Obédience : NC Loge : NC Date : NC

La Parole Perdue

Vénérable Maitre et vous tous mes Frères en vos degrés et qualités, je vais vous parler de la Parole Perdue. En préambule, je vous livre une des conclusions d’Alain Bauer dans son livre de 2006 « la Parole perdue » au sujet du G\ O\. Je cite :

« Pour certains la parole est définitivement perdue ; Plus rien ne saurait arrêter le lent dépérissement des obédiences et de l’Ordre lui-même. Ce serait alors véritablement la fin de la F\ M\, déjà comateuse dans le monde anglo-saxon.

Pour d’autres, en supprimant les obédiences, on pourrait sauver l’Ordre, la démarche personnelle suffisant à retrouver en soi ce qui échappe dès que le processus de décision s’abandonne au régime des assemblées ».

Je pense que c’était prémonitoire en ce qui concerne notre ordre et je pencherai sur le caractère positif de son deuxième paragraphe.

Venons-en maintenant au cœur du problème.

1 Qu’est-ce que la Parole ?

Si le langage est une manifestation de la communication qui peut prendre des formes diverses (sourds-muets, animaux, plantes), la parole est, dans son acception première, la signification du langage articulé ; c'est la manifestation verbale de la pensée. Mais le langage parlé est constitué de mots ; aussi arrive-t-il dans la pratique courante que le terme « mot » devienne synonyme de parole lorsqu'il exprime une pensée de façon concise.

L'étymologie latine nous ramène au mot « paraboles » ; sens premier; mais l'origine du mot est à rapprocher également et surtout du terme grec « logos » qui signifie discours, mot, idée, phrase, intelligence, sens profond d'un être (le mythe, en grec, c'est le mot lui-même).

Ainsi le mot « parole » recouvre t’il plusieurs acceptions dont nous devons tenir compte et dont la principale, en ce qui nous concerne, est avant tout la transmission d'une certaine connaissance au travers de certains mythes et de certains rites, le REAA en particulier.

N’oublions pas que l'essentiel du travail en Loge s'effectue par le biais de la parole : régulations de la prise de parole, fonction de l'orateur,débats, questions et réponses. La parole est sans conteste au cœur de la Loge, car la parole est aussil’un des outils privilégiés de la maçonnerie, qui, n'est rien d'autre qu'un Ordre initiatiquefondé sur la fraternité. La parole est ce qui permet la relation à l'autre. Il ne s'agit plus alors de fauxdialogues ou de monologues parallèles mais du vrai dialogue initiatique, celui du face à face d'un Jeet d'un Tu.

2 que disent les rituels du 3 ième degré ?

D. - Comment voyagent les Maîtres Maçons ? R. - De l’Orient à l’Occident et de l’Occident à l’Orient et par toute la terre.
D. - Dans quel but ? R. - Pour chercher ce qui a été perdu, rassembler ce qui est épars et répandre partout la Lumière.
D. - Qu’est-ce qui a été perdu ? R. - Les secrets véritables des Maîtres Maçons.
D. - Comment ont-ils été perdus ? R. - Par « Trois Grands Coups » qui ont causé la fin tragique de notre R\ M\ HIRAM.

Ainsi le document Prichard de 1743 et l'instruction au 3ème degré au rite écossais de la Mère Loge Ecossaise de l'Orient d'Avignon de 1774 disent-ils :

Q : pourquoi vous a-t-on fait voyager ? - R : pour chercher ce qui a été perdu.
Q : qu'est ce qui a été perdu ? - R : la parole de Maître.
Q : comment la parole fut-elle perdue ? - R : par la mort de notre respectable maître Hiram.
Q : « Qu’êtes-vous venue faire ici ? » Est-il demandé aux Maîtres Maçons.
R : « Chercher la Parole de Maître qui a été perdue ? »

3 historique de la parole perdue

Comment la parole a-t-elle pu être perdue si la Communication du mot sacré était transmise par HIRAM à tous les nouveaux Maîtres ? En effet, selon certains rituels, je cite : « Il n’y avait que trois personnes qui la connaissaient et elle ne pouvait être donnée que par ces trois personnes réunies dont le Respectable Maître Hyram faisait partie ». Par conséquent, à la mort d’Hiram, il restait les deux autres. Les rois Salomon et Hyram de Tyr.De plus, nous savons que, pour la construction du temple, les ouvriers étaient au nombre de 183.300 dont 3.300 Maîtres.

Les Maîtres installés furent-ils atteints de perte de mémoire collective, instantanée de surcroît, pour en oublier le mot de reconnaissance ? J’en doute, c’était celui de la paye ! Et 3.300 amnésiques, tout de même ! Nous nous souvenons que l’architecte fut assailli par trois mauvais compagnons s’estimant aptes à rejoindre leurs aînés. Avis apparemment non partagé par le Maître d’œuvre. Divergence d’opinion qui lui coûta La vie, d’où la perte du mot !

4 Chercher ce qui est perdu

Le Maître est donc l’architecte ressuscité, plus précisément réincarné, qui voyage pour chercher ce qui lui manque. Il sait qu’il est incomplet (en tout cas il devrait), qu’il est en devenir et qu’il n’est pas encore réalisé dans sa plénitude. Il possède le savoir-faire de l’architecte et peut poursuivre l’œuvre. Selon Daniel Béresniak : « Il demeure prisonnier de l’imitation d’un exemple à suivre, il se conforme de son mieux à un idéal du Moi préexistant, il poursuit l’exécution d’un édifice selon les plans tracés par un autre. Il lui faut maintenant posséder la puissance du créateur afin de créer, De concevoir, d’inventer, de produire du sens à son tour lorsqu’il aura trouvé ce qui lui manque : le Principe de fécondation, signifié par la parole ».

Par l’interprétation personnelle, le Maître se construit et s’oppose au danger des pensées préfabriquées.

Comme la nouvelle interprétation est la sienne, il prend conscience de manière responsable du chemin individuel et collectif qu’il se doit de construire. C’est ce qu’exprime admirablement Martin Buber « La toute première tâche de chaque homme est l’actualisation de ses possibilités uniques, sans précédent et jamais renouvelées, et non pas la répétition de quelque chose qu’un autre, fût-ce le plus grand de tous, aurait déjà accompli. C’est cette idée qu’exprime Rabbi Zousya peu avant sa mort » : « Dans l’autre monde, on ne me demandera pas » : « Pourquoi n’as-tu pas été Moïse ?» On me demandera : « Pourquoi n’as-tu pas été Zousya ? »

5 les mots substitués

Il devint donc urgent de remplacer le mot perdu ; ainsi au REAA, il fut substitué par Mahabon ou Moabon. L’étymologie de Moabon serait-elle Moab, l’ancêtre des Moabites d’aujourd’hui ? Moab était à la fois fils et petit-fils de Lot.

Je m’explique : Lot avait fui Sodome en compagnie de sa femme et de ses deux filles, les futurs gendres ayant préféré rester festoyer en ville. La nuit venue, alors que la femme de Lot était partie chercher du sel, il fut sournoisement saoulé puis violé par sa fille aînée afin d’assurer, paraît-il, leur descendance. Le lendemain la cadette pris la relève; quelle famille ?! (Genèse 19:37)

Le châtiment pour cet inceste inversé, fut-il la défaite de Moab, suivi de l’asservissement des Moabites qui durent payer tribut à David ?

Cela expliquerait peut être le choix de ce mot de reconnaissance ? La traîtrise ?

Dans le catéchisme du Rituel du Marquis de Gages de 1763 (RF), à la question de sa signification, la réponse est « Mac-Benac signifie la chair quitte les os… » Et un peu plus loin :

D « De quel atelier, étaient ces trois scélérats ? R De l’atelier des Moabites.
D De quel pays, étaient-ils ? R De Phénicie, pays où se trouvaient les plus habiles ouvriers.
D Pourquoi ces trois scélérats assassinèrent-ils notre Maître ? R Par avarice, à cause qu’ils avaient coutume de capter la paye de Maître et que par l’arrangement que Hiram avait mis lorsqu’il s’aperçut qu’il était dupé, ils ne purent plus lui capter cette paye ».

Serions-nous sur la bonne route ? Je ne le crois pas.

En fait, la Tradition est le propre d'un Ordre qui donne la primauté à la connaissance métaphysique et qui propose de parvenir à la réalisation des êtres en leur faisant gravir les degrés successifs de l’Initiation. Donc cette connaissance est intransmissible en fait par le langage verbal, instrument de la pensée discursive et rationnelle. Cette connaissance ineffable, inexprimable en elle-même, ne peut trouver d'expression que par l'intermédiaire du langage symbolique, pouvant conduire à une réalité supra humaine.

6 conclusion

Je terminerai avec un extrait des Sermons de Maitre Eckart :

« Trois choses nous empêchent d'entendre la Parole Eternelle.
La première est la Corporalité
La deuxième est la Multiplicité
Et la troisième, la Temporalité.
Si l'homme avait surmonté ces trois choses, il habiterait dans l'Eternité, il habiterait dans l'Unité et dans le Désert. Et là, il entendrait la Parole Eternelle ».

Un proverbe chinois dit que : « Donner du poisson à un homme, c'est le nourrir momentanément, mais, lui apprendre à pécher, c'est le nourrir toute sa vie ».

Si nous devons connaître un jour la Parole Perdue, ce sera le fruit d'un travail incessant d'unification, car si notre marge de manœuvre paraît faible, nous ne devons jamais pour autant rester inactifs, face à un déterminisme redoutable. « Il n'est point besoin d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». disait Le Taciturne.

Enfin, si je devais trouver un sens à la quête du secret véritable du Maître Maçon, je dirai que c'est avoir, quoi qu'il arrive, la Foi en la Vie, Vie dont nous sommes dépositaires.

Très Vénérable Maître J’ai dit.

B\ K\


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