GLNF Loge : Mnemosyne 09/06/2010


Le Mythe de Faust, un drame alchimique

 
Faust… Le nom éclate et nous fait rêver. Un savant, un sage, un alchimiste qui au soir de sa vie, conclut un pacte avec le diable. Un acte qui lui permet de survivre, de rajeunir, de trouver la solution à l’angoissant problème qui a inquiété ce chercheur ou ce cherchant durant toute sa longue existence, alors qu’il en entrevoit aujourd’hui le bout. Un acte qui lui permet de posséder tout ce qu’il a convoité : savoir, richesse, amour et que jusqu’ici il n’a fait qu’effleurer…

Un mirage ? Ou un beau rêve qui se réalise, car enfin l’homme n’a-t-il pas cherché à dépasser sa propre condition, n’a-t-il pas voulu se survivre ? Le père veut créer son héritier à son image ; il pense que son fils va lui survivre, car il porte son nom et ses gènes, qu’il va poursuivre son action dans le temps et l’amplifiera… Car chacun à l’ambition, ou tout du moins le secret espoir de défier le temps présent, le temporel, et veut gagner l’éternité. C’est ainsi que l’artiste se concentre sur sa recherche, espérant que son œuvre triomphera du temps.
Mais quelle est la contrepartie de ce pacte ? En échange de ses richesses, le plus souvent (bassement) matérielles, plus rarement spirituelles, de ce rajeunissement, l’homme doit remettre en contrepartie son âme au diable. Vendre son âme, un bien immatériel, que l’on ne voit pas, que l’on ne monnaye normalement pas dans sa vie. Normalement dis-je, car vous avez cependant dû être informés mes FF, par le biais des médias, qu’un internaute avait vendu son âme aux enchères sur e-Bay et que l’année dernière, quelques 7 500 internautes ont échangé leur âme contre un produit GameStation. Parfois, donc, on vend aussi son ombre, autre bien impalpable. Un échange saugrenu, car qu’est-ce que l’âme, qu’est-ce qu’une ombre ?

La légende ne peut se comprendre et prendre tout son développement que dans les pays qui admettent la survie de l’âme, car comment vendre un bien qui n’existe pas ? Qui serait assez fou pour passer ce marché de dupe ? Il faut donc croire en l’immortalité de l’âme, savoir ou être persuadé que c’est un bien inaltérable. Vendre son âme, c’est abandonner sa personnalité pour l’éternité. C’est jouer son destin de manière irréversible.
Alors ce qui avait pu paraître comme une bonne farce devient un drame. On vend son âme au Diable, cette force qui se dresse contre Dieu ; on mérite le châtiment et les supplices effroyables, ceux de l’enfer, d’un enfer éternel qui ne laisse pas de répit. Eve est la première victime du diable-séducteur, serpent-corrupteur éveillant le désir, celui qui sait. Par l’attrait du fruit défendu, naît la notion de bien et de mal. Le couple primordial, né de la volonté divine est chassé de ce lieu central et privilégié, le Paradis, et doit errer éternellement. La femme enfante dans la douleur, le travail devient pénible, l’homme mortel. C’est la loose, ou plutôt notre quête débute. Nous sommes à la recherche de ce lieu édénique, de ce jardin des délices où régnait la Connaissance. Nous voulons et rêvons de réintégrer ce Centre, lieu de la plénitude et de l’équilibre parfait. 
Grâce à notre réalisation intérieure, nous devenons le Centre immuable où toutes les potentialités se résorbent. Comme le moyeu de la roue, nous paraîtrons à la fois mobiles et fixes : ce sera notre éternité qui n’est peut-être qu’un instant figé…

Le personnage de Faust a réellement existé, le mythe s’appuie donc sur des faits réels. Faust serait né selon certaines sources en 1488, peut-être à Knittlingen ou a Kundling, près de Bretten dans le Wurtemberg et serait décédé en 1539 ou en 1543. Son nom complet serait Georg Sabel (en latin Sabellicus), surnommé Faustus Junior. Maître de l’Université en 1507, Bachelier en théologie en 1509, il professe à la faculté de philosophie d’Heidelberg. C’est un homme fort doué, habile aux grandes connaissances, mais aussi reconnu comme un sujet paresseux, ivrogne et voleur. Sa vie mouvementée le fait chasser de l’université et il est contraint d’aller de ville en ville. Il se donne le diable pour beau-frère, nomme son chien roux Prestigiar et dit son cheval noir émule du diable. En bref, il profite et abuse de la crédulité de ses concitoyens, comme l’attestent de nombreux témoignages. Ce disciple de Luther, admiré pour ses idées nouvelles, détesté voir haï pour ses mœurs douteuses, cherche par tous les moyens à se procurer quelque argent. Il étonne, surprend, détonne  et ses excès frappent l’imagination de ceux qu’ils côtoient. Sa fin est mystérieuse, le dénouement d’une vie bien curieuse : il est découvert occis dans une chambre d’auberge, aurait été repris par son maître le diable, plus probablement victime d’un crime crapuleux qui a laissé des traces sanglantes sur les murs…

A côté du Volksbuch, du livre populaire publié en 1587 qui fixe la vie de Faust, des écrits de Marlowe (1588) et des premiers auteurs, il convient d’attirer l’attention sur l’importance du mythe faustien dans les Puppenspiele, le théâtre des marionnettes. Ces représentations, faisant même intervenir Polichinelle, ont envoûté la jeunesse de Goethe, qui va gommer le côté bouffer pour restituer à cette légende protestante sa noblesse primitive.
Faust, trop souvent ivrogne, devient un cherchant. Le Faust de Goethe s’apparente à Abailard. Par son côté très humain, il entre dans un  cycle où l’homme passionné veut acquérir la connaissance. Parce qu’il a aspiré à la vérité supérieure, qu’il a voulu dépasser sa propre condition, il doit être sauvé.

Méphistophélès devient quant à lui le double négatif de Faust, ce diable est l’antithèse des bonnes qualités du savant. Dès lors qu’il livre son âme au Prince de l’Enfer, Faust est constamment accompagné et assisté par Méphistophélès, étymologiquement « Celui qui hait la lumière », un démon de la littérature médiévale. Amer et sarcastique, son ironie cache la douleur désespérée de la créature d’essence supérieure qui, privée du Dieu pour lequel elle était faite, se trouve désormais partout prisonnière de l’enfer. Ce démon se fait reconnaître – certains auteurs ont cru, à tort, retrouver ses traits dans le rictus d’un Voltaire vieilli – à sa froide méchanceté, à ce rire amer qui insulte aux larmes, à la joie féroce que lui cause l’aspect des douleurs. C’est lui qui, par la raillerie, attaque les vertus, abreuve de mépris les talents, fait mordre sur l’éclat de la gloire la rouille de la calomnie… C’est, après Satan, le plus redoutable meneur de l’enfer (Collin de Plancy, Dictionnaire infernal, Paris 1863, p. 454)
Goethe a transformé le personnage médiéval de Méphistophélès en un symbole métaphysique. Pour que l’humanité ne s’endorme pas dans une paix trompeuse et affadissante, Méphistophélès reçoit de Dieu la liberté de jouer dans le monde le rôle de l’inquiétude féconde et créatrice. Il a donc une place fondamentale dans l’évolution progressive, comme un des facteurs essentiels, fût-il négatif, de l’universel devenir : « Je suis une part des forces qui veulent toujours le mal, et sans cesse créent le bien » explique t-il à Faust.
Mais la vision harmonieuse de ce progrès échappe à son intelligence, son entendement limité. Il croît conduire les hommes à la damnation, alors qu’au terme des aventures où il les entraîne, c’est le salut qu’ils découvrent. Le mystificateur est mystifié.

Nous pourrions voir en Méphistophélès la tendance perverse de l’esprit humain, « le côté sombre de la Force », qui n’éveille les forces de l’inconscient que pour y puiser des pouvoirs et des satisfactions primaires, au lieu de les intégrer dans un ensemble harmonieux d’actes humains. C’est l’exemple même de l’apprenti sorcier qui joue avec l’inconscient et qui ne l’élève à la lumière de la conscience que pour mieux bafouer la conscience. Celle-ci, éveillée par lui, devra secouer le joug du faux maître et se constituer elle-même selon sa voie propre : l’éveilleur deviendra la dupe magnifique.

Méphistophélès symbolise encore le défi de la vie, avec toutes les équivoques qu’il comporte. Selon Carl Gustav Jung (L’homme à la découverte de son âme ; Structure et fonctionnement de l’inconscient, Genève 1946), « Faust n’avait pas réussi à vivre pleinement une part importante de sa jeunesse. Il était resté en conséquence un être incomplet, à demi-irréel, qui se perdait dans une vaine quête métaphysique, dont les objets ne se réalisaient jamais. Il répugnait encore à faire face au défi de la vie, à en éprouver le mal autant que le bien. C’est cet aspect de son inconscient qui vient exciter et illuminer Méphistophélès. Ce rappel du côté obscur de la personnalité, de l’énergie qu’il représente et de son rôle dans la préparation du héros aux luttes de la vie est une transition essentielle… ».

Goethe inclut dans ce drame toute sa conception métaphysique de notre monde. Il laisse parler les symboles, les valeurs numériques et cette recherche, ici équilibrée, transparaît dans son œuvre énigmatique « Le Serpent Vert ».
Mais Goethe situe aussi l’Amour. Son héroïne, Marguerite, est l’une des plus belles âmes humaines. Voici l’amour naïf, pur et par là sans remords. La loi de la fatalité écrase cependant l’innocence. Si Faust n’avait pas sombré dans la folle nuit de la Walpurgis, il aurait sans doute représenté l’amour immortel.

Le mythe de Faust serait beaucoup plus simple si Goethe ne s’était cantonné qu’à une seule version de l’œuvre. Cependant, Goethe a commis trois versions, permettant à Faust d’accéder à son identité suprême. Première version, le Fragment date de 1790, puis vient la Première partie de la tragédie publié en 1808 et enfin une édition complète et posthume qui paraîtra en 1833. Signalons, pour compliquer la chose, la découverte récente par M. Eric Schmidt d’un Urfaust, un Faust primitif antérieur au fragment de 1790.
Donc Goethe va se remettre à l’ouvrage et reprendre et réécrire le thème. Le second Faust apparaît comme une somme de sagesse, de connaissance et d’Amour. Œuvre de la plénitude, ce poème métaphysique utilise parfois un symbolisme obscur puisqu’il plonge aussi ses racines dans le mythe de Troie. Faust – la science – se marie à Hélène, la femme accomplie, la beauté antique et plastique, prêtresse de l’initiation. Euphorion est l’âme de sa dernière incarnation, une âme libérée de ses chaînes matérielles.

Dans « L’Alchimie et le Faust de Goethe » (Cahiers de l’Hermétisme), Mme Y. Kace Centeno a montré l’unité structurelle de ces deux créations, l’apport alchimique. Avec Goethe, le pacte est consigné sur le premier papier venu, mais la signature est tracée à partir d’une goutte de sang. Or « le sang est un suc tout particulier ».

La légende de l’homme qui vend son âme au diable, prouve la faiblesse humaine. L’homme ne parvient pas à réaliser tout ce qu’il désire, sa vie est trop courte, ses forces trop limités, son intelligence trop bornée.  Pour mener à bien une de ses tâches, il recourt à un pouvoir occulte, à l’une de ses forces cachées qu’il pressent mais ne connaît pas. Pour percer l’obscurité qui l’entoure, l’homme, qui se sent sa faiblesse, implore une puissance quelconque, supérieure à sa propre nature. Ainsi, il triomphera naturellement des embûches de la vie.
Mais sans doute n’est-il pas bon de forcer un secret, de vouloir modifier son destin, de connaître à l’avance le cours imprévisible de la vie. Peut-on fracturer la porte pour pénétrer dans celle salle basse (qu’est le Cabinet de l’alchimiste), où dans le Temple, où s’entasse la Connaissance ? Peut-on pénétrer dans ce Saint des saints où nous trouverons LA CLEF, la clef de tous les mystères ? Nous sommes des intrus, mal préparés et les forces peuvent se retourner contre nous, nous balayer, nous anéantir. Alors il faut demander à ceux qui savent…
Ceux qui savent !... Mais peut-on demander à dieu, au G.A.D.L.U de nous aider dans une quête du surnaturel ? Peut-on demander à ces sublimes architectes, constructeurs-bâtisseurs de modifier le cadre établi par leurs soins ? Car ils ont voulu cette organisation, ils ont créé le jour et la nuit, le bien et le mal, le beau et le laid. Alors, comment exprimer notre convoitise, notre désir de transcender l’ordre établi ? Il nous faut trouver une autre aide, proche de nous et ayant accès aux sublimes secrets. C’est le magicien, c’est le Diable. Nous allons prendre appui sur cette créature qui émane de dieu et qui est son serviteur. Ce que nous ne pouvons dire à dieu, qui resplendit trop par son irradiante beauté, nous pouvons le confier à cet être qui, finalement, se rapproche de nous, sans doute parce qu’il est habile et qu’il est aussi un pécheur.

Le problème de Faust, de l’homme qui vend son âme à une puissance maléfique, est celui du drame de l’humanité. C’est celui de la conscience humaine qui connaît ses imperfections et qui veut y suppléer. C’est celui de l’homme qui se révolte contre toutes ces lois qui paraissent injustes, contre toutes les inégalités, et qui lutte contre le phénomène de la mort. Pourquoi venir sur terre, vivre un court instant, ne réaliser que partiellement ce que nous avons entrevu, si c’est pour disparaître mystérieusement ? L’homme s’insurge contre ce déséquilibre, contre ces lois inexorables. Aussi a-t-il crée des rites, un vocabulaire incantatoire et magique. Les poètes se sont emparés de cette déconvenue : les légendes naissent et reflètent la mémoire de l’humanité.

Faust a pris au cours des siècles une dimension toute particulière. Ce personnage très suspect, adonné à des procédés magiques et de sorcellerie, négateur et adversaire de Dieu, représente notre monde. Dans Faust, chaque homme se reconnaît… comme dans un miroir !
Cet être qui vend son âme au diable représente nos complexités multiples. Au-delà des passions égoïstes, de la recherche spirituelle, il est aussi jouissance érotique, force créatrice. Ainsi Faust peut parfois se confondre avec Don Juan, car tous deux, héros de la démesure sont insatiables et ivres de dépassements. Certes, Faust s’enivre plus dans la pensée métaphysique. Il a un besoin de domination, de déboucher par son ascension vers ce qui est le plus pur, le plus inaccessible. Grâce aux lois de la complémentarité, il atteint le sacré et débouche au Centre de la Révélation secrète. S’élevant de sphère en sphère, il participe à la notion de divin.

Peu de sujets ont su enflammer des générations entières et susciter le même engouement à des siècles d’intervalle. C’est sans doute que Faust correspond à un sentiment, un archétype universel : il est l’univers en abrégé et l’aspiration de l’humanité. Faust est un passionné sentimental. Il reste proche de nous parce qu’il est un homme, et que comme nous, il commet des fautes.
Il est le drame humain par excellence.
J’ai dit Vénérable Maître,

D\ L\


ANNEXE 1  :  Faust et ses déclinaisonsen littérature, philosophie, musique, peinture…

Avant que Goethe en fasse un mythe, Faust est d’abord un conte relaté par le Volkbuch (« Historia von D. Johann Fausten ») imprimé en 1587, puis popularisé par Christopher Marlowe un an plus tard (1588) dans « The Tragical History of Doctor Fautus ». Citons aussi la pièce satirique « Friar Bacon and Friar Bungay » de l’écrivain britannique Robert Greene qui associe Roger Bacon et Faust. D’autres auteurs vont décliner leurs versions littéraires, du XVI° siècle au XXème siècle, avec pour ne citer que quelque uns des plus connus, J. N. Lessing, A. Pouchkine, Byron, Heinrich Heine, I. Tourgueniev, O. Wilde, Alfred Jarry, Paul Valéry, Jean Giono, Fernando Pessoa, Thomas Mann, M. Boulgakov, Michel Butor et de nombreux autres… Faust a aussi inspiré des philosophes, comme Kierkegaard, Hegel, Schopenhauer, Nietzche, Taine...

Faust a été et est toujours également une source d’inspiration pour de nombreux musiciens symphoniques, (F. Liszt, Beethoven, Schubert, G. Mahler, Berlioz, Gounod, Schumann, Wagner, Stravinsky, …), lyriques et aussi rock n’roll (dans Phantom of the Paradise de Brian de Palma, Radiohead plus récemment) voire death metal ou rap ! La filmographie est également impressionnante, le nom Faust ressortant dans pléthores d’œuvres (Mélies, Bourgeois, Murnau pour n’en citer que quelques uns) ou inspirant indirectement les réalisateurs (la Beauté du diable de René Clair, Star Wars, Angel Heart, l’associé du diable, Ghost Rider où l’année dernière encore l’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam !).

Enfin en peinture, Faust a inspiré un des plus célèbres dessins de Rembrandt, Faust (1650-1652), exposé au Rijksmuseum d’Amsterdam ainsi que Delacroix, Cornélius, Kaulbach, Retzch, Arry Scheffer, Daragnès.

Enfin, afin ne pas alourdir inutilement cette énumération, je me suis permis d’omettre les déclinaisons relatives aux jeux vidéo, à la bande dessinée et à la littérature jeunesse. Pardon, j’ai également « oublié » de citer les ballets…

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