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Mystères antiques et Initiation


Le monde antique, tout particulièrement sur le pourtour méditerranéen a, depuis les temps les plus reculés, connu une multiplicité de courants de pensée et nourri un foisonnement de manifestations d’ordre spirituel, toujours originales, souvent étranges. Ce foisonnement traduisait le profond désarroi moral auquel conduisait alors naturellement un paganisme syncrétique, lui-même fortement influencé par un Orient riche de traditions fort anciennes. Tandis que les grandes métropoles de l’époque, telles Alexandrie, Rome et Athènes devenaient d’intenses foyers d’illumination ainsi que de véritables creusets de transmutation, on  a parallèlement assisté à une désagrégation progressive de la « Pax Romana » qui garantissait à la fois l’homogénéité de l’Empire, sa sécurité ainsi que la paix sociale.  Se firent alors jour de violentes confrontations entre les tenants des rites anciens et des pratiques traditionnelles (c’est-à-dire ceux que l’on appellerait aujourd’hui les conservateurs) et d’autre part, les néo-platoniciens, les hermétistes, gnostiques et autres chrétiens, adeptes de ce qu’on appellera les « cultes à mystères » (soit les progressistes)! Précisons qu’ici l’ expression cultes à Mystères ne s’applique qu’aux seuls rites et pratiques qui - par leur double action (gestuelle et spirituelle) - introduisent dans une autre dimension ou un univers nouveau (c'est ce que réalisent, par exemple, le baptême et l'eucharistie dans la communauté chrétienne). Précisons également que le mot « mystère » n’est pas utilisé ici dans son sens actuel d’énigme, mais dans son ancienne acception grecque où le mot muein signifiait fermer la bouche, rester muet, et dont le dérivé mustês introduit la notion d'initié ou de myste ( c.à.d. littéralement… celui qui sait ).


En effet, les cérémonies s'accomplissaient toujours en silence et la nuit. En ces temps là, un Mystère n'était pas perçu comme un dogme incompréhensible imposé par une autorité ou accepté par la foi : cette conception étant tout à fait étrangère au polythéisme. Le Mystère était une chose ineffable, un secret qu'on ne devait pas révéler sous peine de sanctions… En Grèce, l’accomplissement des rites mystèriques était appelé teleth, mot qui signifiait perfectionnement et que nous avons traduit par Initiation. Toutes les croyances issues de Phrygie, de Perse, de Syrie, d'Égypte voire d’Inde furent introduites sous la forme de cultes à Mystères. D’une manière générale, chacun d’entre-eux plongeait ses racines dans les époques les plus primitives et les plus lointaines. Depuis des temps immémoriaux les rituels étaient portés et transmis par les sorciers et autres chamanes, seuls en capacité d’entrer en communication avec les esprits et qui, à ce titre, jouaient ainsi un rôle essentiel d’intermédiaire entre le monde des vivants et celui des morts… Cette vision surnaturelle et magique durera des siècles et ce n’est que beaucoup plus tard, que l’imagination fertile des premiers Grecs les amènera à élaborer leur riche mythologie à partir de ces croyances. Avec le temps, les justifications et significations primitives des rituels s’enrichiront progressivement de développements sur lesquels nous sommes mal informés, en particulier sur la cérémonie de l’initiation pour laquelle les impétrants s’engageaient à ne rien révéler... Signalons ainsi, par exemple, que des personnages fameux tels Alcibiade et Eschyle, verront leurs têtes mises à prix pour avoir révélé des éléments secrets relatifs au déroulement des Mystères d’Eleusis. Cette vigilance ne s’est pas démentie avec les années et cela explique pourquoi ces antiques secrets furent, dans l'ensemble, bien gardés.

Apulée, de son côté fera une brève allusion à l’initiation dans les Métamorphoses (ou l’Ane d’Or) : le jour de l’initiation arriva. Dès que le soleil baissa à l’horizon, les gens affluèrent de toutes parts … Ensuite, tous les profanes durent s’éloigner. On me vêtit d’une robe de lin grossier et le grand prêtre me conduisit en me tenant par la main dans le sanctuaire du Temple. Peut-être, lecteur demanderas-tu ce 

qui fut dit et ce qui fut fait ? Comme j’aimerais te l’apprendre si j’en avais le droit ! Qu’elle serait sacrée, ton émotion, s’il t’était permis d’entendre ! ta langue et tes oreilles déjà devraient expier ce sacrilège !  Mais il pourrait t’être préjudiciable que je torture ainsi ta pieuse curiosité ; écoute donc et – crois-moi, aie confiance. Tout est vrai : je suis allé jusqu’à la frontière entre la vie et la mort. J’ai franchi le seuil de Proserpine (déesse des enfers) et après avoir traversé les éléments, je suis revenu. Au cœur de la plus profonde des nuits, j’ai vu le soleil briller de tout son éclat ; j’ai vu face à face les dieux célestes et je les ai adorés de tout près. Vois !  Tu as maintenant tout entendu : mais aussi tout compris ? Non, impossible !"

L’initiation à ces cultes exigeait du candidat un comportement éthique et moral de nature à modifier profondément sa vie future et de l'orienter vers des finalités nouvelles en lui apportant des perspectives inédites. Ils révélaient ainsi (à une élite dans le contexte païen, à tous dans le christianisme) à la fois le dessein de la divinité et le destin des individus. D’après les éléments dont nous disposons aujourd’hui, la plupart présentaient un fonds commun d’exigences, de morale, de respect doctrinal et de pratiques rituelles. C’est ainsi par exemple que l’on enseignait qu’une Intelligence avait créé l’univers et le gouvernait ; que l’on devait honorer ses parents ; offrir aux dieux les premiers fruits annuels de la nature ou leur sacrifier un animal ; que les divinités jouaient un rôle décisif pour la prospérité de la terre en fécondant les espèces végétales et animales…

La différence essentielle avec les cultes officiels de l’époque (le culte impérial par exemple) réside dans le fait qu'ils conféraient immédiatement aux récipiendaires l’espérance d’une vie éternelle par leur participation active aux cycles cosmiques de mort et de renaissance et par la communion étroite avec la divinité. Cette dernière, après une descente dans les enfers, avait réussi à en revenir  et, par cette (re)naissance s’était fixée la tâche de garantir la pérennité du cycle de la nature. Au fur et à mesure de la progression personnelle du candidat et des degrés successifs franchis, on lui fournissait des clefs de compréhension des nouveaux symboles qui l’entouraient. S’ajoutaient à cette formation des épreuves morales et physiques en vue de l’accession à LA vérité cosmologique. Il faut, sur ce point, bien mesurer la différence existait entre l’initiation d’un individu et celle des futurs membres du clergé qui subissaient des épreuves bien moins symboliques. Il arrivait ainsi que parfois l’abandon du processus, parfois même la mort vienne mettre un terme aux tourments et aux espoirs du candidat !
Le vocabulaire grec ancien est, au demeurant révélateur  puisque  le verbe télésthai signifiait à la fois mourir et subir l’initiation et que Strobée pourra écrire que mourir ou être initié s’exprime en termes semblables. Plutarque, de son côté indiquera que  l’âme, au moment de la mort fait les mêmes expériences que font les initiés aux Grands Mystères.

Tous les cultes faisaient appel à des liturgies solennelles et prenantes. Elles s’adressaient à des dieux souffrants dont le culte évoquait une forme de « Passion » ! Les fidèles s’identifiaient aisément à cette divinité compatissante, accessible, sensible aux attentes et aux sentiments des hommes et ils en reproduisaient à leur tour dans le temple ses tribulations. Des liturgies  spectaculaires, prenantes et colorées, dévoilaient par degrés successifs les significations cachées des symboles et des rites. Elles étaient rythmées par des paroxysmes extatiques accompagnant la révélation progressive. Les cérémonies voyaient se dérouler des baptêmes exaltants (parfois sanglants à l’image du Mithra Tauroctone), où Mort et Résurrection marquaient la progression de l’initié. Cela s’accompagnait de privations, de mortifications et d’illuminations soudaines. Ces émotions violentes, attiraient et fascinaient les citoyens d’alors, blasés qu’ils étaient par des traditions lourdes, des cérémonies pesantes, formelles et vieillissantes ainsi que par la décomposition spirituelle qui caractérisait le monde gréco-romain. Les plus fanatiques d’entre les mystes iront jusqu’à s’infliger des rites pénitentiels pénibles allant jusqu’aux automutilations (cf. l’émasculation chez les fidèles d’Attis et de Cybèle). A chaque étape du parcours, des cérémonies spécifiques marquaient l’entrée solennelle au sein d’une authentique fraternité, tandis que des repas pris en commun soudaient la communauté. Il convient de noter sur ce point que, de retour dans la vie profane, l’initié n’était tenu à aucun comportement particulier éthique ou moral, puisque la cérémonie d’initiation à elle seule lui garantissait son salut !


Il faut également bien intégrer le fait que les autorités politiques laissaient aux individus une quasi-totale liberté de conscience, de croyance et de pratique religieuse. Elles se contentaient simplement de signes extérieurs et formels d’une foi que l’on qualifierait aujourd’hui de « civique » à l’image du culte de l’Etre Suprême sous la Révolution! Un exemple de cette distanciation entre le ressenti individuel  et le formalisme civique public, nous est donné par Jules César, alors même qu’il occupait la fonction 
suprême de Pontifex Maximus  (c-à-d de Pape des rites), qui déclarera qu’il ne comprenait pas comment deux augures pouvaient se croiser sans éclater de rire… C’est ce cynisme, empreint de scepticisme envers des dieux hautains, impersonnels, lointains et froids, qui a permis aux croyances nouvelles proches des attentes de chacun, de s’introduire avec facilité dans l’Empire. Par ailleurs, les peuples que les échanges commerciaux avaient conduits en Orient ainsi que les colonies qui en étaient issues, établiront à leur tour des cultes à la manière de ces pays et des hommes renommés comme Phytagore et les empereurs  Caligula, Marc-Aurèle, Commode, Trajan et Hadrien n’hésiteront pas à se faire initier. C’est, au demeurant essentiellement à leur refus de sacrifier de manière formelle aux dieux païens et à l’empereur que les chrétiens durent leur martyre !  

Parmi les nombreux mystères qui ont fleuri durant toute l’Antiquité, citons ceux d’Eleusis, d’Orphée, d’Isis, de Dyonisos, de Mithra, de Cybèle, d’Astarté, d’Adonis, d’Attis, de Sérapis, d’Anubis, de Pan, d’Astargatis, d’Ishtar, de Baal (également connu sous les noms de Mardouk / Melqart / et Moloch) etc… De plus, à la suite des armées romaines conquérantes et de leurs auxiliaires originaires des pays conquis et occupés, ils se sont largement répandus à travers tout l'Empire, Si, pour la plupart nous ne disposons que de peu de renseignements avérés, en revanche, nous en possédons davantage sur quelques uns comme ceux d’Isis et de Mithra, que nous allons esquisser maintenant :

LE  CULTE  D’ISIS :  à Rome, c'est l’empereur Caligula qui consacrera le succès de cette déesse considérée alors comme le «principe féminin universel ». Son culte s'étendra progressivement à tout le bassin méditerranéen. Elle sera célébrée à la fois comme le modèle de l'épouse (car elle a recherché et reconstitué le corps démembré de son époux Osiris), de la mère  (elle a enfanté le dieu solaire Horus) et de la magicienne (connaissant les secrets de la germination des plantes, elle a triomphé des Ténèbres). L’initiation à son culte visait à débarrasser l’impétrant de ses prisons mentales (Seth en était le principe destructeur mais aussi nécessaire pour briser la coquille qui empêche la lumière de passer), puis on lui révélait les forces positives que chacun possède à l’état latent afin de l’éveiller à une autre réalité (c’est Osiris que l’on invitait à sortir de son long sommeil). L’initié comprenait alors que seule la maîtrise individuelle lui permettrait d’espérer découvrir le Roi qui sommeille en lui  et que cette royauté intérieure le rendra apte à se situer dans la hiérarchie spirituelle (d’où selon certains, l’expression d’Art Royal) : contribuant ainsi à l’harmonie de Maât,  c’est-à-dire à l’équilibre universel !

Présenté par un parrain, le néophyte passait une longue période de macération seul dans une crypte où il devait rédiger ses réflexions. Celles-ci étaient ensuite examinées afin d’évaluer ses qualités puis, si l’examen s’avérait favorable, il était conduit au milieu de la nuit (soit à  mi- nuit plein) dans une galerie entourée de colonnes gravées de sentences qu’il devait (d’après Jamblique), apprendre par cœur. Là, les yeux bandés, il franchissait une  porte basse et pénétrait ensuite dans une caverne. Il devait alors - après avoir encore répondu à d’ultimes questions précises (selon Apulée et Pétrarque) - accomplir un parcours agité, accompagné d’éclairs, de coups de tonnerre et d’éclairs de foudre (cf. Eusèbe et Clément d’Alexandrie).  Il devait ensuite marcher sur un dallage brûlant où des vides lui permettaient néanmoins de poser les pieds (épreuve du feu), puis franchir un canal aux flots tumultueux (épreuve de l’eau) et s’agripper vigoureusement à des anneaux qui le soulevaient en déclenchant une ventilation violente (épreuve de l’air). On lui posait alors la pointe d’un glaive sur la gorge et, en invoquant le  Soleil et la Lune comme témoins de son engagement, il était invité à prononcer un serment de fidélité et de discrétion. A un autre moment de son parcours initiatique, il devait encore jurer être innocent de l’assassinat d’Osiris. Il passait alors encore une période plus ou moins longue au fond d’un puits jusqu’à ce qu’on estime suffisant son avancement sur le chemin de la connaissance (cf. Tertullien). Enfin, il en était extrait et - après avoir gravi une échelle à sept barreaux (cf. Origène) - on le revêtait d’un tablier de cuir blanc. A chaque degré franchi, après une  instruction précise, il recevait un autre mot secret ainsi qu’un attouchement rituel (cf. Jamblique). Aux grades ultimes, il était soumis enfin à d’autres éprouvantes et difficiles épreuves physiques dont il sortait littéralement épuisé.


LE   CULTE  DE  MITHRA
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il convient de savoir (et cela reste encore relativement mal connu) que le culte mystérique le plus répandu dans tout l’Empire Romain fut celui de Mithra, à tel point qu’Ernest Renan écrira que si le Christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde entier eût été mithriaque! C’est un dieu oriental qui apparut d’abord dans les Vedas indiens associé à Varuna (avec lequel il forme l'élément lumineux et bienveillant d'une paire antithétique) tandis que dans la Perse ancienne c’est à Ahura-Mazdâ qu’il sera associé. Les souverains perses et les rois du Pont le vénéreront et plusieurs monarques parthes se placeront sous son invocation : ce fut la dynastie fameuse des Mithridate. Ses sanctuaires se multiplieront tant à Rome que dans tout l'Empire, dans les ports et aux frontières à la suite du passage des soldats, des commerçants et des fonctionnaires impériaux. Malgré son succès, ce culte se développera cependant toujours en marge des reconnaissances officielles et ce, malgré l’initiation        des empereurs Antonin le Pieux, Commode, Dioclétien et Julien dit l’Apostat. Pline l’Ancien indiquera que le roi Tiridate d'Arménie avait salué Néron du nom de Mithra et que cet empereur avait à son tour été initié à des pratiques magiques à l’issue d'un repas sacré des mages…véritable Agapes avant l’heure !   

En proposant une cosmologie complète, Mithra (né d’une vierge le 25 décembre et ressuscité …) préside à la conservation de la puissance vitale de la nature. L’initiation à son culte devient une promesse d'immortalité mais aussi l’assurance de la bonne marche du cycle cosmique. Ses adeptes (qui s’appelaient « frères ») se répartissaient à l'intérieur d'une hiérarchie en sept grades (corbeau, épousé, soldat, lion, perse, messager du soleil et père), devaient jurer de se prêter mutuellement assistance, se plaçaient sous la protection de sept planètes et s’adressaient aux prêtres les plus élevés par la formule rituelle salut à vous, Pères qui siégez à l’Orient ! Il leur était expliqué l’origine du Cosmos, de la Création et de l’Homme. Dans un papyrus (découvert à Capoue) on a découvert l’invocation rituelle suivante  au nom du Dieu qui sépara la terre du ciel, la lumière des ténèbres, le jour de la nuit, la vie de la mort…le monde du chaos originel… je jure de conserver le secret des mystères qui me seront dévoilés… et que la fidélité à mon serment me soit bénéfique mais que mon indiscrétion me soit maléfique. Dans des cavernes, on a également mis au jour des peintures murales permettant de revivre la terreur vécue par le myste durant les épreuves. On le voit ainsi le genou droit plié devant un personnage levant une épée tandis qu’un autre, placé à côté de lui, tient une canne. Une autre scène le montre, poussé dans le dos en direction d’un prêtre qui ouvre les bras pour l’embrasser. En Angleterre Carrawburgh) et à Rome (sous la basilique Santa- Prisca) on a exhumé des fosses qui ont les caractéristiques d’un tombeau dans lequel l’initié s’allongeait en vue d’un simulacre de mort et de renaissance. 

Signalons aussi d’autres temples (Saint-Clément  à Rome  et à Ostie)  dont les murs et les plafonds étaient décorés du Soleil, d’étoiles et de croissants de Lune. Tous ces éléments sont abondamment recoupés par d’autres découvertes effectuées dans toute l’Europe et au Moyen-Orient (en Hongrie, Allemagne, Roumanie, Iran, Irak et Syrie) : c’est dire l’universalité atteinte par ce culte ! La raison principale de sa disparition est probablement à rechercher dans  son exclusion des femmes et ce, au contraire de son rival contemporain le christianisme. Il est à noter que ce culte survivra quelques temps dans le mazdéisme et d’une certaine manière aujourd’hui encore, chez  les Parsis iraniens.

Les mythologies antiques ont pratiquement toutes forgé leurs légendes à partir des Mystères. Ceux-ci ont constitué la matrice structurante d’éléments culturels issus de groupes  hétérogènes d’individus. En participant à la construction d’une réalité ordonnée ainsi qu’à une conception homogène de l’espace et du temps, ils ont reçu, dans l'ambiance des spiritualités orphiques et pythagoriciennes, une interprétation philosophique (cf. le Banquet de Platon) dans laquelle il devient possible, au moyen d’un cheminement initiatique, de communier avec les vérités ultimes !

Les peuples toutefois ne verront dans ce qu’on leur montrait que l’exacte représentation des vérités les plus sublimes et ils ne sauront pas discerner leur sens spirituel et allégorique. Ils confondront ainsi l’objet avec sa signification, la représentation de la divinité avec la divinité elle-même. Les signes symboliques seront regardés comme des gestes magiques à suivre scrupuleusement et, par exemple ce qui était annonciateur de danger sera pris pour l’ennemi. Les Egyptiens vénéreront ainsi peu à peu le Soleil comme un Dieu, les Chaldéens le Feu Sacré, feu auquel les Phéniciens iront jusqu’à sacrifier leurs enfants ! Plus les signes seront grossiers et plus les divinités évolueront vers l’absurde : le dieu Priape 6 symbole par excellence de la fécondité de la nature - deviendra ainsi exemple le dieu de la débauche. Au fur et à mesure de l’écoulement du temps et du brassage des peuples et des civilisations, ces divinités s’éloigneront de leurs origines, se dégraderont et s’aviliront. Les cultes de Rome seront plus corrompus que ceux de Grèce, ces derniers moins purs que ceux d’Egypte et de l’Inde dont ils étaient issus et ceux de Carthage plus sanglants que ceux de Tyr ! Seuls, les mystères d’Eleusis, d’Isis et de Mithra s’éteindront sans excès ni débordements mais sans toutefois apaiser véritablement les inquiétudes qui les avaient fait naître tandis que - simple culte à mystères parmi d’autres - le christianisme  s’imposera peu à peu !

Les cultes à Mystères, ont constitué la dernière forme de la pensée religieuse antique et c’est à travers eux que religion et philosophie s’uniront. On a retrouvé ainsi la formule philosophique du panthéisme dans des fragments archéologiques consacrés au culte d’Orphée (cf. Strobée)  tout sort de l'univers, et l'univers sort de tout. L'unité est tout, chaque être est une part de l'unité, tout est dans l'unité. Car, de ce qui était un, sont sorties toutes choses, et de toutes choses sortira de nouveau l'unité par la loi du temps. Toujours un est multiple, l'illimité se limite sans cesse et persiste sous tous les changements. La mort, immortelle et mortelle à la fois, enveloppe tout, l'univers se détruit et meurt et, sous des apparences mobiles et des formes passagères qui voilent à tous les regards ses métamorphoses, il demeure incorruptible dans son éternelle immobilité…

Dès lors, même si comme l’a énoncé René Guénon les voies mystiques et initiatiques ne se recoupent pas nécessairement,  force est de constater que l’essentiel de nos expressions, symboles, grades et rites semblent avoir traversé l’épreuve du temps! C’est ainsi que des expressions d’aujourd’hui se réfèrent encore directement à ces antiques mystères comme celle qui affirme que la vérité sort du puits. Observons aussi que la formule prendre part à nos mystères est utilisée neuf fois lors de la seule cérémonie d’initiation au R E A A. Les mystères antiques auront aussi pour effet de préparer les mentalités à passer du paganisme aux religions modernes. En effet l’opposition entre monothéisme et polythéisme repose souvent sur un malentendu : dans le premier l’Unité peut aussi contenir la pluralité (cf. le catholicisme avec son principe Trinitaire et ses nombreux Saints) ! Toutes ces indications et ces similitudes troublantes avec nos actuels rituels maçonniques tendent, semble-t-il, à induire une présomption d’existence d’une Initiation Primordiale, de son intensité au cours des siècles écoulés et de la qualité de la chaîne formée par ses multiples transmetteurs successifs.

Mais si, à contrario, les premiers initiés n’ont pas reçu leur modèle d’une source commune, faut-il en conclure que l’imaginaire humain se forge et se façonne partout de manière similaire. En outre cette évolution serait-elle alors passée par des phases et des formes d’expressions spirituelles et symboliques comparables et ce, sur toute la surface de la planète et à toutes les époques !

En conséquence, faut-il rechercher les traces de  ce tronc commun de l’Humanité :

-  dans une zone géographique précise, à partir de laquelle il s’est propagé de proche en proche comme un incendie ?

-  Ou bien, seconde hypothèse, cette référence commune est- elle apparue spontanément, séparément et concomitamment dans différentes parties du globe ?

Existe-t-il plusieurs peuples autodidactes  ou bien un peuple instructeur et des peuples élèves ; des graines isolées ou bien une souche unique et des boutures qui ont essaimées ?

Et si, en ce qui concerne l’Occident, la Franc-Maçonnerie constituait le réceptacle privilégié d'un ensemble de symboles issus d’anciennes et vénérables pratiques ? Si notre rituel préservait, dissimulée en son sein, une Initiation Primordiale, Unique, Verticale et Eternelle afin de la tenir prête quand le moment sera venu ?

C’est pourquoi il nous revient me semble-t-il - alors même que l’actualité obédientielle d’aujourd’hui nous éloigne de plus en plus de ce à quoi nous croyons et à quoi nous nous sommes engagés - de rester vigilants quant au respect scrupuleux de nos traditions comme de nos rituels. En effet, en cas d’éloignement ou de rupture, il pourrait nous advenir ce que prophétise le proverbe chinois qui énonce que la fleur qui renie ses racines, meurt au crépuscule !

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