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L’orient éternel

Un hominidé se dresse maladroitement sur ses jambes, ses yeux, par-dessus la savane, cherche un arbre où il passera la nuit, à l’abri des prédateurs. Ainsi commence le long cycle initiatique de la branche animale qui hérite de la conscience.

L’instinct cognitif demeure encore bien présent mais bientôt sa mémoire, son intelligence, sa connaissance, son acquis sera confronté avec le mystère de la mort.

Suivront les rituels, le chamanisme ; l’homme primitif ne pouvait concevoir l’idée même de la mort. La mort ne pouvait être la fin de la vie, il se mit à ensevelir les membres de son clan, afin qu’ils puissent continuer à vivre dans l’espoir d’une renaissance. C’est pourquoi, dans toutes les traditions initiatiques, la mort est au cœur de la vie comme la vie est au cœur de la mort.

Notre monde occidental moderne s’est coupé des grandes traditions initiatiques qui nous préparaient à la mort. D’où angoisse métaphysique et souffrance spirituelle…

La mort n’existe pas, c’est nous qui existons et qui cessons d’exister le moment venu ! La mort n’existe pas dans la nature, elle n’est qu’une invention humaine. La nature ne meurt pas : elle se régénère en permanence. Dans la nature, rien ne meurt pour rien, tout ce qui meurt est appelé à « devenir ».

Alors pourquoi cette peur de la Mort ?

La peur de la mort contient toutes les peurs : la peur de l’inconnu, celle de l’invisible, la peur du mystère, celle de la solitude, la peur du vide, du châtiment, des dieux infernaux, la peur du néant et de la nuit.

Les initiations primitives étaient des rites de passage de l’enfance à l’âge adulte. Une fois initié, l’enfant devait avoir définitivement vaincu la peur de la mort. La voie initiatique nous propose d’affronter la mort plutôt que la redouter.

Le maître Soufi ATAR disait : « le seul remède contre la mort et la peur qu’elle engendre, c’est de la regarder en face ».

Toutes les initiations commencent par une mort qui est le commencement d’un chemin s’ouvrant sur un mystère.

Chacun se rappelle son initiation, toutes ces approches, par petites touches, le cabinet de réflexion, endroit lugubre s’il en est, la faux qui tranche les vies, le sablier du temps qui passe, ce grand benêt de squelette, l’écriture tremblante de notre testament maçonnique, enfin la libération, la mort symbolique du profane, notre naissance à la Franc-maçonnerie !

Symbole de régénération, l’initiation emprunte à la nature, la chenille et le papillon, le grain de blé et l’épi. C’est toute la vie d’un franc-maçon qui s’inscrit entre cette mort initiatique virtuelle et une mort terriblement réelle et redoutée.

Entre ces deux instants, le franc-maçon aura eu le désir de vivre, la volonté de bâtir, la force de s’élever, de devoir se construire et le besoin de donner un sens à sa vie, un but.

La franc-maçonnerie est une société où se célèbre la vie. Résolument optimistes, les maçons pensent que le monde dans lequel ils vivent, peut et doit être amélioré. Cela appelle deux remarques de ma part :

1 - « compte tenu du travail à faire, nous n’avons pas le temps de mourir »

2 - « nos frères n’aspirent pas au repos »

Malgré, ce pied de nez à la « faucheuse » elle plane sur chaque existence et sur chaque communauté. Elle affecte souvent la vie d’une loge, même si nous partons pour l’Orient Eternel. L’Orient Eternel est une métaphore pour exprimer un au-delà de l’existence individuelle.

La formule n’induit aucune croyance, ni aucune négation d’une quelconque croyance :

- Des maçons croient au ciel

- D’autres n’y croient pas

Ce n’est pas cela qui est en cause dans la mort du franc-maçon, ce dont il est question, c’est la perte d’un maillon de la chaîne d’union, la perte brutale d’un frère.

Depuis son initiation, depuis sa réception au grade d’apprenti, le franc maçon est tourné vers l’Orient, source de lumière à l’image du lever de l’astre solaire, source de vie, il y puise la connaissance de soi qui permet d’accéder à la connaissance de l’autre et de l’univers.

Tout au long, de sa vie maçonnique, d’apprenti, à compagnon puis maître, le frère sera tourné vers l’Orient.

Cette inéluctable destination, me fait penser au Nil de l’Antiquité, qui nourrissait de ses limons, ses rives fertiles et faisait renaître pharaon à chaque fois pour l’éternité. C’est ce chemin qui nous intéresse ; de la source du fleuve, à la source de notre renaissance, du delta qui s’ouvre sur la Méditerranée à celui qui éclaire l’Orient dans le temple ; chaque symbole maçonnique habille une réalité vivante du monde profane :

- la porte basse
- les chaînes sur l’avant bras
- les trois voyages
- les quatre éléments
- qui a-t-il derrière le miroir ?
- la révélation de la lumière
- le serment maçonnique

Je voudrais un instant revenir sur la perte d’un maillon, et son importance dans le rituel de la chaîne d’union.

Au début de la tenue funèbre le vénérable invite les frères de l’atelier à tirer une batterie de deuil dans l’affliction et la tristesse.

Plus loin, dans le rituel, pour s’assurer que tous les membres de la loge sont présents dans le temple, le Vénérable demande de former la chaîne d’union.

La chaîne d’union est ouverte devant les places vides du frère ou des frères disparus.

« Hélas ! elle est rompue »

Plus en avant, encore ; dans le rituel : le 1er surveillant dit : « respect à ceux qui ont fait du travail la loi de leur corps et de leur esprit ».

Cette phrase est symbolique de la maçonnerie car il n’y a pas de dissociation entre le corps et l’esprit, c’est un être complet, accompli qui a disparu, c’est un des apports les plus remarquable de l’Orient, dans le sens des orientaux, nous délivrer de l’opposition âme corps, corps et conscience.

Le corps, dans l’Orient s’entend, n’a jamais été méprisé, proscrit ou diabolisé.

Il peut donc être un accès au divin ou à la spiritualité.

Toute cette phobie liée au corps se répercute dans la société, et la pervertit, avec, par exemple, la peur de la mort, l’acharnement thérapeutique où la mise à l’écart de tous les handicaps.

L’Orient nous apporte la réunification et la réconciliation.

La chaîne se ressoude au midi, le dernier apprenti vient remplacer l’anneau de pur métal brisé par le trépas du frère disparu.

La chaîne d’union est de nouveau parfaite et promesse est faite de travailler sans relâche à l’œuvre de paix, au perfectionnement moral, au progrès social de l’humanité.

Par le symbole de l’apprenti prenant la place du chaînon brisé, la franc-maçonnerie est nature et se régénère pour continuer le travail.

Les travaux funèbres se terminent au point du jour, à l’Orient, moment où la vie se ranime sous l’action de la lumière.

S’ensuit une triple batterie d’espérance.

Voilà, mes biens chers frères, ce que depuis longtemps, je voulais vous dire, mais cela devait mûrir, au début c’était simplement une planche sur la mort, et peu à peu l’idée s’est imposée à moi, que ma mort ne pouvait être celle d’un profane, puisque mon initiation me permettait pour le même investissement d’avoir accès à l’Orient Eternel, ça a quand même une autre gueule !

De tout gamin, je crois n’avoir jamais eu peur de la mort, par insouciance sûrement, parce que ce n’est pas l’âge d’y penser, par contre, j’ai souvent éprouvé de la peine à la perte d’un être cher, mais jamais cette peur viscérale que l’on pourrait éprouver devant un tel danger.

Avec le recul, mon expérience professionnelle, ce sentiment d’inachevé quand j’étais impuissant devant une jeune vie interrompue, la mort est une histoire qui s’achève, que l’on achève seul, car ceux que l’on aime, poursuivent la leur, cela est une déchirure difficile.

Mais de la mort initiatique à l’Orient eternel l’initié se sera préparé à une mort sereine.

S’il a bien fait son travail, il pourra alors s’endormir en pensant que l’on emporte en mourant que ce que l’on a donné.

J’ai dit V\ M\

J\ M\ T\


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