LSD et Etats
Modifiés de Conscience : un Pas vers la
Conscience ?
(Note a l’usage des lecteurs :
l’auteur tient beaucoup au point d’interrogation
dans le titre car, dit-il, un Maçon se pose des questions,
il n'affirme rien sous une forme péremptoire.
L’absence du ? dans le titre de la table des
matières des archives est uniquement due à un
problème informatique, les ?
n’étant pas admis dans les noms de fichiers.)
INTRODUCTION
L'emploi de drogues hallucinogènes n'est pas
un phénomène de notre temps ; leur usage
était commun à d'autres civilisations : en tout
lieu de la Terre et en tout temps de l'Histoire, l'Homme a
utilisé des substances - naturelles, puis
synthétiques - capables de modifier son état de
conscience, faisant ainsi reculer les limites de sa perception de la
réalité. Le sommeil et les rêveries
sont des exemples d'états de conscience
altérés, tout comme la transe, l'hypnose, la
méditation, l'anesthésie
générale, le délire, les psychoses et
les extases mystiques.
Il y a de bonnes raisons de penser que la
psychopharmacologie était utilisée à
une large échelle par les mages et les prophètes.
A Delphes, la pythie, prêtresse d'Apollon, rendait des
oracles, juchée sur un trépied dans les
émanations vaporeuses qui s'échappaient d'une
crevasse. Chez les Aztèques et les Mayas, l'usage du peyotl
était le privilège des prêtres, comme
pour les chamans, chez les populations sibériennes et
amérindiennes. L'usage des drogues permettait, croyait-on,
une communication plus aisée avec les dieux.
Je ne traiterai pas ce soir de la totalité
des psychotropes, mais de celui que j'ai pratique avec le plus
d'intérêt : il s'agit du LSD. Rassurez-vous, je ne
risque plus rien ; les faits remontent à une
période comprise entre 20 ou 30 ans : ils sont donc
couverts par la prescription légale. Je sais que je peux
m'ouvrir à vous, mes SS\ et mes FF\, car j'ai souvent
entendu dire ici-même que la recherche de la
vérité n'admet aucune contrainte.
Je ne prétends pas que mes
expériences puissent avoir une portée
universelle : elles sont purement personnelles. Cependant,
devant les témoignages concordants de la plupart des
utilisateurs de LSD, comment ne serait-on pas tenté
d'essayer de dégager un principe archétypal ?
Mais nous allons tout d'abord définir la notion
d'hallucinogène.
DEFINITION DES HALLUCINOGENES
Un hallucinogène (du latin hallucinari : rêver, se
promener en pensée - remarquez, SS\ et FF\ latinistes, que
ce verbe est construit à partir de lux, la
lumière). Un hallucinogène, disais-je, est une
drogue qui altère radicalement l'état mental
d'une personne, entraîne des distorsions de la
réalité, déforme les perceptions
sensorielles, les émotions, les processus psychologiques et,
à fortes doses, provoque des hallucinations. La plupart du
temps, on le consomme en raison de l'état
d'élargissement de la conscience qu'il procure.
L'hallucinogène le plus répandu est le LSD
(diéthylamide de l'acide d-lysergique), surnommé
tout simplement acide.
PRESENTATION
Le LSD est le plus puissant hallucinogène connu.
Fabriqué en laboratoire, il s'agit d'un alcaloïde
semi-synthétique, extrait d'un champignon parasite du
seigle. Sa puissance est telle qu'on le consomme en microgrammes (un
microgramme équivaut à un millionième
de gramme). Un kilo de LSD permet de produire 10 000 000 de doses de
100 microgrammes, mais le dosage peut varier de 80 a 400 microgrammes.
A l'état pur, c'est une poudre blanche inodore et sans
saveur. Il se présente le plus souvent sous la forme d'un
liquide dont on imprègne des buvards. On le trouve aussi
sous forme de capsules, de pilules de petite taille aux couleurs aux
formes variables permettant de les identifier (« mica »,
« sunshine »,
« pyramide »,
« monstre vert ».),
pur ou mélangé à d'autres produits (le
plus souvent des amphétamines).
Mode de consommation
Lorsqu'il se présente sous forme de pilules, le LSD est
ingéré. Sous forme de
« buvards », il est
placé sur la langue : l'alcaloïde se dissout au
contact de la salive, puis il est absorbé par la muqueuse.
Ce mode d'ingestion produit les effets les plus rapides. Par contre,
comme la chaleur détruit ses effets, il ne peut pas
être fumé.
Mode d'action
Un certain nombre d'alcaloïdes actifs dérivent du
tryptophane : or, tous ces alcaloïdes présentent
une ressemblance frappante avec un autre médiateur chimique,
la sérotonine, qui, elle aussi, dérive du
tryptophane ; dans le cerveau, son rôle dans la transmission
de l'information est déterminant.
Comme beaucoup d'hallucinogènes dont la structure
moléculaire s'apparente à celle de la
sérotonine, le LSD désorganise la
neurotransmission.
Dans les neurones, la sérotonine est
normalement stockée dans des vésicules.
Lorsqu'elle est libérée dans l'espace synaptique,
elle atteint les sites récepteurs d'un autre neurone, qui
s'adapte à ce signal ; la sérotonine en
excès est ensuite ramenée dans le neurone
émetteur par un système de recapture.
Le LSD agit en libérant la
sérotonine dans l'espace synaptique, tout en perturbant le
système de recapture ; c'est donc cette saturation en
sérotonine qui perturbe la transmission du message : les
neurones sont interconnectés en permanence, et
l'encéphale fonctionne à pleine puissance.
Risques
Le LSD ne provoque aucune dépendance, ni physique, ni
psychique ; mais, plus que pour toute autre drogue, ses effets
dépendent de la stabilité affective et
psychologique de l'usager : une personne anxieuse, inquiète
ou gérant mal ses émotions risque de
n'expérimenter que ses propres peurs ou angoisses,
amplifiées au paroxysme par l'intensité et la
désorientation propres au LSD.
Le voyage peut tourner mal (on parle alors de bad trip, ou freak out) :
ce sont des angoisses, de la panique, et des visions de cauchemar
pouvant entraîner des troubles psychiques graves.
Il n'existe aucun cas connu de décès
associé directement à une dose excessive, bien
que la perte de contact avec le réel ait pu causer des morts
accidentelles.
EFFETS
Au bout de trente minutes après ingestion de la dose,
l'usager commence à ressentir les premiers effets. Les
symptômes atteignent leur maximum au bout de 2 heures et
cessent après 12 heures. Je parle d'heures : mais ce sont
là des heures
« normales », des heures banales,
des heures de « Monsieur Tout-le-Monde »,
des heures de profanes. Car il faut distinguer le temps objectif du
temps subjectif : comme l'acide provoque une altération de
la perception du temps, des heures d'expérience subjective
peuvent n'avoir duré réellement que quelques
minutes, et une simple seconde peut sembler durer une
éternité !
L'expérience subjective du LSD est
qualifiée de psychédélique, ou
d'expansion de la conscience. Chaque perception, chaque sens est
hypertrophié au-delà des limites habituelles : la
musique, les odeurs, le toucher, les objets sont
perçus avec une acuité et une
sensibilité qui fait de chacun un nouveau monde.
La perspective est faussée ; tout vibre et
brille d'une manière surnaturelle. En fermant les yeux, on
est emporté par un flot d'hallucinations
colorées, plongeant dans un tunnel dont les parois sont
formées de motifs géométriques
mouvants d'une extrême finesse, en perpétuelle
évolution, sublime kaléidoscope dont la
subtilité indicible pourrait être
comparée à l'architecture d'une fugue de Jean
Sébastien Bach (et encore, il ne s'agit là que
d'une approximation grossière), conduisant toujours plus
loin vers une lumière de plus en plus brillante, de plus en
plus extatique.
L'expérience au LSD est aussi
caractérisée par la synesthésie. Les
sens sont « croisés »
; on peut sentir ou entendre les couleurs, voir les sons : ainsi, un
morceau de musique sera perçu comme un paysage abstrait en
perpétuelle évolution, que l'on vit
intensément car il n'existe alors aucune
frontière entre « l'entité-musique »
et le « moi ».
L'EXPERIENCE TRANSCENDANTALE
Je viens de vous décrire certains des effets sensoriels
provoques par le LSD ; mais il arrive souvent que les
expériences s'orientent vers l'introspection, la
connaissance de soi, l'exploration de la conscience et de
l'inconscient.
Une caractéristique importante des états induits
par le LSD consiste en un changement majeur du sentiment de
« l'ego »,
c'est-à-dire la conscience du
« moi » comme entité
distincte. L'altération du psychisme provoque une sensation
d'irréalité, et l'impression que l'esprit et le
« moi » se séparent du
corps.
J'ai ainsi profondément ressenti ce que peut
signifier :
« « Je » est
un autre ». Des mystiques de toute religion
certifient que cette perte de conscience du
« moi » est un des aspects
essentiels de l'expérience humaine la plus
élevée.
Il est écrit dans le Poimandres (premier des 17 traites que
comporte le Corpus Hermeticum attribue a Hermès) :
« Subitement tout s'ouvrit devant moi en
un moment, et je vis une vision sans limites, tout devenu
lumière sereine et joyeuse et, l'ayant vue, je
m'épris d'elle. »
Cette vision est à rapprocher de ce que le bouddhisme nomme
la « vision juste », et les
mystiques musulmans ou chrétiens, « l'oeil
du cour ». Elle a pour
finalité l'expérience que Plotin fait tenir en
une formule concise : « Faire un avec ce
que nous voyons. »
Ce n'est pas par hasard que j'utilise ces deux citations
; mes SS\, mes FF\, je vais certainement passer pour un
illuminé à vos yeux (illuminé : au
sens péjoratif du terme.) ; je tiens néanmoins
à essayer de vous faire comprendre ce que j'ai
éprouvé chaque fois que j'ai pris du LSD. Mais il
est très difficile de lever ne serait-ce qu'une partie du
voile ; l'expérience psychédélique est
par nature incommunicable, et c'est pourquoi je dois recourir
à une analogie : comment faire comprendre ce qu'est une
couleur à un aveugle, ou une oeuvre musicale à un
sourd ? Il leur manque un sens.
Lors d'un voyage qui remonte à quelques mois, il m'avait
été rappelé l'importance des sens ; je
crois sincèrement que le LSD apporte un sens
supplémentaire, de même nature que l'empathie,
mais une empathie portée à son paroxysme.
Les mots n'existent pas pour qualifier ce que j'ai
vécu, éprouvé au plus profond de moi.
Comment décrire, faire partager - même
maladroitement - cette sensation de dissolution de mon pauvre petit
ego, suivie de sa fusion extatique avec une entité
indescriptible ? Cette sensation - mais ce n'était
même plus une sensation : c'était une certitude,
une réalité intensément
vécue - d'unité absolue, ultime, avec le Cosmos,
de compréhension intime et totale du Tout. Un retour a
l'Unité Primordiale. J'étais pleinement moi. J'ai
connu (au sens premier du terme) la signification de cet adage :
« Tout est dans Tout. »
Ce n'était peut-être qu'une
illusion ? Mais alors, quelle puissante, et concrète
illusion !
Pour moi, l'expérience psychédélique
est un processus transcendantal qui permet d'explorer des champs de la
réalité non ordinaire ; elle amène
à concevoir que la « réalité
de consensus » n'est qu'un petit segment
(occidental) du spectre de ce que l'homme (universel) peut percevoir du
réel. Nous devrions méditer sur le mythe de la
caverne, et sur le gnothi seauton – « connais-toi
toi-même » - delphique.
ANALOGIES AVEC LA FRANC-MACONNERIE
Au grade de Compagnon, le perfectionnement passe par le voyage ; or
– cela peut sembler paradoxal - il n'est pas toujours
nécessaire de se déplacer pour voyager. Il est
également curieux de constater que l'expérience
du LSD est dénommée
« voyage ». Oui, j'ai
voyagé, abordant des rivages inconnus de la plupart des
individus ; c'est pourquoi je me considère plutôt
comme un « psychonaute »,
explorateur de l'espace intérieur, où tant de
terrae incognitae restent à découvrir.
A mes yeux, cette démarche illustre pleinement la formule
VITRIOL gravée sur une paroi du cabinet de
réflexion.
Cette approche m'a-t-elle permis de trouver la pierre cachée
?
De tout temps, les drogues dites aujourd'hui
psychédéliques ont joue un rôle capital
dans l'expérience initiatique. Nous n'avons en cela rien
inventé, mais simplement renoue avec une tradition
millénaire.
Le but de l'initiation consiste à provoquer
une radicale et fondamentale modification de notre pensée et
de notre être, de notre manière de penser, et de
notre manière de vivre. Il s'agit, comme le disent nos vieux
rituels, de « passer des
ténèbres à la lumière »
et, par cette lumière qui nous illumine, de changer notre
être et notre vie.
Il m'a été donne d'apercevoir, lors de mes
pérégrinations lysergiques, une
lumière surnaturelle, que j'ai pourtant
éprouvée comme bien réelle. Etait-ce
elle qui m'a guide jusqu'à vous, mes SS\ et mes FF\ ?
Le symbolisme de la mort et de la renaissance est commun
aux religions et aux sociétés initiatiques ; dans
la mythologie, demi-dieux et héros meurent et renaissent
divinises ; les religions à mystères
présentent et font revivre au myste la naissance, la
passion, la mort puis la résurrection d'un dieu (Tammuz,
Osiris, Attis, Dionysos, sont tous « deux
fois nés »).
Les expériences chamaniques, mythologiques et
ésotériques présentent, à
travers une naissance, une mort et une renaissance symboliques, la
possibilité d'une restauration de l'unité de
l'être (sujet et objet, matière et esprit,
commencement et fin, un et multiple, créateur et
créature, masculin et féminin).
Les voies ésotériques
(hermétisme, alchimie, astrologie, gnose,
théosophie) présentent elles aussi diverses
méthodes analogiques et symboliques d'éveil de la
conscience. Cet éveil est symbolisé comme
renaissance, rupture avec l'état de mort (ou d'inconscience)
à la réalité transcendantale ;
état de mort qu'est l'existence empirique,
constituée progressivement dans l'enfance,
écartelée par l'opposition d'un moi et d'un
monde.
Cette renaissance est décrite symboliquement à
travers plusieurs étapes de retour à un
état de contemplation par l'esprit de l'ordre des
vérités éternelles. La renaissance
symbolique est celle de l'homme intégral.
Nous voyons que le symbolisme de la mort est
omniprésent dans toute démarche initiatique ; la
mort est un passage obligé pour renaître
à un niveau supérieur : il ne faut donc
pas la craindre. Mais il est plus facile de l'admettre comme symbole
que comme un état vécu lorsque, au cours d'une
expérience psychédélique, on sent
l'ego se dissoudre, aspiré par ce que l'on pourrait prendre
pour le néant. Cette perte d'identité est en fait
un passage obligé pour accéder à un
autre niveau de conscience ; c'est en cela que j'assimile l'exploration
de la psyché, à l'aide du LSD, à une
véritable initiation, avec tous les risques qu'elle peut
comporter, y compris celui d'une mort qui n'a rien de symbolique, car
presque vécue. Pareillement au
« secret » maçonnique,
l'expérience psychédélique est, par
nature, incommunicable.
Ce que j'ai expérimenté est
corroboré par le psychologue Grof, qui rapporte les
« visions » induites par du LSD
administre à des malades incurables :
ceux-ci vivaient des expériences imaginaires de rencontre
avec la mort, analogues aux témoignages qui nous sont
parvenus des mystères antiques, comprenant la mort comme
passage possible vers une vie différente.
Il s'agit, en définitive, d'accepter une mutation profonde,
de mourir à un niveau de conscience pour pouvoir
renaître à un autre plus
élevé. Tel est le sens de l'initiation, mais avec
le risque pressenti, qui est au coeur de toute épreuve
initiatique authentique, de ne pas revenir de l'expérience,
vécue comme une descente aux enfers, dans les zones obscures
de la psyché.
L'initiation maçonnique veut, elle aussi, nous
délivrer, dégager en l'homme ce qui est esprit.
Peut-elle, comme l'écrivait René Guenon,
permettre à l'homme « de
dépasser les possibilités de l'état
humain, de rendre effectivement possible les états
supérieurs, de construire l'être
au-delà de tout état conditionné quel
qu'il soit » ?
CONCLUSION
Gérard de Nerval disait que le rêve, produit
artificiellement ou non, n'est pas une fuite du réel, mais
l'exercice d'une conscience différente, d'une
lucidité autre. Toute la question est de savoir par quels
moyens l'Homme peut ouvrir les portes qui lui donneront
accès au domaine de l'esprit. L'usage de psychotropes est
une instrumentation de soi et, de nos jours, c'est avec les moyens
offerts par la chimie organique que l'homme contemporain cherche le
chemin d'une antique sagesse depuis longtemps oubliée.
A une époque de ma vie, j'ai vécu
certaines expériences psychiques que l'on définit
généralement comme des états modifies
de conscience, ou paroxystiques, dont j'ai tiré un
enseignement considérable sur beaucoup de plans.
Dans l'ensemble, ces expériences ont
été très significatives : elles m'ont
révélé l'existence de dimensions du
réel qui échappent à la conscience
ordinaire, et m'ont permis de corroborer certaines informations
concernant la pensée traditionnelle ou
ésotérique. J'ai cependant compris que j'avais
dépassé cette étape aventureuse et
risquée de ma recherche, et que je devais
dorénavant - ayant intégré dans mon
expérience personnelle les renseignements qu'elles m'avaient
révélés - poursuivre mon cheminement
à partir de la conscience ordinaire, en cherchant
à l'élever, jour après jour.
C'est la raison de ma présence parmi vous.
J'ai dit, V\ M\
S\ C\
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