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Le Bonheur

« Êtes-vous Chevaliers Rose-Croix ? Très sage j'ai ce bonheur ».

En ces temps difficiles, dans cet inquiétant monde en mutation, où les progrès ne profitent qu'à une minorité, où la morale, l'éthique, la démocratie sont mises à mal, cette réponse mérite à mon sens une réflexion approfondie.

Que veut dire cette phrase ? Comment la comprendre ? Être heureux… Un défi ? Une part d'inconscience ? Un luxe à l'abri des remous, dans un refuge nommé Chapitre ?

Être heureux est presque indécent. Il y a de l’impudeur, quelque chose de repu, de naïf, de replié, d’indifférent, face à la violence du monde.

Mais qu'est-ce que le bonheur ? Sa nature même est insaisissable, elle nous échappe, se dérobe. On le reconnaît souvent quand nous sommes dans la peine. Prévert disait « j'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en partant ».

Il est comme une bulle légère irisée prête à éclater au moindre choc, toujours menacé il nous confère une conscience aiguë de sa fragilité. Impossible à conceptualiser il réside dans un idéal d'imagination que chacun réalise en fonction de sa personnalité.

Parler du bonheur, exige de dévoiler une part de soi-même. Il touche à nos émotions, nos sentiments, nos désirs, et au sens que nous donnons à notre vie. Il est tissé de notre propre vie. C'est un accord mystérieux de l'esprit et du corps, dont il convient d’être pleinement conscient.

Il n'est pas une addition de moments heureux, d'émotions passagères, mais il recouvre une certaine globalité sur la durée de nos vies.

Alors quelle est la recette de cet état heureux ?

Cette réflexion va s’articuler autour de 3 grandes pistes.

Le bonheur en soi :

La raison nous permet de fonder le bonheur sur la vérité et non sur une illusion ou du mensonge, la lucidité est indispensable.

Apprendre à vivre le moment présent, à calmer la ronde incessante de la dispersion mentale, des soucis, des peurs, des rancoeurs. Rêver, méditer, se mettre à l’écho de la vie, aide à absorber nos peines, à nous en distancer pour reconquérir la simplicité, le naturel dans la sagesse de l’accueil, de la fluidité, du non vouloir.

Apprendre à vivre, non pas en fonction d’un savoir théorique, mais par la pratique, l’expérience, l’intuition. C’est une éthique de la modération, de la prudence qui permet un juste discernement des plaisirs et des peines.

Cela implique, d'apprendre à se connaître, à éprouver nos forces et nos faiblesses, à améliorer ce qui peut l'être. Ce qui nous rend heureux dépend de notre travail sur nous-même, un travail intérieur pour s'accomplir, devenir soi-même par-delà les schémas culturels ou éducatifs qui souvent nous étouffent et nous brident.

De ce travail dans l’ombre peut jaillir la lumière comme le peintre Soulages qui est allé très loin dans cette recherche.

Le bonheur et les autres :

Si cette quête de sagesse paraît indispensable, les liens affectifs et sociaux sont aussi un des principaux piliers du bonheur.

L'altérité nous touche, ouvre d'autres possibles et implique identité et réciprocité. Aimer, faire oeuvre commune, partager. S'intéresser aux autres réduit l’égocentrisme, cause importante du mal être.

Dans nos rapports aux autres et au monde, c’est notre ego qui est en jeu. Il est illusoire de vouloir que le monde se plie à nos désirs. Et c’est pourtant inconsciemment ce que nous faisons souvent ! Mais nous sommes capables de quitter ce mode de fonctionnement, d’aimer la vie et les gens tels qu’ils sont. C’est le défi de la sagesse. S’accorder au réel, ne plus dépendre des évènements aléatoires, imprévisibles, mais développer notre propre harmonie intérieure. Ce n’est pas me semble t’il du fatalisme, mais c’est accompagner les choses au lieu de les forcer.

La raison à elle seule ne peut suffire à entreprendre cet exigeant chemin de libération. Une conversion du regard nous aide à prendre des positions adéquates. Je rejoins ici la pensée de Spinosa sur les 3 genres de connaissance.

L’image de la vague m’a aidée à comprendre sa conception.

Avec le 1er genre de connaissance la vague nous bouscule, nous cogne, nous renverse, si nous résistons.

Le 2ème genre de connaissance nous aide à composer, à plonger en accompagnant la vague, à se laisser porter par elle.

Enfin le 3ème genre, que peu de gens peuvent atteindre, c’est de ne faire qu’un, être la vague, comme nous pourrions ne faire qu’un avec l’Univers…mais ceci est une autre histoire…

Être malheureux n'apporte rien aux autres. Alors si le bonheur pour tous est un droit reconnu est il aussi un devoir ? L'intérêt de chacun réside dans le bonheur de tous. Il est en quelque sorte contagieux. Être en relation avec une personne sereine, équilibrée, positive, fait beaucoup de bien et nous invite à adopter cette manière d’être, à ne plus être fragilisé par nos désirs, nos pulsions. A retrouver, ou faire naître en soi un sentiment d’union, de sérénité, de bienveillance.

Je citerai une phrase qui m’est chère de Jean d’Ormesson : « il est poli d’être gai » !

Sachant que la joie et la gaîté ne sont pas le bonheur, même si elles en sont des composants, des postures sociales apaisantes.

Le bonheur en Loge

La tentation a laquelle nous pouvons succomber est celle d’un doux épicurisme qui nous inviterait à nous asseoir au bord du fleuve et à contempler l’écoulement du temps, des choses et des êtres. Un état d'esprit offrant une sorte de sérénité, lorsque le confort se mêle à la lâcheté, la résignation à la fatigue de lutter.

Pour nous F\ M\ c’est là une fuite, une dérobade puisque nous le savons, à tout moment les outils de la maçonnerie peuvent être dispersés et que nous n’en avons jamais fini d’en dissiper les ténèbres.

Le chantier maçonnique est un terrain d’entraînement au bonheur. C'est bien ce que nous souhaitons lorsque nous frappons à la porte du temple. Améliorer notre existence en nous améliorant.

Grâce à une méthode symbolique les francs-maçons peuvent travailler ensemble sans distinction d'ordre ethnique, philosophique, religieux. On ne peut imaginer le bonheur de l'humanité sans égalité entre les hommes, entre les sexes, entre les peuples. Ainsi, l'initiation est dès le départ une dynamique de l'accompagnement fraternel et de l’altérité.

Cependant, dès le premier jour, la coupe amère nous indique que la route ne sera pas facile. Nous avons goûté l'amertume, elle sera la, en nous, plus ou moins présente.

Au 17ème grade, nous avons pris conscience de la souffrance, de la dualité entre notre être profond, et la misère terrestre. La souffrance de celui qui aspire au bonheur et se heurte à l'insupportable vérité d'une vie aveugle et immature.

Au grade de CRC le bonheur prend une dimension importante. A ce stade du parcours maçonnique on peut éprouver une certaine satisfaction. Les travaux offrent toujours plus d’ouverture, de questionnement, la paix et l’amour qui y règnent y sont favorables. Nous avons cette chance rare, être F\ M\, lieu et liens uniques.

Le Chevalier Rose+Croix n’a plus besoin d’espace sacré matérialisé par le temple qui est détruit. L’espace est ouvert. Libéré de l’obsession qu’étaient devenues la construction, destruction, reconstruction matérielle du Temple au fil des grades. Ce temple est maintenant vivant en nous.

Vision spirituelle ou le carcan nécessaire au processus initiatique ne nous enferme plus. Cette ouverture brise les barrières entre l'intérieur et l'extérieur, favorisant l'altérité. Une loi nouvelle, plus humaniste et plus forte ouvre la perspective d'un monde différent. Mû par la foi, porteur d'espérance, le chevalier Rose-Croix s’engage dans une voie lumineuse d'amour et de respect dont la dimension collective et personnelle fertilise l'esprit. Il a conscience que seul l’amour entre les hommes peut chasser le chaos et les ténèbres. Une nouvelle parole nous est livrée qui ne doit pas être celle d'un discours convenu, mais bien celle d'une pensée libre, agissante, performante. Pensée qui n'est pas celle d'un solitaire. Ce grade n'a pas pour objectif la seule personne du franc-maçon, mais l'effort collectif de tous les frères et soeurs.

Le chevalier Rose-Croix n’essaie plus d'imposer, de dominer les autres, afin que puisse se poursuivre l'aventure humaine dans une dimension sociale respectueuse de toutes les diversités. Soucieux de les laisser s'exprimer dans leur plénitude pour faire grandir leur être intérieur. Il ne vit plus pour lui-même, sa progression, sa sagesse, l'aident à déployer une conscience ouverte à l'univers.

Un collectif qui certes n’est peut être pas parfait, mais qui est ouvert à la création, à l'invention, à l'évolution.

Nous sommes ici dans une optique sociétale qui nous montre que nous sommes d'emblée, et à tout instant, placés dans une situation relationnelle, que nous n'existons que par l'échange avec autrui.

Le bonheur n'a de sens que s'il est partagé. Nous nous devons de travailler sans relâche, d'essayer le plus possible de concilier les contraires, les dualités et pour y parvenir ce n'est que l'amour qui peut nous mener vers l'unité.

Pour conclure :

Le bonheur lié à la sagesse se rapproche de notre démarche de chevalier Rose-Croix. Le titre de notre Président « Très Sage » semble en être une confirmation symbolique.

« Il est impossible d'être heureux sans être sage ».

J’ai dit.

C\ L\


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