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Maître de qui ? Maître de quoi ?

Maître : personne qui gouverne, qui commande, exerce un pouvoir, une autorité. Personne aussi qui possède quelque chose, propriétaire. Ou encore : une personne qui enseigne, éduque. C’est aussi une personne qui est prise comme modèle. Voilà ce qu’en dit le Larousse. Son pendant féminin ajoute parfois une connotation érotique ou libertine. Et si la maîtresse femme, celle qui porte la culotte, inverse les rôles traditionnels entre la femme et le mari, le maître-queux remplace la femme traditionnellement devant son fourneau puisque c’est un cuisinier.

Au passage, signalons que le maître-à-danser n’est pas un danseur étoile mais un compas d’épaisseur à branches croisées, utilisé dans la mesure des diamètres intérieurs.

Le mot « maître » est aussi un adjectif. Il caractérise alors celui qui joue un rôle capital, essentiel. Être maître de quelque chose ou de faire quelque chose signifie que l’on peut en disposer librement ou que l’on est libre de faire quelque chose.

Le Maître maçon serait-il, comme l’indique la définition du Larousse une personne qui gouverne et exerce son pouvoir sur les apprentis et les compagnons ? Serait-il plus libre que d’autres pour agir à sa guise ?

Que signifie alors pour nous l’appellation de Maître que nous avons reçue quand le Très Vénérable, aidé des FF Surveillants, nous a relevé par les cinq points parfaits de la Maîtrise ? Quelles sont les conséquences de ce grade dans le fonctionnement de la Loge ? Qu’est-ce que cela implique pour chacun de nous ?

Pour répondre à ces questions, je prendrai un exemple dans la vie profane, puis je m’appuierai sur le rituel d’exaltation au grade de Maître. Enfin je terminerai en tentant de définir les devoirs qui s’imposent au Maître dans la perspective d’une méthode s’étalant sur trente trois degrés.

1. C’est au contact d'un gros chantier de construction d'un collège d'enseignement proche de mon habitation que l’idée m’est venue de travailler sur ce thème. Dans le milieu du bâtiment, les termes d’apprenti, de compagnon et de maître veulent dire quelque chose de très concret. L’apprenti est celui qui démarre dans le métier, il est en contrat d’apprentissage, sort de l’école ou vient d’une structure d’insertion. Il doit faire ses preuves s’il veut être embauché définitivement. C’est le DRH qui le recevra lors d’un entretien au cours duquel il devra montrer ses motivations et prouver qu’il a progressé. Embauché, il deviendra alors un compagnon qui participera à la construction de l’édifice. De l'étage où j'habitais, je dominais le chantier et j’ai pu l'observer durant deux ans, depuis le premier coup de pelle jusqu’à sa mise en service. Dans un espace très réduit, car les anciens bâtiments continuaient d’exister pour permettre la continuité des enseignements, il a fallu construire un nouveau collège. Une trentaine d’ouvriers compagnons s’affairaient du matin 8 heures au soir vers 17 heures, sans arrêt, chaque chose à sa place, comme un petit peuple de fourmis entièrement tourné vers la réalisation du travail. Une sorte d’intelligence invisible réglait les déplacements des compagnons, planifiait les tâches à effectuer.

Il faut dire que vers 6 heures du matin, j'étais réveillé par la grue de chantier et un petit nombre de personnes qui s’activaient pour préparer les différents postes de travail, approvisionner en briques, en parpaings, en poutres. Et, le soir après le départ des ouvriers, ils étaient encore là pour vérifier le travail fait, parfois très tard, à la lueur des lampes. Ailleurs, dans ce qu’il est convenu d’appeler la base-vie, étaient élaborés les plans d’exécution, rédigés les bons de commande, élaborées les facturations, planifiée la succession des entreprises sous traitantes. L’ensemble des contre maîtres, des ingénieurs, des chefs de chantier forme ce qu’il est convenu d’appeler la maîtrise, mot que l’on retrouve dans l’expression la maîtrise d’ouvrage. Cependant, l’objet du travail de ce personnel est de moins en moins le matériau au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie. C’est l’humain qui devient la matière première.

Comme vous le voyez, mes Frères, la structure pyramidale de la corporation du bâtiment a servi de modèle à la Franc Maçonnerie pour établir sa méthode d’apprentissage, d’éveil et de perfectionnement dans la recherche de la Vérité et dans la construction de notre édifice spirituel. Nous y reviendrons.

2. Voyons maintenant ce que recouvre le mot de Maître dans notre méthode maçonnique. Dans son serment, le Maître nouvellement exalté s’engage par serment à maintenir et à appliquer les principes découlant du symbolisme de l’équerre et du compas ainsi que des cinq points parfaits de la maîtrise. Il s’engage aussi à remplir toujours avec fidélité et zèle les obligations que lui impose le grade auquel il vient d’accéder.

Quelques mots sur l’aspect symbolique que découvre le nouveau Maître. Avec le compas, symbole de l’esprit et de son pouvoir sur la matière, il pourra étendre les domaines de sa recherche jusqu’à l’infini tout en relativisant son pouvoir par le discernement et la justice. Avec l’équerre, il apprendra à agir avec mesure et pondération. Signe de rectitude, elle est l’instrument indispensable pour rectifier la pierre brute.

Il faudrait cinq planches différentes pour définir ce que signifient les cinq points parfaits de la Maîtrise. Disons rapidement qu’ils symbolisent la force vitale qui doit nous animer, tel un tourbillon qui nous enlacerait et nous entraînerait vers le haut et vers la loi d’amour. Partant de l’extrémité des membres, en passant par les articulations, cette force s’enrichit de notre réflexion, de nos expériences et vient s’épanouir dans le cœur en réunissant les initiés dans une accolade fraternelle. Comment pourrait-on faire ce geste si nous n’étions pas débarrassés de nos préjugés envers l’autre, de nos suspicions, de nos faux jugements, de notre ego, de nos jalousies, de nos ambitions ?

Est-ce le rapprochement des mythes anciens, remis à l’ordre du jour par les humanistes du siècle des Lumières, avec le goût pour l’alchimie qu’avaient les scientifiques de l’Académie à la même époque, qui a donné naissance à la Maçonnerie en France en général et au mythe de la mort d’Hiram ? L’exemple le plus flagrant nous est donné par les jardins du château de Versailles qui s’appuie sur la mythologie grecque et sur la réalisation du Grand Œuvre pour décrire le processus initiatique de l’accession à la Lumière, puis à la Grande Lumière, celle de la Vérité, de la Connaissance absolue. Le message est clair : libérez-vous de la matière, libérez-vous de vos instincts liés à l’animalité, rendez-vous sensibles à vous-mêmes, à la musique des sphères. Vous pourrez alors devenir acteur de vous-même.

3. Cette exaltation des possibilités de l’homme, nous la retrouvons dans l’aspect initiatique donné au grade de Maître. Un tel changement d’état ne peut être donné à l’homme qu’au travers d’un événement hors du commun. Et quel événement, sinon la mort, permet de quitter un état pour accéder à un nouvel état en sachant que plus jamais il ne sera possible de revenir en arrière. Le Christ, les mystères d’Éleusis, sont autant de sources d’accès à de nouvelles connaissances. En s’appuyant sur la construction du temple étudiée aux grades d’Apprenti et de Compagnon, le Franc Maçon va se voir confronté au récit de la mort d’Hiram qui lui conférera le statut initiatique attribué au grade de Maître.

Apprenti puis Compagnon, le Franc Maçon travaille d’abord la pierre brute puis la pierre taillée. Il travaille avec le ciseau et le maillet, un genou en terre. Devenu Maître, il travaillera debout. Apprenti, puis Compagnon, il exécute ; Maître, il sera amené à surveiller le chantier puis à concevoir, à tracer des plans que devront exécuter les Apprentis et les Compagnons et à diriger. Chaque degré marquera pour l’initié une progression dans les travaux et la conduite du chantier : l’Apprenti exécute, le Compagnon sait agir par lui-même et pour lui-même. Maître, il œuvre pour les autres. Pour cela, il devra être pour tous ses Frères, un exemple, une mémoire et une référence.

Son statut de Maître lui fait donc devoir de connaître de façon exemplaire le rite, son histoire, les Constitutions et les Règlements Généraux. Il se doit de les respecter et d’en exiger fraternellement le respect. Il a le devoir de travailler en présentant régulièrement des travaux, en participant aux débats. Quel serait l’exemple pour les frères Apprentis et Compagnons d’un Maître muet lors des travaux ? Il doit occuper un poste d’officier quand le besoin se présente. Quelle autorité aurait un chef d’entreprise de chauffage, par exemple, qui serait incapable de souder un tuyau ? Que penserait-on d’un patron d’une entreprise du bâtiment qui ne saurait poser une brique ? Le Maître maçon sait donc tenir tous les plateaux de l’atelier et, connaissant l’Étoile Flamboyante, il s’efforce de progresser dans les directions de l’étoile où il se sait le moins compétent. Le Maître maçon a donc aussi le devoir d’être exemplaire dans sa démarche personnelle ainsi que dans la connaissance et la pratique des rituels.

Maître, il a surtout le devoir de servir. Servir ! Servir pour le Maître maçon, c’est assumer sa liberté. De sa propre et libre volonté, il est prêt à tout donner, fut-ce lui-même pour sauvegarder, transmettre et pérenniser les principes qui furent les règles fondamentales d’une méthode de perfectionnement personnel associant le travail individuel et le travail collectif. Servir, c’est pour lui glorifier le Travail, c’est travailler à la gloire du Grand Architecte de l’Univers.

Servir, c’est aussi servir la Loi Morale, en respectant ses devoirs et ses obligations, en luttant contre la corruption, en combattant les préjugés qui s’opposent aux connaissances humaines pour briser le joug de l’ignorance, du fanatisme, de l’ambition, pour établir le règne de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité.

Maçon libre dans un loge libre, certes, mais le Maître Maçon a pris des engagements, il a prêté serment ; il a des devoirs qui ne peuvent, s’il possède bien l’Art, l'autoriser à faire n’importe quoi, n’importe comment, n’importe où, n’importe quand. A cette conception des vertus de la Liberté qui n’est qu’une vision provocante et profane, donc une profanation de l’ordre maçonnique, le Maître Maçon, pour qui la liberté est la possibilité d’accomplir son devoir, se doit d’opposer l’altruisme et la solidarité que lui dicte l’égalité. Alors, et alors seulement, pourra émerger la fraternité, et ces trois mots du vocabulaire « liberté, égalité fraternité » pourront s’écrire avec des majuscules.

4. Le grade dans lequel nous travaillons ce midi est appelé maîtrise. Reprenons la signification de ce mot dans le Larousse. Son synonyme est domination incontestée. Elle signifie aussi perfection, sûreté dans la technique. Se maîtriser c’est se dominer, c’est garder son sang froid.

L’initiation au 3ème degré impose à l’impétrant de changer d’état : il joue le rôle d’Hiram, il est Hiram qui, se présentant à la porte du Nord, reçoit un coup de fil à plomb sur l’épaule gauche ; qui, se présentant à la porte du midi, reçoit un coup de niveau sur l’épaule droite ; qui, se présentant à la porte d’orient, reçoit un coup de maillet sur le front, coup qui l’achève et le tue. L’impétrant qui a basculé dans le cercueil, sera relevé par les cinq points parfaits, et chaque Maître Maçon reconnaîtra en lui le Maître qui a été assassiné. La mort, la résurrection et le levé par les cinq points parfaits constituent les fondements d’une exaltation. Le levé est à considérer comme une rupture destinée à éveiller la conscience sur et dans une autre nature. Pour le troisième degré de notre rite, plus que la mort d’Hiram, l’important initiatique est le relèvement du maître par les cinq points parfaits. Jamais plus il ne sera le Compagnon qui travaille un genou à terre. Maintenant c’est dans la position debout qu’il exécutera ses travaux. Il a changé d’état (« la chair quitte les os ») et il a été levé pour passer. Nous retrouvons la même symbolique de ce changement de nature dans la résurrection du Christ qui se lève du tombeau. Changement de position, changement d’état, changement de statut, changement de la nature de la démarche.

Le grade de Maître donne vocation à l’accession au 4ème degré et aux suivants. La démarche maçonnique étant une méthode progressive, elle ne peut devenir complète qu’en gravissant, chacun à son rythme, les différents degrés du rite. Nous nous sommes tous posés ces questions : Qu’est devenu le maître Hiram ? Que sont devenus ses assassins ? Saurons-nous continuer la construction du temple en sachant que notre maître est mort ? Quels étaient ses mots secrets qu’il a emportés dans la mort ? Comment pourrons-nous retrouver la parole perdue ? Comment pouvons-nous nous donner le titre de Maître si nous ne possédons pas la réponse à toutes ces questions ? La Maîtrise n’est pas un état figé, une fin d’escalier, un signal d’arrêt. Il est peut-être une pause servant à mieux asseoir sa connaissance des outils et des hommes. Il est surtout un formidable palier ouvrant sur des espaces encore plus infinis sur le chemin de notre Vérité.

Conclusion

Mes Frères, qui suis-je pour vous faire de la publicité pour les degrés au-delà du grade de Maître ? Je m’en garderai bien. Je ne suis ni compétent, ni habilité pour le faire. Cependant, je reste persuadé que, puisque nous avons choisi une voie individuelle et progressive, nous ne pouvons nous satisfaire de l’endroit où nous sommes arrivés. Un dicton populaire affirme « qui n’avance pas, recule ». Chacun choisit sa voie, et il serait prétentieux de ma part de formuler un jugement sur la démarche de mon Frère. Je ne peux que l’inciter à continuer sa recherche personnelle d’une maîtrise chaque jour plus affirmée sur lui-même. Nous sommes loin d’une quelconque maîtrise sur les autres Frères de la loge. Je terminerai en reprenant deux citations. La première nous vient de Nietzsche : « deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même ». La seconde est prononcée par un grand initié et un grand maître, c’est Bouddha qui nous dit : « Celui qui est maître de lui-même est plus puissant que celui qui est maître du monde ».

J'ai dit.

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