Obédience : NC Loge : NC Date : NC


J’ai perdu la terre !...


Il y a quelques années, l’un de mes enquêteurs, à qui j’avais expliqué ma passion pour la mer et les bateaux, me répondit après m’avoir observé un moment : « Et bien Monsieur, vous verrez, si vous êtes admis parmi nous, la maçonnerie, c’est la mer !.. » Il avait raison. La Maçonnerie, c’est la mer. Oh, certes, avec quelques différences. Encore que !

Parce que partir à la recherche de soi même, à la recherche de l’autre, à travers le rituel, c’est décider de s’éloigner d’une prétendue connaissance de soi. On quitte un rivage, on le fait en toute conscience. On part en voyage. Et l’on assiste à la transformation de ce que l’on abandonne. On s’aperçoit que le lieu qui s’éloigne n’est pas identique à lui-même. Voila l’émotion du départ. C’est d’abord, l’altération progressive d’un paysage connu qui brusquement se découvre, comme sorti d’une gangue qui l’enchâssait et qui se révèle inconnu, tout autant que deviendra connu l’inconnu de l’autre rive. Finalement, c’est comme laisser un doute derrière soi. Alors, peut s’installer la réflexion. D’autant que le voyage sur l’eau, parmi toutes les façons de voyager, est à mon sens, l’excellente manière d’expérimenter la rotondité de notre espace ; d’envisager le cosmos, de juger de l’écrasement de la terre et d’apprécier la totale fluidité de ce qui fait les repères pour l’œil du navigateur. Ce qui était continu se brise et devient discontinu, ou l’inverse. Ce qui était haut devient bas, bas et haut se confondent, s’assemblent. L’œil ne fixe rien qui demeure assuré. L’entour devient alors affaire d’angles, le tout baigné par une invisible force, intouchable, nécessaire, porteuse, impalpable, mystérieuse ! Le vent !

Ce vent, gage de notre liberté d’aller, de penser. Qui vous fait centre du monde, qui vous laisse libre d’aller tout droit, de changer d’allure ; au près, au largue, au portant, qui vous permet de tourner en rond. Ce vent qui vous fait centre du monde disais-je, et qui vous permet de découvrir que si vous vous dites au centre du cercle, au moment ou vous prétendez y être, vous n’y êtes déjà plus. Votre liberté n’est finalement qu’approximative puisqu’au moment ou vous tracerez sur la carte le point fixe révélé par vos calculs de route ; à ce moment précis, vous êtes sorti de votre centre, de votre centre à vous. Car sur l’eau, vous n’êtes pas si seul. Et vous n’êtes ni roi, ni sujet . Je le disais tout à l’heure, vous pouvez progresser sous l’allure que vous choisirez, mais vous savez aussi que votre semblable marin, que votre semblable humain, est lui aussi libre d’aller droit, de tourner en rond ou de marquer des angles. Il a ce même pouvoir que vous, cette identique liberté. Vous pouvez croiser, frôler un autre bateau, au point de pouvoir, avec son équipage, échanger des signes, ou même des mots et puis, l’un pour l’autre, disparaître aussi soudainement que l’on s’est apparu. Un instant, nous aurons été quasiment au même point, pourtant, notre monde n’était pas identique, et nous en occupions chacun le centre de manière inégale et différenciée. Ceci avant, qui sait, de nous retrouver, plus tard, dans un même lieu, dans un même port, à ce moment logés, si j’ose dire, à même enseigne.

Car à travers ces rencontres, ces échanges, ce que la mer nous enseigne, ou ranime en nous, c’est l’existence des autres. Toute rencontre sur cette immensité devient singulière, importante et distincte. Immensité de la mer, immensité du cosmos ! Un monde parmi les mondes !

Quand je suis sur l’eau, quand je suis dans la Loge, je ne peux douter que bien des mondes me sont et me resteront inconnus. Dans ces moments de vie, il émane alors de l’extérieur une telle puissance qu’il nous ramène à notre vie intérieure. Voila des instants précieux ! C’est déjà là, me semble-t-il, envisager la sagesse, que de savoir s’efforcer de  ne pas les rater. Comment alors, en ces lieux ou haut et bas se rejoignent, se confondent, ou ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, ne pas se sentir, certes pas continûment, mais quelques secondes parfois, intégré à l’immensité de l’espace. Ne plus alors éprouver le besoin de posséder, mais être totalement dans la fascination du monde mouvant qui vous entoure, être dans ses odeurs, dans ses sons, appartenir à son existence. Avoir laissé sur le ponton ses godasses de ville, comme on laisse ses métaux à la porte du temple. On se retire alors en soi pour y être seul. Et tout ce qui est important dans la vie ne se passe-t-il pas seul ? L’émotion réelle n’est-elle pas solitaire ? Certes ! L’émotion, on peut la partager. On peut être plusieurs à s’émouvoir. Mais pas toujours de la même chose, ni de la même manière. On se retire en soi, disais-je tout à l’heure, pour travailler à être un tant soi peu au clair avec soi-même. Et ce, tout simplement, pour ne pas rester dans une incommunication profonde avec les autres, dans un non partage, apprendre à traverser des mondes différents ; avoir accès à une autre façon de penser ; accès à une sensibilité, une humeur, un humour ou une détresse. Oui ! Loge et mer se rejoignent !

Car n’est il pas vrai, mes FF\, que finalement, tout se rattache à la mer ? Tout, de la naissance jusqu’à la mort ! Je pense à la mort du soleil, sublime boule de feu qui s’éteint chaque soir à l’ouest, comme plongeant dans l’océan et qui reviendra le lendemain matin, à l’est dans sa nouvelle image. Symbole de mort la veille, symbole de vie et de résurrection quelques heures plus tard, ce, en une incessante noria ! Symbole de résurrection donc symbole de Dieu ou des dieux, ou du Grand Architecte de l’Univers !

Partir, sur le fleuve ou sur la mer, c’est mourir un peu nous dit le poète. C’est, à chaque fois, laisser sur la rive quelque chose du vieil homme. C’est de l’eau et de la terre qu’est façonné le premier homme nous dit l’ancien testament. L’eau apparaît en effet comme le principe créateur, rédempteur. Chaque départ, chaque retour, c’est à la fois se perdre et se retrouver. C’est affronter et s’affronter soi-même, c’est se regarder dans le miroir,  passager de sa propre barque, portée par les flots au devant des périls.

Tout autour de nous, sur la mer, dans la loge est symbole. L’humilité est de rigueur, en un lieu comme dans l’autre. L’importance de la préparation, du rituel, est essentielle, en un lieu comme dans l’autre. Ici, en loge, parce que la bonne réalisation du voyage en nous-mêmes est tributaire d’une bonne mise en condition. Sur la mer, parce que cette bonne préparation est gage de toucher l’autre rive dans les meilleures conditions. C’est si souvent par manque de vigilance, par trop grande sûreté de soi, par négligence que l’on passe à côté de ces petites choses qui, accumulées, constituent l’essentiel.

Regardée à ma manière, la mer se veut être le spectacle des spectacles et une véritable initiation à l’invisible. Elle suggère des forces, des puissances, que l’on ressent ou que l’on pressent et qui sont tout aussi présentes, ici, dans la Loge. Tout comme notre périple dans la Loge, à petits pas d’équerre, à circumnavigation angulaire, croisant autour de balises blanches, bleues et rouges a quelque chose de la mer et de ses puissances invisibles.

Alors oui, mon F\ enquêteur, tu avais raison, pour moi la maçonnerie c’est la mer. L’une comme l’autre invitent à  entrevoir l’infini, permettant de mesurer, face à l’ampleur incommensurable  qu’elle désigne à notre humilité, à quel point l’homme est petit !.... Mais à quel point aussi, ce petit d’homme, lorsqu’il consent à s’appuyer sur les richesses autour desquelles il gravite peut se grandir !...

J’ai dit.

J\ C\

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