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Les devoirs du maître maçon

Devoir, provenant du latin « débéré » (choses dues), est un des tous premiers mots à marquer durablement l'esprit et la conscience de l'humain. Au moment où il commence à réaliser qu'il est indépendant, qu'il n'y a plus de cordon, celui-ci a bien été coupé pour toujours, que de surcroît il jouit d'un espace de liberté qui ne fera grandir qu’avec les ans. Le petit homme découvre en lui cette énorme faculté, ce trésor qui était caché dans le grand labyrinthe de sa petite tête : le pouvoir de dire non. Non, je ne mangerai pas, non je ne dormirai pas, non, non et non. Alors même qu'il commence à abuser avec plaisir de son nouveau pouvoir, un nouveau mot vient ébranler, déranger son juvénile enthousiasme ; c'est bien évidemment le mot devoir, devoir à faire, devoir à rendre, devoir à remplir. Tel le temps qui marque profondément de son empreinte les traits de nos aïeux, la conscience du devoir à accomplir s'inscrit très tôt et définitivement au plus profond de son être. Certains pensent qu'il s'agit en réalité d'une reprise de conscience, à l'occasion d'une renaissance, d'un concept appartenant à l'inconscient collectif. En fait nul n'ignore qu'il a des devoirs et qu'il a la capacité de s'y soustraire mais qu'il ne peut le faire sans risquer de troubler sa tranquillité physique ou morale.

On peut d'abord différencier dans le mot devoir d'une part le verbe et d'autre part le nom, bien que la notion philosophique se rattache largement à ce dernier, l'action telle qu'elle est éclairée par le verbe peut aussi renseigner sur son sens.

Le Verbe

Le devoir pris comme action peut d'abord marquer une nécessité, condition sans laquelle une chose ne pourrait advenir. Pour illustrer, on pourrait simplement reformuler l'adage « il n'y a pas de fumée sans feu » par « il doit y avoir du feu pour qu'il y ait de la fumée » : dans les 2 cas « devoir » renvoie à un conditionnel logique.

Une deuxième définition est aussi possible pour le verbe, celle-ci renvoyant davantage à une personne morale. Là où la première explicitait simplement une nécessité d'ordre naturel, logique, il est possible de « devoir » par convenance envers quelqu'un. Dans ce cas, il désigne non pas ce qui est nécessaire mais simplement qu'il « vaut mieux » que cela soit ou ne soit pas. On retrouve ici évidemment le devoir moral, comme par exemple « tu dois être poli ». La politesse n'est pas nécessaire, elle ne va pas de soi et il est possible d'être malpoli ; c'est pourquoi on énonce un impératif afin de contraindre l'autre à le respecter. Cette définition renvoie immédiatement à une forme d'activité : seule l'action peut ainsi être contrainte car pour réellement devoir, ne faut il pas pouvoir l'inverse ? Devoir s'oppose ainsi à l'être ou ne doit pas être et renvoie à une opposition du type bien/mal, vrai/faux...

Le Nom

Pris au sens abstrait, il est ici pleinement considéré comme l'obligation morale, non pas à travers telle ou telle règle ou action particulière mais prise pour elle-même. Il s'agit tout simplement du devoir que l'on rencontre avec l'impératif catégorique kantien. Pour rappel Emmanuel Kant (philosophe allemand du 18ème siècle, fondateur de l'idéalisme transcendantal) (réflexion sur le rapport entre le nécessaire et le possible) définit 2 types d'impératif hypothétique (moyen pour atteindre une fin comme « brosse-toi les dents pour éviter les caries ») et l'impératif catégorique sans alternative (sois poli).

Le deuxième sens concerne en revanche une action particulière et concrète. Un citoyen a par exemple des droits et des devoirs. S'oppose en ce sens la première définition, très conceptuelle. On rejoint ici parfaitement le domaine du droit avec des devoirs correspondants à chacun en fonction de sa profession, de son statut social... Dès notre premier contact avec la Franc Maçonnerie, nous sommes amenés à réfléchir et prendre conscience de tous les devoirs qui nous incombent. Puisque le grade de Maître n'est que le résultat d'une évolution, il me semble important de parler des devoirs durant toute cette évolution et donc des devoirs de l'apprenti, du compagnon et pour finir ceux du Maître Maçon envers lui-même, ses Frères et la société dans laquelle nous devons apporter tout ce que nous avons pu entendre, comprendre de Midi à Minuit. Tout commence dans le cabinet de réflexions avec le Voyage de la Terre durant lequel le profane rédige son testament philosophique avec 3 questions fondamentales :

Qu'est-ce qu'un homme doit à son créateur ?
Que se doit-il à lui-même ?
Que doit-il à sa famille et à sa patrie ?

A son arrivée en loge et après avoir sondé son cœur, le Vénérable l'informe des obligations et devoirs qui lui sont imposés. Ensuite vont suivre les 3 autres voyages et toute un série d'engagements et de devoirs à prendre : engagement sans faille, respect du secret, assiduité, soumission aux statuts généraux de la GLNF et aux lois particulières de l'Ordre Ecossais Ancien et Accepté, jurer le silence sur les travaux, aide et soutien à tous les Frères sans nuire ni à soi-même ni à sa famille, la nation, rayonner, être un homme d'honneur intègre, fuir le vice, pratiquer la vertu.

L'apprenti a pour premier devoir de travailler sur sa pierre, sur lui, pour la dégrossir. Il va donc travailler avec les premiers outils qui lui sont confiés. Mais un des principaux devoirs qui lui est demandé d'honorer est le silence, silence qui entraine l'écoute, l'analyse et la compréhension, donc une faculté plus forte à relativiser et à analyser.

Lors de la cérémonie de passage au grade de compagnon, à la fin du premier voyage, il lui est signifié le devoir de développer ses 5 sens car ils constituent le moyen de contrôle indispensable pour une recherche sur sa nature profonde « connais-toi toi-même ». Ils représentent les outils nécessaires à la prise de contact avec l'extérieur.

Au deuxième voyage, on informe le compagnon qu'il doit aussi s'efforcer à devenir une colonne vivante qui s'élève vers les hauteurs, tout en s'appuyant sur la terre qui lui a donné naissance. C'est la maîtrise de la matière. Dans le troisième voyage, il va devoir chercher à acquérir les connaissances nécessaires en procédant toutefois à la prudence qui s'impose à nos faibles moyens. Il ne doit pas présumer de ses forces, demeurer modeste pour qu'en finalité il obtienne des résultats que nul profane ne puisse obtenir. On passe du matériel à l'intellectuel. A la fin du quatrième voyage, il en déduit qu'il lui faudra toujours s'efforcer, selon ses moyens, de répandre les enseignements. C'est aussi la connaissance du Cosmos. Pour terminer, son cinquième et dernier voyage lui enseigne que le travail constitue pour le Franc-Maçon une véritable mission. Quelle que soit la place qu'il occupe sur le chantier, même la plus humble, son effort concourt à la réalisation de l'ordre cosmique. L'esprit devient un outil du fait de l'assimilation des 4 voyages précédents.

A la cérémonie d'élévation du compagnon au grade de maître, le Très Vénérable Maître pose la question suivante « croyez-vous avoir rempli tous vos devoirs d'homme d'honneur et de Franc-Maçon ? » La réponse, très humble, jaillit : « je m'y suis toujours efforcé V\ M\ ». Lorsque je relis le rituel de ce grade, la notion de devoir se révèle omniprésente. Quelques exemples : éclairer les hommes pour les rendre meilleurs/la sagesse dans sa conduite, la force dans l'union avec ses frères et la beauté dans son caractère (allusion aux 3 colonnes)/le cœur d'un maçon doit être assez pur pour être un temple agréable au Grand Architecte de l'Univers/chercher ce qui a été perdu, rassembler ce qui est épars et répandre partout la lumière, donc la connaissance/être toujours entre l'équerre et le compas, symboles de la sagesse et de la justice. Un bon maçon ne doit jamais s'en écarter/plutôt la mort que de trahir le secret qui m'a été confié. Ainsi périt l'homme juste, fidèle au devoir jusqu'à la mort. Cette finalité marque la synthèse des obligations reconnues, comprises et assumées, synthèse caractérisant l'homme juste. Pour ce qui est de ses devoirs, le Maître doit se souvenir de tous ces engagements qu'il a pu prendre pour les honorer. A partir de là, une autre dimension se crée pour lui pour s'élever et comprendre que sa position sur terre consiste à apporter aux autres, aussi bien en maçonnerie que dans la vie profane.

L'apprenti et le compagnon recherchent la connaissance, la lumière. Le maître est un homme d'action tendant vers l'extérieur. Son grade représente le symbole d'une ascèse intérieure devant provoquer une évolution spirituelle menant à la compréhension élargie de la notion de Devoir. Il admet que le devoir n'a de sens que par rapport au bien. La contradiction existe entre le fait que le devoir semble émaner de soi et le fait qu'il nous contraint. Ce sentiment est donc inséparable de l'idée que l'on se fait du bien, de l'attrait que nous avons pour le bien. Il nous grandit car il nous fait passer de l'individuel au collectif.

Si l'apprenti et le compagnon sont en droit de se demander ce qu'ils ont récolté après avoir assisté aux travaux de la loge, le maître a l'engagement de faire le bilan de ce qu'il a semé en loge mais aussi entre minuit et midi ; l'essentiel de son existence étant dans le monde profane. Participer aux travaux de la loge et rencontrer ses frères sont une chose, mettre en pratique les enseignements à l'extérieur en est une autre. Il s'engage dans une obligation de moyens et non de résultats. 3 niveaux de devoirs lui sont demandés :

participation aux travaux de la loge en laissant ses métaux à la porte du Temple ;
participation active et non pas présence passive ;
consécration à son perfectionnement moral en continu et à l'alchimie de son être intérieur par la compréhension du rituel, ses outils, ses frères et avec assez d'humilité pour réaliser à quel point il sait tout ce qu'il ne sait pas.

Ces devoirs contribuent à l'édification d'un monde meilleur, plus juste, plus humain ; objectif final de son serment.

Il doit également s'imposer des devoirs dans son comportement pour parler uniquement de ses expériences réellement vécues afin de suggérer sans imposer, montrer par l'exemple personnel (souvenons-nous de la phrase de Lao Tseu : guider sans contraindre, éclairer sans éblouir). En loge, il donne le meilleur de lui-même sans vouloir éblouir soit par ses connaissances maçonniques soit par ses réussites extérieures.

Un autre aspect de son comportement est sa faculté à vivre l'instant présent, c'est à dire de donner la plus grande importance à l'ici et maintenant. En vivant ce moment unique, il sera en pleine possession de lui-même pour mieux gérer sa vie. Son passé ne lui servant que pour les leçons et expériences acquises, son futur n'étant créé que par son action consciente du moment présent.

Bien sûr, il ne faut pas oublier le sentiment de gratitude que doit animer tout maître maçon pour le don de la vie qui lui a été donné, envers la Franc Maçonnerie et ses frères qui participent à son évolution.

Pour conclure, le Maître Maçon est un homme éclairé qui doit développer le perfectionnement de son Etre, sans pour autant qu'elle soit méprisante vis à vis d'autrui, bien au contraire. Cette idée se révèle celle de la dignité, de son propre respect. Il est le seul à pouvoir, en conscience, définir à quel niveau il place cette idée. Même si l'existence le ramène sans cesse à sa seule dimension matérielle, sa démarche consiste à tenter d'élever son esprit, acte volontaire constituant une véritable ascèse avec la capacité de progresser continuellement tout en restant humble, au service de son bien-être et celui des autres, bi-polarité essentielle dans la notion du devoir.

Vous l'avez compris, ma quête de Maître Maçon, à travers mes devoirs, est d'approcher le Bien et donc chercher la vérité. Mais je ne vous cache pas que plus j'avance dans les âges et plus je me pose des questions qui j'espère trouveront des réponses parmi le chemin initiatique de ce quatrième degré :

Qu'est devenu le corps de Maître Hiram ?
Que sont devenus les Compagnons assassins ?
Comment pourrons-nous retrouver la parole perdue ?
Quels sont les secrets que le Maître Hiram a emportés dans la mort ?
7 ans et plus ?

Je place l'espoir que la maîtrise n'est pas un état figé, une fin d'escalier, un signal d'arrêt. Elle est peut être une pause servant à mieux assoir sa connaissance des outils et des hommes. Et si elle représentait un véritable palier ouvrant des espaces encore plus infinis sur le chemin de la Vérité, un vaste champ spirituel de la Connaissance ?

Permettez-moi de finaliser ce travail sur 2 citations qui correspondent à mon VITRIOL :

Celle de Gottfried BENN (écrivain allemand du 20ème siècle) – « se tromper et devoir cependant accorder sa confiance à son être intérieur, c’est cela l’Homme ». Celle de Baudelaire (1887) – « faire son devoir tous les jours, et se fier à Dieu pour le lendemain ».

J'ai dit.

P\ G\


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