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Le lien Orient-Occident

Ce lien Orient-Occident est un thème sur lequel Marie-Magdeleine Davy est revenue très souvent. Pour quelles raisons ? D’un coté il lui tenait particulièrement à cœur et de l’autre il constitue un évènement important de l’histoire de l’humanité. Cette coupure du monde en deux, ces fractures géographiques et mentales ont été très dommageables.

« Durant longtemps la mystique orientale a été ignorée ou sous-estimée en Occident. Aujourd’hui elle retient particulièrement l’attention, il faut s’en réjouir car non seulement l’apport oriental est essentiel en lui-même, mais il a l’avantage d’éclairer les auteurs occidentaux » (La lumière dans le christianisme, p.160)

D’abord de quel orient parle-t-on ? Il n’y a pas qu’un orient et bien des confusions sont possibles et ont été faites pendant des siècles. Pour pouvoir saisir la richesse du symbolisme de l’Orient en spiritualité, nous devons éclaircir ici cette notion d’orient. C’est en principe le point du ciel où le soleil est censé se lever tous les matins, comme l’Occident est le lieu où il tombe, (Orior, se lever. Occidus, tombé, couché). Mais géographiquement où se trouve-t-il ?

1. Le Proche Orient.

Les peuples anciens ont toujours vu et su que l’Occident s’arrêtait à l’immense Océan, alors qu’il existait une Orient long et profond. Les Grecs n’avaient aucun vertige pour cet Orient tenus par leur ennemi : l’empire Perse. La division a été installée par les Romains qui ont conquis la Palestine et la Syrie. L’empereur Constantin fonde sa ville sur le Bosphore, à la Corne d’Or : Constantinople. En 395 les deux fils de l’empereur Théodose créent la division en fondant l’empire d’occident à Rome et à Constantinople-Byzance, l’empire d’orient devenu l’empire byzantin (395-1453).

Ceci va engendrer chez les Chrétiens le grand Schisme, la division de la chrétienté en deux religions. Cette opposition a été progressive. Lors du Concile de Constantinople en 381 son évêque devient un Patriarche, l’Eglise romaine d’occident est déclarée hérétique et l’église orientale, dite orthodoxe, est déclarée schismatique. En 1054 elles s’excommunient réciproquement. La question principale portait sur le Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils ou du Père-Fils (et filio ou filioque en latin). Par la suite l’Occident va se centrer autour de l’évêque de Rome, devenu un Pape infaillible, alors que les différentes églises d’Orient vont devenir autocéphales. Tout le reste est quasi-anecdotique (l’hostie qui remplace le pain de la communion, l’absence de jeune le samedi, la permission du lait pendant le carême, le signe de croix de droite à gauche, la question du purgatoire, le mariage des popes …).

Notons que les Pères du désert (avec Antoine en 250, Pacôme, Macaire …) sont nés en Orient et sont allés s’établir en Egypte, en Syrie, en Cappadoce, etc. C’est là qu’ils ont vécus en solitaires (monachoï), comme le fils monogène de Dieu, et ont inventés le monachisme. Ils ont été des modèles de la recherche de la vie intérieure et des activités contemplatives.
Mais le premier problème est que cet orient avait un orient : l’orient de l’orient. Donc lorsqu’on l’a réalisé, on a admis que ce premier orient n’était qu’un Proche-Orient. Ces églises correspondent à l’ancienne Asie mineure des Grecs et à la partie orientale de l’empire romain. Etant civilisé et romanisé, ce n’était pas encore le vrai orient étrange. C’est ce que l’on a nommé par la suite « Les Echelles du Levant », le Liban et la Palestine.

Nous ne pensons pas souvent à ce premier orient, mais il était très présent dans la pensée de M-M. Davy et bien souvent quand elle parle de l’orient c’est à lui qu’elle fait allusion. Toute sa vie elle avait été très affectée par cette division et ce Grand Schisme. Elle avait étudié et pratiqué les deux courants et finalement il semble qu’elle ait reconnu le bon droit des églises orthodoxes qui étaient resté bien plus proches des premiers chrétiens et qu’elle ait été à deux doigts de se convertir à l’orthodoxie.
Comme elle, dans notre démarche intérieure, nous devons opérer cette première réconciliation entre notre Orient et notre Occident. Il faut faire cesser le schisme qui nous déchire et réaliser l’unité intérieure.

2. Le Moyen-Orient

A la base de la division, il faut reconnaître qu’il a existé un manque de curiosité et aussi une certaine xénophobie (réciproque bien évidemment, comme tout racisme). Il y a aussi un total manque d’esprit scientifique et l’étranger devient vite l’étrange, voire le monstrueux. Les faits se transforment en légendes et les récits se déforment histoires merveilleuses.
Par un certain manque d’imagination, on a rétréci l’univers et l’on lui a donné des limites, qui étaient surtout des bornes imaginatives. Cela a été très long pour l’humanité de s’ouvrir l’esprit.
Ainsi on peut penser que l’Odyssée a été brodée sur un itinéraire maritime phénicien. Plus tard Hérodote, le père de l’histoire, a accompli son voyage de vérification autour de la Méditerranée, mais il est resté dans le monde grec. Apollonios de Thyane à l’époque de Jésus a aussi fait un voyage qui l’a mené de l’Egypte à l’Inde. En l’an 350 Alexandre de Grand (356-323) essaie d’unir l’Orient et l’Occident et il a failli réussir. Le destin du monde en aurait été changé. Il a fallu attendre mille ans pour pouvoir recommencer.
Le Moyen-Orient ce sont ces grands empires que nous décrivent les historiens et géographes de l’Antiquité : les Royaumes des Mèdes, des Perses … La Bible nous parle aussi des royaumes de Sumer, de Ninive, de Babylone et s’y ajoutent les Akkadiens, les Parthes, l’Arménie, etc. Si bien que le jardin d’Eden se trouve aujourd’hui en Irak, l’ancienne Mésopotamie, le pays entre les deux fleuves.

Dans la vie intérieure notre premier travail est de partir à la recherche de nos pères et de recevoir notre héritage. Nous ne sommes pas nés de rien et chaque civilisation doit récupérer l’apport des précédentes, les dépasser sans les renier. Combien de parts de notre passé sont oubliées (ou refoulées) et dans notre personnalité que de parts méconnues ? Il faut traverser notre ombre et cette nuit obscure. Dans la vie spirituelle d’éminents mystiques ont déjà passé par toutes ces étapes et nous montrent la voie. Il n’est que de les écouter.

3. L’Orient

Il a existé de tout temps un autre orient plus lointain que connaissaient les Grecs et les Romains. C’était une contrée mystérieuse et fascinante, le pays de la soie, des épices, de l’encens, des pierres précieuses, de l’or, de l’ivoire … Les Romains et surtout les Romaines étaient très friands de vêtement de soie et ils en importaient constamment. Mais la route de la soie était fort longue et semée d’embûches. Pendant longtemps, on a cru que la soie poussait sur des arbres que peignaient le peuple des Sères (Sérinde). Vont s’y ajouter toute la soif des épices et de ces goûts étranges venus d’ailleurs. Puis il y a les pierres précieuses qui viennent du Royaume de Golconde aux Indes ou même de Ceylan et de Birmanie. Et cet or que l’on ira chercher dans l’El Dorado … En proviennent aussi ces animaux étranges : éléphants, tigres, cynocéphales, skiapodes …

En réalité les caravanes utilisaient deux intermédiaires, les Mongols et les Parthes, qui pour conserver leur fructueux commerce établissaient un barrage opaque et infranchissable. Ce sont eux essentiellement qui ont séparé l’Orient de l’Occident. Il n’y a plus de communication directe, ni par terre ni par mer. Il faut toujours passer par un intermédiaire qui fait barrage et l’on se heurte au mur des Parthes en Perse, puis à la barrière du monde arabe et de l’Islam. Ce sont les marins arabes qui ont longtemps gardé le secret de l’inversion des vents à la mousson qui permet d’aller l’été en orient et de revenir l’hiver en occident. Ibn Batoutah va être l’explorateur arabe du quatorzième siècle. Mais le monde arabe musulman va lui aussi s’étirer au point de devoir se couper en deux avec son Orient le Machrek et son Occident le Maghreb.
Or déjà des missionnaires et des marchands sont partis pour atteindre cet Orient : 1246 Plan Carpin, 1254 de Rubruck, 1260 Marco Polo et son Livre des Merveilles … En sens inverse les Turcs Seldjoukites, partis du désert de Gobi, terminent leur chevauchée à Byzance qui va se nommer Istanboul en 1453. Comme Gengis Khan et Tamerlan étaient déjà venus en vainqueurs en 1220.

Et ce lien Orient-Occident est essentiel car c’est lui qui va engendrer une Renaissance. Pour relier ce qui a été cassé, il faut attendre le quinzième siècle. 1415 au Portugal Henri le Navigateur lance ses caravelles. 1492 Christophe Colomb part sur la route des Indes, en sens opposé. 1497 le Portugais Vasco de Gama découvre l’Orient, 1510 Albuquerque s’installe à Goa. Puis les Anglais, les Français et les Néerlandais vont coloniser les Indes …
Et là très vite on comprend que l’on n’a pas atteint l’orient et qu’il en existe encore un plus lointain.
Pour nous aussi le voyage est sans fin et nous devons accepter dès le départ l’imprévisible et l’étrange. Pour aller vers on ne sait où, il faut passer par on ne sait quoi. Que de parts de nous-même avons-nous du mal à reconnaître ! Il faut lâcher prise et laisser faire. La grâce de la réconciliation est à ce prix. Notre renaissance intérieure aussi.

4. L’Extrême-Orient

Au-delà de l’empire des Indes que n’avait pas pu traverser Alexandre, il y a les empires inconnus que l’on découvre soudain avec passion : l’empire Sogdien, celui de la Bactriane, de la Transoxiane … Le monde de la Chine est l’empire du Milieu où tout est si différent, pour ne pas dire que tout est à l’opposé et pourtant tout y avait déjà été découvert des siècles avant nous : l’imprimerie, la roue, la poudre à canon, le papier, la boussole … Et d’autres orients plus étranges encore se dévoilent : l’empire Mongol qui a donné Gengis-Khan, l’empire Ouïghour des Turcs et enfin l’énigmatique Corée. Puis au-delà des mers se dévoile le Japon. En 1537 les Portugais arrivent à Cipango qui va se refermer pendant 300 ans jusqu’à l’arrivée de l’américain Perry en 1853.

Voilà ce que l’on va nommer l’Extrême orient. Mais cet extrême n’est pas encore la fin.
Où est l’extrême dans le voyage intérieur ? Il n’y a pas de limites, pas de bornes dans notre espace intérieur. Comme dans le Bouddhisme le demande le Sutra du Lotus, il faut aller « Dans l’Au-delà, par l’Au-delà de l’Au-delà, vers l’Au-delà de l’Au-delà de l’Au-delà ». Sans fin. L’échec est de s’arrêter et de penser que l’on est arrivé au bout, que l’expérience intérieure que l’on vient d’avoir est l’expérience suprême. Il n’y a pas d’extrémité à l’Infini.

5. L’Orient historique

Bien entendu, il nous faut continuer dans cette découverte. L’Extrême-Orient du Japon a son Orient et c’est Hawaï et la Californie, ainsi que le Pérou, le Chili, la cordillère des Andes et l’empire Inca. Et l’orient de la Californie, c’est la cote Est des USA. Quand à l’orient de la cote Est, c’est la France et l’Espagne, soit l’Occident, notre point de départ. Le cycle est bouclé et le serpent Ouroboros se mord la queue.
Donc ce n’est que par convention que l’on peut parler d’un orient. Et c’est alors que l’on peut réaliser que l’Orient n’existe pas. Il n’y a pas d’Orient, ou il s’éloigne au fur et à mesure qu’on s’en approche. Comme il n’y a pas de lieu de l’arc-en-ciel, de l’horizon ou du mirage. Lorsqu’on l’atteint, il se déplace et se trouve toujours plus loin. Il est inatteignable (sauf par convention).
Et donc ces noms du Proche-Orient, du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient relèvent de l’Histoire et non de la géographie. Ils datent d’une période où deux mondes s’opposaient. C’est sans doute une surprise pour bien des personnes, mais notre géographie est souvent bien peu géographique. Elle est imaginaire et parfois mythique : l’Atlantide, le pays des Héspérides, l’El Dorado, Les Iles Bienheureuses, le pays de Cocagne, la forêt de Brocéliande, le pays de Thulé l’embarquement pour Cythère …

Donc nous ne pouvons plus étudier maintenant que cet Orient conventionnel, fabriqué par l’histoire et la séparation.
Déjà M-M. Davy en tirait les conséquences dans la jonction des religions vers un au-delà des religions : « L’œcuménisme, tout au moins le véritable œcuménisme, ne concerne ni les religions chrétiennes (orthodoxe, catholique, protestante), ni l’union des fils d’Abraham (juifs, chrétiens, musulmans), l’œcuménisme ne peut aujourd’hui signifier que la rencontre entre l’Orient et l’Occident. On peut espérer en l’avenir en raison de cette rencontre » (Un itinéraire, p.59).

Oui par là nous sommes en marche vers une pensée mondiale : la terre se réconcilie et se rassemble pour ne faire qu’une.
Par Orient nous entendons la pensée de l’Inde, de la Chine, du Japon et plus particulièrement les productions du Bouddhisme, du Taoïsme, du Tantrisme, etc. Par Occident nous entendons la civilisation gréco-romaine, chrétienne puis anglo-saxone. La découverte réciproque s’est faite lentement avec la colonisation, puis la décolonisation et les guerres. La religion hindoue et le bouddhisme n’ont vraiment été connus que tout récemment au vingtième siècle, après malheureusement bien des malentendus tenaces et des incompréhensions persistantes.
Il s’agit de deux apports réciproques qui ont tout intérêt à échanger. Mais non pas selon ce que l’on répète partout : l’Occident recevant la spiritualité et l’Orient récupérant la technique qui lui manque. Ceci est faux pour de nombreuses raisons, d’abord parce que l’Occident ne manque pas de spiritualité, il a la sienne, elle a seulement été trop longtemps oubliée. La mode était à l’orient. De plus, il n’est pas sûr que l’orient ait besoin du mode de vie occidental, de ses techniques, de son matérialisme et de son pouvoir de l’argent.
Face au matérialisme, qui ose se dire scientifique, l’Orient a toujours privilégié la spiritualité et la liaison de l’âme avec les forces supérieures et le monde de l’au-delà. L’Inde en particulier peut être considérée comme le pays le plus religieux du monde : une vision de l’univers ouverte et tolérante y est répandue partout.
Face à l’agitation et à une vie active frénétique qui sont le mode de vie de l’Occident, l’Orient présente le calme et une vie contemplative. C’est une des premières remarques que l’on fait dans l’Inde, mais aussi dans bien d’autres pays comme le Cambodge, la Birmanie et encore la Thaïlande ou le Vietnam. Dans les campagnes, les habitants vivent dans le plus grand dénuement, souvent ils n’ont même pas de maison et de contentent d’une paillote ou d’une hutte. Leurs repas sont réduits et toujours les mêmes et pourtant ils rayonnent de joie. Leur regard intériorisé manifeste une profonde connexion avec leur réalité intérieure. Ils sont en perpétuelle prière, en communion avec la nature et le cosmos. La sagesse dont nous avaient parlé les Grecs (celle des Spartiates et des Stoïciens) nous la voyons vécue et pratiquée dans la vie de tous les jours en Orient.
Un des apports les plus remarquables de l’Orient a été de nous délivrer de l’opposition Ame/corps. Il n’a jamais existé en Orient d’opposition entre la chair et l’esprit, mais l’unité indissociable de l’être humain a été préservée. Le corps n’a jamais été méprisé, proscrit et diabolisé. Il peut donc être un accès au divin. Ainsi la prière a toujours un aspect corporel. La danse sacrée est une réalité omniprésente, alors qu’elle est totalement absente en Occident depuis l’écrasement des dernières danses grecques et celtes par les chrétiens. Le principal cadeau de l’Orient est dans la connaissance des nombreuses techniques psychosomatiques qui s’y sont développées. Ainsi l’Inde a fourni le Yoga avec toute sa science des postures, du souffle, de l’éveil, des énergies, des courants corporels, des différents corps, de la méditation et de l’extase, etc. Mais le Taoïsme a aussi engendré toutes les disciplines du Taï-chi, Kung-Fou, acupuncture et le Japon celles du judo et budo, des moxas, du shiatsou... Le souffle c’est la vie et l’énergie est indispensable pour l’aventure spirituelle.
On pourrait donc considérer que cette dramatique coupure Orient/Occident se doublait en nous de celle, plus intérieure, entre notre esprit et notre corps. La déchirure était inscrite en nous avec le mépris d’une partie de soi et la honte de notre corps. Toute cette somatophobie se répercutait dans la société et la pervertissait, avec, par exemple, la peur de la mort, l’acharnement thérapeutique et la mise à l’écart de tous les handicapés et de tous les monstres. L’Orient nous apporte la réunification et la réconciliation.

La notion de Réincarnation dans des vies successives, liée au principe de causalité universel ou Karma, a été maintenant adoptée par 25% des Occidentaux et bientôt le tiers. Ce qui change tout et fait ressentir la responsabilité.
De plus l’Orient a développé une extraordinaire science de l’exploration intérieure. C’est ce que l’on a pris l’habitude de nommer en Occident, la Méditation, bien que ce ne soit pas le meilleur mot possible. Il en existe de nombreuses méthodes : les méditations du Yoga avec ses quatre étapes, le Zen, le Vipassana, les méditations tibétaines, etc. Ce sont des voies larges et balisées. Depuis plus de 5000 ans des Yogis et des ascètes ont expérimenté et noté toutes les étapes et les aléas d’une telle aventure. Bien entendu, tant qu’on n’a pas vécu une étape, ce qu’en disent les textes nous reste incompréhensible, mais dès qu’on en a l’expérience, on note qu’on ne pouvait pas mieux dire. Aussi ces voies sont-elles maintenant de plus en plus pratiquées en Occident, quelle que soit la religion des pratiquants.
Ainsi il nous devient possible d’envisager un autre orient, qui ne soit plus uniquement géographique, mais qui corresponde à cette aventure de la vie intérieure.

M-M. Davy faisait cette confidence : « Personnellement, je dois beaucoup à mes séjours en Inde et au Japon, ils m’ont permis d’aborder avec plus de liberté de la nature humaine, sans pour autant m’écarter en profondeur de ma propre tradition » (Un itinéraire p. 102). Combien ceci est important. M-M. Davy avait atteint le stade du transpersonnel où l’on dépasse toutes les craintes de la trahison religieuse, à ce niveau il n’y a plus de renégat ou d’apostat. Tout est un et l’on a atteint l’unité transcendante des religions. La religion universelle est celle de l’intériorité. Mais on ne peut pas l’atteindre tant que l’on reste personnel, enfermé dans son égo, on souffre alors beaucoup de ses déchirements intérieurs et de ses doutes et on en fait souffrir les autres.

6. L’Orient intérieur.

De façon symbolique Orient et Occident ont aussi leur réalité et leur signification. Ils correspondent certainement à quelque chose de très important en nous. Leur réconciliation actuelle tisse des liens secrets pour retrouver l’état d’unité paradisiaque dont on a été chassé.
Pour nous occidentaux, l’Orient intérieur représente la zone de silence, la vastitude qui nous habite. L’Orient est aussi le lieu du pèlerinage, le désert intérieur. Par conséquent, il est aussi la liberté, la possibilité d’agir et d’avancer. Tous ceux qui avancent dans ce chemin intérieur connaissent cet orient car c’est vers lui qu’ils se dirigent. En effet « ex oriente lux ! », la lumière vient de l’orient. L’orient est la source et l’origine de la lumière, il est ce qui nous éclaire et nous donne la vie. Tout le monde veut trouver son orient. Et tout naturellement on appelle cela s’orienter : s’orienter c’est savoir où l’on va, quel est son but, sa source. L’orient joue donc dans la vie spirituelle, le rôle du pôle magnétique terrestre qui attire l’aiguille de la boussole et donne le point de référence, par lequel on s’oriente. N’oublions pas que lorsque l’on a perdu son orient, on dit que l’on est désorienté et des personnes désorientées il y a en a de plus en plus dans le monde moderne. C’est pour elles que se sont inventées toutes ces psychothérapies, issues de la psychanalyse. Par une série d’entretiens réguliers, on vient se faire réorienter, on cherche à retrouver son orient intérieur, cette lumière qui désormais brille au fond de soi. Grâce à elle, on ne se sent plus seul, on est connecté, « branché » comme on dit actuellement, c’est-à-dire que l’on se sent en face d’une présence, il vaudrait d’ailleurs mieux écrire la Présence. Il s’agit bien en effet de la Présence essentielle, pas d’un simple compagnonnage, mais de la jonction profonde avec ce qui fait notre Etre.
Pour cela il faut avoir abandonné notre égo et de ne pas y rester cramponné comme le singe à son arbre. Lorsque nous frappons à la porte la Présence demande « Qui est là ? » si nous disons « Moi » elle se tait pour toujours. A d’autres, elle a révélé « Sors, si tu veux que j’entre, car il n’y a pas de place ici pour deux Moi ». L’Unique occupe tout l’espace, Orient et Occident compris.

L’Orient a donc tout naturellement ce rôle de nous faire lever et nous tenir debout. C’est ce que ne font pas tous ceux qui sont en dépression, en démission, en totale dépréciation, ceux qui vivent couchés, alanguis. L’orient nous rend joyeux et guilleret. Ce fait de se lever se disait en grec « anatolé ». « Anatolein » désigne le lever d’un astre, la pousse d’une plante, le fait de germer et de croître. Se lever c’est donner sa lumière, éclairer. Ainsi une lumière intérieure peut faire son apparition en nous pour réduire les ténèbres et rendre soudain tout plus clair. Ce lien entre l’orient et se lever se marque par le nom des pays du proche-orient : le Levant. Son opposé c’est le pays du Ponant, terme encore utilisé dans le vocabulaire maritime. D’ailleurs nous avons encore gardé les noms grecs d’Anatolie et d’Anatole, celui qui s’est levé.

Dans le domaine intérieur combien dorment toujours. Ils somnolent leur vie, ils n’ont que des intérêts égoïstes et matérialistes, ils sont dans l’accumulation des avoirs et non dans l’Etre. Au contraire l’orient est lié à la lumière et plus particulièrement à l’apparition de la lumière : l’Aurore. L’aurore est ce moment mystérieux où l’approche du soleil fait disparaître les ténèbres de la nuit. Il n’y a pas de combat, comme on l’a parfois décrit. Il n’y a rien de particulier à faire pour chasser et faire disparaître les ténèbres. Dès que la lumière paraît, elles ne sont plus là. Nous devons en recevoir l’enseignement : que de difficultés nous nous créons inutilement. Nous imaginons des combats dans la vie intérieure, alors que les choses sont souvent plus simples. Nous croyons bien souvent qu’il falloir renoncer cruellement à nos appétits et sous l’effet de la grâce, ils ont disparus d’eux-mêmes.

7. L’orient éternel

Sans vouloir être trop paradoxal, il convient de connaître enfin l’Occident de l’Orient, c’est-à-dire la façon dont l’Orient a évoqué l’Occident. Il est pour les orientaux la pays de l’arrivée, celui du repos, donc le pays des morts. Pour les Bouddhistes l’Occident est le royaume du Bouddha rouge, Amitabha, le protecteur des morts, celui qui peut vous recevoir dans son paradis bienheureux. « Vesper » c’est le pays du soleil couchant, celui des pommes d’or du jardin des Héspérides, au pied du mont Atlas. Sa fête est le 21 décembre, jour où le soleil est le plus bas sur l’horizon. C’est aussi le monde des étoiles où aurait été inventée l’astronomie.

Les Orientaux situent en Occident, ce que nous nommons l’orient éternel, où le royaume de l’au-delà, ce qui se situe au-delà de la mort. Il est le deuxième monde que visitaient déjà les Egyptiens : l’Amentit ou Am Douat. C’est là où s’opère notre métanoïa dans le royaume de la Lumière éternelle.
« Lorsque l’homme plonge à l’intérieur de lui-même, dans son Orient intérieur, ses propres ténèbres sont absorbées par la lumière. Il n’y a plus de ténèbres seulement de la lumière » écrit M-M.Davy (le désert intérieur p. 200). Et elle continue : l’homme éveillé n’éprouve plus la nécessité de recourir à un orient extérieur car le lieu de paix silencieuse est en lui, dans sa dimension de profondeur, dans son fond secret, devenu sa demeure vivante. C’est la fête de la lumière, le lucernaire. En effet l’orient intérieur par la lumière qu’il apporte donne l’éveil. Pas le petit réveil quotidien, mais l’éveil dans la veille, l’Eveil à un autre niveau de conscience. Après cet homme nouveau est dans une merveilleuse allégresse, car désormais il peut rendre ce qu’il a reçu : il éveille. Celui-là est devenu théophore, celui qui fait voir et qui porte le divin avec lui. Ce n’est que dans la plénitude du silence que les hommes peuvent se rencontrer et s’aimer.

par Marc-Alain DESCAMPS

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