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Nouveaux éclairages alchimiques
 de la cathédrale d'Amiens

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L'Adepte Fulcanelli ayant largement invité le lecteur, en son Mystère des Cathédrales, à examiner le symbolisme hermétique jalonnant la prestigieuse cathédrale picarde, paraît-il expédient d'en prolonger le discours ? Assurément, oui, si l'on se réfère à d'autres éléments alchimiques incontestablement présents dans l'édifice et soumis ainsi à la sagacité de l'observateur rompu à l'étude de la divine Science d'Hermès.

Il faut dire que la docte exégèse de l'Adepte s'était déjà vue complétée en son temps par celle non moins érudite de son disciple Eugène Canseliet, notre bon maître de Savignies (in Atlantis, n°2l8). Décrivant philosophiquement les "quatre-feuîlles" du Stylobate, du Portail du Sauveur, il ne manqua pas de souligner les incohérences d'interprétations apportées par les historiens d'art, les concernant.

Ainsi, pourra-t-on nous-même relever, à la suite de G.J. Witkowski (in L'Art profane à 1'Eglise, éd. J. Schemit, Paris, 1908), que le quatre-feuîlles placé sous la statue de Zacharie, ne représente pas - suivant l'interprétation officielle - le Triomphe de l'Impiété, mais bien plutôt "la Vérité nue sortant du puits", de toute évidence !

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D'ailleurs n'est-ce pas la même allégorie que suggère, certes avec davantage de pudeur, plus loin, un autre quatre-feuîlle. A sa droite, un bas-relief représente un personnage à double visage (bi-frons). Deux serviteurs l'entourent de part et d'autre et, attablé, il semble leur présenter un vase à chacun. On peut y deviner une allusion au principe hermétique de l'unité-dualité, car tout apparaît duel sur ce quatre-feuîlles qui nous renvoie par ailleurs à l'Androgynat primordial, ainsi qu'à l'union indissoluble, réalisée par l'Artiste, du Soufre et du Mercure.

Jouxtant cette sorte de Janus, le quatre-feuîlles suivant n'est autre que l'Alchimiste de la cathédrale d'Amiens. Faisant preuve de quiétude, voire de sérénité, il entretient le feu de son athanor. C'est assurément, la seule interprétation idoine, d'autant que l'on peut observer immédiatement sur le quatre-feuîlles à sa droite, un autre philosophe qui creuse ardemment le sol afin d'en extraire la prima materia du Grand œuvre.

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A ce propos, nous livrons au lecteur cet extrait d'un ouvrage quasi-introuvable d'un certain Pyrazel, dont nous avons d'ailleurs fourni d'autres passages dans la nouvelle édition abondamment illustrée et complétée de notre Alchimie : science & mystique (éd. De Vecchi, 2001). La pertinence du contenu de cet extrait n'a d'égal que l'ensemble de l'ouvrage ainsi d'ailleurs que d'un autre du même auteur, paru il y a près d'un an [1] :

"Quel est le véritable message de l'alchimiste de la cathédrale d'Amiens ? Encore une fois, c'est la cabale solaire qui permet d'en percer le substantifique mystère. Notons tout d'abord que notre philosophe au genou découvert (symbole de l'Initié) est déchaussé, ses souliers étant singulièrement mis en évidence, en contre-bas de la présente scène. Or, "soulier" se dit calceus en latin et les "chausses" viennent du latin calco qui mène à l'idée de "fouler aux pieds". Qu'est-ce donc que l'alchimiste foule aux pieds, sinon l'inestimable prima materna, si l'on se rapporte aux avis les plus autorisés des anciens Adeptes!

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D'ailleurs, pour nous le rappeler encore, s'il en était besoin, le quatre-feuîlles, à droite de celui-ci, possède la même intention symbolique, puisqu'on y voit un personnage fouillant le sol de son outil. Il est certain que le latin calcarea qui désigne un vulgaire caillou calcaire, laisse le philosophe hermétique sur sa faim, tant la frustration est grande. Alors qu'il en va tout autrement avec le terme grec chalcos qui désigne le précieux Laiton que l'alchimiste avisé se doit de blanchir, c'est-à-dire de purifier, ainsi que l'indique précisément le bon Nicolas Flamel

"Cette Terre a été appelée par Hermès la Terre des feuilles, néanmoins son plus propre et vrai nom est le Laiton qu'on doit puis après blanchir." (in Le Livre des Figures Hiéroglyphiques).

Que penser alors de la "chalcopyrite" (de chalcos: cuivre) dont la formule chimique CuFeS2 s'applique à désigner le minerai veiné de bleu-violacé, très répandu dans la Nature ? C'est sans doute le lieu de se souvenir que, suivant les Lois édictées par la grande Dame, si kakos signifie dans la langue des Hellènes, "ce qui est mauvais", kallos désigne en grec, par un effet d'opposition dualiste obligée, "la beauté" incontestable ...

Sans doute pourrait-on ajouter ce texte attribué à Isaac Hollandus et cité par Daniel Mylius (in Basilica Philosophica. Francofurti, apud Lucam Jennis, 1618) : "Je vous confie donc qu'on peut comprendre, après cela, que Saturne est notre pierre philosophique et le Laiton, d'où le mercure et notre pierre peuvent être extraits en peu de temps et sans grands débours, au moyen de notre Art bref"...

Encore conviendrait-il à l'enfant d'Hermès de distinguer nettement première matière et matière prochaine !

Quelle plus belle image d'un "philosophe par le feu" (philosophus per ignem) que celle que nous fournit notre alchimiste ici, puisqu'il fait face à une flamme ardente qui s'échappe du foyer. Que peut bien alors sortir de la paume de sa main gauche (celle du coeur) bienveillante, sinon l'élément igné salin constituant le Feu Secret lui-même ! Rien d'étonnant à cela pour notre véritable Adepte au sourire et à l'expression qui en dit long !

On peut admirer sur un autre quatre-feuîlles une scène qui ne souffre pas davantage d'équivoque quant à la réalité hermétique qu'elle renferme. Dans une tour qui tient lieu d'athanor, on remarque en effet dans la partie supérieure un oiseau où certains verront un aiglon - suggérant bien-évidemment les Aigles ou Sublimations du Second OEuvre - tandis que d'autres croiront nettement distinguer un corbeau, désignant la phase de putréfaction du caput mortuum qui a subi la séparation du "beau corps" (corbeau) mercuriel, au sortir du Premier OEuvre. Jusqu'à la forme même de l'édifice qui remplit complètement le quatre-feuîlles et détermine ainsi une croix, désignant sans ambages, dans sa partie médiane, le creuset (crux, cruz) au sein de l'athanor, dont la partie inférieure laisse apparaître un porc-épic ou hérisson surmonté d'un Tau. Si l'on sait que ce dernier symbolise d'une manière générale la Gnose en scellant l'empreinte de la Tradition, on sait moins qu'il est l'apanage des Antonins se réclamant de Saint-Antoine l'Ermite. En outre, le Tau esquisse ici la forme d'un maillet ou d'un marteau, capable d'effectuer précisément la séparation de "la lumière des ténèbres", évoquée plus haut D'ailleurs, le hérisson ne suggère t’il pas parfaitement ici, ainsi qu'à Bourges, au Palais Jacques Cœur - la prima materia du Grand OEuvre, tant ses épines ne laissent de nous interpoler par leur éloquence !" (în "Le Grand OEuvre à tire-d'aile, du clerc adepte Pyrazel", éd. hors-commerce).

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Nous nous permettrons quant à nous, d'y adjoindre l'interprétation symbolique du hérisson, associé à la châtaigne, fournie par Fulcanelli : "Or, ce fruit auquel son péricarpe épineux a fait donner le nom vulgaire de hérisson (en grec oursin, châtaigne de mer), est une figuration assez exacte de la pierre philosophale telle qu'on l'obtient par voie brève. Elle parait, en effet, constituée d'une sorte de noyau cristallin et translucide, à peu près Sphérique, de couleur semblable à celle du rubis balai, enfermé dans une capsule plus pu moins épaisse, rousse, opaque, sèche et couverte d'aspérités, laquelle, à la fin du travail, est souvent crevassée, parfois même ouverte, comme l'écale des noix et des châtaignes." (Les Demeures Philosophales, t.2,pp. 152-153)

Quelle plus belle preuve en vérité, de la polyvalence des symboles !

Contre le pied-droit du porche central, on trouve un quatre-feuîlles engagé, situé directement au-dessous de celui du coq et du renard" décrit par Fulcanelli. On y voit un chien et un oiseau (un aigle?) - les deux natures : aptère et volatile - s'affronter et se tenir agrippés de manière fort curieuse. On devine aisément dans cette forme le parfait symbole hiéroglyphique du Sel alchimique.

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C'est véritablement l'image de la Pierre Philosophale androgyne en formation. C'est à proprement-parler le Sel de Sapience à propos duquel Fulcanelli écrivit : "C'est là le Sel des Philosophes, le Roi couronné de gloire, qui prend naissance dans le feu et doit se réjouir dans le mariage subséquent, afin, dit Hermès, que les choses occultes deviennent manifestes. Rex ab igne veniet, ac conjuglo gaudebit et occulta patebunt."

Un peu plus loin encore, le haut-lieu picard laisse apparaître, sous l'aspect d'un dragon ou plutôt d'une salamandre recroquevillée sur elle-même, le symbole familier des alchimistes, déterminant par une sorte de diamètre, l'hiéroglyphe du sel de nitre ou salpêtre, sel de pierre (salamandra, sal petri) canoniquement préparé à l'aide de la précieuse Rosée printanière.

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Deux arbres présents sur des bas reliefs, au demeurant fort différents, retiennent encore notre attention. Le premier est visiblement un chêne, puisqu'il porte deux glands démesurément en évidence, eu égard à la petite taille de l'arbre. Il s'agit vraisemblablement d'un chêne Kermès ("qu'Hermès") dont les fruits symbolisent ici les deux premières matières minérales du Grand OEuvre alchimique.

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Le second bas-relief est encore plus étonnant. Il affecte la forme d'une arborescence lumineuse sortant d'un vieux tronc démesurément large et nullement approprié à servir de socle à cette sorte de buisson ardent ; à moins qu'il ne s'agisse d'un simple rocher. Ceci nous ramènerait à l'"arbre de Piccolpassi" ornant son Art du Potier et ainsi décrit par le bon maître de Savignies (in Alchimie, éd. J-J Pauvert, p.229) :

"L'iconographie symbolique a souvent figuré le sujet minéral des sages, dans son état primordial et tel qu'il est extrait de son gîte minier, par le rocher aride qui supporte et nourrit un arbre vigoureux et surchargé de fruits. C'est ce motif qu'on remarque, surmonté des mots latins "sic in sterili" - ainsi dans le stérile - sur la pénultième page du très curieux Art du Potier, de Cyprian Piccolpassi."

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               "Sic in sterili" - ainsi dans le stérile 

Comment mieux conclure cette modeste intrusion dans le livre de pierre que constitue inéluctablement ce chef-d’œuvre gothique picard, que par ce quatre-feuîlles représentant l'instruction reçue avec humilité du maître lui-même. L'Initié (au bonnet phrygien) porte le phylactère de la Doctrine sacrée, de toute évidence, la Philosophie hermétique, sur lequel, ainsi que l'enseignait Fulcanelli, rien ne peut être écrit ... sinon la vérité elle-même

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Par Patrick Rivière

[1] - Pyrazel, L'Ambroisie du Soleil ou la Pierre héroïque, éd. Ramuel 2000

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