GLDF Loge : NP 27/04/2009

De l’Orient à l’Occident


J’ai le plaisir, Mes Très Chers Frères, de plancher ce soir devant vous et devant cet Honorable Atelier revêtu, pour la première fois, des attributs de Maître Maçon. Oserai-je vous dire ma joie et mon émotion.

Nous avons tous, mes BAF, un jour, franchi la porte basse du temple, dans une posture peu banale, afin de nous livrer aux regards et au feu des questions d’une assemblée d’inconnus puis aux épreuves et voyages de l’Initiation Maçonnique au grade d’Apprenti.

Ce n’est que plus tard, au cours de notre instruction et de nos recherches, que nous avons appris que cette porte était à l’Occident et séparait, symboliquement les mondes Profane et Sacré. Et que face à nous se trouvait l’Orient.

C’est courbé et les yeux bandés que nous l’avons franchi et que nous nous sommes présentés face à l’Orient, là où siège le Vénérable Maître de la Loge.

Courbé en signe d’humilité et dans une même attitude que nous soyons, au dehors,  directeur ou ouvrier, riche ou pauvre, érudit ou non. Les yeux bandés pour protéger l’identité  des Frères, les détails de l’Atelier et nous permettre l’introspection nécessaire au jour de notre  audition « sous le bandeau » et, plus tard, pour nous signifier que nous marchons dans les ténèbres au sortir du cabinet de réflexion au jour de notre Initiation.

Pour préciser l’intitulé de mon morceau d’architecture de ce soir, il faut entendre «  De l’Orient à l’Occident » au sens de « Poursuivre au dehors l’œuvre commencée dans le Temple ».

 Avant de commencer à y répondre, il me semble intéressant de rappeler,  très brièvement, ce que nous sommes venus chercher en Loge ; c’est-à-dire le pourquoi du voyage initiatique d’Occident en Orient, au jour de notre naissance maçonnique.

La Constitution de la Grande Loge de France proclame : « La Franc-maçonnerie  est un ordre initiatique et universel fondé sur la fraternité. La Franc-maçonnerie  a pour but le perfectionnement de l’humanité. A cet effet, les francs-maçons travaillent à l’amélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur le plan du bien-être matériel. ».

Le but de la Franc-maçonnerie, le perfectionnement de l’Humanité, a cela de particulier que sa  recherche  s’effectue, pour le Franc-maçon, à couvert du monde extérieur, profane, et dans le temple. Le travail en Loge consiste à travailler sur soi, à se libérer de son moi participant en cela à l’enrichissement de l’Atelier, représentation symboliquement de l’édifice à construire.

En travaillant sur moi et pour moi, dans une démarche individuelle mais réalisée au sein d’un collectif, je travaille pour l’humanité. 

 La Loge est  pour le Franc-maçon le lieu du dialogue, de l’écoute, de l’apprentissage difficile de la tolérance. Il est en cela le lieu particulier où souffle, parfois, la connaissance qui est, pour nous, la lumière véritable en ce qu’elle est combat l’ignorance, mère de tous les maux.

C’est, du reste, l’objet de notre première demande lorsque nous avons franchi la porte du temple, à l’Occident : la Lumière et, je parle pour moi, pour vivre une fraternité véritable loin des faux semblants du monde profane.

Le monde profane justement, parlons-en deux minutes.

Nous le savons, mes Très Chers Frères, la vie est pour beaucoup difficile en ces temps de crise économique. Le chômage, l’inquiétude pour l’avenir, exacerbent les tensions, montent les gens les uns contre les autres.  L’arrogance folle des uns, la fragilité de nos existences, l’instabilité du système économique tout cela fait peur. Pas une journée sans plan social, fermeture d’usine, restructuration. Avec à chaque fois, des hommes et des femmes au centre d’enjeux financiers qui les dépassent et aux prises à des passions difficiles à maîtriser.

En directeur d’usine, citoyen et père de famille, en homme,  j’ose mes Très Chers Frères, avec les contradictions qui vont avec, reprendre à mon compte la phrase d’Albert Camus :

« Il vaut toujours mieux le désordre à l’injustice ».

Pour seul chiffre, je vous rapporte l’estimation de l’Organisation Mondiale du Travail qui estime à 50 millions le nombre supplémentaire de chômeurs qu’il y aura au sortir de la crise (vers 2015) sur Terre dont, peut-être, 1 millions en France.

Vous voudrez bien vous rappeler que loin de nos illusions ou prétentions, le constat des Hospitaliers et autres membres des associations d’entre aide maçonniques est accablant pour notre Fraternité :des frères sont à la rue, seuls ou en famille, sans emploi et dans des situations financières difficiles. L’Hospitalier fait, bien sûr, le plus souvent son devoir tout comme L’Entraide ou La Poignée de Mains, mais qu’en est-il de nous mes Frères, assis sur nos colonnes, travaillant au bonheur de l’humanité ?

Nous le savons fort bien l’incendie couvait depuis longtemps et, par delà la crise financière actuelle, subsiste les maux éternels : pauvreté extrême d’une bonne partie de l’humanité, accès à l’eau, aux ressources naturelles, inégalité face au progrès, à l’éducation,  surpopulation compte tenu du niveau de vie des pays occidentaux, guerres pour le pétrole, le pouvoir etc. etc. etc.

Gémissons, gémissons, gémissons mais…espérons mes Bien Aimés Frères.

Et oui, espérons car plus fort que les Évangiles, plus fort que le petit livre rouge, plus fort que les résultats du CAC 40,  nous avons nous francs-maçons, le Rite Écossais Ancien et Accepté  lequel nous engage à :

« Poursuivre au dehors l’œuvre commencée dans le Temple ».  

Il nous faut, en premier lieu, comprendre de quelle œuvre il s’agit, quel est ce dehors et pourquoi nous aurions nous Francs-maçons un rôle spécifique  à y mener ?

J’entrevois deux possibilités.

La première me fait penser que: l’extérieur du temple, le dehors, c’est moi : je suis le monde profane et il me faut me mettre, mentalement, souvent à l’ordre pour me rappeler au dehors ce que j’ai acquis au-dedans. Je suis l’Occident avec ma part d’ombre et, bien heureusement de lumière.

Je suis, à l’extérieur, tout à la fois l’œuvre et l’ouvrier tout comme je suis, à l’intérieur, le matériau et celui qui le travaille.

L’œuvre est liée à la continuation d’une démarche personnelle qui m’a conduit de l’Occident vers l’Orient pour y chercher la lumière et pour m’élever vers un état de conscience supérieur.

L’œuvre à poursuivre est la construction de soi, ma construction, condition sine qua none de la construction de l’édifice humain,  et l’effort le plus important à fournir est d’admettre que je suis, à ce jour, encore inachevé.

Je dois, hors du temple, continuer le travail de perfectionnement que j’ai entrepris au-dedans : vaincre mes passions, soumettre ma volonté et faire de nouveaux progrès. De plus, si la fraternité n’est pas un vain mot, il me faut continuer à l’entretenir et à poursuivre  l’égrégore hors du temple. Je suis parfaitement conscient, mes Très Chers Frères, de la difficulté  de la chose et je suis souvent fautif en ne téléphonant pas à tel Frère qui se fait rare sur les colonnes, à tel autre dont je perçois l’isolement ou le trouble. Pris par la vie profane, je ne prends bien sûr pas assez le temps de visiter un tel, rencontrant ainsi femme et enfants. Je vous connaît tous mais regrette de vous méconnaître en ce que vous étiez hommes avant d’être frères; je vous aime tous mais regrette  de ne vous embrasser que trop rarement au dehors.

Serions-nous, mes Très Chers Frères, moins beau à  l’ombre de l’Occident que sous le soleil et les feux de l’Orient ? J’espère de tout cœur que non ! 

L’autre possibilité voudrait que le dehors soit la cité, au sens politique du terme, et que allant vers l’Occident j’y amène avec moi mes valeurs d’homme, mais aussi de franc-maçon, et ce dans le but d’y réaliser l’œuvre commencée au-dedans, le perfectionnement de l’humanité.

Toute la question est en fait posée là : est-ce que dans la cité, j’agis comme homme ou comme franc-maçon ?

Ce serait, alors, en ce que nous sommes les héritiers d’une tradition humaniste séculaire que notre voix porterait dans le monde profane et il y aurait un intérêt à entendre la voix des Frères. Nous aurions un message particulier à faire passer qui reprendrait notre engagement de travailler au bonheur de l’humanité.  

Du reste, les Frères célèbres ayant tout donné pour l’accomplissement de leur projet humaniste sont légion et leur engagement souvent une âpre bataille.

Je le redis l’ignorance est notre pire ennemie en ce qu’elle mère de tous les maux. Cette conviction était forte dans les ateliers du 19ème siècle mais la tache  immense pour changer les habitudes ancestrales et les rapports de force issus de la révolution industrielle. L’ignorance assurait de la main d’œuvre bon marché et, en temps de guerre, contribuait à fournir de la chair à canon en quantité. Le triptyque, Propriétaires (industriels ou terriens)-Eglise-Armée, pourtant historiquement  largement composé de francs-maçons,  ne voyait pas d’un  œil très fraternel l’émancipation de la classe ouvrière ou paysanne.

Le travail pour l’amélioration constante de la condition humaine  prend tout son sens quand l’on songe à l’action de nos Frères Ferry, Combes mais aussi Littré et Macé qui  travaillèrent dans les Loges puis  réalisèrent dans la cité l’école laïque, obligatoire et gratuite.

L’on pourrait parler de l’abolition de l’esclavage, de la troisième république, de la séparation de l’Église et de l’État de la Croix-Rouge, de la Société des Nations, du planning familial…

Les Loges étaient alors clairement des creusets d’idées nouvelles et révolutionnaires et l’arène politique le lieu du combat pour leur application.  Les francs-maçons, en fils de la Lumière, y jouaient leur rôle : éclairer les esprit, répandre le goût pour les sciences et les arts, lutter contre l’obscurantisme,  parler de justice sociale, etc., etc., etc.

Plus tôt encore dans l’Histoire, elle était belle, la Franc-maçonnerie, quand elle permit aux hommes de différentes confessions de se parler loin du bruit du canon ou de la vindicte populaire.

Liberté-Egalité-Fraternité : « Les Frères qui nous ont précédés ont été les veilleurs de nuit de la Liberté quand la servitude était la règle ; ils furent les défenseurs de l’Égalité alors que le privilège s’imposait comme fondement de l’organisation sociale et enfin, ils furent les praticiens de la Fraternité face à la tentation égoïste qui sommeille en chaque individu » 

Je pourrai résumer l’espérance que tout homme de progrès, maçon ou non, pourrait avoir en des termes empruntés à E.MORIN :

« Ce n’est pas parce que nous avons renoncé au meilleur des mondes qu’il nous faut renoncer à un monde meilleur »

En conclusion, Mes Très Chers Frères, l’on s’interroge sur l’action que la Franc-maçonnerie devrait, ou non, avoir en tant qu’institution dans le monde profane.

Dit autrement : Par delà les différences entre obédiences, et sous des conditions particulières, la Franc-maçonnerie doit-elle s’immiscer, en tant que Grande Loge de France pour ce qui nous concerne dans le débat social ou, plus encore, l’action politique ? Et ce, par exemple, lorsque l’expression vivante de sa devise « Liberté Égalité Fraternité » est menacée ?

Je ne le pense pas mais, en même temps, je me rends compte qu’en fonction de circonstances particulières, ou extrêmes, l’importance de la voix d’une institution spiritualiste et humaniste.

Je ne le pense pas car la Loge est le lieu où l’on initie et où l’on s’interdit la controverse religieuse ou politique. Elle n’a  ni la connaissance ni la capacité pour s’immiscer dans le débat politique et l’on pourrait s’interroger sur la légitimité qu’elle aurait à faire  entendre son opinion sur un sujet qui la dépasse. Et l’on pourrait se demander la légitimité qu’elle aurait à parler en notre nom, nous les hommes libres.

Du reste, nous ne sommes pas dans le même repère temporel à couvert du temple que dans le monde profane : saurions-nous travailler de minuit à midi ?

Le travail politique suppose un rapport avec l’actualité et nécessite une action immédiate. A l’inverse, en tant que francs-maçons nous sortons de la temporalité pour, à couvert, travailler sur le long terme.

Cela ne doit bien évidement pas empêcher les bonnes intentions : il est normal, peut-être souhaitable, de voir des Frères dans l’arène politique, dans des associations caritatives ou à caractère social ou syndical. Mais ils s’impliquent  à titre personnel et sans que leur état de franc-maçon n’ai  à y voir plus que cela.

Cela a probablement toujours été ainsi (à la différence peut-être que la franc-maçonnerie était, aussi, un contre pouvoir  lors des grandes luttes d’émancipation) : La franc-maçonnerie, en tant qu’institution, n’a pas fait l’école laïque, gratuite et obligatoire. Pas plus qu’elle n’a abolie l’esclavage ou obtenue la séparation de l’Église et de l’État. Ce sont des hommes, par ailleurs maçons, qui par leur implication ont contribués à ces avancées.

La franc-maçonnerie ne fait pas la guerre : de la commune de Paris jusqu’à la seconde guerre mondiale ou à l‘enfer  soviétique, la franc-maçonnerie  suspend ses travaux et laisse la possibilité à ses membres de s’y impliquer à titre personnel.

Des tenues maçonniques se sont déroulées dans les stalags, au cœur de la nuit nazie, pour permettre  à des hommes libres mais prisonniers de la barbarie humaine de s’adonner à ce qu’il savent faire : élever leur cœur en fraternité.

A partir de 1943, notre Frère Pierre DAC parle, de Londres, aux Français sur les ondes de la BBC.

Laissez moi vous lire ses vœux pour le 1er Janvier 1944 :

« Je ne peux m’empêcher, en ce premier jour de l’an 1944, d’évoquer l’atmosphère des premiers de l’an d’avant guerre et ce qu’ils pouvaient avoir, à certains égards, de conventionnels. Naturellement, pour ceux que l’on aimait vraiment, l’échange de souhaits était sincère ; mais il y avait tout les autres, et je me souviens qu’en fin de journée, après avoir encaissé et rendu une quantité industrielle de vœux, lorsque je rencontrais, d’aventure, encore un quidam, avant que celui-ci n’ouvre la bouche, je lui disais, ou plutôt, lui hurlais : « Merci, je vous souhaite la même, et à l’envers ». Et les lettre, les cartes de visite, les cadeaux, les fleurs, les bonbons avec toujours l’arrière-pensée d’oublier quelqu’un ; bref, cela tournait souvent à la corvée. Corvée qu’on blaguait, dont on riait, en raison de son côté traditionnel un peu suranné et, cependant, à tout prendre charmant.

Depuis trois ans, le rire a disparu ; les bonbons, les cadeaux aussi, et les fleurs qui restent ont les apportent sur les tombes anonymes de nos camarades que la Gestapo a suppliciés par ce qu’ils voulaient demeurer des hommes fiers et libres. Les souhaits qu’on échange presque à voix basse sont graves. D’ailleurs, on n’a pas besoin de se dire grand-chose : on se regarde droit dans les yeux, on se serre la main, bien fort, et ça suffit : on se comprend. C’est parce que j’ai trop en mémoire le souvenir de ces premiers janvier écoulés que les vœux que je forme en ce premier de l’an, mes camarades de la résistance, je vous les adresse d’une voix plus claire et plus assurée. J’ai vécu au milieu de vous bien des jours mauvais et durs ; j’ai connu, en prison ou traqué, les heures troubles où l’on n’a pas trop de toute sa volonté pour conserver son calme et son courage. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui du fond de mon exil, de toute mon âme, de toutes mes forces, je vous dis : « Bonne année, parce que je sais que ce sera la bonne, la grande année. Pour vous toutes et tous, pour les petits surtout, bonne année, malgré les privations ».

Et puisque la tradition veut qu’au seuil de l’an nouveau, on se donne l’accolade, laissez-moi vous embrasser tous, car je crois que l’immense espoir que je porte en moi me donne un cœur assez grand pour pouvoir le faire.
 
Bonne année, mes chers copains, bonne victoire, et à bientôt » Pierre DAC.

Nul besoin de bannière ou de drapeau au vent lorsque le propos vient du cœur.

Je le crois Mes Très Chers Frères, pendant une tenue, le temps s’arrête pour nous permette de lever les yeux au ciel une main posée sur le cœur. A minuit une, nous sommes toujours les mêmes  mais, pourtant, plus tout a fait pareil.

J’ai dit, Vénérable Maître.

G\ F\

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