Obédience : NC Loge : NC 14/01/2009

Elévation au Grade de Maître


Nous venons de voir notre Frère Eric allongé, puis relevé pour renaître, et il vient de vivre un accomplissement, la plénitude d'un état d'être. Il n'a certainement pas ima­giné, dans l'instant, ce qu'il pourrait bien y avoir au-delà de cette belle cérémonie, laquelle achève, en apparence, le cycle complet de l'initiation.
Car en effet, comment va se situer le grade de Maître dans un Ordre Ecossais établi en trente-trois degrés ? Posons la question autrement : « Ce 3e degré constitue-t-il un achèvement, ou un nouveau départ ? ».

Le sens du grade change en effet totalement' selon qu'il est considéré comme « achè­vement du cycle de métier », ou au contraire comme « le premier des Hauts Grades ».
Envisageons tout d'abord la Maîtrise comme achèvement d'un cycle (1).
Vous le savez l'Obédience (2) et la Juridiction (3) se partagent la gestion des 33 degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Pourtant les trois premiers degrés forment une tota­lité sur le plan administratif et sur le plan initiatique. Ossature à peu près similaire pour tous les Rites, les trois premiers grades décrivent globalement le cycle complet de l'initiation, et leur sens est lié à la doctrine des trois mondes.

Les deux premiers degrés se rapportent au métier, et, nous le savons, il est demandé à l'Apprenti de faire connaissance avec des outils et des symboles mis à sa disposition pour la construction d'un Temple extérieur, mais par une identification entre la « pierre brute » et lui-même. Le rituel lui confirme la nécessité du travail spirituel de la construction du temple intérieur, c'est-à-dire de la connaissance de soi.
Le Compagnon, qui correspond au monde intermédiaire, se doit, quant à lui, d'ap­prendre à se servir de ses outils pour finir par donner à la pierre sa forme définitive, phase importante de son parcours. Les deux globes lui indiquent que c'est dorénavant l'univers entier qui est offert à son étude.

Enfin, au cours de la cérémonie d'élévation, le récipiendaire s'élève au-dessus de la terre, et s'éveille à la vie de l'esprit. Ce changement d'état passe par sa mort renais­sance et sa « mise en coïncidence » avec Maître Hiram, pour participer à la réalisa­tion du principe élevé qui est en lui et non en dehors de lui. Le nouveau Maître a quit­té le chantier, et d'ouvrier il est devenu architecte, capable maintenant de diriger le chantier. Commander aux Apprentis et aux Compagnons, comme le dit le rituel, c'est aussi pour le Maître « commander à ce qu'il y a d'Apprenti et de Compagnon en lui », c'est subordonner les deux premiers mondes de l'homme au troisième.

Pourtant, si le cycle initiatique est clos, c'est en apparence seulement, car le mot sacré  des Maîtres a été perdu lors du meurtre perpétré par les trois compagnons. Et l'ins­truction précise que les Maîtres, craignant que la force des tourments n'eût arraché à Hiram la Parole de Maître, convinrent que le premier mot qui serait prononcé en le retrouvant leur servirait de mot de reconnaissance ; il s'agit donc bien là d'un mot substitué.

Nous venons donc de voir la première possibilité d'aborder le grade de Maître : l'élé­vation du Compagnon en a fait un Maître d’œuvre, capable de diriger le métier, et son passage de l'équerre au compas a confirmé les qualités morales dont il disposait pour ce faire.
Mais, au cours de la cérémonie, le mot a été changé, et les Maîtres devront se conten­ter, dorénavant, d'un mot substitué.

Cette attitude ne peut intégrer en totalité, on le voit bien, l'état de Maître.

Envisageons maintenant la Maîtrise comme premier des Hauts-Grades.


Pour celui qui s'imprègne du 3e degré, le questionnement devient incessant, je l'ai plusieurs fois déjà souligné entre ces colonnes, et les travaux de nos tenues, rares au grade de Maître, laissent à ceux d'entre vous tournés vers l'enseignement ésotérique, une impression d'insatisfaction, entretenue par l'absence de réponse aux questions légitimes qu'ils se posent. Pourtant l'accession au 4e degré (ce départ vers un nouveau monde) est impossible sans une bonne compréhension du degré de Maître maçon.
Essayons alors de faire ensemble le point sur ce que nous savons, sur ce que nous pouvons déduire des éléments du rituel du degré, et sur les questionnements en face desquels nous sommes comme arrêtés - et perplexes.

La tradition salomonienne des Hauts Grades débute avec la Maîtrise et trouve son support exclusif dans le mythe fondateur d'Hiram. Il semble en effet préférable ici de parler de mythe et non pas de légende. La légende est destinée à la lecture, et elle est riche en allégories et préceptes moraux (pour imiter le héros). Dans le mythe, au contraire, le héros exprime les valeurs d'un groupe et joue un rôle essentiel dans le comportement et la transformation de ses membres. Il est, en quelque sorte, à l'ori­gine de nos intuitions les plus profondes et a pour but de nous éveiller, en même temps qu'il est fondateur des valeurs de l'activité humaine. C'est dans l'expérience du sacré auquel on accède, dans la rencontre avec une réalité transhumaine, que prend naissance l'idée fondatrice selon laquelle quelque chose existe au delà de nos limites.

Hiram est donc le chef de chantier du Temple que Salomon souhaite construire. « Le mythe se rapporte à son chantier » donc symboliquement à l'élaboration du Temple extérieur comme image du Centre suprême (dont Jérusalem est l'une des représenta­tions à la fois littérale et symbolique) et à la réalisation du Temple intérieur, par la conversion du regard de l'initié.
« Le meurtre est, par ailleurs, un sacrifice rituel » dans l'espace-temps du temple uni­versel du héros mythique auquel se substitue le néophyte, qui accède ainsi à un autre état d'être, à une nouvelle perception de ses liens avec l'Absolu.

Enfin, il importe aussi de répondre à un certain nombre de questions. Que devient la construction du Temple ? Les travaux ont été interrompus par la mort de l'Architecte : que faire pour en assurer la reprise ? Il faut aussi réfléchir à une sépulture digne d'Hiram, et nul ne peut, d'autre part, échapper à la question de savoir ce que sont de­venus ses assassins, pour les retrouver et les châtier. Toutes ces questions se réfèrent à l'exotérisme de notre Tradition.
Ce qui appartient sans nul doute à l'ordre ésotérique, initiatique, c'est la perte du mot sacré de Maître, et sa recherche. Or notre rituel du 3e degré ne contient aucune indi­cation particulière concernant cette quête, élément fondamental de toutes les tradi­tions, et avoir perdu la Parole c'est avoir perdu les secrets de l'initiation.

Comment retrouver la Parole Perdue dont la transmission nécessitait d'être trois pour la prononcer et la transmettre, « obligation ternaire » qui apparaît dans les plus an­ciennes divulgations. Une voix manque. Comment résoudre ce problème ?

De plus, comme le précise René Guénon, le mot sacré du grade est manifestement un mot substitué, et donné comme tel. Ce mot, d'ailleurs, a subi des déformations consi­dérables, et si l'on en restitue la forme correcte, on se rend compte que son sens est autre que celui qui lui est généralement attribué. Ce mot n'est, peut être, qu'une ques­tion concernant l'identité du Constructeur : « Mi ha Boneh » dont le sens global est : « Qui est l'Architecte ? » et non l'affirmation habituelle que nous connaissons.

En apportant la réponse à cette question, l'Ecossisme des Hauts Grades a bien amor­cé la recherche concernant le travail ultérieur qui pourra nous conduire à la Maîtrise effective. Le mot substitué de l'initiation maçonnique est donc une question qui ouvre la possibilité de retrouver la Parole Perdue, de reprendre le chemin vers la Connais­sance.

Vous le voyez, mes FF VV MM,  les Hauts grades tracent le programme des opéra­tions qui nous sont nécessaires pour parvenir à l'Initiation réelle. Ils sont le chemin sans fin sur lequel il nous faut nous engager pour progresser.
Ne pas nous contenter du mot substitué c'est d'abord sortir de notre enfermement et de la sédentarité pour accepter l'errance. C'est ne pas nous arrêter dans le travail à faire sur nous-même, et ne pas nous laisser diriger par les conditionnements de tou­tes sortes qui ont façonné le moule « de notre petit moi ».

En répondant à l'appel de la quête qui exprime le refus de l'enclos, il nous faudra ac­cepter le nomadisme et la solitude comme chemin incessant vers l'infini, dans la voie du Devoir. L'organisation cyclique des Hauts Grades est construite dans ce but, avec des points de vue toujours renouvelés.

Il existe donc, vous le voyez, une deuxième possibilité pour vivre « votre » Maîtrise. Pour ceux qui ne se contenteront pas du mot substitué, les degrés suivants seront consacrés à la réalisation de la plénitude de l'Art Royal, par les réponses données à leurs questionnements.
Aujourd'hui encore, de trop nombreux jeunes - ou moins jeunes - Maîtres maçons, désireux de progresser, sont arrêtés des années durant parce que leurs aînés considè­rent qu'ils ne sont « pas encore prêts », ou bien s'imaginent que l'enseignement ma­çonnique se limite aux trois premiers degrés, ou bien encore se sentent écartés. Il y a là beaucoup de temps perdu, qu'aucun argument ne justifie dans un Rite comme le nôtre en trente-trois degrés.
Il est certain que les degrés suivants du Rite proposent un très long chemin de perfec­tion, chemin rempli d'épreuves et d'embûches, car chemin de dépouillement et de détachement.
Mais c'est bien à ceux d'entre vous qui souhaiteraient frapper à la Porte de la Juridic­tion qu'il appartiendrait de poursuivre la construction de leur Temple intérieur, pour donner enfin un sens plein à leur vie de maçon.

C'est l'encouragement que ceux de vos FF\ de cette RL qui ont déjà franchi le pas sou­haitent vous apporter ce soir. C'est le vœux qu'ils forment pour vous en cette pre­mière tenue de la nouvelle Année. En vous assurant de leur soutien et de leur aide. Et en se montrant par avance certains de vos succès futurs.

J'ai dit.

M\ F\
1 - Ce texte est largement inspiré d'un article du T.III.F. Henri Lustman, 33°, G.M. des Chroniques du S.C. pour la France, publié dans Tradition Écossaise, n°14, sept-2007, p.20 et suivantes.
2 - La Grande Loge Nationale Française
3 - Le Suprême Conseil pour la France

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