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Cosmologie et Alchimie babyloniennes

Ce court opuscule (120 pages de texte) paru à l'hiver dernier est un bien précieux pour quiconque apprécie Eliade ou se pique d'alchimie et de cosmologie magique. En un mot, il doit figurer dans toute b onne bibliothèque qui veut comprendre la vie des symboles.

Le texte, paru pour la première fois en 1937, se construit comme une méditation autour de la cosmologie et de l'alchimie babylonienne. Comme à son accoutumée, M. Eliade fait usage d'une langue so bre et limpide pour ressusciter à son lecteur cette mentalité magique dans son rapport à un monde compris comme un tout vivant. Il aborde à cette occasion quatre thèmes essentiels qui animent cette conception du monde: cosmos et magie, magie et métallurgie, cosmos vivant et alchimie babylonienne.

Mais au détour de sa réflexion, le texte devient bien vite un véritable manifeste où l'auteur, encore jeune chercheur, déploie avec intelligence et simplicité ce qui seront les futur s principaux axes de son anthropologie de l'homo religiosus.

Montrant d'abord que l'on ne peut penser l'expérience traditionnelle à travers l'unique grille interprétative historiciste, il revendique le droit à une autre lecture que des «vestiges monstrueux de superstition»; et préfère y voir une véritable «science cosmologique et sotériologique» (p. 21) qui fonde en espèce une Weltanschauung où le cosmos est sexualisé et vivant et où la technique devie nt une liturgie. «Loin de stériliser son âme, cette participation offre [à l'homme] une vision totale du cosmos et lui permet de faire d'orgueilleuses tentatives d'"unification" du cosmos divisé par la création...» (p. 68).

Une vision totale, mais qui n'est pas totalitaire. C'est qu'il est courant pour l'Occidental de dire de la culture traditionnelle, avec son imprégnation si forte du symbole et du mythe, qu'elle est une sociét& eacute; close, qui ne connaît pas l'histoire et qui refuse obstinément le changement. Or, à cet égard, l'analyse d'Eliade est éclairante: métallurgie comme agriculture sont autant de révolutions historiquem ent datables qui fournissent à l'homme une nouvelle image du cosmos. Chaque découverte est ainsi intégrée «concrètement et expérimentalement» par l'homme «devant lequel s'ouvre un nouveau niveau cosmique» (p. 16) . Le symbole apparaît à ces moments forts d'intégration, il unifie divers niveaux de la réalité cosmique sans pour autant les neutraliser. Loin de stériliser l'activité intellectuelle, il l'élance v ers de nouveaux horizons en l'invitant à accepter la différence, la nouveauté et l'hétérogénéité.

On l'aura compris, ce texte donna sans doute l'occasion à Eliade de brosser sa première silhouette de l'homme vivant intensément la vie des symboles: un homme cohérent avec lui-même comme av ec le monde, soucieux de se parfaire en parachevant l'úuvre naturelle. «Tel est le sens de cette magie: accéder à la perfection et à l'autonomie en se servant de l'exemple des forces du cosmos» (p. 120).

Alain Guyard,
Université de Bourgogne, Dijon

Mircea Eliade. 1991. Cosmologie et Alchimie babyloniennes, Paris, Gallimard (coll. «Arcades»), 127 p.


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