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Histoire et avatars du grade de Maître

C’est une histoire compliquée, ce qui prouve sans aucun doute, son intérêt, mais on attend encore le groupe d’historiens qui fera une histoire exhaustive et non partisane non seulement de la maçonnerie en général, mais de la maçonnerie écossaise, à ne pas confondre avec le rite écossais. (C’est là une première source de confusion)

La Maçonnerie Ecossaise qui semble bien être plus ancienne des Maçonneries remontant au XVème XVIème siècle avec la Loge Mary Chapel N°1 (The Mother Lodge), située à Edimbourg, et la loge de Kilwining N° 0 datant de 1618 (1). Celle-ci se trouvant au Sud Ouest de Glasgow. Certains spécialistes pensent que c’est elle la toute première Loge ! Mais, ce ne sont là que des querelles d’Ecossais !

De même qu’il faut tordre le cou à cette légende, qui veut que la Grande Loge d’Angleterre ait prit naissance, spontanément un jour de 24 Juin 1717 par la fédération de quatre loges qui se réunissaient dans des tavernes londoniennes.

Certes, cette date du 24 Juin arrangeait tout le monde parce qu’elle était symbolique. Il eut été en effet beau pour la légende, que la Grande loge d’Angleterre prît naissance le jour de la Saint Jean, par la fédération de quatre loges. Tel ne fut pas le cas, car à cette date il existait déjà, rien qu’à Londres entre vingt et trente loges.

Mais mon propos n’est pas de parler de la Maçonnerie en général, mais plus spécifiquement du grade de Maître qui est comme on le sait, apparu tardivement. Les « olds charges » n’ayant reconnus elles, pendant des siècles, que le grade d’apprenti et de compagnons. Là encore, l’histoire est difficile, même un historien chevronné de la Maçonnerie, éminemment respectable, comme notre F\ C\ G\, fait pratiquement l’impasse sur le point particulier du grade de Maître.

Je me suis servi pour ce travail.

Des cahiers de L’Herne (C’est un gros pavé de 400 pages sur les documents fondateurs de la Maçonnerie) C’est intéressant parce que pratiquement tout y est. D’une belle étude de la Loge Alpina (Loge de recherche suisse) sur le grade de Maître, parue il y a une vingtaine d’années.
Du volumineux manuscrit Kloos de 1804, dont j’ai la chance de posséder un double. D’un livre de deux anglais sur les connivences éventuelles entre le Temple et la Maçonnerie.

Et bien sur, comme tout le monde de quelques références prises ici et là dans Internet. La photo de la Loge de Kilwining est due à notre F\ G\ L\.

Donc, jusqu’au début du XVIIIème siècle, il n’existait pas de grades de Maîtres tels que nous les connaissons actuellement, mais un « Maître de Loge » dont la charge était sinon héréditaire, du moins attribuée à vie.

On parle de « Maître » pour la première fois dans le manuscrit Dumfries qui est un manuscrit écossais (1710).

- Combien y a-t-il de lumières dans cette Loge ?
- Il y en a trois ;
- Lesquelles ?
-Le maître, les compagnons, et les Surveillants.

Comme nulle part, on ne parle d’initiation particulière, il semble bien qu’il s’agisse là du Maître de la loge.

La loge des Anciens dite Loge d’York semble elle avoir intégré le grade Maître sans que l’en en connaisse bien le mode d’initiation. Enfin, c’est au cours du XVIIème siècle, que le rite de l’Arche Royal fait référence à trois Maîtres qui dirigent une loge opérative (Hiram, roi de Tyr, Hiram Abi et Salomon).

J’envisage de vous parler du grade de Maître à propos de trois manuscrits ; le Graham, le manuscrit Prichard et le manuscrit Kloos de 1804 qui lui, n’est pas fondalement différent de notre rituel actuel du rite Ecossais. D’ailleurs, 1804, comme vous le savez, c’est pratiquement la date officielle de l’apparition du REAA.

A noter au passage, que le pasteur Anderson dans sa première constitution ne reconnaît que deux grades, mais les choses avancèrent vite, puisque, en 1738, le pasteur intégra le grade de Maître dans sa seconde constitution.

Il est intéressant, surtout pour ceux dont la maîtrise est récente, de voir comment les choses évoluèrent au fil des décennies pour arriver au grade de Maître que l’on connaît maintenant au Rite Ecossais. Il est fixé d’une façon quasi définitive avec cependant des variantes parfois importantes d’un rite à l’autre.

Le manuscrit Graham

Pour ne pas faire trop long, je ne vous en donnerai que les thèmes essentiels mais importants de ce manuscrit.

Ecrit en 1726, ce n’est pas un rituel d’initiation au sens où nous l’entendons maintenant, mais plutôt un catéchisme de maçons opératifs anglais et non Ecossais. C’est un peu pénible à lire, même bien traduit, et c’est bourré d’archaïsmes.

Qu’apporte-t-il de nouveau par rapport aux documents antérieurs, genre Wilkinson ? Tout d’abord, par l’existence d’un rite en trois degrés, encore que, cette antériorité ne soit que partiellement exacte. Puisque le Manuscrit du Trinity Collège de 1711 précisait déjà, que, pour qu’une loge fût parfaite, il faut 3 Maîtres, 3 Compagnons et 3 Apprentis, avec un mot et un signe pour chacun d’eux.

Le Graham est un récit symbolique qui probablement devait se lire en loge à propos d’une exaltation, mais il n’y pas à proprement parler de protocole initiatique. Mais, événement important, c’est bien dans ce texte que pour la première fois est décrit le relèvement d’un corps dans un contexte maçonnique.

C’est aussi la première et dernière fois que, tout au moins dans la Maçonnerie bleue, l’on fait référence à la légende de Noé à propos du relèvement d’un corps (The earliest raising en anglais).

Le manuscrit raconte que les trois fils de Noé, Sam, Pham, et Japhet, se réunirent pour arracher un secret que leur père avait emporté dans la tombe.

Ayant découvert le corps, ils décidèrent de le relever par les 5 points du Compagnonnage, c’est là un point extrêmement important pour la suite, puisque c’est la première fois que le moyen de reconnaissance des Compagnons va devenir le point central d’une exaltation à la Maîtrise. Ils se dirent alors que, si ils ne trouvaient pas le secret, le premier mot qui serait prononcé en tiendrait lieu.

Deuxième point important, c’est à propos de ce relèvement que l’on fait allusion à la triple voix. La triple voix, c’est la nécessité d’être trois pour prendre connaissance d’un secret, on retrouvera cela très souvent en Maçonnerie.

En l’occurrence, l’un dit, en relevant le corps de Noé, « There is Marrow in this bone », l’autre répondit « l’os est sec », le troisième, « Il pue ». Ils parlèrent ainsi trois fois et le premier mot prononcé fut : Marrow in this bone. Marrow, devint au fil des temps Moabon, puis M\ B\. Cela devint, le mot sacré des Maîtres qui fut parfois déformé en « McBennac ».

Le relèvement, la triple voix et le mot sacré ; voilà trois éléments que l’on retrouvera ultérieurement et bien plus tard dans le processus d’exaltation à la Maîtrise.

Alors Hiram ? Et bien, il ne fut pas oublié,dans le manuscrit Graham, mais il n’est cité qu’en temps que simple constructeur du Temple, qui survint 480 ans dit-on après la fuite d’Egypte des enfants d’Israël et quatre ans après la montée sur le trône de Salomon.

Le Manuscrit Prichard

Ce fut un événement sensationnel qui passionna maçons et profanes, quand ce manuscrit, car s’en est un, fut publié dans un journal londonien, le Daily journal, le 30 Octobre 1730 sous le titre « Masonry dissected ».

Qui était Prichard ?

A la vérité personne n’en sait rien ; Ce qui est sur c’est que ce n’était pas un imposteur, ni même un faussaire, car malheureusement tout ce qu’il raconte nous donne le reflet d’un rituel déjà très complet.

Beaucoup pensent qu’il avait certainement une vengeance à assouvir. Prichard lui-même se présente d’ailleurs comme un ancien maçon, ce que récusent ses adversaires. Alors est-ce un ancien maçon défroqué ? La question reste posée.

Quoiqu’il en soit, la publication de ce manuscrit, fut une sacrée pierre, jetée dans le paisible jardin maçonnique déjà bien encombré, puisqu’à l’époque,treize ans après la constitution de la Grande Loge de Londres, on compte rien qu’à Londres entre 35 et 67 loges.

Avec le recul du temps, admettons que la grivèlerie de Prichard fût bénéfique pour nous tous, puisque, grâce à ce mécréant, nous connaissons parfaitement un rituel du XVIIIème siècle.

Les trois rituels, d’A\, de C\ et de M\, sont parfaitement décrits, mais ce qui nous importe, c’est de nous concentrer uniquement sur le grade de Maître. On a bien vu dans le Graham qu’il y a eu relèvement d’un corps, mais la mort n’est pas secondaire à un meurtre.

Alors que là, il s’agit bien d’un meurtre ! Et pas de n’importe qui, puisqu’il s’agit d’Hiram ! Et d’une sépulture, même de deux sépultures, l’une provisoire initiée par les trois mauvais C\ et la sépulture définitive établie conformément aux ordres de Salomon. Mais il n’y a pas comme de nos jours de renaissance du M\ en la personne d’Hiram, ce que les spécialistes appellent une mystagogie (2) Bien qu’il y ait eu relèvement d’un corps après la recherche par quinze frères, puis inhumation d’Hiram’dans le Saint des Saints.

Le Manuscrit Prichard présente donc, les points intéressants suivants : Pour être un véritable Maître, l’initié doit comprendre correctement la « Règle de Trois » (3 instruments pour le meurtre : un maillet, une masse, un niveau, 3 mauvais compagnons, nécessité d’être trois pour participer au relèvement, où, pour se faire communiquer un secret) (3).

Le mot sacré est Moabon. Le meurtre a été accompli à midi. Ce ne sont pas des Compagnons qui retrouvèrent le corps d’Hiram, mais « Quinze Frères fidèles ». Le nom d’un Maîtres est Cassia.

En définitive, il y a inhumation d’Hiram dans la Saint des Saints, où pour d’autres à proximité du Temple…mais pas de réincarnation du Maître exalté en la personne d’Hiram...

Le Rituel de 1804. Le manuscrit Kloos

Ce rituel est devenu pratiquement le rituel officiel du REAA, c’est bien entendu celui qui se rapproche le plus de nos rituels contemporains, aussi, je ne le détaillerai pas.

On note, mais, nous sommes au début du XIXème siècle et qu’il est donc très Théiste, ce qui n’est pas une surprise... Pour la petite histoire, c’est un manuscrit d’origine allemande qui est actuellement archivé dans la bibliothèque de la Grande loge des Pays Bas à La Haye. Comme dans nos rituels, on fait coucher le dernier Maître promu, dans le cercueil, les pieds à l’Est, la face couverte d’un linge teinté de sang, et grosso modo, la cérémonie se déroule comme de nos jours. Mais le récit est plus emphatique, moins dépouillé, mais c’est l’époque qui voulait cela, nos ancêtres aimaient beaucoup le théâtre.

Le mot de passe est Tubalcaïn. Les 3 Mauvais Compagnons se nomment Sterkin, Oberfurt et Abiram.

Le meurtre a bien été comme de nos jours initié par les 3 mauvais Compagnons, mais, ce sont douze Compagnons, et non pas les « Quinze Frères fidèles » qui vont à la recherche de la tombe. Mais, n’ayant rien trouvé, on envoie à leur place Neuf Maîtres qui finalement découvriront la Sépulture provisoire d’Hiram...

C’est aussi la première fois que dans un rituel du troisième degré que l’on entend l’expression « Ah Seigneur mon Dieu ! » Quand le Vénérable Maître découvre la figure du Candidat.

Le relèvement se fait par les cinq points parfaits, le mot Sacré est « Moabon ».

Une fois le relèvement effectué, on conduit le candidat, auprès des deux Surveillants afin qu’il puisse recevoir les mots, signes et attouchements liés à son nouveau grade.

Et le Vénérable Maître de conclure : « En vertu des pouvoirs dont je suis investi par le Grand Orient de France, je vous reçois et constitue Maître maçon… »

Voilà, c’est tout.

 On a bien vu que dans les trois rituels que je viens de vous résumer,qu’il existe une dimension historique, voire mythique et religieuse, puisque le nom de Dieu est prononcé tout au long de la cérémonie d’élévation à la Maîtrise...

Mais il leur manque quelque chose, il leur manque, ce que l’on trouvera dans nos rituels contemporains, à savoir, ces quelques phrases, que vous connaissez bien et qui donnent une dimension véritablement métaphysique à cette exaltation.

« Le Maître est retrouvé, il réapparaît aussi radieux que jamais ».

C’est stricto sensu une véritable renaissance.

Et pour terminer, cette phrase, que je prononçais comme tous les Vénérables avant moi, l’ont fait, avec une grande émotion : « C’est ainsi que tous les Maîtres Maçons, affranchis d’une mort symbolique, viennent se réunir avec les anciens compagnons de leurs travaux, et que, tous ensemble, les vivants et les morts assurent la pérennité de l’œuvre ».

En matière de conclusion

Ainsi, il a fallu presque un siècle, pour que le grade de Maître puisse atteindre son plein épanouissement et trouver une pureté qu’il n’avait pas à l’origine.

Le cycle est terminé.

L’Exaltation à la Maîtrise a atteint son Ultime Perfection.

Il est passionnant de pouvoir de temps en temps aller fouiller dans les vieux rituels, ne serait ce que pour mieux comprendre les plus récents. C’est bien sur, un peu arbitrairement que j’en ai retenu trois.

En fait, pas tant que cela, car chacun d’eux, nous montre, à un certain moment bien précis dans le temps, l’évolution de la pensée M\.

Cette pensée, dont il n’est pas toujours facile d’en découvrir les arcanes, car la psychologie de nos ancêtres n’était pas la nôtre et, leur vision du symbolisme, sans doute bien différente de notre pensé contemporaine...

Très Vénérable Maître, j’ai dit.

Ph\ A\

(1) Pour mémoire Création de la Grande Loge d’Angleterre 1717 ; Grande loge unie d’Angleterre 1813.

(2) Mystagogie : En rapport avec un mystère (Mort/Résurrection).

(3) Les 3 Coups distincts (1760) se réfèrent eux, au grade d’A\ « Demande et tu recevras, cherche et tu trouveras, frappe et on t’ouvrira ».

En annexe :

Une page du manuscrit Prichard

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