Obédience : NC Loge : NC Date : NC


Le secret en maçonnerie

La franc-maçonnerie suscite dans le monde profane une grande curiosité.
Etonnamment, les travaux de notre société ne sont jamais autant commentés que par ceux qui n'en font pas partie. Le mystère présumé des pratiques d'une organisation avive le désir d'en connaître les secrets. Le secret que l'on construit de l'extérieur, par désir, peur ou simple préjugé nous pourrions tout aussi bien le nommer superstition. Suspectée de ramifications politiques occultes, assimilée sans précaution aux pratiques sectaires qui se développent chaque jour un peu plus, soupçonnée et malheureusement parfois convaincue d'affairisme, la franc-maçonnerie jouit dans l'opinion d'une image troublée. On a coutume de dire qu'elle n'est pas une société secrète mais plutôt une société discrète. Je ne souscrits pas à cette distinction qui me semble dangereuse ; résonnent encore à mes oreilles ces mots du serment prêté par l'apprenti lors de son initiation : « Je m'engage à garder inviolablement le secret maçonnique… » Le secret, lui, n'est jamais réductible; il est ou n'est pas. Il est absolu ou inexistant. La question est de savoir ce qui relève en maçonnerie du secret ou de la simple discrétion nécessaires à la sérénité des travaux.

Le secret naît avec l'initiation; un secret qui, dans le même temps, unit et divise. Il unit l'apprenti à la loge dont il partage désormais les travaux. Mais avec ce secret si ardemment désiré par l'impétrant c'est aussi une coupure définitive avec la vie profane qui se joue. Le secret matérialise le passage du profane au sacré, de l'ombre à la lumière. Ce qui m'était jusqu'alors inconnu, m'est révélé progressivement par les différentes phases de l'initiation; pour que la lumière soit donnée, que ses frères se dévoilent à lui, l'impétrant sera débarrassé de son bandeau, ultime vestige de son aveuglement profane; mais cela ne peut se faire sans que le testament philosophique ne soit détruit ; il ne peut pas accéder à la lumière de l'initiation sans le renoncement absolu à cette vie qu'il quitte. Si l'initié accède à un secret, il en porte un autre profondément ancré en lui ; celui des aspirations qui l'ont conduit aux portes du temple. Ce secret il l'aura partagé avec ses futurs frères, et eux seuls, à qui le testament est lu avant d'être brûlé.

Le rappel au secret est constant : lors de l'ouverture des travaux le couvreur s'assurant que la loge est dûment couverte, ou encore les deux surveillants vérifiant que les colonnes ne sont composées que de membres de la loge ou de visiteurs connus. Nul profane ne saurait briser le secret de la tenue. En dehors de la loge il est va de même car on ne peut être  franc-maçon sans porter en soi sa promesse fondamentale. C'est ainsi que nous nous retirons après chaque tenue sous la loi du silence. Les constitutions d'Andersen sont assez claires sur la conduite d'un franc-maçon en présence d'étrangers. Vous devez, est t'il écrit, « être circonspects dans vos paroles et votre maintien afin que l'étranger le plus pénétrant ne puisse découvrir ou remarquer ce qu'il convient de ne pas divulguer ». Drôle de secret que celui là, tout de même, un secret si secret qu'on ne puisse même pas l'écrire ni le nommer.

Car à ne pas le nommer, l'on s'interroge ? S'agit t'il des décors du maçon, des symboles qui ornent les colonnes, des rituels qui ordonnent le travail en loge. Tout ceci n'est t'il pas largement connu de tous les profanes qu'un simple achat en librairie peut renseigner avec luxe détails. Que penser de nos frères qui écrivent ces livres. Trahissent t'ils donc allègrement ce secret dont, il y peu, l'apprenti que je suis devenu, prêtait serment de n'en  jamais rien révéler. Mais, au fait, qu'ai je donc à révéler ?

Avant d'être un contenu perceptible, un savoir ou une connaissance, le secret est un engagement.
D'un point de vue pratique, il est le fruit d'une nécessité historique; une manière pour l'obédience de survivre aux attaques violentes dont elle a et fait d'ailleurs toujours l'objet; le franc-maçon choisit de se dévoiler ou de ne pas le faire. Mais il s'agit d'un acte de responsabilité et de liberté individuelle. Nul en revanche ne saurait  sous aucun prétexte divulguer l'appartenance d'un autre frère à une obédience maçonnique ni révéler ce qui a été dit ou fait en loge. « Je préférerais avoir la gorge coupée que de trahir les secrets qui m'ont été confiés ». Tel est couramment l'une des interprétations que l'on peut faire du signe que chaque maçon exécute lors d'une intervention en loge. La fidélité à cet engagement est de mon point vue tout à fait essentielle, non seulement car elle repose sur un serment et donc symbolise la solidarité sans faille qui unit tous les francs-maçons, mais aussi car elle garantit une formidable liberté de parole. Ne pas avoir à se préoccuper des conséquences de ce que l'on dit, pouvoir exprimer sans arrière-pensée ni crainte sa réflexion, seul l'engagement au secret des débats  permet à mon sens de l'obtenir. Seule la garantie du secret absolu sur le travail de la tenue permet d'en préserver la dimension sacrée, d'assurer que les métaux ont bien été laissés à la porte du temple. L'entrée dans le temple ce fait ainsi sous le signe qui est, en ce sens, également symbole de contention et de réserve.

L'initiation devait me livrer un secret, elle m'appelle en fait à la solidarité; elle ajoute à la chaîne qui dans l'espace et dans le temps lie les francs-maçons un nouveau maillon.

La pratique du secret, et plus généralement d'une grande discrétion dans son travail, entretient dans l'opinion un halo de mystère autour des travaux de la maçonnerie, porte ouverte aux phantasmes de tous ordres. L'obédience est vite soumise à un mouvement paradoxal. Comment communiquer sans dévoiler ?

Comment peser sur la vie profane, avec quels mots sans pour autant trahir le secret des travaux en loge ? Car on ne peut travailler à l'amélioration matérielle et morale de l'humanité si l'on se coupe de tout moyen d'influence politique, le mot politique étant naturellement à prendre dans son acception première, la vie de la cité. Mais, en même temps, si de longues épreuves ont été nécessaires pour tester la motivation du candidat et le juger apte et digne de partager le secret, ce n'est certes pas pour le livrer sans précaution à tout profane ; d'un point vue purement profane le secret sert la franc-maçonnerie. Dans un monde  livré aux fantaisies des modes, où la communication prime sur le message, la posture mystérieuse entretenue par les travaux maçonniques ne dessert pas forcément la force de son message. D'un point de vue, strictement stratégique, il ne suffit plus aujourd'hui d'avoir une réflexion. L'efficacité de l'action humaniste que nous menons suppose que nos idées passent ; qu'elles passent à travers notre attitude dans le monde, sans compromission, sans trahison du secret fondamental qui nous lie mais avec le souci constant de tenir compte des meilleurs moyens de faire progresser notre approche des grands problèmes de société. La discrétion participe du poids et de la force présumée qui nous est reconnue; nous aurions sans doute tort de ne pas en tirer parti.

Mais je ne mélange pas cette discrétion au secret qui reste, pour moi, avant tout la préservation de l'identité de mes frères et de leurs propos en loge.

C'est une vision réductrice du secret maçonnique pourra t'on m'objecter. Je ne le pense pas. Solidarité, respect de la parole donnée, ce sont pour moi des vertus fondamentales. Que vaut l'aide et l'appui de celui qui ne peut garantir le secret. Envisagée sous sa dimension sociale la franc-maçonnerie doit continuer d'assurer la protection de ses frères. Mais en plus nous devons préserver la dimension sacrée du travail en loge.

M'interrogeant sur le secret maçonnique, je me souviens de ce proverbe d'un soufi du 19ème siècle Salih de Merv qui dit « les aveugles ont besoin d'yeux, pas de lumière ».

Autrement dit il n'existe pas de lumière pour qui ne peut ou ne sait la voir. Le secret maçonnique est aussi et peut être essentiellement une construction intérieure, personnelle et intime. Une construction qui ne s'enracine pas simplement dans domaine de la conscience mais une construction qui vient puiser ses sources plus profondément en nous. Par notre travail, par celui des symboles que j'interroge et du rituel auquel je prends part ce sont les profondeurs de mon inconscient qui résonnent et se révèlent à moi. Nous sommes plus à mon sens dans le domaine de la conscience mais celui de l'indicible ; le secret s'enracine dans l'intimité des émotions, du vécu ou du ressenti du franc-maçon, dans dialogue constant de la raison et de l'expérience intime, de la pensée rationnelle et l'évidence inexplicable du symbole ; il est mon expérience intérieure pour reprendre le titre du livre mystique de Georges Bataille. Il ne se transmet pas, en tout cas par le biais du langage, car il ne s'acquiert pas par le langage. Il se forme par le travail profond du rituel sur le franc-maçon, un travail lent et continu. Un peu à l'image des aiguilles marquant les minutes sur une montre qui paraissent toujours immobiles et pourtant ne cessent jamais de tourner. Chaque frère vit une maçonnerie qui lui est singulière. De secrets il y en a autant que de frères et d'expériences personnelles du cheminement maçonnique. Une multiplicité qui n'exclut pas l'unité, unité que nous retrouvons par exemple dans la chaîne d'union par laquelle nous voulons, affranchis des insuffisances du langage, partager nos secrets intérieurs ; fusionner pour que les anneaux de pur métal forment cette chaîne une et indivisible, si forte et si unie qu'une seule main suffit à prêter serment pour l'ensemble des anneaux qui la composent; ériger avec des pierres lisses et parfaitement ajustées le temple idéal de l'humanité.

Le secret c'est une quête, une quête sans fin, une quête de centralité, d'unité, d'universalité.
L'initiation au sein de la loge, le serment prêté me soustrait au monde profane. Un premier cercle, un nouvel espace s'ouvre à l'apprenti, celui de la loge et des frères qui la composent. Ce premier niveau du secret maçonnique renvoie à l'exigence de solidarité et de discrétion déjà mentionnée. Il délimite la division du profane et du sacré.

Le cheminement maçonnique bien que reposant sur un rituel collectif est en même temps une démarche intérieure, personnelle, singulière à chaque franc-maçon. La communauté du rituel n'a pas pour but de contraindre l'individualité mais au contraire de fait surgir l'unité de la diversité. Un nouveau cercle, un nouvel espace personnel s'érige peu à peu. Les mots sont impuissants à le décrire. Chacun construit peu à peu, consciemment ou non le cercle des ses émotions, de son vécu intime en atelier, de sa méditation.
Chaque frère est ainsi constructeur d'un nouvel espace, d'un secret indicible qui le soustrait aux autres non seulement par sa singularité mais également par son incommunicabilité. Ce second cercle délimite en quelque sorte son espace intérieur de celui de ses frères.

Mais c'est en soi même que se poursuit sans relâche cette quête d'un secret intérieur. Un troisième cercle qui dissimulerait à ma conscience cette centralité, le secret maçonnique. Recherche du principe, de l'origine du tout ou du secret maçonnique, c'est en fait la même chose.

Mais la vérité ne réside t'elle pas dans la quête elle-même, dans les transformations successives qu'elle induit sur le franc-maçon plus que dans l'hypothétique découverte d'un supposé secret maçonnique ?

J'ai dit.


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