Mystères antiques et
Initiation
Le
monde antique,
tout particulièrement sur le pourtour
méditerranéen a, depuis les temps les
plus reculés, connu une multiplicité de courants
de pensée et nourri un
foisonnement de manifestations d’ordre spirituel, toujours
originales, souvent
étranges. Ce foisonnement traduisait le profond
désarroi moral auquel
conduisait alors naturellement un paganisme syncrétique,
lui-même fortement
influencé par un Orient riche de traditions fort anciennes.
Tandis que les
grandes métropoles de l’époque, telles
Alexandrie, Rome et Athènes devenaient
d’intenses foyers d’illumination ainsi que
de véritables creusets de
transmutation, on a
parallèlement assisté à une
désagrégation
progressive de la « Pax Romana »
qui garantissait à la fois
l’homogénéité de
l’Empire, sa sécurité ainsi que la paix
sociale. Se firent
alors jour de violentes confrontations entre les tenants des rites
anciens et
des pratiques traditionnelles (c’est-à-dire
ceux que l’on appellerait aujourd’hui les
conservateurs) et d’autre part,
les
néo-platoniciens, les hermétistes, gnostiques et
autres chrétiens, adeptes
de ce qu’on
appellera les « cultes
à
mystères » (soit
les progressistes)!
Précisons qu’ici l’ expression cultes à Mystères
ne s’applique qu’aux seuls rites
et pratiques
qui - par leur double action (gestuelle
et spirituelle) - introduisent dans une autre dimension ou
un univers
nouveau (c'est ce que réalisent, par exemple, le
baptême et l'eucharistie
dans la communauté chrétienne). Précisons
également que le
mot « mystère » n’est
pas utilisé ici dans son sens actuel d’énigme,
mais dans son ancienne acception grecque où
le mot
muein
signifiait fermer la bouche, rester muet,
et dont le
dérivé mustês
introduit la
notion d'initié ou de myste ( c.à.d.
littéralement… celui qui
sait ).
En
effet, les cérémonies s'accomplissaient toujours
en silence et la nuit. En ces
temps là, un Mystère n'était pas
perçu comme un dogme incompréhensible
imposé
par une autorité ou accepté par la foi :
cette conception étant tout à
fait étrangère au polythéisme. Le
Mystère était une chose ineffable, un secret
qu'on
ne devait pas révéler sous peine de
sanctions… En Grèce, l’accomplissement
des
rites mystèriques était appelé teleth,
mot qui signifiait perfectionnement
et que nous avons traduit par Initiation.
Toutes les croyances issues de Phrygie, de Perse, de Syrie,
d'Égypte voire
d’Inde furent introduites sous la forme de cultes
à Mystères. D’une
manière générale, chacun
d’entre-eux plongeait ses racines dans les époques
les plus primitives et les
plus lointaines. Depuis des temps immémoriaux les rituels
étaient portés et
transmis par les sorciers et autres chamanes, seuls en
capacité d’entrer en
communication avec les esprits et qui, à ce titre, jouaient
ainsi un rôle
essentiel d’intermédiaire entre le monde des
vivants et celui des morts… Cette
vision surnaturelle et magique durera des siècles et ce
n’est que beaucoup plus
tard, que l’imagination fertile des premiers Grecs les
amènera à élaborer leur
riche mythologie à partir de ces croyances. Avec le temps,
les justifications
et significations primitives des rituels s’enrichiront
progressivement de
développements sur lesquels nous sommes mal
informés, en particulier sur la
cérémonie de l’initiation pour laquelle
les impétrants s’engageaient à ne rien
révéler... Signalons ainsi, par exemple, que des
personnages fameux tels
Alcibiade et Eschyle, verront leurs têtes mises à
prix pour avoir révélé des
éléments secrets relatifs au
déroulement des Mystères d’Eleusis.
Cette
vigilance ne s’est pas démentie avec les
années et cela explique pourquoi ces
antiques secrets furent, dans l'ensemble, bien gardés.
Apulée,
de son côté fera une brève allusion
à l’initiation dans les
Métamorphoses (ou
l’Ane d’Or) :
le jour de l’initiation arriva. Dès que le soleil
baissa à l’horizon, les gens
affluèrent de toutes parts … Ensuite, tous les
profanes durent s’éloigner. On
me vêtit d’une robe de lin grossier et le grand
prêtre me conduisit en me
tenant par la main dans le sanctuaire du Temple. Peut-être,
lecteur
demanderas-tu ce
qui fut dit et ce qui fut fait ? Comme
j’aimerais te l’apprendre
si j’en avais le droit ! Qu’elle serait
sacrée, ton émotion, s’il
t’était
permis d’entendre ! ta langue et tes oreilles
déjà devraient expier ce
sacrilège ! Mais il pourrait
t’être préjudiciable
que je torture ainsi ta pieuse curiosité ;
écoute donc et – crois-moi, aie
confiance. Tout est vrai : je suis allé
jusqu’à la frontière entre la vie
et la mort. J’ai franchi le seuil de Proserpine
(déesse des enfers) et après
avoir traversé les éléments, je suis
revenu. Au cœur de la plus profonde des nuits,
j’ai vu le soleil briller de tout son
éclat ; j’ai vu face à face
les
dieux célestes et je les ai adorés de tout
près. Vois !
Tu as maintenant tout entendu : mais
aussi tout compris ? Non, impossible !"
L’initiation à
ces cultes
exigeait du candidat un comportement éthique et moral de
nature à modifier
profondément sa vie future et de l'orienter vers des
finalités nouvelles en lui
apportant des perspectives inédites. Ils
révélaient ainsi (à une
élite dans
le contexte païen, à tous dans le christianisme)
à la fois le dessein de la
divinité et le destin des individus.
D’après les éléments dont
nous disposons
aujourd’hui, la plupart présentaient un fonds
commun d’exigences, de morale, de
respect doctrinal et de pratiques rituelles. C’est ainsi par
exemple que l’on
enseignait qu’une Intelligence avait
créé l’univers et le
gouvernait ; que l’on devait honorer ses
parents ; offrir aux dieux les premiers fruits annuels de la
nature ou
leur sacrifier un animal ; que les divinités
jouaient un rôle décisif pour
la prospérité de la terre en fécondant
les espèces végétales et
animales…
La
différence essentielle avec les cultes officiels de
l’époque (le culte
impérial par exemple) réside
dans le fait qu'ils conféraient immédiatement aux
récipiendaires l’espérance
d’une vie éternelle par leur participation active
aux cycles cosmiques de mort
et de renaissance et par la communion étroite avec la
divinité. Cette dernière,
après une descente dans les enfers, avait réussi
à en revenir et, par
cette (re)naissance s’était
fixée la tâche de garantir la
pérennité du
cycle de la nature. Au fur et à mesure de la progression
personnelle du
candidat et des degrés successifs franchis, on lui
fournissait des clefs de
compréhension des nouveaux symboles qui
l’entouraient. S’ajoutaient à cette
formation des épreuves morales et physiques en vue de
l’accession à LA
vérité cosmologique. Il faut, sur ce
point, bien mesurer la différence existait entre
l’initiation d’un individu et
celle des futurs membres du clergé qui subissaient des
épreuves bien moins
symboliques. Il arrivait ainsi que parfois l’abandon du
processus, parfois même
la mort vienne mettre un terme aux tourments et aux espoirs du
candidat ! Le
vocabulaire grec ancien est, au demeurant
révélateur puisque le verbe télésthai
signifiait à la fois mourir
et subir
l’initiation et que
Strobée
pourra écrire que mourir ou être
initié s’exprime en termes semblables. Plutarque,
de son côté indiquera que l’âme,
au moment de la mort fait les mêmes expériences
que font les initiés aux Grands
Mystères.
Tous les
cultes faisaient appel à des liturgies solennelles et
prenantes. Elles
s’adressaient à des dieux souffrants dont le culte
évoquait une forme de
« Passion » ! Les
fidèles s’identifiaient aisément
à cette
divinité compatissante, accessible, sensible aux attentes et
aux sentiments des
hommes et ils en reproduisaient à leur tour dans le temple
ses tribulations.
Des liturgies spectaculaires,
prenantes
et colorées, dévoilaient par degrés
successifs les significations cachées des
symboles et des rites. Elles étaient rythmées par
des paroxysmes extatiques
accompagnant la révélation progressive. Les
cérémonies voyaient se dérouler des
baptêmes exaltants (parfois
sanglants
à l’image du Mithra
Tauroctone), où
Mort et Résurrection marquaient
la progression
de l’initié. Cela s’accompagnait de
privations, de mortifications et
d’illuminations soudaines. Ces émotions violentes,
attiraient et fascinaient
les citoyens d’alors, blasés qu’ils
étaient par des traditions lourdes, des
cérémonies pesantes, formelles et vieillissantes
ainsi que par la décomposition
spirituelle qui caractérisait le monde
gréco-romain. Les plus fanatiques
d’entre les mystes iront jusqu’à
s’infliger des rites pénitentiels
pénibles
allant jusqu’aux automutilations (cf.
l’émasculation chez les fidèles
d’Attis et de Cybèle). A chaque
étape du
parcours, des cérémonies spécifiques
marquaient l’entrée solennelle au sein
d’une authentique fraternité, tandis que des repas
pris en commun soudaient la
communauté. Il convient de noter sur ce point que, de retour
dans la vie
profane, l’initié n’était
tenu à aucun comportement particulier éthique ou
moral, puisque la
cérémonie d’initiation
à elle seule lui garantissait son salut !
Il faut également bien intégrer le fait que les
autorités politiques
laissaient aux individus une quasi-totale liberté de
conscience, de croyance et
de pratique religieuse. Elles se contentaient simplement de signes
extérieurs
et formels d’une foi que l’on qualifierait
aujourd’hui de « civique »
à l’image du culte de
l’Etre Suprême sous la
Révolution! Un exemple de cette
distanciation entre le ressenti individuel et
le formalisme civique public, nous est donné par Jules
César, alors même qu’il
occupait la fonction suprême de
Pontifex Maximus (c-à-d
de
Pape des rites), qui déclarera qu’il ne
comprenait pas comment deux
augures pouvaient se croiser sans éclater de rire…
C’est ce cynisme,
empreint de scepticisme envers des dieux hautains, impersonnels,
lointains et
froids, qui a permis aux croyances nouvelles proches des attentes de
chacun, de
s’introduire avec facilité dans
l’Empire. Par ailleurs, les peuples que les
échanges commerciaux avaient conduits en Orient ainsi que
les colonies qui en
étaient issues, établiront à leur tour
des cultes à la manière de ces pays et des
hommes renommés comme Phytagore
et les empereurs Caligula, Marc-Aurèle, Commode, Trajan
et
Hadrien n’hésiteront
pas à se faire initier. C’est, au
demeurant essentiellement à leur refus
de sacrifier de manière formelle aux dieux païens
et à l’empereur que les
chrétiens durent leur martyre !
Parmi les
nombreux mystères qui ont fleuri durant toute
l’Antiquité, citons ceux
d’Eleusis, d’Orphée, d’Isis,
de Dyonisos, de Mithra, de Cybèle,
d’Astarté,
d’Adonis, d’Attis, de Sérapis,
d’Anubis, de Pan, d’Astargatis, d’Ishtar,
de
Baal (également connu sous les
noms de
Mardouk / Melqart / et Moloch) etc… De
plus, à la suite des armées
romaines conquérantes et de leurs auxiliaires originaires
des pays conquis et
occupés, ils se sont largement répandus
à travers tout l'Empire, Si, pour la
plupart nous ne disposons que de peu de renseignements
avérés, en revanche,
nous en possédons davantage sur quelques uns comme ceux
d’Isis et de Mithra,
que nous allons esquisser maintenant :
LE
CULTE D’ISIS : à Rome,
c'est l’empereur Caligula qui consacrera le succès
de cette déesse considérée alors comme
le «principe féminin universel ». Son
culte s'étendra progressivement à tout le bassin
méditerranéen. Elle sera
célébrée à la fois comme le
modèle de l'épouse (car elle a
recherché et
reconstitué le corps démembré de son
époux Osiris), de la mère (elle a
enfanté le dieu solaire Horus) et
de la magicienne (connaissant les secrets de la germination
des plantes,
elle a triomphé des Ténèbres). L’initiation
à son culte visait à débarrasser
l’impétrant de ses prisons mentales (Seth
en était le principe destructeur
mais aussi nécessaire pour briser la coquille qui
empêche la lumière de
passer), puis on lui révélait les
forces positives que chacun possède à
l’état latent afin de
l’éveiller à une autre
réalité (c’est Osiris
que
l’on invitait à sortir de son long sommeil).
L’initié comprenait alors que
seule la maîtrise individuelle lui permettrait
d’espérer découvrir le Roi qui
sommeille en lui et
que cette
royauté intérieure le rendra apte à se
situer dans la hiérarchie spirituelle (d’où
selon certains, l’expression d’Art Royal) :
contribuant ainsi à
l’harmonie de Maât,
c’est-à-dire à
l’équilibre universel !
Présenté
par un parrain, le néophyte passait une longue
période de macération seul dans
une crypte où il devait rédiger ses
réflexions. Celles-ci étaient ensuite
examinées afin d’évaluer ses
qualités puis, si l’examen
s’avérait favorable, il
était conduit au milieu de la nuit (soit
à mi- nuit plein) dans
une galerie entourée de colonnes gravées de
sentences qu’il devait (d’après
Jamblique), apprendre par
cœur.
Là, les yeux bandés, il
franchissait une
porte basse et pénétrait
ensuite dans une caverne. Il devait
alors - après avoir encore répondu à
d’ultimes
questions précises (selon
Apulée et
Pétrarque) - accomplir un parcours
agité, accompagné d’éclairs,
de coups de
tonnerre et d’éclairs de foudre (cf.
Eusèbe et
Clément d’Alexandrie). Il
devait ensuite marcher sur un dallage
brûlant où des vides lui permettaient
néanmoins de poser les pieds (épreuve
du feu), puis franchir un canal aux flots tumultueux (épreuve
de l’eau) et
s’agripper vigoureusement à des anneaux qui le
soulevaient en déclenchant une
ventilation violente (épreuve de l’air).
On lui posait alors la pointe
d’un glaive sur la gorge et, en invoquant le
Soleil et la Lune comme témoins de son
engagement, il était invité à
prononcer un serment de fidélité et de
discrétion. A un autre moment de son
parcours initiatique, il devait encore jurer
être innocent de
l’assassinat d’Osiris. Il passait alors encore une
période plus ou moins longue
au fond d’un puits jusqu’à ce
qu’on estime suffisant son avancement sur le
chemin de la connaissance (cf.
Tertullien).
Enfin, il en était extrait et - après avoir gravi
une échelle à sept barreaux (cf. Origène)
- on le revêtait d’un tablier de cuir blanc. A
chaque degré franchi, après
une instruction
précise, il recevait un
autre mot secret ainsi qu’un attouchement rituel (cf. Jamblique). Aux grades
ultimes, il était soumis
enfin à d’autres éprouvantes et
difficiles épreuves physiques dont il sortait
littéralement épuisé.
LE CULTE
DE MITHRA :
il
convient de savoir (et cela reste encore
relativement mal connu) que le culte mystérique le
plus répandu dans tout
l’Empire Romain fut celui de Mithra, à tel point
qu’Ernest Renan écrira que si
le Christianisme eût été
arrêté dans sa croissance par quelque maladie
mortelle, le monde entier eût été
mithriaque! C’est un dieu oriental qui
apparut d’abord dans les Vedas indiens associé
à Varuna (avec lequel il
forme l'élément lumineux et bienveillant d'une
paire antithétique) tandis
que dans la Perse ancienne c’est à
Ahura-Mazdâ qu’il sera associé. Les
souverains perses et les rois du Pont le
vénéreront et plusieurs monarques
parthes se placeront sous son invocation : ce fut la dynastie fameuse
des Mithridate. Ses sanctuaires se multiplieront tant
à Rome que dans tout
l'Empire, dans les ports et aux frontières à la
suite du passage des soldats,
des commerçants et des fonctionnaires impériaux.
Malgré son succès, ce culte se
développera cependant toujours en marge des reconnaissances
officielles et ce,
malgré l’initiation
des empereurs
Antonin
le Pieux, Commode, Dioclétien et Julien dit
l’Apostat. Pline
l’Ancien indiquera que le roi
Tiridate d'Arménie avait salué Néron
du nom de Mithra et que cet empereur avait
à son tour été initié à des
pratiques magiques à l’issue d'un
repas sacré des mages…véritable
Agapes avant l’heure !
En
proposant une cosmologie complète, Mithra (né
d’une vierge le 25 décembre et
ressuscité …) préside
à la conservation de
la puissance vitale de la nature. L’initiation à
son culte devient une promesse
d'immortalité mais aussi l’assurance de la bonne
marche du cycle cosmique. Ses
adeptes (qui s’appelaient
« frères »)
se répartissaient à
l'intérieur d'une hiérarchie en sept
grades (corbeau,
épousé, soldat, lion, perse, messager du soleil
et père),
devaient jurer de se prêter mutuellement assistance, se
plaçaient sous la
protection de sept planètes et s’adressaient aux
prêtres les plus élevés par la
formule rituelle salut à vous,
Pères qui siégez à
l’Orient !
Il leur était expliqué l’origine du
Cosmos, de la Création et de l’Homme. Dans
un papyrus (découvert à
Capoue) on a
découvert l’invocation rituelle suivante au nom du Dieu qui
sépara la terre du ciel, la lumière des
ténèbres, le jour de la nuit, la vie de la
mort…le monde du chaos originel… je
jure de conserver le secret des mystères qui me seront
dévoilés… et que la
fidélité à mon serment me soit
bénéfique mais que mon indiscrétion me
soit
maléfique. Dans des cavernes, on a
également mis au jour des peintures
murales permettant de revivre la terreur vécue par le myste
durant les
épreuves. On le voit ainsi le genou droit plié
devant un personnage levant une
épée tandis qu’un autre,
placé à côté de lui, tient
une canne. Une autre scène
le montre, poussé dans le dos en direction d’un
prêtre qui ouvre les bras pour
l’embrasser. En Angleterre (à
Carrawburgh)
et à Rome
(sous la basilique Santa-
Prisca)
on a exhumé des fosses qui ont les
caractéristiques d’un tombeau dans lequel
l’initié s’allongeait en vue
d’un simulacre de mort et de renaissance.
Signalons aussi
d’autres temples (Saint-Clément
à
Rome et
à Ostie)
dont
les murs et les plafonds étaient
décorés du Soleil, d’étoiles
et de croissants
de Lune. Tous ces éléments sont abondamment
recoupés par d’autres découvertes
effectuées dans toute l’Europe et au Moyen-Orient (en Hongrie,
Allemagne, Roumanie, Iran, Irak et
Syrie) :
c’est dire l’universalité atteinte par
ce culte ! La raison principale de
sa disparition est probablement à rechercher dans son exclusion des femmes
et ce, au contraire de son rival
contemporain le christianisme. Il est à noter que ce culte
survivra quelques
temps dans le mazdéisme et d’une certaine
manière aujourd’hui encore, chez
les Parsis iraniens.
Les
mythologies antiques ont pratiquement toutes forgé leurs
légendes à
partir des Mystères. Ceux-ci ont constitué la
matrice structurante d’éléments
culturels issus de groupes hétérogènes
d’individus. En participant à la construction
d’une réalité ordonnée ainsi
qu’à
une conception homogène de l’espace et du temps,
ils ont reçu, dans l'ambiance
des spiritualités orphiques et pythagoriciennes, une
interprétation
philosophique (cf.
le
Banquet de Platon) dans
laquelle il
devient possible, au moyen d’un cheminement initiatique, de
communier avec les
vérités ultimes !
Les
peuples toutefois ne verront dans ce qu’on leur
montrait que l’exacte
représentation des vérités les plus
sublimes et ils ne sauront pas discerner
leur sens spirituel et allégorique. Ils confondront ainsi
l’objet avec sa
signification, la représentation de la divinité
avec la divinité elle-même. Les
signes symboliques seront regardés comme des gestes magiques
à suivre
scrupuleusement et, par exemple ce qui était
annonciateur de danger sera
pris pour l’ennemi. Les Egyptiens
vénéreront ainsi peu à peu le Soleil
comme un
Dieu, les Chaldéens le Feu Sacré, feu auquel les
Phéniciens iront jusqu’à
sacrifier leurs enfants ! Plus les signes seront grossiers et
plus les
divinités évolueront vers
l’absurde : le dieu Priape 6 symbole par
excellence de la fécondité de la nature -
deviendra ainsi exemple le dieu de la
débauche. Au fur et à mesure de
l’écoulement du temps et du brassage des
peuples et des civilisations, ces divinités
s’éloigneront de leurs origines, se
dégraderont et s’aviliront. Les cultes de Rome
seront plus corrompus que ceux
de Grèce, ces derniers moins purs que ceux
d’Egypte et de l’Inde dont ils
étaient issus et ceux de Carthage plus sanglants que ceux de
Tyr ! Seuls,
les mystères d’Eleusis, d’Isis et de
Mithra s’éteindront sans excès ni
débordements mais sans toutefois
apaiser véritablement les inquiétudes qui les
avaient fait naître tandis
que - simple culte à mystères parmi
d’autres - le christianisme
s’imposera peu à peu !
Les cultes à Mystères, ont
constitué la dernière forme de la
pensée
religieuse antique et c’est à travers eux que religion
et philosophie
s’uniront. On
a retrouvé ainsi la formule philosophique du panthéisme
dans des
fragments archéologiques consacrés au culte
d’Orphée (cf. Strobée)
tout sort de l'univers, et
l'univers sort de tout. L'unité est tout, chaque
être est une part de l'unité,
tout est dans l'unité. Car, de ce qui était un,
sont sorties toutes choses, et
de toutes choses sortira de nouveau l'unité par la loi du
temps. Toujours un
est multiple, l'illimité se limite sans cesse et persiste
sous tous les
changements. La mort, immortelle et mortelle à la fois,
enveloppe tout,
l'univers se détruit et meurt et, sous des apparences
mobiles et des formes
passagères qui voilent à tous les regards ses
métamorphoses, il demeure
incorruptible dans son éternelle
immobilité…
Dès lors,
même si comme l’a énoncé René
Guénon les voies mystiques et
initiatiques ne se recoupent pas
nécessairement, force
est de constater que l’essentiel de nos
expressions, symboles, grades et rites semblent avoir
traversé l’épreuve du
temps! C’est ainsi que des expressions
d’aujourd’hui se réfèrent
encore
directement à ces antiques mystères
comme celle qui affirme que la
vérité sort du puits. Observons aussi
que la formule prendre part à
nos mystères est utilisée neuf
fois lors de la seule cérémonie
d’initiation au R E A A. Les
mystères antiques auront aussi pour effet de
préparer les mentalités à passer
du paganisme aux religions modernes. En effet l’opposition
entre monothéisme et
polythéisme repose souvent sur un malentendu : dans
le premier l’Unité
peut aussi contenir la pluralité (cf. le
catholicisme avec son principe
Trinitaire et ses nombreux Saints) ! Toutes ces
indications et ces similitudes troublantes avec nos actuels rituels
maçonniques
tendent, semble-t-il, à induire une présomption
d’existence d’une Initiation
Primordiale, de son intensité au cours des
siècles écoulés et de la
qualité de
la chaîne formée par ses multiples transmetteurs
successifs.
Mais si,
à contrario, les premiers initiés
n’ont pas reçu leur modèle
d’une source commune, faut-il en conclure que
l’imaginaire humain se forge et se façonne partout
de manière similaire. En
outre cette évolution serait-elle alors passée
par des phases et des formes
d’expressions spirituelles et symboliques comparables et ce,
sur toute la
surface de la planète et à toutes les
époques !
En
conséquence, faut-il rechercher les traces de
ce tronc commun de
l’Humanité :
-
dans une zone géographique
précise, à partir
de laquelle il s’est propagé de proche en proche
comme un incendie ?
-
Ou bien, seconde hypothèse, cette
référence
commune est- elle apparue spontanément,
séparément et concomitamment dans
différentes parties du globe ?
Existe-t-il
plusieurs peuples autodidactes ou bien un peuple instructeur
et des
peuples élèves ; des graines
isolées ou bien une souche unique et des
boutures qui ont essaimées ?
Et
si, en ce qui concerne l’Occident, la
Franc-Maçonnerie constituait le réceptacle
privilégié d'un ensemble de
symboles issus d’anciennes et
vénérables pratiques ? Si notre rituel
préservait, dissimulée en son sein, une Initiation
Primordiale, Unique,
Verticale et Eternelle afin de la tenir
prête quand le moment sera venu ?
C’est
pourquoi il nous revient me semble-t-il - alors même que
l’actualité obédientielle
d’aujourd’hui nous éloigne de plus en
plus de ce à
quoi nous croyons et à quoi nous nous sommes
engagés - de rester vigilants
quant au respect scrupuleux de nos traditions comme de nos rituels. En
effet,
en cas d’éloignement ou de rupture, il pourrait
nous advenir ce que prophétise
le proverbe chinois qui énonce que la fleur qui
renie ses racines, meurt au
crépuscule !
M\ G\
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