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Le Neuvième pas

Huit pas ! Me voilà bien avancé… L'idée de traiter le 9ème a déjà été exploitée, par une sœur qui, en quelques dizaines de magnifiques alexandrins, avait su exprimer tout ce qu'elle voyait de beau dans sa recherche. Je ne vais pas écrire en vers, donc, puisque ça a déjà été fait. Pardonne-moi, ma sœur Sylvette, de reprendre ton sujet.

J'ai donc fait 8 pas, et il faut que je continue de progresser. Si je ne cherche pas plus loin, je stagne. Et si je stagne, je régresse, ou pire encore, je croupis, comme l'eau stagnante. Avancer, oui, mais pour aller où ? Si je sais ce que je cherche, je trouverai plus facilement la méthode pour y parvenir. Et je saurai si mon travail se fera dans la solitude, ou dans l'union avec les autres. Mais il faut marcher. Le 3ème degré n'est pas l'oméga, mais l'alpha d'un monde nouveau, dans lequel je n'entrerai pas en restant immobile.

A quoi me servirait-il d'avoir surmonté l'épreuve que m'imposèrent les 3 mauvais compagnons, si je devais me contenter d'être le Maître ressuscité, si je devais me considérer comme achevé ? Rien n'est fini, la quête commence. J'ai les outils, je connais les mots, il me reste à retrouver la Parole perdue, cette parcelle de paradis, ce morceau d'Eden dans lequel m'attend, peut-être, la Compagne idéale. Ou ce morceau de pierre qui me fera bâtisseur. Ou n'importe quoi d'autre, ou rien, qui me fera penser, simplement, au seuil de l'orient éternel, que si je n'ai pas trouvé, au moins j'aurai cherché.

Me voici au 9, pour ne pas dire à neuf. J'ai des outils, une situation, des repères. J'aurai besoin de l'aide d'autres maîtres, même si mon chemin doit être solitaire. Et ce chemin passe de l'unification à la purification, et de la purification à l'amour des autres. Suivons-le. Je suis à 9. Passons très vite sur les références numérologiques. 9 = 4 + 3 + 2. Alliance, et pourquoi pas, somme parfaite, entre 4, nombre de la matière ; 3, nombre de l'esprit ; et 2, incontournable binaire dans lequel se trouve tout et son contraire, chiffre de l'équilibre entre tous les antagonismes, du blanc au noir, du Yin au Yang, du ciel à la terre, ou, comme dans le Yi-King, de l'obstruction à la tranquillité. J'en oublie et j'en omets ! Tout ceci, après avoir franchi le cercueil, est utile à savoir, mais a un petit air de réchauffé. Tout est dans le 8, synthèse du Maître. Et c'est ainsi déjà, que je rejoins l'unité. Je peux la rejoindre autrement.

Si je suis le zodiaque des anciens, je commence mon périple au Bélier. Ca tombe bien. C'est le signe du printemps, de la nature qui renaît, de Perséphone qui revient des enfers, de l'Apprenti qui sort des ténèbres. L'Apprenti est un bélier, fougueux, présomptueux, aimable aussi, dans ses maladresses. Il a besoin des leçons de patience du Taureau. Sous l'égide du soleil, la raison de l'Homme peut monter vers les Gémeaux, qui invitent à la contemplation tranquille. Ensuite, le Cancer appelle au retour sur soi. Restant apprenti, il faut redescendre vers la Terre. Le terrain est rendu fertile pour le Lion, qui déchire, assèche, et dévore. Heureusement, la Vierge lui succède, pour redonner au monde vivant l'équilibre, la sérénité, la justice de la Balance.

Enfin vient la chute, la descente vers la mort qui précède toute naissance. Le Scorpion, bien connu du rédacteur, instille son venin dans le fruit pour y provoquer la nécessaire pourriture.
De cette pourriture, le Sagittaire tirera la substance qui fera renaître l'esprit traversant le soleil d'hiver. Je suis au 9ème signe. Les trois autres feront le reste pour réunifier ce qui doit être uni, pour donner un nouveau sens à la vie. 9 = 1, l'unification continue, et se fortifie. Cela ne peut suffire. Mais comment faire ? Où aller ? Le 9ème arcane majeur du Tarot s'appelle l'Ermite. On n'en sort pas. D'autant moins que la formule qui l'accompagne est encore plus décourageante, au premier abord, ou démontre au contraire que tout reste toujours à faire : V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\…

Tout est à refaire ? Non. A recommencer, ce qui n'est pas la même chose. Refaire implique une imperfection de l'objet. Le besoin de recommencer, en revanche, exprime une carence du sujet, du « facteur ». C'est une autre histoire… Il me plaît, cet Ermite. Il est aussi maladroit que moi. Il possède une clé, et ne sait qu'en faire. « A quoi sert le cochonnet si t'as pas les boules ? » chante A\ Bashung. A quoi sert une clé, si on ne trouve pas la serrure ? Dans ce cas, on cherche une autre porte ! Et on voit ce qui s'ouvre. Entre le 8 et le 9, l'Ermite se tient sur le chemin qui mène de la miséricorde, de la grâce, à la beauté et à l'harmonie. Mais ce chemin est troublant, insatisfaisant. Excitant, soit, mais incomplet. La sagesse est sûrement ailleurs, puisque si je suis, comme dans une marelle, l'arbre des Sephirot, tout dépend de la colonne que j'ai empruntée au départ.

Si j'ai emprunté la colonne de rigueur, mon 9ème pas me mènera de l'intelligence à la sagesse. Si j'ai privilégié la colonne de miséricorde, il me conduira de la sagesse à l'intelligence. Tous les chemins mènent à Rome. Toute introspection mène à soi : J'arriverai à Kéther, 10ème étape d'une promenade dont je ne connais pas la fin. Il en est des Sephirot comme du pavé mosaïque. On n'en ressort qu'avec des questions. Qui a eu raison ? Celui qui a choisi la rigueur ? Ou celui qui a préféré la miséricorde ? Et quid de la volonté ? Cette troisième colonne n'est-elle pas ce qui reste quand on a décidé de flotter entre le noir et le blanc de la mosaïque ? Du pavé des Muses ?

9 Muses…9 filles! Et pas n'importe lesquelles. Les filles de Zeus, roi des dieux, et de Mnémosyne, la mémoire des hommes. Compagnes d'Apollon, elles avaient puissance d'oracle. Elles disaient « ce qui est, ce qui sera, et ce qui a été ». Comme Isis, en Egypte, qui était tout cela à la fois, sans jamais se dévoiler aux hommes. Le voile des musulmanes pourrait-il être une survivance de ce voile d'Isis ? Il serait, dans ce cas, tellement beau, symbole d'une sagesse inaccessible aux hommes, et tenue secrète par les femmes. La sagesse, sous certaines formes, est féminine. Et quand ils ne peuvent la dévoiler, les frustrés algériens, iraniens ou afghans, n'ayant rien compris et ne cherchant pas à comprendre, la recouvrent d'une chape de plomb. Mais je m'égare. Connaissance et unification n'ont pas de frontière de temps ou d'espace. Revenons aux Muses. Seule la neuvième, ce soir, m'intéresse. Elle avait nom Calliope, et elle était considérée comme reine de la poésie épique et de l'éloquence. Ca tombe bien, j'en ai besoin. Pas pour vous convaincre, mes Frères, simplement pour être agréable à vos oreilles, ce qui serait déjà bien.

Ses outils étaient le stylet et les tablettes. Tiens, tiens…ça rappelle un compas sur sa planche à tracer… Et n’oublie pas qu'elle fut mère d'un chanteur célèbre à Thrace, en son temps : Orphée, dont on sait ce qu'il advint dans ses amours avec la belle Eurydice. Que de symboles, que de références, que de points de repère, que de mythes qui tous nous ramènent au même sujet : l'Homme, vivant sur terre, et qui se cherche, encore, encore, et encore ! Je rappelle que je suis arrivé à ces digressions en partant de l'arbre des Sephirot. Il faudra que je revienne à cet arbre, même s'il est moins reposant que celui de Brassens. Je n'aspire pas au repos. Dans une autre planche, peut-être ? Il faut savoir fermer, même provisoirement, des portes, quand elles s'ouvrent en trop grand nombre.

Allons donc plus loin, à défaut d'aller plus tard. Tout n'est qu'une question de dimension, et il faut atteindre la purification, après avoir réussi l'unification. Mon outil, pour le 9ème pas, sera la truelle. Nous sommes au cœur de la recherche, puisque cet outil symbolise l'unification et la perfection. Le Maître passe la truelle pour effacer les imperfections de la construction. Les pierres s'assemblent parfaitement, unification et purification possibles et nécessaires. Il y a encore plus intéressant, ou plus troublant. Nous savons que les Rose-Croix ont eu une part marquante dans la création du grade de Maître. Pour eux, la truelle évoque la réintégration : L'univers matériel se double d'un univers spirituel, subtil, dans lequel les intelligences vivent en harmonie parfaite. Par désir de changement, ou par banalité, les intelligences se corporisent et descendent dans le monde matériel. Elles y perdent leur substance, et l'amour, qui était leur ciment collectif, s'efface en elles.

Dans ce monde imparfait, la démarche de re-spiritualisation constitue ce que les rosicruciens appellent la réintégration. A l'égarement individuel succédera alors l'être unique, constitué par ces intelligences, et que cimente un amour universel. L'humanité éparpillée devient alors totale, réunifiée, et parvient à la création de l'Adam primitif, l'Homme unique, se reflétant dans la masse. Bien sûr, je résume.

Mais tout est dans tout. La purification est en route. On croit, ou on ne croit pas. En soi, cette théorie est un beau rêve. Mais elle en rejoint une autre, plus belle et exaltante encore, qui démontre une permanence dans la recherche par l'humanité de ce qui la dépasse. Et c'est cette similitude qui est la plus troublante. Je cite Grillot de Givry, qui nous dit ceci : « Toute chose possède dans l'absolu son archétype parfait ». On ne saurait être plus clair. Poursuivons : « La voie de l'absolu n'est pas dans les nombres, car l'infini n'est ni la somme, ni la limite des Nombres… La réduction de tous les nombres à l'unité doit donc être préalablement opérée avant la possession de l'infini ».

« Car l'unité et l'infini sont les deux noms d'une seule et unique chose... Et c'est là le Grand Œuvre que les philosophes ont enseigné ». Ces considérations peuvent paraître absconses. Mais elles sont une porte vers la purification enseignée par les alchimistes, nos ancêtres, nos Frères. Le principe directeur de l'alchimie, dont le travail des métaux n'est que l'expression symbolique, est de rendre moins impur ce qui est impur, et plus pur ce qui est pur. La spiritualisation de la matière et la matérialisation de l'esprit aboutissent au Grand Œuvre, naissance de la pierre philosophale, ou de l'Homme parfait. L'alchimiste complète le travail de la nature, et poursuit l'accomplissement d'un projet qui dépasse ses dimensions, en faisant évoluer sa nature, à partir du désordre inférieur, le chaos absolu, vers l'ordre supérieur, l'ordre absolu.

La première étape du Grand Œuvre, appelée œuvre au noir, est une putréfaction. C'est la mort d'Hiram, où la chair quitte les os, où tout se désunit. La fin du passage au 3ème degré marque le début de l'œuvre au blanc. C'est le départ vers cette nouvelle étape qui constitue le 9ème pas du Maître. Car le rôle de l'initié aux mystères de la F\ M\, par comparaison, est de reprendre en lui-même ce qu'il y a d'inachevé pour aboutir à la plus grande lumière. Succession de dissolutions et de coagulations, réunion de l'Un et du Tout, du microcosme et du macrocosme, en partant du désordre initial : Ordo ab chao…

Tout est dit? Non. Car à l'œuvre au blanc devra succéder l'œuvre au rouge, qui seule apporte cette lumière parfaite de la connaissance, aussi vrai que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, que ce qui est a été et sera. La purification est en marche. Mais elle rencontre des obstacles. Elle a du mal à s'achever. Les 8 premiers pas ont-ils été trop rapides ? Sur un circuit de course automobile, il arrive qu'un pilote se retrouve derrière ceux qui ont un tour de retard. Tout est dans le cercle… Même les manœuvres de ceux qui, craignant d'être dépassés, obstruent le passage. En course, le coupable d'une telle manœuvre, dangereuse pour tous, est disqualifié. En d'autres lieux, on justifie l'inqualifiable.

Il est donc possible en retour de qualifier l'injustifiable. Il m'arrive de le faire, et je ne m'en excuse pas. Les plus grands alchimistes étaient des hommes seuls. Ils ont trouvé, pour certains, la pierre qu'ils cherchaient, par leur propre V\ I\ T\ R\ I\ O\ L\. Première pierre du Temple qu'ils bâtissent en eux, pour atteindre la Jérusalem céleste. Il faut donc cheminer seul, à partir du 9ème pas. Même si mon chemin n'est pas le bon, qu'importe ? La terre est ronde, le Maître est au centre du cercle; j'arriverai donc au même endroit, même si je suis moins rapide. Il est bon de marcher, même dans le doute, quand tant d'autres sont immobiles dans leurs certitudes.

Sans fierté excessive, je partagerai avec ceux qui le voudront les embûches du chemin. Sans humilité excessive, j'avancerai. Le poète aussi, marche seul. Mais au moins il marche : « Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre... » Qu'en est-il de l'amour des autres ? J'y arrive. Nous sommes passés de l'unification à la purification. Il faut ouvrir la porte de l'ultime étape, parvenir au sommet de l'œuvre, but premier et même unique de l'Art Royal. Me voici, pauvre albatros, voulant connaître la majesté du vol. Car il faut bien que l'oiseau prenne son envol, puisque à terre, maladroit, comme le dit Baudelaire, « ses ailes de géant l'empêchent de marcher ».

Au 9ème pas, donc, je prends mon envol. Rêvons. Je ne suis plus albatros. Vais-je devenir goéland ? Jonathan Livingstone, le plus célèbre d'entre eux, a pris une magnifique leçon de vie et de mort. Il progresse, avec ses congénères, et s'en va, après une vie exemplaire. Mais tout s'arrête trop tristement. Le phénix, oiseau mythique, cher aux alchimistes, présent dans l'œuvre au rouge, se couche dans son nid pour mourir, et sa seule chaleur enflamme sa couche. Le feu suffit à lui redonner vie, il renaît de ses cendres. La vie n'a pas de fin, le phénix porte en lui l'espoir. C'est de nouveau un début pour un œuvre au blanc. Mais quelle solitude ! L'amour des autres est-il ailleurs ? Ecoutons encore Musset, dans « la Nuit de Mai » :

« Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L'océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture, il apporte son cœur ».

Le silence qui suit est encore de Musset... Voilà l'amour, total, jusqu'au sacrifice ultime. Symbole christique, et non chrétien, présent dans l'inconscient collectif comme l'archétype du don de soi. Aidez-moi, mes Frères, à avoir le cœur aussi grand. Cela m'aidera pour mon 9ème pas.Allons plus loin ensemble. Devenons tous des pélicans. Notre monde a assez souffert. Il a absorbé tant de sang qu'il a fait son œuvre au rouge. Assez de haine. Assez de misère. Acceptons de mourir d'aimer, pour que plus personne ne meure par manque d'amour.


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