoter telles des cadavres dont les os sont vides d’une moelle nourrissante traversée par la vie et l’amour universels.

L’énergie intérieure du cadavre s’est évaporée et « tout se désunit ». Cependant, par l’union de nos âmes, nous pouvons former la chaîne vivante pour ranimer la dépouille et perpétuer les œuvres de GLADU. La M\ est ressuscitée, les paroles de vie lui sont prononcées. Auparavant, la C\ a dû surmonter sa peur en acceptant de devenir le cadavre et de ressentir les limitations corporelles.

L’esprit d’H\ s’est réincarné dans la nouvelle M\. Il lui incombera donc à l’avenir de passer le flambeau de la Connaissance, de transmettre les trésors de la Tradition par son enthousiasme et par l’exemple.

Le rationalisme borné, logique et rigide, le dogmatisme étroit dont la règle peut être l’image, peuvent devenir des attitudes mortifères sur la Voie de la Spiritualité. L’étroitesse du cœur, l’intolérance nourrie par la conception du juste qu’avaient les 3 C\, sont symbolisées par l’équerre qui a frappé H\ et continue de tuer certains chercheurs de Vérité. Les ambitieux, les impatients sont aveuglés et ne sont pas en mesure de prendre en compte la complexité des choses, de respecter les divergences d’opinion. Avec leur coup de maillet, ils tuent H\ et la liberté d’autrui, l’usage de cet outil de construction d’un monde où la pluralité est reconnue, est détourné de son premier but afin de suivre le chemin des vérités et normes acceptées par la majorité.

H\ est mort mais tout n’est pas perdu car la Vie est une continuelle régénération. La T\R\M\ infusera un souffle nouveau au cadavre, qui, régénéré, retrouvera son âme grâce aussi au travail des autres M\ ayant mis leurs âmes en commun pour relever le cadavre métamorphosé. Il ne s’agit pas d’une survivance mais d’une invitation à partager le début de l’immortalité de la Vie.

Les 5 points du Compagnonnage expriment la communion des ouvrières à avancer vers un même but, à glorifier le travail, à se soutenir mutuellement dans leurs efforts. Le mot sacré a été communiqué par les 5 points de la maîtrise, moment intense ! La parole perdue est retrouvée, le fils naît de la putréfaction, la mort d’H\ revécue par la C\ lui a permis de s’approcher des secrets de la mort transformatrice. « La M. est retrouvée », elle a été affranchie par la mort symbolique pour qu’elle contribue à la pérennité de l’œuvre.

Le Mot sacré MHBN signifiant « Fils de la putréfaction ou, fils du M\ mort ou, il vit dans le fils », la maçonne se sait donc investie du rôle de transmission, elle sait qu’elle doit « répandre la lumière et assembler ce qui est épars », cad. partager les connaissances reçues et s’engager à faire régner l’harmonie et la Fraternité. La pensée des sages défie la mort car elle provient du passé, fructifie le présent et nourrit l’avenir.

La M\ renaît et peut, avec le compas placé au-dessus de l’équerre, tracer le cercle mystérieux sur la planche à tracer. « Le cercle éternel dont le centre est partout et la circonférence nulle part » sera le domaine d’expérimentations de la M\ et son terrain de jeu dans sa vie profane. J’avoue que ce symbole, puissant s’il en est, mériterait à lui seul une autre planche. Je ne peux donc qu’effleurer ce qu’il m’insuffle. Le centre du cercle étant partout, cela symbolise, à mon avis, la nécessité de trouver mon centre, de m’y enraciner pour agir librement. Rester connectée à cet arbre de vie m’ancre dans l’unité et la globalité de la Vie universelle et m’évite de m’éparpiller, voire de me perdre, à cause d’un excentrement dangereux.

Grâce à leur discipline, leur persévérance et malgré les apparences pouvant amener au découragement à cause de la parole perdue, les efforts unis des M\ permettent que la Vie qui semblait arrêtée puisse continuer. L’œuvre d’H\ lui survit et le Temple de la Fraternité peut ainsi être érigé. La M\ sait maintenant lire et écrire et reçoit la planche à tracer, elle continuera donc au jour le jour à faire face au défi de tailler sa pierre avec rigueur et patience.

Avant de terminer, je désire encore vous faire part de l’émotion qui m’a submergée quand, selon l’usage, en tant que la plus jeune M\, j’ai dû me coucher sous le linceul pour symboliser le cadavre d’H\. Je ne m’attendais pas à cette expérience qui a été décapante pour moi. Je souffre d’un peu de claustrophobie et, en devant m’identifier à un mort, même s’il est illustre, j’ai été contrainte de surmonter ma peur de ne pouvoir bien respirer et mettre en pratique le contrôle de mes émotions. Ce fut donc une de mes premières épreuves de M\. En effet, me ressentir bien vivante, tout en éprouvant une certaine panique instinctive, m’identifier à un cadavre, même si je savais que le rituel, porteur de Vie universelle, me permettrait de renaître et de continuer la transmission de la recherche du Vrai, ce conflit intérieur m’a bouleversée. Cependant, grâce au lâcher prise et à la confiance en vous, mes chères S\ M\, j’ai été en mesure d’en ressortir renouvelée car, si le voile de la mort me recouvrait et que je pouvais ressentir l’effroi devant l’expérience de « La chair quitte les os » et « Tout se désunit » et d’être enjambée par la future M\, j’ai un peu apprivoisé ma future mort physique et avancé sur la voie vers la Renaissance.

La maîtrise nous invite à chercher constamment la M\ qui est en nous, telle un cadavre, à la ranimer, pour qu’elle agisse en nous et œuvre à concrétiser Sagesse, Force et Beauté dans notre quotidien.

Je conclurai en disant que je partage l’opinion de Plantagenet qui décrit ainsi la cérémonie d’élévation à la M\ : « Elle nous inculque la sérénité, elle nous apprend le détachement, elle nous convie à l’espoir ».

J’ai dit T\R\M\

A\ T\


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