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L'Homme immortel :
Hiram au secours de la médecine


" Quelle rêverie est-ce de s'attendre de mourir d'une défaillance de forces que l'extrême vieillesse apporte, et de se proposer ce but à notre durée, vu que c'est l'espèce de mort la plus rare de toutes et la moins en usage ?
Nous l'appelons seule naturelle. Mourir de vieillesse c'est une mort rare, singulière et extraordinaire et d'autant moins naturelle que les autres ; c'est la dernière et extrême sorte de mourir ; plus elle est éloignée de nous, d'autant elle est moins espérable. "

Michel de Montaigne dans son premier essai, nous confie son interrogation sur la limite de la durée de la vie, sur le bien fondé d'une existence où l'on ne cherche qu'à braver les embûches extérieures et les faiblesses d'un corps qui parfois se détruit pour finir dans un dernier souffle, celui de la fin dite "naturelle " et génétiquement programmée.

Cette limite naturelle de notre vie est la barrière ultime que la philosophie s'est fixée tout au long de l'histoire. Dans le meilleur des cas, si l'on exclut les malformations congénitales, notre corps apparaît, se forme, grandit et culmine dans sa maturité pour représenter le meilleur de l'espèce. A peine installé dans sa configuration idéale, il commence à se détériorer petit à petit de manière inéluctable, agressé par des phénomènes exogènes donc extérieurs : le plus souvent des virus ainsi que par des maladies endogènes : cancers, alzeihmer, faiblesses cardio-vasculaires.
Notre système immunitaire s'affaiblit, notre métabolisme ne régénère plus les cellules combattantes d'une guerre dont le scénario est le même pour tous.

Le rythme circadien (jour-nuit) devient très perturbé et "érode le métabolisme tandis que le lent abandon du courage mental parachève le travail.
Seuls les esprits religieux ont osé envisagé une écriture différente  avec le franchissement de la barrière biologique en structurant une théologie de l'âme qui vit après la mort ou d'une nouvelle vie que Dieu dispenserait selon son bon jugement. La vie est donc un cadeau et la promesse d'éternité légitime l'espoir  par opposition à la perspective d'une mort qui est considérée comme une punition. De manière plus pragmatique, des théories évolutionnistes considèrent la mort comme un régulateur qui empêche la multiplication incontrôlable et exponentielle de l'espèce, mais aussi comme un vecteur d'amélioration de celle-ci à chaque génération pour l'adapter un peu mieux à son biotope. Il faut donc mourir pour laisser la place aux petits nouveaux.
L 'éternité de l'espèce humaine laisse peu à peu la place au concept d'immortalité de l'individu.

Le thème récurant de l'éternité a été abordé dans nombre de mythologies et d'imaginations pour justifier la sagesse surhumaine de l'être suprême ou plus anecdotiquement, pour explorer l'idée séduisante d'un être immortel qui traverse les époques et les juge au filtre de son expérience.
Il convient aujourd'hui de considérer l'immortalité de l'individu banal autrement que comme une pure fiction de la science. L'espérance de vie de tout bébé né en 1991 était de 76.9 ans, 72 .9 pour les garçons et 81.2 pour les filles. Ces chiffres s'appuient sur le taux de mortalité par tranches d'âge tels qu'ils ont été observés en France entre 1990 et 1992. Remarquons que ces statistiques prennent en compte tous les décès de cette période et donc les morts violentes et accidentelles, au même titre que les morts de maladie ou de vieillesse. Ceci nous éclaire sur l'espérance de vie théorique bien plus élevée si l'on retire les morts " contextuelles ".

Des générations de chercheurs ont tenté de percer les mystères du génome pour établir un recensement épidémiologique et comprendre les mécanismes agresseurs qui tentent de raccourcir notre vie. Il s'agit bien alors de recherche d'immortalité comprise comme une non mortalité. Or, voici u'aujourd'hui s'organise des groupes de recherche fondamentale dont le but est de régénérer ou de remplacer tous les composants sénescents du corps pour obtenir à terme une médecine de l'entretien plutôt  qu'une thérapie traditionnelle.
 Le Rubicon est franchi et le mutant se profile à l'horizon. 

L'allongement de la vie pour s'approcher de la barrière "naturelle " à laquelle Montaigne faisait référence pose des questions d'ordre sociologique sur la place et le rôle de chacune des générations  qui coexistent. Nous verrons  qu'avec l'abolition de toute frontière s'ajoute à ces problèmes somme toute compréhensibles (qui dirige, qui paye, qui conseille), des interrogations  qui bouleversent radicalement les fondements de trois mille ans de philosophie et de croyance humaine. En effet, comment considérer Dieu comme notre égal, comment devenir un héros quand les lendemains qui chantent peuvent être envisagés à un horizon multi-décennal et enfin comment intégrer l'éternité du sentiment, tous ces moments qui ne pourrons jamais durer puisqu'ils se sont produits la première fois : le premier amour, la première peine, la première douleur.  

La sagesse n'est-elle pas autre chose qu'un leurre visant à nous faire oublier que jamais rien ne sera aussi beau  que la première fois.
Replaçons nous d'abord dans le contexte dit naturel et observons la structure presque universelle des étapes de la vie. La société humaine est traditionnellement découpée en trois périodes à la durée relative suivant les cultures : la jeunesse, associée à la fragilité, l'innocence, la découverte,  l'âge adulte, associé à la maturité, la force et la production enfin la vieillesse associée à la sagesse mais aussi à la décrépitude
Notons que la notion de pouvoir est fluctuante et qu'elle est passée suivant les époques d'un âge à l'autre.
La tradition et la loi avaient institué des caps qui entérinaient l'entrée ou la sortie d'un âge vers le suivant : les sacrements religieux, la majorité administrative, le service militaire, le mariage. Tous autant de bornes qui faisait prendre conscience à chacun de l'appartenance à une génération avec son cortège de droits et de devoirs.   

La société occidentale que nous construisons tend à gommer un peu plus chaque jour les frontières de ces trois âges. Le diplôme fut longtemps le ticket d'entrée dans la vie active et le monde adulte. La communion puis le mariage donnaient le statut de jeune adulte puis de futur responsable de famille. Aujourd'hui combien d'adolescents pensent déjà comme des petits bourgeois conditionnés par un système consumériste et à l'opposé combien de quadragénaires se comportent comme des adolescents attardés, refusant d'assumer leur rôle et leur responsabilité ?
Les portails entre la vie active et l'âge du repos et du vieillissement n'existent presque plus. Après des décennies de combat pour légiférer sur la détermination un âge décent pour quitter la vie active, le système produit à présent des individus en pleine maturité, tremblant jour et nuit pour garder leur poste quinze avant le terme officiel de leur période active, tandis que les cassandre de la prospective nous prédisent la disparition des traitements des retraités d'ici à 20 ans.

Le jeunisme, avatar probable d'un accouplement entre le futurisme   et le capitalisme arrive à son apogée. La croissance retrouvée surfe sur la vague des technologies nouvelles, que des gamins développent devant le regard admiratif et incompétent de leurs aînés. L'avenir du monde bascule aux mains d' informaticiens échevelés, de consultants inconscients et de golden boys cyniques. SI cela est considéré comme une mode par certains, interrogeons nous sur la possibilité de reprendre à des conducteurs dopés aux hallucinogènes et à l'argent, les rênes d'un véhicule qu'on ne sait pas conduire.
L'imagination et l'impertinence l'emportent sur la sagesse et l'expérience. Mais que vaut l'expérience lorsqu'on explore des espaces inconnus ?
Dans l'univers familial, les périodes étaient limitées par les passages de relais économiques. On était enfant tant que l'on ne travaillait pas et que nos parents subvenaient au besoin du groupe, on entrait dans l'âge adulte lorsqu'on fondait soi-même famille , tandis que nos parents sortaient un peu plus tard avec un éventuel renversement des responsabilités morales et financières.

Ces étapes arbitraires conféraient un statut identifiant à l'individu.  elles fixaient le rôle de chacun avec bien entendu des effets secondaires paralysants et parfois réactionnaires. L'alternative proposée par la société actuelle vise à abolir les passages au nom de la liberté et du libre arbitre de chacun. La disparition de repaires et donc l'effet de " linéarisation " apporte une solution par le vide à l'allongement de la vie. Seule la fin du parcours augmente. Si rien n'est redéfini, La vieillesse représentera bientôt la moitié de la vie alors que ses représentants seront relativement de moins en moins vieux. Les statistiques sur le vieillissement  comptabilisaient les vieux à partir de 50 ans en 1921, 60 ans dans le années 50 pour les répertorier en 1978 au delà de 65 ans. Pendant ce temps, l'âge statistique sur les performances professionnelles ne cesse de diminuer, institutionnalisant la pré-retraite comme soin palliatif.
Une classe d'âge en pleine forme est aujourd'hui considérée inutile par un système qui la juge productivement inintéressante et inapte à faire partager son expérience, la condamnant à une glissade forcée vers la sénilité, entrecoupé de croisières pansements pour se diriger vers l'ennui de la vie et une mort inéluctable . sans doute faut-il actualiser le découpage des périodes de la vie  et inventer des portails symboliques qui les ponctueront à nouveau.
Le principe du passage d'un âge à l'autre est fondamental dans la tradition maçonnique. Il illustre parfaitement l'importance du portail de transition. le passage à son statut suivant est l'occasion d'une véritable cérémonie qui transcende le maçon pour lui faire prendre conscience de ce qu'il devient et ce qu'il ne sera plus. Notons qu'en plus, dans notre tradition, nous mourrons deux fois, d'abord avant notre initiation, puis lors de l'identification à la mort d'Hiram lors de notre entrée en maîtrise. Nous verrons que le mythe de son meurtre est une clé du mystère de l'éternité.
La perspective de remédier au vieillissement n'est plus de l'ordre du fantasme et l'immortalité doit être considérée comme potentielle. Pourtant la mort est inséparable de la vie et aucune espèce ne dure éternellement sur notre terre. Même les bactéries vieillissent et vite, tandis que les protéines  se modifient spontanément. Toutes les valeurs humaines se justifient-elles au filtre de l'éternité ? l'abolition de la vieillesse laisse t-elle de la place à la morale ?
Mesurons l'importance du risque de mort violente si la mort " naturelle " n'existe plus. Qui osera traverser une rue en risquant d'abréger une vie promise à l'éternité. Qui aura le  courage de se révolter plutôt que de penser : " dans trente ans ça ira mieux ".  La condamnation à mort systématique pour le vol d'un fruit remplacera-t-elle le cycle ancestral du grand-père qui laisse la place au petit-fils.
Sénèque propose en réponse : " le sage n'est pas celui qui craint la vieillesse et la mort, mais celui qui respecte la prudence, l'honneur et la justice "

Le mythe de la mort d' Hiram nous ouvre des espaces de réflexion   pour envisager une permanence de notre attitude dans la vie quelle qu'en soit sa durée.
Le temple de Jérusalem  terminé, trois compagnons qui n'avaient pas encore été initiés, décidèrent d'arracher au maître les secrets merveilleux qu'ils possédaient. Ils se postèrent à différents points du temple et le sommèrent tour à tour de parler. Il refusa à chaque fois , répondant qu'on obtiendrait pas ses secrets par la menace et qu'il fallait attendre le moment voulu. Alors ils le frappèrent, l'un d'un coup de règle à la gorge, l'autre d'un coup d'équerre sur le sein et le troisième d'un coup de maillet sur le front qui l'acheva. Mais lorsqu'ils se retrouvèrent, constatant qu'aucun n'avait rien obtenu, ils l'inhumèrent près d'un bois dans la nuit et plantèrent sur sa tombe une branche d'acacia.
Dans le rituel maçonnique les trois coups de la légende correspondent à la triple mort :
Physique (gorge)
Mentale (front)
Sentimentale (sein gauche)

Les trois assassins figurent eux l'ignorance, l'hypocrisie et l'envie. Opposées aux trois qualités : le savoir, la tolérance et la générosité.
Ainsi la clef d'une vie qui peut se poursuivre indéfiniment passe sans doute par la permanence de trois vies parallèles : la vie physique avec un corps qui ne vieillit pas, la vie mentale d'un esprit qui reste maître de son destin et la vie sentimentale avec l'amour qui, à mon sens, reste le seul la justification ultime de notre existence ici bas.

B\ B\

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