Obédience : NC Loge : L'Accord Parfait - Orient de Rochefort Janvier 2009

Les Agapes

Pour me  guider dans ce travail sur les agapes, j’ai utilisé 2 fils rouges.
Le premier me pose question depuis que je suis entré en FM  « Pourquoi est-ce aux App de s’occuper du repas ? ». Le 2ème fil rouge est une question que m’a posée un de mes frères quand je lui ai dit que je travaillais sur les agapes « Pourquoi le mets-tu au pluriel ? » 2 questions sans réponse sont le signe pour moi qu’il faut se mettre au travail…
Pour cette planche, pas de lectures indiquées et obligatoires, pas de dogme, pas de certitude, rien que du jus de cervelle pressée à la main, juste une conviction que je vais partager avec vous, mes FF, comme du bon pain…

La minute nécessaire de l’origine des mots

Agape : au singulier, désigne, d’après les dictionnaires, le repas fraternel que partageaient les premiers chrétiens. Mais ce mot n’apparaît qu’en 1574 dans le langage ecclésiastique…
Je suis impressionné par le côté « génération spontanée » des premiers chrétiens, sortis de nulle part (qui a vu le désert de Galilée sait ce que nulle part veut dire). Dès qu’un aspect spirituel est en cause, ne cherchez pas, c’est « les-premiers-chrétiens » comme s’ils avaient inventé toute la spiritualité antique ; avant eux, il n’y avait rien, maintenant, il y a tout…
Circulez, y’a rien à voir…Etonnant, non ?

Au pluriel, les agapes désignent un banquet entre amis.

Le mot « AGAPÈ » est un mot grec qui désigne une forme de l’Amour vécu sur un pied d’égalité en respectant la différence. C’est la définition même de l’Amour fraternel, qui n’est pas l’amour filial ou l’état amoureux. Les Anciens étaient plus malins !...
Le repas n’est que la manifestation, la reconnaissance de cet état de fait, de cette volonté d’égalité dans la joie. Et par extension, il a désigné le moment de cette manifestation.
Au reste, avec qui partagez-vous vos repas ?...Des gens avec qui vous vous sentez bien...
Sinon, c’est un repas d’affaires…

De la matière (le repas) à l’esprit (agapè)… Nous sommes donc d’entrée de jeu à la fois  en plein symbolisme et à la foi en prise directe avec notre réalité physique. J’ai faim, moi, à 11h du soir quand je n’ai pas mangé à 8 h !...
Et en même temps, ce jeûne de 3 heures ne me pèse pas parce que ce qui se passe ici est bien plus important ; une réalité abstraite prend le pas sur un besoin physiologique.
Je ne suis pas l’esclave de mon corps mais il faudra que j’en tienne compte pour continuer à voir les réalités abstraites. N’est-ce pas là, avec le rire, le propre de l’Homme ?

Rien, dans le Rituel ni dans les Règlements Généraux, ne dit que c’est aux App. de s’occuper de la table. (J’ai vérifié…) C’est donc là un aspect traditionnel, avec un T majuscule. Dans toutes les Loges que j’ai pu visiter, il en est ainsi. Il y a donc quelque chose à découvrir là-dessous.
Chez les Opératifs, l’App. va commencer par balayer l’atelier, nettoyer et ranger les outils avant de les manipuler. Souvent, les adolescents le prennent mal parce qu’on ne leur a pas expliqué que c’est le moyen le plus efficace de s’approprier un nouvel environnement. Il en est de même ici.
Nos agapes ne font pas partie de la Tenue. Mais à en croire le rituel, c’est le premier moment, le premier « vaste domaine de la pensée et de l’action » hors du temple ; c’est le retour au monde profane. Nous ne sommes plus en Loge, mais nous restons -j’ose le penser- FM. Comme souvent en FM il faut prendre les choses avec beaucoup de pragmatisme, et parfois par l’autre bout…

Regardons comment se passe l’arrivée des FF dans la Loge : nous arrivons les uns après les autres, en fonction de nos disponibilités  ; parfois on attend sur le trottoir, péripatéticiens des temps modernes, puis on entre, on allume la lumière, le chauffage si besoin. L’Architecte Maître des Banquets lance la cuisine, les maîtres se retrouvent en salle humide, accueillent les visiteurs, se donnent des nouvelles. Les Cp racontent leurs voyages, les officiers préparent le Temple et la tenue et les App mettent la table.

« V M, tous les assistants sont App FM à leur place et à leur office » annoncera le 1er Surveillant. Nous avons donc tous un office à tenir avant même que ne commence la tenue proprement dite. A vrai dire, n’a-t-elle pas déjà commencé ? N’avons-nous pas travaillé, ne nous sommes nous pas organisés, habillés pour cela ?

Le rôle des App est un rôle de l’ombre. Comme tout un chacun ici, ils ont leur place (la plus sûre) et leur office. Cet office est aussi indispensable, à mes yeux,  que celui de l’Expert ou du Couvreur. En se positionnant clairement sur une tâche peu reconnue dans le monde profane, ils en apprennent beaucoup sur eux-mêmes et sur la loge. En travaillant, en étant efficace et humble, ils montrent ce qu’ils sont : « C’est au pied du mur qu’on voit le maçon ». En s’occupant du service, ils apprennent, à mon sens bien plus rapidement qui peut leur apporter quelque chose sur leur propre chemin initiatique. C’est une chance qui leur est donnée de pouvoir passer par-dessus des injonctions du type « Hep, la moutarde ! » « Tu as oublié le sel ! », lancés avec un claquement de doigt comme dans une brasserie. C’est aussi cela, tailler sa pierre brute. C’est un vrai travail sur soi de travailler pour la seule satisfaction d’avoir bien fait son propre travail, sans attendre ni même espérer le moindre retour.

Et si le service était une façon de rendre à la Loge ce qu’elle a apporté aux App. ?

Rester dans l’ombre jusqu’à en frissonner pour mieux apprécier la chaleur du soleil quand il viendra. Frissonnant mais vivant et agissant. L’aube est toujours le moment le plus froid ; quand le ciel blanchit, on sait que le soleil va venir, mais il ne chauffe pas encore…

Il perd beaucoup, celui qui ne saisit pas cette chance.  
Puissent nos Apprentis en faire leur miel.

Dans notre culture, comme dans beaucoup d’autres, le rapport à la nourriture parle de l’essentiel de l’Homme (cf. « Le Cru et le Cuit » de Claude Lévi-Strauss) Les carnassiers mangent leur viande froide ou tiède, mais crue. Les humains cuisinent. C’est bien le rapport de l’humanité au monde qui s’exprime ici, car chaque repas est une victoire sur notre environnement, une transformation des dons de la Nature par le travail. Notre F J L nous expliquerait cela mieux que moi. Le Rituel de la St Jean d’Eté ne nous dit pas autre chose.
Précisément, « nous ne sommes pas dans le monde profane » Nos agapes ne sont pas un concours de cuisine. Je ne demande pas au Maître de Musique d’être Mozart ni au Maître des Banquets d’être Vatel. Ce repas n’est pas un étalage de luxe et de vanité pour flatter le palais et l’ego. Si je veux très bien manger, je connais un très bon restaurant à Rochefort. Mais ce repas est l’expression physique de notre volonté d’agir en frères. Ce n’est pas ce que l’on mange qui est important, c’est avec qui nous le partageons. Nos agapes sont faites à base d’amour fraternel, égalitaire et organisé ; elles sont faites pour nous reconstituer face au monde profane et nous disent que l’Homme ne se nourrit pas seulement de pain. Notre travail sur nous, à l’extérieur de la Loge, selon nos degrés et nos qualités transforme ce que nous apportons ici pour le partager avec ceux que nous reconnaissons comme nos frères.

Dans la consécration catholique, l’officiant a ces mots : « le pain…le vin, fruits de la terre,…de la vigne et du travail des hommes ». Lors de la Pâque juive, on mange debout du pain sans levain parce que l’on doit partir vite : ce pain aidera à tenir pour fuir l’Egypte. Le lien avec nos agapes me direz-vous ? Et bien, à mon sens, de même que le pain et le vin consacré ne sont plus tout à fait uniquement du pain et du vin, je pense que notre travail maçonnique contribue à sacraliser, à « dé profaner » nos agapes.
Je ne pense pas exagérer puisque dans le rituel de la Saint-Jean d’Eté, nous avons bien cet apport du blé, du raisin et du feu. Mais l’analyse demanderait une autre planche.
Le rituel du Banquet d’Ordre (les 2 mots sont importants) nous dit bien ce recueillement et ce besoin de reprendre des forces en vue d’une renaissance future mais certaine.

Nous sommes en tenue d’App et pour conclure, il y a lieu de ramener la dualité à l’unité par le moyen du nombre 3, le ternaire de ce qui apparaissait comme opposé.

Les agapes ne font pas partie du rituel des tenues. Elles nous sont données en plus, par-dessus le marché, comme une cerise sur le gâteau. Nos agapes sont une succession d’actes fraternels avant, pendant et après la tenue. C’est pour cela que le mot est au pluriel. Elles sont l’expression matérielle et physique de cette fraternité que nous essayons de faire vivre et que nous voulons pour tous les hommes.

E\ D\


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