GLDF Loge : NP 21/11/2006


Que la Joie soit dans nos Familles

Qu’est-ce que le mal ontique ? Est-il justifiable ? Quelle doit-être la position du F.·.M.·. ?

 
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La madone à la chaise - Raphaël 1513
Maternité II - Paul Gauguin 1896
Le Cri - Edward Munch 1893
L’annonce à Marie - Filippo Lippi vers 1450


Dans notre rituel, cet impératif prend place lors de la fermeture des travaux et est prononcé par le F\ 1er Sur\ au moment où le M\ des Cér\ éteint la Force. Il est indissociable des deux injonctions qui l’encadrent et rythment l’extinction des trois petites lumières Sagesse, Force et Beauté, à savoir « Que la Paix règne sur la terre », « Que la Joie soit dans nos familles » et « Que l’Amour règne parmi les hommes ». Cette extinction des feux est l’écho du rituel d’ouverture, les termes étant liés les uns aux autres par la résonance et par le sens :
   -          la Sagesse de la construction renvoie à la Paix sur la terre,
   -          la Force de l’élévation à la Joie des familles,
   -          la Beauté de l’ornement à l’Amour parmi les hommes.

Ces correspondances donnent un premier niveau d’analyse applicable au travail opératif aussi bien que spéculatif : il est difficile d’envisager la Paix sans projet et sans un peu de Sagesse, de s’élever sans Force et de transmettre aux siens dans la tristesse, et de souhaiter l’Amour des hommes sans connaître la Beauté du monde.

Quant au symbole, le F\M\ reconnait avec plus ou moins de clarté que la famille appartient au monde manifesté et la Joie à un univers non matériel. Après l’extinction des petites lumières, les travaux se terminent par la chaîne d’union qui représente le point d’harmonie vers lequel doit tendre la recherche pour concilier en soi les trois ensembles physique, métaphysique et spirituel.

La famille est l’élément constitutif de la société qui permet de donner de la cohésion à l’ensemble. C’est le lieu d’apprentissage des relations humaines, de la récréation et du jeu, de l’expression de l’amour et de la force créatrice. C’est un périmètre biologique et social  presque simple à identifier par des individus qui s’y reproduisent, se reconnaissent, se respectent, s’entraident, se font confiance, se transmettent leurs savoirs, s’aiment et meurent, en un mot « vivent ». Encadrée par les lois morales et républicaines, la famille offre protection aux êtres qui la composent et participe à leur développement psychologique, affectif et intellectuel.

Dans le langage des oiseaux, le mot famille privé de son « M », c’est-à-dire de son âme, de son amour, se transforme en faille. Les spécialistes repèrent ces lapsus scripturae fréquemment inscrits par la main des enfants en difficulté. Car la famille-faille est aussi le champ d’action de forces destructrices : haine, jalousie, violences physiques et morales, méchanceté, manipulation, trahison, intolérance, souffrance, maladie et solitude.

Ces deux typologies de famille ne sont pas antagonistes ou exclusives. Le souci de l’App\ F\M\ est d’accepter, au-delà du bien et du mal et au sein de la même famille, la présence simultanée de tout ce matériau humain, fait de chair et d’esprit.

La faille est un terrain idéal pour le travail de rectification de l’App\ F\M\ Ses lèvres en sont abruptes et la caverne qu’elle dessine sans fond. La famille se présente alors comme une pierre brute inversée, et le F\M\ qui travaille à sa propre pierre dispose des outils pour opérer l’ébauche et le polissage. Le premier travail est de changer les appuis traditionnels de la construction et de mettre en perspective dans la vie quotidienne éducation et apprentissage, autorité et écoute, exigence et tolérance, obéissance et responsabilité, réponse et questionnement, vérité et parole. De nombreux F\M\ ont concrètement mesuré les effets du travail en loge sur leur vie en famille et dans le monde profane.

Cependant la famille n’existe que par le sentiment d’appartenance que chacun de ses membres peut éprouver. Or donc, de quelle famille s’agit-il ? Sa structure et son sens ont évolué au cours de l’histoire. Au temps des Romains, la famille rassemblait les esclaves et les serviteurs appartenant à un individu ou à un service public. Le temps passera avant que la famille ne désigne l’ensemble des personnes vivant sous le même toit, et de surcroît de même sang, et ne prenne le sens social que nous lui connaissons aujourd’hui. Connaître n’est pas reconnaître, et de nombreux groupes humains se sont constitués en famille, en particulier les ordres religieux, les courants philosophiques ou les écoles de peinture. Plus généralement, une famille désigne un ensemble dont les éléments présentent des ressemblances ou des analogies.

L’App\ F\M\ a pour premier devoir, vis-à-vis de lui-même et du monde profane, de s’occuper de sa famille et cette priorité lui est rappelée lors de l’initiation. Dans le même temps, une rose lui est offerte, rappel symbolique de la traditionnelle paire de gants blancs de femme, destinée à celle qui avait le plus droit à son respect et à son estime.

En loge, la fraternité, la Veuve et ses enfants sont incessamment appelés à la rescousse et l’atelier n’a de sens que parce que les FF\ se reconnaissent comme tels. Voici donc un rassemblement qui constitue aussi une famille. A ce stade, une famille peut donc se définir comme l’ensemble des individus qui composent l’environnement affectif et mental de l’App\ F\M\. Libre à lui, puisqu’il est de bonnes mœurs, de préciser les contours de cette école de la vie. Il semble toutefois, qu’à l’instar du pavé mosaïque, la collection et la ressemblance ne suffisent pas à construire l’édifice et constituer une famille. Il faut un liant, il faut un lien qui assure la tenue de l’ensemble et la science ne parle pas vainement de « force de cohésion ». Car il s’agit bien d’une force qui permet aux pierres taillées de tenir ensemble, de constituer une famille. Et de nombreux indices portent à envisager que cette Force, c’est la Joie.

L’approche systémique nous enseigne que tout système contient potentiellement son point d’équilibre. C’est ce point que cherche l’App\ F\M\ qui s’appelle peut-être harmonie. Cependant et dans cette optique, là où il faut travailler, c’est dans les mouvements et les déséquilibres vivants du pendule, et non au centre immobile et sans dimension.

Dans le Yi King ou Livre des Mutations, les Chinois représentent le concept de joie par l’hexagramme 58 Touei, le joyeux, le lac, et expliquent que la vraie joie provient de la fermeté et de la force qui se trouvent à l’intérieur, et qui s’extériorise sous forme tendre et douce. Cette interprétation peut-être rapprochée de celle de la famille, hexagramme 37 Kia Jen qui est composé du vent et du feu. La famille, représentée par l’image du vent engendré par le feu, est le lieu d’une force qui manifeste les lois qui, appliquées au monde extérieur maintiennent également en ordre la cité et l’univers. En conséquence et si quelque chose est en désordre dans la famille, l’harmonie viendra quand chacun prend sa place.

La Joie est difficile à définir. Sentiment exaltant ressenti par toute la conscience pour les uns, plaisir de l’âme ou émotion liée à une cause particulière pour les autres, souvent confondue avec volupté ou jubilation, la Joie n’est pas plus à l’aise chez les théologiens que chez les philosophes. Seuls les alchimistes s’en tirent assez bien, qui donnent le nom de Joie à la pierre arrivée au blanc parfait.

Du côté des Pères de l’Eglise, Saint-Augustin confesse qu’il y a joie dans la mesure où l’existence a trouvé son centre dans le Christ,  Saint-François d’Assise (1182 – 1226) voit la joie parfaite dans la découverte de la souffrance de Dieu dans sa chair, Saint-Bernard (1090 - 1153) nous invite à convertir joie et tristesse dans le Seigneur. L’approche de Saint-Jean qui rapporte les propos de Jésus non encore glorifié est sans doute plus intéressante (Evangile 16 verset 24) : « Jusqu’ici vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez, et votre joie sera parfaite ».

Dans cette approche, la joie n’est toutefois pas dissociable de la présence de Dieu. Il nous faut donc aller voir aussi du côté des philosophes et en particulier de celui qui se posait en chantre de la joie, Spinoza.

Baruch Spinoza (1632-1677), éduqué par Descartes (1596 – 1650) et inspiré par Giordano Bruno (1548 - 1600) considère que Dieu est une substance infinie et unique qui se confond avec l’univers et que les rapports à Dieu doivent être joyeux, comme ils peuvent l’être avec la Nature. L’homme est capable d’expérimenter la transformation de la passion par l’esprit et la raison : la joie mutilée devient joie guidée par la raison avant de devenir la béatitude, expérience d’éternité. Cette possibilité de parvenir à la joie suprême est accessible à chacun et doit être source d’harmonie et de paix pour la communauté. En effet, nous éprouvons de la tristesse lorsqu’un corps menace notre cohérence, alors que nous éprouvons de la joie quand un corps rencontre le nôtre et se compose avec lui. Notre puissance d’agir est alors augmentée, et nous nous rapprochons du point qui fait naître les joies actives, celles qui existent quand le conatus se réalise lui-même, par lui-même. Par conatus, Spinoza désigne l’effort que chaque chose porte en elle pour persévérer dans son être.
Deux siècles plus tard, Nietzsche opposera Dionysos, incarnation d’une joie sacrée, à la tristesse du Dieu judéo-chrétien absent ou mort, envisagera une esthétique de la joie au travers de la contemplation de la beauté et de l’acte créatif et proposera une nouvelle éthique à partir du seul principe de joie.
 
Depuis que l’incestueux titan Kronos dévore ses enfants, qu’Adam et Eve se font chasser de l’Eden et qu’Abel est tué par son frère, il semble qu’une impossibilité de plénitude, de perfection et de bonheur durable s’impose à la famille.

Saturne dévorant ses enfants – Goya 1820
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Structure vivante complexe, la famille est essentiellement contingente. Les familles qui revendiquent une filiation spirituelle n’échappent pas à cette règle. De ce point de vue, le mal ontique, c'est-à-dire la difficulté d’être, est justifiable. Il est inhérent à la condition humaine, car il appartient au domaine de l’étant et non de l’être. Et c’est peut-être là que réside la clé de compréhension de l’injonction « Que la joie soit dans nos familles ». Ce n’est pas seulement un vœu pieux. Il s’agit surtout d’une recherche d’élévation, et donc la recommandation de l’exercice d’un outil, l’application d’une méthode de travail, l’utilisation des symboles qu’offre la F\M\.

Comment s’élever, et pourquoi ?

Si nous acceptons l’idée que la famille est une contingence, et qu’elle n’assure sa fonction de création que dans l’expression de la Joie, il faut comprendre que l’ontique et l’ontologique, c’est-à-dire l’étant et l’être, ne fonctionnent pas sur le même plan. Le premier lutte pour le bonheur, le second pose clairement le statut de l’angoisse et donc de la joie, statut qui est celui de l’être. Pour offrir une comparaison simple, la grammaire est à la langue ce que l’existence est à l’ontologie.

Il est toutefois sage de laisser Hegel, Nietzsche et Heidegger à leurs recherches philosophiques et de proposer une interprétation de ce changement de plan, plus proche de la démarche de l’App\ F\M\. La famille se situe dans l’humain, le matériel, le contingent, même et aussi quand elle s’appuie pour son développement sur des ressorts d’ordre spirituel. Elle est entièrement dans l’immanence, c’est-à-dire dans le plan horizontal. La Joie se situe dans la verticalité de l’homme qui éveille sa conscience, elle est transcendante. Le passage de l’horizontal au vertical, la portée de la réflexion et du regard de l’humain vers le divin, l’acceptation de cette information universelle en chacun de nous génère la Joie, est la Joie. Or il n’existe pas de transcendance sans immanence. Il est donc naturel de souhaiter voir se répandre la Joie dans nos familles.

Au plan pratique, l’App\ F\M\ a la capacité de porter au dehors l’œuvre commencée au dedans, conséquence en devenir permanent de son propre travail de rectification :
   -          utiliser l’écoute et la tolérance comme outils de compréhension et d’apaisement,
   -          accepter de prendre sa juste place au sein de sa famille intime,
   -          rester modeste dans son ambition de changer les choses ou d’effectuer le travail à la place de l’autre,
   -          communiquer dans la joie pour apporter l’harmonie.

Reste la dernière question, omniprésente en loge : « pourquoi ? »

Parce que la Joie c’est la Force élevée au plan supérieur, et qu’elle est nécessaire pour préparer et espérer pour chacun d’entre nous l’ouverture à l’Amour. 

J’ai dit V\M\

B\ M\

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
Mémento du premier degré symbolique écossais                  Le Tracé du V.·.M.·. – 15 novembre 6005
La Bible de Jérusalem Editions du Cerf 1961                      Yi King – Le livre des mutations
Spinoza – Traité de théologie politique – L’éthique Nietzsche – Le gai savoir – L’idéal ascétique

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