GODF Loge : Union et Fraternité - Orient de Caen Date : NC

Que penser du projet

d'améliorer l'équipement génétique

de l'humanité ?

La biologie exerce sur la société contemporaine une emprise qui va en s'accentuant. L'homme est déjà en mesure d'intervenir de façon industrielle sur les végétaux en modifiant leurs programmes génétiques pour les faire pousser plus vite, les rendre plus résistants aux agents pathogènes, aux parasites. Des souris génétiquement modifiées permettent d’étudier la localisation et la fonction des gènes impliqués dans les maladies héréditaires de l'homme. Le génie génétique a permis d'obtenir des organismes transgéniques clonés chez lesquels des gènes humains ont été introduits pour leur faire sécréter des produits biopharmaceutiques, hormones ou vaccins.

Ces avancées technologiques posent de graves problèmes de tous ordres à la fois biologiques, hygiéniques, éthiques et législatifs... Nul ne saurait s'offusquer de ce que l'homme tente, grâce à son savoir, de maîtriser la nature et même sa propre nature biologique. Dans le domaine médical, les acquisitions des deux dernières décennies en génétique humaine ouvrent un vaste champ à de multiples interventions. Le projet d’améliorer l'équipement génétique de l'humanité n'est plus tout à fait un rêve ou une chimère ; il est certain, comme l'écrit le biologiste P. de Puytorac (1998) que: "La maîtrise en cours de la programmation générique donnera à l'homme le pouvoir de modifier l'individu, l'espèce, s'il le veut, donc de modifier la nature humaine telle que l'a modelée jusqu'ici l'évolution biologique». Il est donc légitime de s'inquiéter des effets possibles d'une science qui est en mesure d'intervenir sur l'équipement génétique des générations futures.

Les conséquences de ces manipulations sont difficiles à appréhender car beaucoup d'interventions peuvent paraître souhaitables aujourd'hui mais les répercussions de certaines découvertes sont parfois impossibles à prévoir dans l'état actuel de nos connaissances. Il faut avoir le recul que confère le suivi expérimental des organismes modifiés. D'où 1'embarras et les dissonances des experts quant aux OGM (Maïs, Colza).

Qu'en est-il actuellement du possible en génétique humaine ?

La détection des maladies génétiques ouvre une ère nouvelle à la médecine qui, dans le cadre de ces pathologies, ne se contera plus de soigner mais visera à empêcher d'être malade. A la médecine curative succèdera dans ce domaine une médecine prédictive et préventive. On commence à expérimenter des méthodes de thérapie génique et l'on pourrait dans le futur implanter des gènes pour réaliser des individus transgéniques sains. Ces techniques ont été maîtrisées chez certains animaux et sont employées de façon industrielle chez les végétaux (OGM : organismes génétiquement modifiés).

L'étape essentielle consiste en la réalisation du projet "GENOME HUMAIN " qui implique la connaissance de l'agencement moléculaire et la cartographie des gènes, portions de chromosomes responsables de l'hérédité. Le grand public exerce une pression très forte pour que ce travail soit mené à bien le plus rapidement possible ; il soutient de façon très généreuse cette recherche (Téléthon), ce qui a permis en France la création du Généthon d'Evry, centre qui a pu prendre deux années d'avance sur les recherches similaires effectuées aux USA grâce à des techniques révolutionnaires de séquençage.

Quelques explications sont nécessaires pour comprendre cet exposé. Les chromosomes sont essentiellement constitués d'un ensemble architectural nommé l’ADN ou acide désoxyribonucléique, gigantesque molécule qui contient des phosphates et des sucres (ribose) liés à des bases. Ces dernières au nombre de 4 constituent l'élément essentiel de l'hérédité. Leur agencement dans la molécule va constituer un véritable langage à 4 lettres ou code génétique (A-T. G-C). Ainsi, chaque gène aura un vocabulaire particulier défini par la séquence de ces bases. Ces séquences transcrivent un message qui traduit dans la cellule assure sa multiplication, sa différenciation, sa croissance, sa réparation et son fonctionnement grâce à la fabrication d'enzymes. La recherche consiste à "baliser" les chromosomes, c'est à dire à déterminer la position et la structure moléculaire des gènes. Ces derniers sont situés sur la longueur d'environ 1m. 50 occupée par les 3 milliards 1/2 de bases, l’ensemble pouvant être comparé à un texte de 2 millions de mots repartis dans les 23 chapitres que constituent les 23 paires de chromosomes de l’homme. Travail démentiel si l'on sait qu'un gène renferme environ 20.000 bases et que l'on ne peut jusqu'ici séquencer que 3000 bases à la fois. Ceci implique de recoller, grâce à des techniques informatiques, les extrémités identiques des fragments obtenus pour reconstituer la séquence d'un gène. Il faut également savoir que les gènes fonctionnels ne dépassent pas le nombre de 100.000 chez l'homme. I1s sont séparés sur les chromosomes par de vastes régions "muettes" dans l'hérédité. La connaissance des séquences des gènes est donc fondamentale. On sait en effectuer une copie et obtenir ainsi une sonde qui permettra de reconnaître ce gène chez un individu et de détecter une anomalie génétique.

Mais connaître un gène ne suffit pas pour guérir une maladie. Il faut connaître les mécanismes de son action au départ desquels se situent les molécules qui déclenchent ces processus, ce qui permettra de guider la thérapeutique qui jusqu'ici ne s'exerce qu'au hasard. On comprend alors la compétition entre les équipes de recherche car les applications thérapeutiques mettent en jeu des intérêts économiques puissants représentés par les trusts de produits pharmaceutiques.

Aussi, en 1997, la 9ème conférence générale de l'UNESCO a publié un projet de déclaration sur le génome humain reconnu comme "patrimoine commun de l'humanité", ainsi que sur les droits de la personne, les directives pour les recherches et les pratiques en génétique mais cela ne fait pas force de Loi. Aussi des fissures apparaissent déjà. Des Brevets auraient été pris par certaines industries sur la séquence de certains gènes. Depuis une année, le Parlement islandais bataille pour savoir si la population islandaise peut- être génétiquement fichée, contrat juteux proposé par HOFFMAN-LAROCHE et sa filiale USA, DE CODE GENET1CS. En effet, la population islandaise au départ très réduite et à fort effet fondateur à évolué pendant des siècles sans apports génétiques extérieurs. C'est un matériel idéal pour débusquer à l'aide des données généalogiques génétiques et médicales, les gènes impliqués dans de rares maladies génétiques. Qui ont pu ici se concentrer à une fréquence plus élevée que la moyenne ? Le principal problème dans cette affaire, c'est qu'elle comporte une dérive commerciale totalement extra-scientifique d'autant plus dommageable que ce projet est riche de promesses au plan scientifique à la condition de garder la confidentialité et que les données médicales et génétiques ne soient pas versées dans le fichier généalogie.

Répercussions possibles des manipulations sur le génome humain.

Médecine prédictive et préventive

Grâce aux techniques de génétique moléculaire, la cartographie des chromosomes avance : on a pu situer les gènes correspondant à certaines maladies génétiques, d'abord sur le chromosome sexuel X (l'hémophilie par exemple) puis une cinquantaine d'autres sur les chromosomes non sexuels. Comme la myopathie de Duchenne, la mucoviscidose, la maladie de Huntington (dégénérescence du système nerveux à partir de 40 ans) et même récemment celui de la sclérose en plaque ... Il faut savoir qu'il s'agit de maladies monogéniques dépendant d’un seul gène qui à l'état récessif sur les deux chromosomes de la même paire provoque la maladie. Les sondes obtenues par le séquençage du gène permettent le dépistage sur des porteurs de gènes des maladies récessives (par exemple) celui de la mucoviscidose) ou sur des embryons avant leur implantation ou sur des fœtus (diagnostic anténatal). Prochainement il pourra être commercialisé un test polyvalent permettant de détecter plusieurs gènes défectueux. Aux USA, des laboratoires pharmaceutiques ont mis au point un kit de détection de gènes du cancer du sein et s'apprêtent à en commercialiser un pour le cancer du colon.

Les répercussions de la médecine prédictive au niveau humain et social doivent être évoquées. En effet, il est souhaitable d’effectuer des prévisions quant à l’émergence des maladies génétiques héréditaires ce qui permettrait de prévenir des malheurs et aussi de réduire les dépenses de santé.

Mais de nombreux problèmes se posent alors. Ces dépistages doivent-ils être pratiqués de façon systématique ou seulement chez certains ? Les dossiers médicaux doivent-ils être communiqués et à qui ? Comment informer une personne qu’elle risque d'être atteinte de dégénérescence du système nerveux vers 40 ans ou des parents que leur enfant se trouvera un jour dans cette situation ? Comment préparer une personne à l’éventualité d'interventions préventives dans le cas de risques de cancers ? Cela se fait déjà à la Mayo clinique aux USA. (Rochester, Minnesota).

Les assurances ou les employeurs doivent-ils avoir connaissance des dossiers médicaux ? Doit-on interdire certains travaux à hauts risques à quelques catégories susceptibles d'handicaps génétiques? Proposé par le Comité National d'Ethique, cet aménagement fut refusé par la CGT en se référant à l’Article 6 de la Déclaration universelle sur le génome humain" nul ne doit faire l'objet de discriminations fondées sur des caractères génériques". Aux USA, cette proposition fait force de loi pour les employeurs mais ne s'applique pas aux assurances. De nombreux dérapages peuvent ainsi être engendrés par la médecine prédictive.

Dans le domaine de l'anticipation, on peut penser qu'un couple ne se contentera pas seulement de choisir la date de conception d'un enfant et de connaître son sexe. Déjà, l’imagerie médicale permet de détecter les malformations et chez les femmes ayant dépassé 35 ans, il est fréquent d’effectuer une recherche de trisomie. Mais il pourra ensuite être exigé la détection de maladies génétiques sur le fœtus ou même sur 1'embryon à implanter. A l'extrême quand un couple sera satisfait du produit, le clonage pourra permettre d’obtenir plusieurs enfants identiques. On est là sur la voie d'un "eugénisme médicalisé "(L. TESTARD, 1990), d'autant que le tri d'embryons est déjà une pratique courante dans les laboratoires de fécondation in vitro. La loi précise que le diagnostic génétique pré-natal, comme acte médical, doit actuellement être exécuté dans une intention thérapeutique, qu'il ne doit pas faire courir au patient un risque supérieur au bénéfice escompté et qu'il doit être précédé d'un consentement éclairé.

La thérapie génique

A Bruxelles en I987, 22 associations de malades hémophiles ont adopté un texte suivant lequel "Chaque être humain à le droit d'hériter d'un patrimoine génétique non modifié mais doit accepter la thérapie génique". Dans ce domaine, des essais cliniques sont actuellement tentés en Europe et aux USA sur des patients volontaires. Le problème est d'introduire un gène dominant d'un individu sain qui annulerait les effets des gènes récessifs causant la maladie comme dans le cas de la mucoviscidose, de certaines formes de myopathies ou d'affections du système nerveux (dégérescence, épilepsie, maladie de Parkinson) ou pour déclencher un renforcement de la défense immunitaire. La seule technique applicable actuellement est d'accrocher la séquence de ce gène au génome d'un virus non pathogène. Cet agent vecteur sera transmis à l'homme et le génome viral porteur du gène s’intégrera alors au génome du patient récepteur. Il faut que ce virus soit inoffensif pour l'homme, ce qui est un pari car un virus inoffensif qui a accroché des molécules étrangères pourrait devenir pathogène. En outre, l'introduction de séquences du gène viral peut introduire l'apparition de caractères nouveaux mais aussi modifier l'expression de certains gènes du patient et provoquer des troubles organiques graves. Dans le cas où le virus introduit deviendrait pathogène, il risque immédiatement d’affecter le personnel soignant puis les autres malades, sans compter la dissémination à l'extérieur de l'hôpital. Il faut donc prendre de très sévères précautions pour réaliser ces tentatives de thérapie génique, ce qui pose des problèmes économiques. Compte tenu du prix prévisible très élevé de telles thérapies, à qui les réservera t'on ? Lorsqu'il s'agit d'une maladie très rare (moins d'un cas sur mille) la rentabilité de la thérapie n'étant pas assurée et les produits ne seront pas préparés par les firmes pharmaceutiques. Enfin lorsqu'un malade aura été guéri d'une maladie génétique, il faut bien être conscient que ce n'est une solution de première génération ; qu'en sera t'il des générations suivantes ?

Individus transgéniques.

Le processus de modification du génome consiste à introduire les gènes que l'on estime bénéfiques et qui ainsi se transmettront de génération en génération. Cette manipulation s'avère excessivement délicate et si on la réalise assez facilement sur les végétaux, son application à l'homme n’est pas encore concevable dans un proche avenir. La technique est très difficile: comme dans la thérapie génique on accrochera si l'on peut plusieurs gènes à un virus vecteur mais ici c'est dans la cellule oeuf (ovule) qu'il faudra les introduire avant la fécondation. Ainsi, celle-ci ne pourra s'accomplir qu'in vitro et 1'embryon devra être implanté dans une mère porteuse. On pourra aussi prévoir la possibilité de clonage.

Au-delà du caractère très aléatoire de telles manipulations, elles présentent les mêmes risques d'infection virale que pour la thérapie génique. Plus encore. Que pour cette dernière technique, l'introduction de plusieurs gènes peut modifier les rapports entre gènes que l'on sait très importants car l'expression de beaucoup de caractères et de fonctions physiologiques dépend de la coopération de multiples gènes. Il peut en résulter des monstruosités morphologiques et ( ou ) de nouvelles maladies génétiques ... On ne peut donc en mesurer les risques, d'où la plus extrême prudence car notre patrimoine génétique s'est équilibré au cours d'une très longue évolution ; Ne jouons pas avec le feu.
Dans l'hypothèse la plus favorable où l'on pourrait obtenir des manipulations génétiques le modèle humain désiré, à quel type irait notre préférence : Serait-elle d'ordre national, ethnique, esthétique, ou privilègerait-elle l'intelligence, la force, la soumission ? On verse alors dans le piège de l'eugénisme précédemment évoqué pour les sélections que seraient tentées de faire la médecine préventive. Théorie issue en 1886 des réflexions de Vacher de Lapouge, fervent laïque et fidèle admirateur de Darwin, il recommande la sélection des individus les plus aptes. L'eugénisme finira par prôner l'avortement, l'infanticide pour éliminer les tares génétiques et le "service sexuel" pour la reproduction des élites. Son aspect " atténué" et visant à une amélioration de la santé a été soutenu en France par un courant médical représenté par Ch.Richet (La sélection humaine) et par A. Carrel (L'homme, cet inconnu). L'eugénisme a connu une application aux USA où 30 Etats avaient adopté, de 1907 à 1917, une loi ordonnant la stérilisation des épileptiques, des débiles mentaux ainsi que des condamnés pour crimes sexuels. Il a atteint les sommets de l'horreur avec l'extermination des races dites " inférieures" par les nazis et avec les récentes purifications ethniques.

En conclusion

Je vous livre mes réflexions en tant que maçon et biologiste. Si nous n'y prenons garde, la biologie pourrait exercer un pouvoir de domination sur la société d’autant que les théories sociobiologies, très en vogue dans le monde anglo-saxon, affirment que les hommes comme " tous les êtres vivants ne sont que des machines à perpétuer les gènes" ( E.O.WILSON, 1978 ). Les récentes divagations sur le gène de l'homosexualité, celui de la criminalité et très récemment celui du bonheur ont été immédiatement médiatisées par des journalistes avides de sensationnel. Il y sont incités, surtout aux USA, par des groupes de pression qui souhaitent attribuer aux gènes, dans des buts politiques, certains comportements ou traits psychologiques. Le modèle sociobiologique édifié pour des animaux dont le comportement est fortement sous la dépendance de la génétique, comme celui des insectes sociaux, ne s'applique pas aux mammifères. La réalité est bien autrement complexe. L'homme est façonné non seulement par son patrimoine héréditaire mais aussi par sa famille et la société. A l'inné génétique se superposent les actions du milieu et de la culture. Ainsi sont acquis les apprentissages et les savoirs qui guident ou régulent les comportements. Réfléchissons : l'être vivant-machine serait soumis inéluctablement à la disparition; c'est grâce à ce dialogue incessant entre les gènes et le milieu qui a constamment varié depuis la formation de la terre, que l'évolution, l’adaptation et la sélection ont été possibles.

Il est donc légitime de s’inquiéter des risques encourus par une humanité capable de modifier ses propres structures biologiques, fruit de l'évolution, non seulement en fonction de déviations génétiques incontrôlables mais aussi des dangers de manipulations sociales et politiques au service d'un eugénisme qui condamnerait les êtres génétiquement non parfaits comme le montre avec pertinence le récent film d’Andrew Niccol "Bienvenue à Gattaca". Mais, s'il convient de ne pas trop jouer les "apprentis sorciers", il serait aussi dangereux de considérer que toute technique génétique est un attentat sacrilège contre " mère nature". Nous retombons sur l'éternel dilemme : comment permettre à la science d'avancer sans hypothéquer l'avenir de l'homme et de la société. Ce conflit entre conservateurs et progressistes s'enlise dans la prolifération des réglementations qui ne sont que des compromis entre diverses pressions. De façon paradoxale, ce progrès qui devait accroître la liberté de l'homme l'enferme dans un labyrinthe.

Là où la nature commet des erreurs et produit des monstruosités, l'homme n'a t'il pas de droit d'intervenir sur ses propres structures génétiques? Cela comporte des risques mais comment pourrait-on condamner le projet de supprimer les maladies héréditaires et de donner aux individus à naître la chance de mener une vie libre et digne en éliminant les plus grands handicaps ? Le vrai problème est celui de l'amélioration en supprimant les dysfonctionnements biologiques liés à certaines maladies; il convient d'encourager dans ce domaine la recherche bio-médicale. Mais s'il s’agit se servir des ambitions familiales ou sociales en perfectionnant des individus dans des buts qui n'ont rien à voir avec la vie biologique, on est en pleine dérive eugénique. Il reste alors à définir les conditions morales et politiques de l'amélioration du génome humain; c'est la tâche urgente d'une bioéthique et d'une bio politique. Le Franc Maçonnerie doit y réfléchir et faire entendre ses propositions.

Références : F. Dagonnet : La maîtrise du vivant ( I988) Ed. Hachette P. de Puytorac : De la biophilosophie à une éthique de la biologie (1998) L'Harmattan J. Russ : La pensée éthique contemporaine ( 1995) PUF. Que-Sais-je?


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