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Histoire de la Franc-Maçonnerie

2 - L'expansion de la franc-maçonnerie

En 1717, quatre loges londoniennes se réunirent pour former la première obédience maçonnique : la Grande Loge de Londres. Cette date marque la naissance de l'institution maçonnique moderne. Avant 1717, les loges étaient disparates et ne constituaient pas une force. Il leur fallait se réunir en obédience pour pouvoir influencer la société. Plus que l'attrait du secret et du symbolisme, le besoin de sociabilité animait les francs-maçons de cette époque. La Réforme avait divisé les Anglais et ce jusqu'au sein de la famille royale. Les loges offraient la possibilité de se réunir et de festoyer par-delà les barrières religieuses. L'ouverture d'esprit qui animait les fondateurs de la Grande Loge de Londres se manifesta par la rédaction des Constitutions d'Anderson, lesquelles n'imposaient qu'une seule « religion » : l'amitié. Malheureusement, les hommes n'étant que des hommes, le conservatisme reprit force et vigueur et en 1738, puis en 1815, la Grande Loge de Londres imposa la croyance en dieu à ses membres.

En France, la franc-maçonnerie serait apparue à Saint-Germain en Laye, en 1688. Les Stuart et la noblesse écossaise réfugiés en France après la Révolution d'Angleterre auraient souhaité constituer une loge dans le célèbre château où naquit Louis XIV. Mais là encore les avis diffèrent quant à la naissance de la première loge française. Etienne Gout soutient que la première loge connue dans notre pays devait sa fondation, le 1er juin 1726, à des militaires irlandais enrôlés dans l'armée de Louis XV. Elle se réunissait dans une taverne à l'enseigne du « Louis d'argent », près de Saint-Germain des prés. André Combes certifie que la première loge française est ouverte en 1725 à Paris par des catholiques stuartistes réfugiés. Cependant, un fait est établi : la naissance de la première obédience française. La première Grande Loge de France aurait été créée entre mai et juillet 1728 par le duc de Wharton, ancien grand-maître de la Grande Loge de Londres. Mise en sommeil, la Grande Loge de France est réveillée en 1735 et choisit Mac Lean comme Grand-Maître. Mais la GLDF était encore dépendante de la Grande Loge de Londres. Pour cette raison, certains historiens ne reconnaissent la création de la GLDF qu'avec l'élection du duc d'Antin à la Grande-Maîtrise en 1738. La même année, le pape Clément XII condamne la franc-maçonnerie. Il craint la propagation du protestantisme et de l'agnosticisme en Europe par le biais des loges. La franc-maçonnerie présente en Grande-Bretagne et en France se développe dans toute l'Europe. La première loge russe naît en 1717, en Belgique en 1721, en Espagne en 1728, en Italie en 1733 et en Allemagne en 1736. Cette rapide expansion est due à la forte représentation des militaires dans l'institution. Ceux-ci étant amenés à se déplacer, contribuèrent à la création de loges lors de leurs campagnes. Hélas, la première obédience française est atteinte de graves troubles. En effet, des clans s'organisent après la mort du duc d'Antin. C'est Louis de Bourbon-Condé qui devient le nouveau Grand-Maître de la Grande Loge de France mais il ne peut empêcher la formation de deux camps diamétralement opposés : les "lacornards" et les "antilacornards". Lacorne est le Second Substitut du comte Louis de Bourbon. Lacorne se serait emparé de la direction de l'obédience en plaçant ses partisans aux postes importants. Les "lacornards" sont des grands bourgeois alors que les "antilacornards" sont des aristocrates. Cette guerre fratricide va entraîner la dissolution de la Grande Loge de France le 24 décembre 1772. Des cendres de cette obédience va naître la Grande Loge Nationale de France (1ère du nom) qui devient le Grand Orient de France quelques mois plus tard.

La cohésion des loges est atteinte avec la création du Grand Orient : en 1773. En 1777, le Grand-Orient de France possédait trois cents loges.

Les francs-maçons sont souvent appelés les « fils de la Lumière », le rapprochement avec le siècle des Lumières est donc facile. Il est vrai que nombre de philosophes furent maçons comme Voltaire, Montesquieu, le marquis de Sade, mais aussi Goethe et Lessing (qui contribuèrent à l'Aufklarung, les Lumières allemandes).

La Révolution française : un complot maçonnique ?

L'appartenance de certains philosophes à l'institution maçonnique va entraîner une des plus grandes mystifications littéraires du XVIIIè siècle : la thèse du complot ourdi par les loges maçonniques contre l'Eglise et l'Etat. Elle est imaginée par le jésuite Augustin Barruel et développée dans les Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme (1797). La mystification de Barruel est bien structurée. Dans un premier temps, il dénonce l'influence des philosophes sur la société française et dénigre leur agnosticisme, voire leur anticléricalisme. Les traces de l'anticléricalisme des philosophes étaient effectivement perceptibles dans le Dictionnaire Philosophique de Voltaire et dans L'Encyclopédie de Diderot.

Dans un deuxième temps, le jésuite tente de prouver l'appartenance des philosophes à la franc-maçonnerie par le biais d'arrière-loges qui auraient été les laboratoires de la Révolution.

Enfin, Barruel crée une théorie qui laissera des traces jusqu'au vingtième siècle : l'influence des Illuminés, sorte de super-maçons qui auraient entraîné les loges à la préparation de la sédition. Barruel s'était appuyé sur la puissance des Illuminés de Bavière, un ordre para-maçonnique aux idées rationalistes.

La réalité historique est fort éloignée des élucubrations de Barruel. La franc-maçonnerie dans son ensemble n'inspira pas la Révolution. En revanche, certaines loges pratiquaient les doctrines philosophiques des Lumières, et notamment la loge des Neuf Soeurs. Les principes de liberté d'égalité et de fraternité était effectifs dans quelques loges. La monarchie n'autorisait le port de l'épée qu'aux nobles. Les loges s'emparèrent de ce symbole de l'élitisme pour le détourner. Les francs-maçons portaient tous l'épée en loge quel que soit leur statut social. Des archives de loges ont été retrouvées au XIXè siècle et les historiens ont constaté avec surprise que la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » figurait dans les registres. Mais cette fraternité effective n'était pas omniprésente en Maçonnerie. L'historien Daniel Ligou signale que les artisans, les boutiquiers, les juifs, les pauvres et les comédiens étaient très souvent exclus des loges. Cette anecdote témoigne de l'absence d'égalitarisme dans la majorité des loges françaises.

Il est donc exact que la franc-maçonnerie n'a pas directement inspiré la Révolution française. Mais il est également vrai que la Maçonnerie accueillit dans ses ateliers des hommes de progrès. Ils firent rejaillir à l'extérieur des temples les connaissances qu'ils avaient acquises en loge. Parmi ces hommes se trouvaient : Marat, Lafayette, Mirabeau et Desmoulins.

Enfin, pour être tout à fait précis, il est important de signaler que la Terreur donna l'occasion au Grand-Maître du Grand-Orient de se faire remarquer. En, effet, Philippe Egalité, cousin de Louis XVI vote en faveur de l'exécution du roi. Sa décision frappe de stupeur l'Assemblée y compris Robespierre qu'on surnomme « le tigre assoiffé de sang ». Le Grand-Maître se justifie par ces mots : Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que ceux qui ont attenté ou attenteront par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort...

Après avoir renié ses racines, Philippe Egalité trahit la franc-maçonnerie en adressant une lettre emplie de mépris au secrétaire du G.O. : Comme je ne connais pas la manière dont le Grand Orient est composé, et que, d'ailleurs, je pense qu'il ne doit y avoir aucun mystère, ni aucune assemblée secrète dans une république, surtout au commencement de son établissement, je ne veux plus me mêler en rien du Grand-Orient ni des assemblées de francs-maçons.

Le XIXè siècle

Affaiblie par la Révolution française, la franc-maçonnerie va reprendre force et vigueur sous le Directoire. Elle va être dûment contrôlée sous le Premier Empire. En effet, Napoléon ne souhaitait pas détruire cette institution, il préféra y faire affilier la majorité de ses maréchaux et une partie de sa famille. Parmi les vingt-six maréchaux d'Empire, dix-huit étaient francs-maçons. Le Grand-Orient fut même dirigé par Joseph Bonaparte, le propre frère de Napoléon, à partir de 1805 et son adjoint fut l'archichancelier Cambacérès. Jamais, dans l'histoire de France, la franc-maçonnerie n'aura été autant contrôlée. L'empereur avait un moment envisagé d'interdire la Maçonnerie mais y avait renoncé à la suite d'une démarche passionnée du Frère Masséna.

Fin stratège, Napoléon savait qu'il valait mieux avoir la franc-maçonnerie avec soi et déclara : Aussi longtemps que la maçonnerie n'est que protégée, elle n'est pas à craindre ; si, au contraire, elle était autorisée elle deviendrait trop puissante et pourrait être dangereuse. Telle qu 'elle est, elle dépend de moi, et moi je ne veux pas dépendre d'elle.

Le 22 octobre 1804, le frère de Grasse-Tilly crée la Grande Loge Générale Écossaise. Napoléon voit d'un assez mauvais oeil la naissance d'une deuxième obédience. Pour être mieux à même de « protéger » la franc-maçonnerie, il impose un concordat au Grand Orient et à la Grande Loge écossaise dès 1804. L'obéissance des loges à l'égard de Napoléon sera soulignée par de nombreux historiens. Cette soumission avait pour raisons l'extrême surveillance de la franc-maçonnerie par la police de Foucher mais aussi la sincère adhésion au régime de la plupart des francs-maçons.

Dans les premiers mois de la Restauration, la franc-maçonnerie va être une période noire pour les loges car Louis XVIII veut procéder à une épuration des cadres de la nation. La police royale mène des enquêtes sur les francs-maçons qui ont joué un rôle important pendant la Révolution et sous l'Empire. De nombreux Frères seront chassés de l'administration. Pour ne pas disparaître, le Grand-Orient et le Suprême Conseil de France (nouvelle obédience créée en 1821) vont afficher leur loyalisme. Le règne de Charles X (1824-1830) est celui d'un franc-maçon qui a perdu le chemin conduisant vers les loges. En effet, le roi a été initié mais il a perdu toute conviction pour l'institution maçonnique. Les cléricaux le pressent de supprimer la franc-maçonnerie mais Charles X sait qu'il est plus facile de canaliser les velléités révolutionnaires des loges en tolérant leurs travaux.

La Révolution de Juillet voit l'avènement de la monarchie parlementaire. En effet, Louis-Phillipe n'est pas le roi de France mais le « roi des Français ». Même si la police de Thiers surveille de près les loges, le Grand-Orient peut travailler sans problèmes et une évolution commence à s'esquisser. L'aristocratie et la haute bourgeoisie s'éloignent des loges au profit de la petite et moyenne bourgeoisie. L'effet de cette évolution va permettre l'entrée des idées libérales. Ainsi, quand en 1848, Louis-Philippe est déchu, les francs-maçons sont gagnés par les idées républicaines. Le Grand-Orient manifeste sa vive sympathie pour la IIè République : La République est dans la Maçonnerie. La république fera ce que fait la Maçonnerie, elle deviendra le gage éclatant de l'union des peuples sur tous les points du globe sur tous les côtés de notre triangle, et le Grand Architecte de l'Univers, du haut du ciel, sourira à cette noble pensée de la République.

La renaissance de la République fut possible grâce au parrainage de plusieurs grands personnages de la littérature française dont le poète Lamartine. Bien que celui-ci ne fut pas Maçon, il avait une certaine sympathie pour la philosophie maçonnique et il soutint les frères qui voulaient retrouver leur influence auprès de l'Etat : Je vous remercie, au nom de ce grand peuple qui a rendu la France et le monde témoin des vertus, du courage, de la modération et de l'humanité qu'il a puisé dans vos principes, devenus ceux de la République française. Ces sentiments de fraternité, de liberté, d'égalité qui sont l'évangile de la raison humaine, ont été laborieusement, quelquefois courageusement, scrutés, propagés, professés par vous dans vos enceintes particulières, où vous renfermiez jusqu'ici votre philosophie sublime.

Mais la franc-maçonnerie n'est pas la seule à solliciter les faveurs de la République, le Compagnonnage entre en concurrence avec elle porté par son principal représentant : Agricol Perdiguier. Le Grand-Orient contre-attaque en augmentant le tarif de ses cotisations. Cela a pour effet d'écarter les artisans. Déçus par le retour de l'élitisme, quelques frères créent une nouvelle obédience : la Grande Loge Nationale de France (2è du nom à ne pas confondre avec celle de 1772). Cette nouvelle fédération veut réunir les hommes sensibles à l'amélioration de la société, quelque soit leur classe sociale.

Le gouvernement voit d'un mauvais oeil cette tentative de réforme de la Maçonnerie et interdit la GLNF en 1851. Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon qui était président de la République depuis 1848 restaure l'empire en décembre 1852. Napoléon III, lorsqu'il était encore Louis-Napoléon, fils de la reine Hortense, avait été initié dans une vendita et avait prêté le serment des carbonari, qui exigeait un dévouement total, jusqu'à la mort. La Charbonnerie était la cousine italienne de la franc-maçonnerie mais elle était nettement plus politisée. Son but était l'unification de l'Italie. De cette expérience, Napoléon « le petit » (comme le surnommait Hugo) retint une leçon : il ne faut pas interdire les sociétés discrètes ou secrètes car elles se reforment et deviennent dangereuses. Comme son oncle, Napoléon III contrôle la franc-maçonnerie en plaçant ses hommes. Ainsi, le prince Murat devient Grand-Maître et occupe ce poste de 1852 à 1861. Il dirige le Grand Orient d'une main de fer mais sa gestion est mauvaise, il se ruine en achetant un hôtel luxueux rue Cadet pour installer toutes les loges parisiennes du Grand-Orient. La principale obédience française est endettée et les francs-maçons sont de plus en plus nombreux à mettre en doute les qualités de Grand-Maître de Murat. Le prince ne supporte pas d'être critiqué et radie quarante vénérables qui avaient protesté contre sa mauvaise gestion. L'empereur ne voit pas d'autre solution que de remplacer le prince Murat. Il nomme un profane comme Grand-maître. En effet, le maréchal Magnan n'est pas maçon, il est propulsé à la direction du G.O. et doit recevoir les trente-trois degrés, qui font d'un homme un « initié », en une seule journée !

Le maréchal prenant son rôle très au sérieux, limitera les interventions du pouvoir impérial. En 1869, Magnan meurt et ses obsèques créent un incident entre l'épiscopat français et le Vatican. En effet, le Grand-Maître avait émis le souhait d'être enterré religieusement avec les insignes maçonniques sur son cercueil. La cérémonie eut lieu à Notre Dame de Paris sous les auspices de Mgr Darboy qui répondit avec humour aux attaques pontificales. Il fit croire au pape qu'il n'avait pas vu l'équerre et le compas qui ornaient le cercueil !

En 1870, l'Empire est affaibli par la guerre menée contre la Prusse et la défaite de Sedan débouche sur l'abdication de Napoléon III. La IIIè République naît, elle sera largement influencée par la franc-maçonnerie. Dès la proclamation du nouveau régime, les frères sont présents au sein du gouvernement. On compte de nombreux maçons parmi les ministres : Crémieux, Garnier-Pagès, Pelletan puis un peu plus tard : Gambetta, Arago et Jules Simon. La jeune République est rapidement mise à mal avec les révoltes de la Commune. Lors de cette période, la franc-maçonnerie est divisée mais les initiatives appelant à l'arrêt des combats sont nombreuses à émaner des loges. La manifestation pacifique la plus importante a lieu le 29 avril 1871, six mille francs-maçons des loges parisiennes se rassemblent Place du Louvre puis dressent leurs bannières devant les remparts provoquant le cessez-le feu des Versaillais. Ils sont partis à huit heures du matin, ont été rejoints par des bataillons de garde nationaux et par cinq membres de la Commune dont Jean-Baptiste Clément, l'auteur du chant Communard : Le temps des cerises. Malheureusement, la conciliation est un échec et trois semaines plus tard les Versaillais entrent dans Paris puis tirent sur la foule.

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Les francs-maçons plantent leurs bannières Place du Louvre

De nombreuses réformes apparaissent dans l'institution maçonnique dans le dernier quart du siècle. En 1877, l'obligation de croire en un être suprême est abandonnée par le Grand Orient et les femmes vont enfin pouvoir recevoir l'initiation qui leur était interdite depuis le début de la Maçonnerie spéculative. Avec la création de l'obédience mixte, le Droit Humain, en 1893, Maria Deraismes (qui avait été reçue clandestinement par la loge maçonnique « les libres-penseurs du Pecq) décide d'utiliser la Maçonnerie pour l'émancipation des femmes. L'écrivain rationaliste sera aidée par le mouvement féministe tout juste naissant. Forte de ces réformes, la Maçonnerie pourra se prévaloir d'être la garante du progrès. Pour appliquer ses idées, elle va se politiser de plus en plus. Les travaux des loges sont axés sur des sujets politiques et sociaux qui le plus souvent se retrouvent dans le programme du Parti Radical.

La Franc-Maçonnerie est la République à couvert. La République est la Franc-Maçonnerie à découvert. Cet aphorisme du frère Gadaud, ministre du commerce en 1894 traduit bien l'influence de la franc-maçonnerie dans la société française. L'année 1894 voit la création d'une nouvelle obédience maçonnique (après le Grand-Orient et le Droit Humain), il s'agit de la Grande Loge de France qui n'a rien à voir avec son prestigieux homonyme de 1728. Cette nouvelle obédience déiste travaille « à la gloire du Grand Architecte de l'Univers » et privilégie la réflexion sur les symboles maçonniques. L'omniprésence des maçons dans la vie politique ne fut pas pour plaire à l'ensemble des conservateurs. Pour cette raison, la Maçonnerie dut faire face au boulangisme. Boulanger, le général réactionnaire était sur le point de prendre le pouvoir et d'anéantir la République en 1889 mais Ernest Constans, maçon et ministre de l'Intérieur réussit à débarrasser la France du dangereux militaire. La démocratie étant sauvée, les francs-maçons allaient pouvoir faire voter leurs idées au Parlement. Un train de lois sociales avait été étudié dans les diverses obédiences prévoyant l'assistance publique intégrale, la suppression de la peine de mort, la fondation des banques populaires, le droit au divorce par consentement mutuel, les retraites ouvrières et le mouvement mutualiste. Ce programme très novateur fut transmis aux francs-maçons parlementaires qui n'en tinrent compte que partiellement, afin de ne pas perdre leurs électeurs souvent effrayés par les réformes. Néanmoins, la Maçonnerie républicaine ou la République maçonnique aura su imposer l'enseignement laïc et gratuit améliorant ainsi la Loi Guizot qui l'avait rendu obligatoire quarante ans plus tôt. Les lois dites « laïques » créées par Jules Ferry établirent une coupure entre les domaines religieux et civils. En 1880, des décrets contre les congrégations excluaient les évêques du Conseil Supérieur de l'Université et en 1882, les écoles primaires furent débarrassées des crucifix. La victoire de la franc-maçonnerie sur l'Eglise ne pouvait que contribuer à la diabolisation des Frères comme en témoigne l'Encyclique Humanum Genus de Léon XIII :

A notre époque, les fauteurs du mal paraissent s'être coalisés dans un immense effort, sous l'impulsion et avec l'aide d'une société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la Société des francs-maçons. Ceux-ci, en effet, ne prennent plus la peine de dissimuler leurs intentions et ils rivalisent d'audaces entre eux contre l'auguste majesté de Dieu. C'est publiquement, à ciel ouvert, qu'ils entreprennent de ruiner la sainte Eglise, afin d'arriver, si c'était possible, à dépouiller complètement les nations chrétiennes des bienfaits dont elles sont redevables au sauveur Jésus Christ [...] Or, les fruits produits par la secte maçonnique sont pernicieux et les plus amers. Voici, en effet, ce qui résulte de ce que Nous avons précédemment indiqué et cette conclusion Nous livre le dernier mot de ses desseins. Il s'agit pour les francs-maçons, et tous leurs efforts tendent à ce but, il s'agit de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes et de lui en substituer une nouvelle façonnée à leurs idées et dont les principes fondamentaux et les lois sont empruntés au naturalisme. [...] Ainsi, dut-il lui en coûter un long et opiniâtre labeur, elle se propose de réduire à rien, au sein de la société civile, le magistère et l'autorité de l'Eglise, d'où cette conséquence que les francs-maçons s'appliquent à vulgariser, et pour laquelle ils ne cessent pas de combattre, à savoir qu'il faut absolument séparer l'Eglise de l'Etat. Par suite, ils excluent des lois aussi bien que de l'administration de la chose publique, la très salutaire influence de la religion catholique et ils aboutissent logiquement à la prétention de constituer l'Etat tout entier en dehors des institutions et des préceptes de l'Eglise.

La lutte intense qui opposa la franc-maçonnerie à l'Eglise donna lieu à une littérature abondante dans les milieux rationalistes mais aussi chez les ecclésiastiques. Pour les rationalistes, les membres de l'Eglise sont des pervers sexuels et Léo Taxil utilisera abondamment ce filon avec des ouvrages comme Les friponneries religieuses (téléchargeable sur http://bnf/gallica.fr) (1880) et Les maîtresses du Pape (1884).

Pour les cléricaux, la franc-maçonnerie est une secte satanique, Mgr Fava révèle ce qu'est, selon lui, Le secret de la franc-maçonnerie (1885) :

[...] jeter Dieu à bas de son trône éternel et de ses autels, pour y mettre à sa place la créature, telle a toujours été la tactique savante de Satan dans sa guerre contre la Divinité et l'humanité : c'est aussi la tactique que l'on retrouve dans le panthéisme maçonnique.

L'affaire Dreyfus allait également amplifier l'antimaçonnisme. Le cas de ce capitaine juif, condamné à tort pour espionnage, passionna l'opinion publique et faillit déboucher sur une guerre civile. Les adversaires de Dreyfus fustigeaient le régime républicain et menaient de violentes campagnes contre ce qu'ils appelaient la " dictature judéo-maçonnique ".

La rumeur est lancée et le créneau littéraire aussi, les ouvrages antimaçonniques vont se suivre en quelques années avec un succès inégal, (Satan et cie par Paul Rosen en 1888, La franc-maçonnerie, synagogue de Satan par Mgr Meurin en 1893) seul un ex-libre-penseur dénommé Léo Taxil saura tirer un réel profit de l'antimaçonnisme, avec une mystification qui durera douze ans.

« L'affaire Léo Taxil »

L'oeuvre de Taxil est vaste, sa période antimaçonnique s'étend de 1885 à 1897. Elle suit un certain nombre de bouleversements historiques : l'avènement de la deuxième République en 1848, le coup d'Etat de 1852 qui sonne le début du Second Empire puis la défaite des Français contre les Allemands provocant la perte de l'Alsace/Lorraine. Sur le plan littéraire, cette période qui va de 1848 à 1870 voit la création de nombreux mouvements comme le romantisme mené par Hugo et George Sand, puis le naturalisme inspiré par les frères Goncourt et développé par Zola. Les années 1870 sont animées par un soucis de rationalisme sur le plan politique, littéraire, religieux et scientifique avec des auteurs comme Littré, Comte et sur le plan politique c'est l'avènement de la IIIè République, la lutte entre l'Eglise et l'Etat, la guerre entre les libres-penseurs et les cléricaux. L'excès de rationalisme provoque une réaction d'un certain nombre d'auteurs et d'artistes. Ainsi, le symbolisme et la décadence viennent bousculer la République libre-penseuse. Moreau, Huysmans et Villiers de l'Isle Adam s'inspirent de la mythologie des sciences occultes pour créer une atmosphère fantastique à leurs oeuvres.

Léo Taxil entre dans le monde littéraire à la suite de tous ces bouleversements, il est tour à tour anticlérical, libre-penseur, franc-maçon puis antimaçon, religieux patriote chantant la gloire de Jeanne d'Arc, la bonne lorraine. Il est une véritable éponge qui boit toutes les humeurs de son époque.

Les mystères de la franc-maçonnerie dévoilés publié en 1886 et Le diable au XIXè siècle édité en 1895 s'inspire de la vogue de l'occultisme et de son roman phare Là-bas dont l'auteur est Huysmans. Les Français fuient le rationalisme trop terre à terre, ils recherchent l'évasion dans le fantastique, ce qui explique le succès des sociétés rose-croix de la franc-maçonnerie alchimiste qui avait été créée un siècle plus tôt par le comte Cagliostro et de tout ce qui peut provoquer le frisson. C'est l'époque du spiritisme et du magnétisme auquel Victor Hugo lui même s'adonnait. L'occasion était trop belle pour manquer de construire une gigantesque mystification littéraire qui utiliserait les ingrédients de l'occultisme : le spiritisme, les messes noires, la franc-maçonnerie; afin de séduire les français et surtout les catholiques. Léo Taxil a su arriver au bon moment, doté d'un argumentaire d'autant plus efficace qu'il pouvait plaire à une majorité qui ne demandait qu'à être bernée.

Le Diable au XIXè siècle et Les mystères de la franc-maçonnerie dévoilés sont bien des mystifications littéraires car ces oeuvres ont pour but d'exciter la raillerie générale contre la franc-maçonnerie. De plus, leur auteur dirige implicitement ses écrits contre l'Eglise catholique dans le but de se jouer de la crédulité des ecclésiastiques. Léo Taxil en donnant à croire que le diable existe et qu'il évolue dans les loges maçonniques, fustige l'encyclique pontificale Humanum Genus . Léon XIII voulait voir dans la franc-maçonnerie le royaume de Satan. Par conséquent, Léo Taxil composa sa mystification dans le sens agréable aux catholiques.

Néanmoins, il ne faut pas mettre sur le même plan la mystification littéraire de Léo Taxil et celles des auteurs auto-proclamés Fumistes, Hirsutes, et Hydropathes. Ces auteurs composaient des canulars basés sur le pastiche qu'on pouvait ressentir comme une forme d'hommage aux écrivains parodiés. En revanche Taxil ne fit pas l'éloge du pape le 19 avril 1897, quand il révéla sa mystification. De plus, les plaisanteries de Taxil n'étaient pas toujours bienveillantes. L'auteur du Diable au XIXè siècle n'a pas hésité à verser dans l'antisémitisme le plus ordurier pour satisfaire les fantasmes de ses lecteurs.

Le canulard de Léo Taxil est repris par l'extrême-droite et les fanatiques du "complot". Un ancien témoin de Jéovah (M. Leblank) est persuadé que la franc-maçonnerie est à l'origine de la secte dont il a fait partie.

Un certain Mr. Poinsard (apparemment nostalgique d'une époque ou la monarchie et le christianisme étaient absolus, d'après les idées et les images véhiculées par son site) tente de faire croire que la vraie supercherie fut, pour Taxil, de transformer une "réalité" (le Palladisme) en "mystification". En clair, ce M. Poinsard croit encore aux anges et aux démons ou est assez naïf pour penser que des gens sérieux vont tomber dans le piège qu'il tend en se faisant passer pour un éditeur spécialisé dans l'histoire de la "Haute Maçonnerie". Le but réel de ce monsieur et de sa maison d'édition intitulée, "Editions Sources Retrouvées" est de diffuser une pensée dégageant des remugles méphitiques : celle qui conduit les être humains dans des prisons ou des camps simplement pour ce qu'ils sont ou ce qu'ils pensent.

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