GLFF Loge : NC Date : NC

L'homme de désir
Cette expression, propre et chère à notre Rituel, est en fait le titre d’un ouvrage de L.C. de Saint-Martin ; il s’agit d’un recueil de 301 méditations, élévations de l’âme, à la fois réflexions, objurgations et prières au cours desquels l’auteur s’efforce de trouver le chemin vers la montagne sacrée :
" Homme de désir, efforce-toi d’arriver sur la montagne de bénédiction, fais renaître en toi la parole vraie....
Toutes les régions régénérées dans la parole et dans la lumière, élèveront comme toi leur voix jusqu’aux cieux ; il n’y aura plus qu’un seul son qui se fera entendre à jamais, et ce son le voici :
L’ETERNEL, L’ETERNEL... (7x) (300) "
Tout ceci, non seulement pour soi, mais pour aider ses frères à trouver ce chemin, et ainsi il pourra mourir en paix :
" Puisse la vertu de leur cœur, puisse la piété des siècles être le cantique funéraire qui sera à jamais chanté sur ma tombe!
Je l’entendrai dans le sommeil de paix, et j’en rendrai à Dieu tout l’hommage. " (301)
Mon intention n’est pas de disserter sur cet ouvrage, même si il m’arrivera certes de le citer, mais de vous offrir l’état provisoire de mes réflexions sur cette expression.
 
Je me pencherai d’abord sur le mot " désir ", non parce que c’est l’habitude en Maçonnerie, je l’avais avant, mais parce que, surtout pour des textes anciens, il est essentiel de savoir le sens exact, originel du mot, souvent bien oublié et fort éloigné du sens actuel .
J’ose espérer que, même pour Saint-Martin, " homme " était " homo "!!!
Le mot " désir " n’apparaît en français qu’au XIIème siècle, le verbe " désirer " à la fin du XIème, avec le sens de regretter l’absence de quelque chose que l’on désirerait posséder .
Que nous dit son origine latine :
desidero : 1) - a) désirer, aspirer après la gloire, laquelle gloire n’a rien à voir avec l’éclat du star-system, elle évoque plutôt la notion de reconnaissance de la sagesse, la maîtrise des qualités humaines selon le concept de l’époque .
b) regretter l’absence de, éprouver le manque, regretter
2) - regretter, déplorer la perte de
3) - rechercher, étudier une question
Quant au substantif :
desiderium : 1) - désir de quelque chose qu’on a eu, connu et qui fait défaut .
2) - besoin, éventuellement naturel .
 
En ce qui concerne les textes anciens, et en particulier bibliques, il faut séparer ce " désir " de la notion de convoitise, de concupiscence, mot qui n’apparaît en français qu’au XIIIème
Le latin : concupiscere : désirer ardemment, avec les deux nuances : 1) désir des biens terrestres
2) penchant au plaisir des sens
Il contient toujours une idée de violence, c’est de sa racine : cupio que dérive : cupide...
 
Cette longue parenthèse peut sembler inutilement pédante, pourtant c’est sur ce fondement solide que je peux structurer quelques idées .
D’abord une réminiscence d’une citation d’un poète persan :
" Comment trouver le chemin du pays où vit " ton " désir ?
En renonçant à " tes " désirs . "
 
La recherche du Désir au singulier suppose de trouver le chemin du Centre de son être, donc de ne s’attacher qu’à l’essentiel . Il est indispensable de renoncer à l’accessoire pour trouver le chemin de cet essentiel . Ce qui suppose toujours une ascèse .
Je ne pense pas dévoiler indûment ce qui n’est pas encore approfondi au 1er : que faut-il pour progresser dans la vie spirituelle ?
Le Rituel dit : " UN désir, du courage et de la persévérance. "
Saint-Martin dans sa méditation 29 évoque les trois âges de la vie :
" Et d’ailleurs l’enfance ne s’annonce-t-elle pas par la rectitude du jugement et le sentiment vif de la justice ?
Si cette tendre plante était mieux cultivée, la jeunesse ne serait-elle pas pour elle le plein exercice de cette vertu ?
L’âge mûr celui des vastes et profondes connaissances ? La vieillesse celui de l’indulgence et de l’amour ? "
 
Au R.E.R., l’Apprenti(e) est placé(e) entre Justice, à l’Orient, et Clémence, à l’Occident . Par sa démarche qui a impliqué sa Réception dans l’Ordre, elle/il a acquis l’âge de 3 ans, l’âge d’une certaine plénitude . Elle/il doit apprendre à dépasser le stade de la dualité, qui est du domaine de la Justice : bien/mal, noir/blanc...pour, quand elle/il approchera ,à l’Occident, de la Porte ultime, avoir atteint le stade de la Clémence, "  de l’amour et de l’indulgence ", dit S.M.
Cette indulgence née de l’amour n’implique pas la complaisance, le fait de pactiser avec le " mal " . Par paliers, les connaissances de l’âge mûr, lui auront permis de distinguer ce qui conduit ou peut conduire à l’essentiel, au vrai Désir, et, a contrario, ce qui lui est contraire . et justement en ce jour où j’entre ce passage de ma Planche dans l’ordinateur, je viens d’entendre un commentaire de la vocation d’Abraham, et en particulier de ce que l’on traduit par " Va-t-en ", et qui, en réalité, dit : " Va vers toi ", aussi bien lors du premier appel qui l’amène à quitter sa famille et son pays, que lors du second qui lui enjoint de monter sur le mont Moriah pour ce que les Juifs nomment la Ligature d’Isaac . Va vers toi, vers un autre degré de Connaissance . Et ce même Abraham, présenté comme un homme plein d’amour, ne descend pas en dessous du nombre 10, pour éviter la destruction de Sodome . Il y a un seuil au-delà duquel existe l’intolérable .
 
Et tout ce travail fait sur soi est un travail utile pour l’humanité et pour la création .
" Toute âme qui s’élève, élève le monde " disait une pieuse âme dont j’ai oublié le nom . Ce que Saint-Martin exprime sous une autre forme dans ses méditations 24 & 25 :
" Faisons en sorte qu’à notre dernière heure, il n’y ait que nos héritiers légitimes qui aient part à nos dépouilles . Voici comment se distribuera notre héritage .
Les agents de la nature hériteront de nos substances élémentaires .
Les hommes de bien de tous les âges hériteront de nos salutaires influences. "

Mais pour arriver à ce stade :
" Il faut maintenir un ordre parfait dans toutes nos possessions. "
c’est à dire dans ce que notre esprit aura acquis de connaissances, au pluriel, dont certaines peuvent mener vers la Connaissance, et aussi dans les attaches de nos désirs, parfois passions, voir ce qu’il faut retrancher ou canaliser ou maîtriser pour dépasser les désirs aliénants et atteindre à cette unification qui permettra à notre œil intérieur d’être ébloui par la Lumière faite elle-même des vibrations de l’Arc-en-ciel.
Mais cette ascèse est douloureuse, ne sommes-nous pas Cherchant(e), Persévérant(e) et Souffrant(e) ?
" Quand est-ce que ton âme connaîtra les douleurs de l’homme de désir, et qu’elle apprendra par là à juger de ses propres illusions, et de son épouvantable sécurité ? " ( Méd.26)
En d’autres termes, il faut faire la différence entre la ou les concupiscences, de quelque domaine qu’elle soit, chez nous cela peut s’appeler la cordonite, et ... :le Désir .
Et cette phrase d’un Evangile me revint en mémoire sous cette traduction : " J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous ", il s’agit en fait de Luc XXII, 15 . Ce que Chouraki traduit :
" J’ai désiré de désir manger avec vous ce Pessah avant de souffrir . "
Et cette phrase, hors de toute implication institutionnelle, contient tout ce qui me paraît être le sens profond de cette expression " Homme de Désir " : la redondance qu’implique l’hébreu ou l’araméen sous-jacent, et que l’on traduit comme l’on peut, implique l’unicité et la force de ce " désir ", bien loin des convoitises humainement profanes, celui qui la prononce sait que son heure est venue, c’est à dire qu’il doit avoir atteint la plénitude de sa vocation d’homme et qu’il va franchir l’ultime Porte . S’il a été fidèle à sa recherche, au Désir profond inscrit en son " moi-existant ", il a atteint son stade d’unité, de perfection, et il veut y faire participer ceux qui l’entourent dans une communion, partage symbolique de ce qu’il est et qu’ils doivent devenir .
A noter que Pessah, que l’on traduit par Pâque, veut dire : passage, et que le repas pris en ce jeudi-soir ne correspond en aucune façon au repas rituel des juifs à cette occasion : date et menu ; mais ceci est une autre question.
 
Et cela me ramène encore et toujours à mon radotage, sans me prendre pour celui que l’on nomme Jean l’Evangéliste, à ce qui est exprimé pour notre culture dans la Genèse .
L’homme qui pense a conscience qu’il a perdu quelque chose, qu’il y a eu une brisure, que notre culture nomme " péché originel "
Il sait qu’il possède en lui l’étincelle divine - le " ruah ", souffle, qui l’a animé au départ, que S.M. nomme " germe ". Mais avec la dualité, il a perdu l’autre mode de lui-même, féminin ou masculin . Il aspire à recouvrer son unité intime et son unité avec le divin . Unité qui n’est pas identité, elle ne l’a jamais été, seulement " image et ressemblance "
Mais il y avait une sorte d’indifférenciation, ou plutôt une impossibilité, une incapacité à se situer en tant qu’individu, terme d’ailleurs étymologiquement impropre, en tant qu’entité autonome, libre, en face du Divin.
 
J’en reviens encore et toujours au même point, il y a comme cela des sortes d’évidences qui s’imposent à la pensée soit comme point de départ ou d’aboutissement d’un module, ou peut-être est-ce l’axe de ma spirale, je ne sais .
Adam n’était que l’image-reflet, l’Homme-Neter de l’ancienne Egypte, créé, non-engendré, sans nombril ni calotte crânienne, mû par la divinité, semblable à l’âne de Nietzsche qui ne pouvait que dire un oui bête .
Il est devenu homme-pensant-par-lui-même par un acte fondateur de son identité, dont la tradition religieuse a fait une faute : un péché originel, qui marque toute sa descendance et qui explique le mal et la souffrance .
Mais doit-on continuer de le comprendre comme les chefs de clans, plus ou moins " prêtres-rois " ont voulu le présenter pour mieux tenir en laisse leurs sujets ? Ne peut-on y voir un palier de l’évolution de l’homme, un passage nécessaire pour accéder à la porte menant à l’état d’homme capable d’une pensée autonome ? Dans l’euphorie de la découverte de cette capacité, de ce pouvoir, l’homme a rejeté, a " tué le père ", dira Freud.
C’est le Lion de Nietzsche qui dit NON à tout ce qui ne vient pas de lui, mais ce Non ne lui donnant ni paix, ni bonheur, il a pris conscience d’un manque, de ses limites . Il a réfléchi, pensé, cherché ce qui lui manquait, la cause de ce manque . Et il a eu la révélation du Centre, et d’une énergie plus forte que la sienne, de cette force supérieure qui tient les mondes en un ensemble dynamique . Il a compris que son Centre était l’Axe qui le reliait ou qui lui permettait de se relier ou d’être relié à cette Force qu’il a appelée " Dieu " - GADLU...Cet inconnu transcendant est celui qui possède l’ETRE, ou plus exactement qui est l’ETRE, et, parce qu’Il EST, il a donné d’EXISTER à toute la création qui manifeste sa puissance .
Mais toute cette création, matérielle comme spirituelle, suppose un ORDRE, sinon tout s’écroule et re-devient tohu-bohu .
Et l’Homme devint Désir : désir de retrouver et son unité intime, et son unicité avec cet ETRE et sa LOI, dans un OUI actif, conscient, libre et participant . Le OUI de l’Enfant de Nietzsche, ou de l’Initié Parfait égyptien, avec nombril, mais sans calotte crânienne. Celui qui adhère consciemment au plan du Créateur, parce qu’il se sait à la fois associé à son œuvre et participant de sa nature .
 
Et pour terminer avec Saint-Martin, dans son style et sa pensée XVIIIème, que je trahis quelque peu par mon travail :
" Le germe du Seigneur, le germe de la parole vient de se semer à nouveau dans l’âme de l’homme ;
...Célébrons l’homme, il ne peut exister un instant sans l’acte vivificateur de Dieu...
Nature, nature, tu as aussi le même avantage...
Mais l’homme a au-dessus de toi le pouvoir de sentir ses sublimes privilèges, et d’en célébrer le divin auteur...
...la sainteté restera attachée à l’âme de l’homme, comme par un ciment indestructible . " ( Méd.222)
Et qu’est-ce que la sainteté ? Non point certes la perfection en tant qu’absence de tout défaut, mais l’amour, l’adhésion d’amour à la Loi, au plan du Créateur, inscrit au tréfonds se notre être. " Aime et fais ce que tu veux " selon la phrase d’Augustin.
 
J’ai dit.

E\ D\S\M\

7144-6 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \