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La légende d’Hiram : relevailles par les cinq points du compagnonnage, les attouchements et les noms
 
En premier lieu, il faut rappeler que le mythe d’Hiram rapportant sa mort et ses relevailles n’apparait de manière complète qu’en 1730 dans Masonry Dissected de Samuel Pritchard.
Dans cette planche, j’ai donc travaillé sur les relevailles du Maître et ses modalités, et pour cela, je me suis également intéressée aux différents noms et aux attouchements.
La reconstruction du Temple, objectif de la franc-maçonnerie depuis ses origines, correspond en priorité à la reconstruction intérieure de l’Homme, et nécessite une connaissance des Noms sacrés. Pour les premiers maçons, ce qui constitue le secret ne peut être qu’évoqué, qu’invoqué, puisque le secret mène à la connaissance du nom de Dieu, indicible. Dans les rituels maçonniques, les noms de Dieu sont communiqués soit sous forme cachée comme dans les mots Jachin et Booz communiqués aux apprentis / compagnons, soit de manière directe en tant qu’ancien Mot de Maître, Jéhovah, soit sous forme substituée telle dans le mot MB, et interviennent dans ce qu’on appelle les relevailles du Maître.
 
Voyons alors un peu ces détails que les anciens catéchismes et divulgations maçonniques nous ont laissés au cours de leur évolution.
Dès les origines écossaises de la Maçonnerie, les deux mots sacrés Jachin et Booz sont transmis à l’apprenti entré : ils ont la connaissance des voyelles A, I pour Jachin et O pour Booz. Aujourd’hui apprentis et compagnons connaissent ces voyelles dissimulées dans les colonnes qui constituent le trésor, car en ayant la connaissance des trois voyelles I, O, A, le Maître maçon pourra les insérer entre des consonnes afin de pouvoir prononcer l’ancien Mot de Maître, le Nom Divin. Rappelons qu’il connaît également les trois nombres 3,5,7 et leur somme, à savoir 372 signifiant "IHVH [est] son Nom".
 
Dans nos rituels actuels, au grade de Maître, le mythe d’Hiram est explicité : l’architecte Hiram est assassiné par trois compagnons félons qui veulent lui soutirer le Mot de Maître, puis il est enterré / caché sous terre dans un endroit reconnaissable par un rameau d’acacia.
Sur son corps est posée une lame d’or où IHVH est gravé. Cette tradition se maintient dans le Rite Français et dans le Rite Écossais Rectifié, alors que les rituels anglais ont abandonné cet usage à la fin du XVIIIe siècle. Dans la tradition de la Maçonnerie des Anciens, qui donnera naissance au REAA, le Mot de Maître est perdu et un légendaire spécifique va se développer.
Dans le mythe, le travail commence donc sous un tas de décombres[i], ce qui signifie que l’homme a perdu son corps de gloire, a revêtu le vêtement de corruption, tout en gardant à l’intérieur de lui-même le germe d’immortalité et de toute-puissance représenté par la branche d’acacia, et la possibilité de sa divinisation ou déification avec la lame d’or.
 
Dans la divulgation anglaise Les Trois Coups Distincts de 1760, avant de mourir Hiram ne peut donner le Mot de Maître aux compagnons félons, car il est dit qu’« il n'était pas en son pouvoir de le transmettre seul, qu'il fallait Salomon Roi d'Israël, Hiram Roi de Tyr, et Hiram Abiff » afin de le transmettre. C’est-à-dire qu’il faut une triple voix afin de pouvoir prononcer le mot…
 
Nous retrouvons cette idée antérieurement, avant même que la légende d’Hiram ne soit constituée. Le mot de maître, la triple voix sont toujours associés aux relevailles du maître ainsi qu’aux cinq points du compagnonnage. Ainsi dans le manuscrit écossais Graham de 1726, il est raconté que le secret est transmis depuis Noé. Ce sont Sem, Cham et Japhet qui se rendent sur la tombe de leur père Noé, et conviennent « que s'ils ne trouvaient pas le véritable secret lui-même, la première chose qu'ils découvriraient leur tiendrait lieu de secret. Ils arrivèrent donc à la tombe et ne trouvèrent rien, si ce n'est le cadavre déjà presque entièrement corrompu. Ils saisirent un doigt qui se détacha et ainsi de suite de jointure en jointure jusqu'au poignet et au coude. Alors, ils redressèrent le corps et le soutinrent en se plaçant avec lui pied contre pied, genou contre genou, poitrine contre poitrine, joue contre joue et main dans le dos, et s'écrièrent : "Aide-nous, 0 Père ! ". » « Ils reposèrent ensuite le cadavre, ne sachant que faire. L'un d'eux dit alors : "Il y a encore de la moëlle dans cet os", et le second dit : "mais c'est un os sec " ; et le troisième dit : "il pue". Ils s'accordèrent alors pour donner à cela un nom qui est encore connu de la Franc-Maçonnerie de nos jours. »
Ces trois paroles prononcées par trois personnes, cette triple voix semble nécessaire aux relevailles, et à la transmission du secret qui réside dans la connaissance et la prononciation du Nom. Ici un jeu de mots en anglais, "Moëlle dans l’os" se dit "Marrow in the Bone" ; ici se cache M.B. !!!
 
Dans les légendes ultérieures élaborées autour du meurtre d’Hiram et la connaissance de l’ancien Mot de Maître Jehovah, la triple voix nécessite la réunion des trois Grands Maîtres, le roi Salomon, le roi Hyram de Tyr et Hiram l’architecte, car « Trois personnes au monde étaient les seules à le connaitre et, si ces trois-là n’étaient pas ensemble, on ne pouvait pas le communiquer[ii] ».
Dans le Régulateur du Maçon de 1801, on en trouve une trace voilée lorsque le Très Respectable Maître dit aux deux Vénérables Surveillants qui l’assistent au moment des relevailles du corps d’Hiram : « Ne savez-vous pas que vous ne pouvez rien sans moi, et que nous pouvons tout à nous trois. »
 
Dans le cas où la légende maçonnique affirme que la Parole est perdue à la mort de l’architecte Hiram, puisque la triple voix ne peut plus être mise en œuvre, un mot de substitution sera donné à ceux qui retrouveront le cadavre et qui relèveront le corps. Cette manière d’être trois pour composer la triple voix est également nommée la "règle de trois", et concerne toujours la manière de retrouver la Parole perdue afin de devenir Maître Maçon.
 
Le mot substitué sera donné par les initiales M. B. Sans entrer dans le détail des mots substitués qui ne nous concerne pas aujourd’hui, je vous cite simplement les variantes. Au tout début du XVIIIe siècle, jusqu’à la divulgation de Pritchard en 1730, nous trouvons : Mahabyn, Matchpin, Maughbin, Magboe. Pritchard donne Machbenah, puis on trouvera Macbenack[iii], Makaben, ou Machbinna[iv] avec pour signification « le constructeur est frappé ». Pour les Anciens, on utilisera Moabon, Mahhabone[v], signifiant "la moelle dans l'os", "la chair quitte les os" ou "il est presque pourri jusqu'à l'os" montrant l’idée de putréfaction du cadavre.
En allant plus loin, l’altération "Ma ha bone" est une question en hébreu qui peut se traduire par "Qui est l'architecte ?" attendant là encore une réponse, le nom de dieu Tout-puissant : El Schaddaï.
 
Revenons maintenant sur les relevailles elles-mêmes du récipiendaire qui accède à la maîtrise. Nous assistons à une palingénésie, c’est-à-dire au retour à la vie du Maître mort, à une régénération, à une renaissance.
Dans les catéchismes écossais, où la communication du mot de Maçon est l’essentiel de la cérémonie, les compagnons de métiers, et non les maîtres au sens actuel, reçoivent les mots (ici J et B) dans la posture appelée "les cinq points du compagnonnage", « à savoir : pied contre pied, genou contre genou, cœur contre cœur, main contre main, oreille contre oreille »[vi]. Un aparté intéressant : le manuscrit écossais Sloane n°3329, et le manuscrit irlandais d’influence écossaise Trinity College, établissent une différence entre les signes des compagnons et ceux des maîtres, et attribuent à ces derniers un mot distinct (ici Mahabyn), montrant par là même que trois grades existent déjà dans les années 1700 - 1711. Sans que nous soyons sûrs pour autant que les relevailles existent à cette époque, les manuscrits répondent néanmoins à la question « où repose le Maître ? ».
 
On trouve dans A Mason's Examination (1723), que le mot MB (Maughbin) est transmis du plus jeune maçon au Maître qui le transmet au nouveau Maçon reçu par les six points du compagnonnage suivants : « pied contre pied, genou contre genou, main dans main, oreille contre oreille, langue à langue, cœur contre cœur », et que s’il désire devenir Maître Maçon, il devra bien respecter la règle de trois. Juste après on lui indique de manière symbolique l’endroit où se trouve la clef de la loge…
The Whole Institutions of Free-Mason Opened (1725) détaillera les cinq points du compagnonnage comme suit : « pied contre pied, genou contre genou, poitrine contre poitrine, jour contre joue, et la main au dos ». Ce texte explique que la Maçonnerie a reçu un secret, a obtenu un Nom et un commandement nouveau de s’aimer l’un l’autre et de garder la clef qui se trouve dans une boîte d’os.
 
Masonry Dissected (1730) sera le premier texte anglais qui reprendra ces éléments pour les inclure dans les trois grades apprentis, compagnons et maîtres avec le développement du mythe d’Hiram et de ses relevailles.
« D : De quelle manière Hiram fut-il élevé ?
R : Comme tous les autres Maçons le sont quand ils reçoivent le mot de Maître.
D : Comment cela se fait-il ?
R : Par les cinq points du compagnonnage.
D : Quels sont-ils ?
R : Main dans la main, pied contre pied, joue contre joue, genou contre genou, et main dans le dos.
D : Donnez-moi le mot de Maître.
R : On le murmure dans l’oreille en s’appuyant sur les cinq points du compagnonnage mentionnés ci-dessus. »
Une note précise : « Quand Hiram fut relevé, ils le prirent par l’index et le majeur, et la peau s’en alla, ce qui s’appelle le glissement. L’extension de la main droite et le placement du majeur sur le poignet, serrant l’index et l’annulaire sur les côtés du poignet, s’appellent la grippe. »
 
En conclusion, Frères et Sœurs VVMM, le secret mystérieux que la Franc-Maçonnerie a obtenu, s’est transmis de siècle en siècle tout en le gardant caché et est une affaire de déification de l’Homme, grâce à la transmission des attouchements, des mots anciens et nouveaux, des relevailles par les cinq points du compagnonnage. Cette transmission est la quintessence de l’art Royal pour nos anciens Frères Maçons.
 
En 1787, la Maçonnerie adonhiramite propose au grade de Maître de rassembler ce qui est épars dans son catéchisme :
« D. Vous étiez sans doute Apprenti et Compagnon avant d'être Maître ?
R. Oui, Très Respectable, et J et B me sont connus, ainsi que la règle de trois, ce qui met la clé de toutes les Loges à ma disposition.
D.  Quelle est cette clef ?
R. La connaissance des signes, paroles et attouchements des trois grades qui m'ont été conférés. »
« D. Que fit-on du corps de notre respectable Maître ?
R. Salomon le fit inhumée dans le sanctuaire du Temple, et fit mettre sur son tombeau une médaille d'or triangulaire sur laquelle était gravé Jéhovah, l'ancien mot de Maître, et qui signifie en Hébreux le nom de l'être suprême. »
D. Que signifie cette parole ?
R. La chair quitte les os.
D. Quels sont cinq points parfaits de la Maîtrise ?
R. Le pédestre, l'inflexion des deux genoux, la jonction des deux mains droites, le bras gauche sur l'épaule, et le baiser de paix. »
 
Alors dans notre rituel de Memphis-Misraïm, veillons à cette transmission. Il me semble intéressant d’en revoir les points essentiels.
Le VM second Surveillant essaie de relever seul le corps de notre Maître Hiram par l’attouchement dApprenti, c’est-à-dire qu’il presse de l'ongle de son pouce droit la première jointure de la main droite du Frère[vii], puis il prononce le mot : Jakin, puis tire l’index comme si la chair se détachait du doigt. Rien ne se passe et le silence règne.
De même, le VM premier Surveillant essaie encore seul de relever le corps de notre Maître Hiram par l’attouchement de Compagnon, c’est-à-dire qu’il presse de l'ongle de son pouce droit sur la deuxième jointure de la main, puis il prononce le mot : Boaz, puis tire le majeur comme si la chair se détachait du doigt. Et là encore, rien ne se passe et le silence règne.
Puis la règle de trois apparait ; le VM Expert demande de l’aide pour relever le cadavre : « seul je ne parviens à rien, mais à trois, nous pouvons tout ». Alors aidé des deux VVMM Surveillants, il saisit le poignet du Récipiendaire de sa main droite en effectuant sur son poignet droit la "griffe" du Maître. Il lui met la main gauche sur l'épaule droite. Il place son pied droit contre le pied droit du Récipiendaire par le côté intérieur, genou droit contre genou droit. Aidé des VVMM Surveillants, à eux trois, il le relève, lui donne la triple accolade fraternelle [joue contre joue] puis, poitrine contre poitrine, il lui transmet à l’oreille le Nom substitué (MBN). La triple voix et les cinq points du compagnonnage sont également très explicites ici dans notre rituel.
 
Notre Maître Hiram est mort, il est relevé. La transmission se fait à chaque nouveau Maître Maçon, la graine est semée. Pour la germination dans le cœur de l’Homme, la clef nous sera précieuse[viii], cependant faudra-t-il encore trouver et ouvrir la porte avec humilité.
 
© Christelle Imbert
Tous droits réservés, publication soumise à l’accord de l’auteur.



[i][i] « Où trouva-t-on le corps de Notre Respectable Maître ? / Dans un tas de décombres d’environ 9 pieds cubes, sur lequel on avait planté une branche d’acacia » (Catéchisme Adonhiramique, 1785).
[ii] Three Distinct Knocks, 1760.
[iii] À partir de 1730, avec Masonry Dissected, apparaît le Mot Machbenah, et ses variantes : Macbenac (Catéchisme des Francs-Maçons de Travenol, 1744, Le Sceau Rompu, 1745, Le Maçon démasqué, 1751), Mac-Benac, Macbenac, Mak-Benak (L’Ordre des Francs-Maçons trahi, 1745, Rituel du Marquis de Gages, 1763), Makbenark (L’Anti-maçon, 1748), Mackbenak (Master key to free-masonry, 1760). Mak-Benah sera repris par le Rite Français et Mak Benak par le Rite Écossais Rectifié.
[iv] Le Rite d’York, qui se propage aux États-Unis sans tenir compte de la fusion entre Anciens et Modernes, survenue en Angleterre en 1813, garde le Mot Mah-Hah-Bone, alors que le Rite Émulation utilise Machaben / Makaben, ou Machbinna / Mak-Benah, « l’une signifiant "la mort de l’Architecte" et l’autre "l’Architecte a été frappé" ».
[v] Le Rite Écossais Ancien et Accepté retiendra les mots Mohabon (L’Unique et parfait Tuileur pour les trente-trois grades de la Maçonnerie écossaise (dit d’Abraham, 1812)), Moabon (Thuileur de l'écossisme du rit ancien (dit de Delaunay, 1813), Manuel Maçonnique ou Tuileur de tous les Rites (dit de Vuillaume, 1820)), Mahabone (Tuileur des XXXIII grades arrêté par le Convent des Suprèmes Conseils Confédérés réunis à Lausanne en septembre 1875, publié en 1876).
[vi] Mss. ERH, CC, A, K. ERH donne (1696) : « Q. : Êtes-vous Compagnon du métier ? R. : Oui. Q. : Combien y a-t-il de points du compagnonnage ? R. : Cinq, à savoir : pied à pied, genou à genou, cœur à cœur, main à main et oreille à oreille. »
[vii] Dans The Three Distinct Knocks (1760), l’attouchement d’apprenti est de presser de l'ongle du pouce droit la première jointure de la main droite du Frère, et le mot est Boaz ; celui de compagnon se fait sur la deuxième jointure et le mot est Jachin.
[viii] Pour en savoir plus, se référer à l’ouvrage Les Enfants de Salomon, approches historiques et rituelles sur les Compagnonnages et la franc-maçonnerie, édition Dervy, Hugues Berton et Christelle Imbert.
Publié dans l'EDIFICE avec l'aimable autorisation de l'auteur - Avril 2019

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