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Les trois mages

Longtemps avant que je ne naisse, Adam déposa ses offrandes sur le mont Nud. Il chargea mes ancêtres de guetter le signe de la venue de celui qui nous amènera la lumière.

Depuis, nous guettons de génération en génération sa venue.

Aujourd'hui nous sommes partis en emportant ces offrandes. J'ai mis mes plus beaux habits car celui que j'allais honorer devait changer la vision de l'humanité et je me devais d'être digne. Deux de mes frères m'ont suivit, eux aussi s'étaient parés de leurs plus beaux atours. Nous savions que la route allait être longue, nous ne savions nullement où nous allions, nous ne faisions que suivre la lumière qui nous guidait, mais nous avions confiance en son jugement (vous aussi mes frères vous faites confiance en cette lumière).

Le voyage fut long et périlleux, parfois le doute s’immisçait en nous. Mais notre foi en l'humanité et notre fraternité nous permettaient de continuer d'avancer.

Nous pensions à ceux qui avant nous, tous les trois ans pendant 3 jours venaient et espéraient voir le signe que nous, enfin nous avions eu : cette étoile que nous suivons depuis des mois.

Je m'appelle Balthazar, je me suis vêtu de rouge pour ce voyage. C'est certainement le voyage initiatique le plus merveilleux qu'un humain puisse vivre. Cela fait deux ans que nous cheminons mes frères et moi, et mon habit ne ressemble plus guère à celui d'un roi. Mais il en garde l'apparence et le symbole. Sa couleur montrera le dynamisme que l'homme peut montrer, sa force et sa vigueur. Le rouge peut parfois être effrayant par son éclat, il fait penser au sang qui coule celui que l'on perd en étant blessé, mais il est aussi source de vie. C'est la boisson de notre corps, c'est lui qui nous permet de vivre. Je me suis donc vêtu de rouge pour allier la vie et l'énergie.

On peut parfois trouver cette couleur agressive, tumultueuse. Il faut donc, en la regardant, ne penser qu'à ses bienfaits : la vie, la chaleur et la génération.

Gaspard, le plus jeune d'entre nous est vêtu de bleu. Sûrement pour essayer de se confondre avec l'azur du ciel, ce bleu qui reste l’apanage d'un monde irréel, immatériel. Il semble, avec cette couleur, être en harmonie avec sa recherche spirituelle ; car il lui faut se détacher de tout le matériel qui l'entoure pour faire face aux réflexions qui l'assaillent durant notre parcours initiatique.

Melchior, lui, est le plus vieux d'entre nous. Son habit est vert. Vert comme l'espérance direz vous…je ne crois pas que se soit sa réflexion car je l'ai entendu dire qu'espérer c'était désirer, or le désir si noble soit il reste l'expression de l'envie, du besoin de récompense. A t-on besoin de cela pour persévérer sur notre chemin ?

Il voit plutôt le vert comme la couleur qui régénère, celle de la nature qui se pare chaque jour de bourgeons printaniers. La couleur qui capte la lumière du soleil et les vertu du ciel, l'alliance du jaune et du bleu, le ternaire de ces couleurs.

Le cadet de notre expédition montre beaucoup d'ardeur et voudrait brûler les étapes. Il peste contre cette étoile qui disparaît le jour et nous force à stopper notre progression. Chaque jour nous lui expliquons que ces poses sont nécessaires aussi pour nous et qu'il sera toujours temps de se hâter lorsque nous verrons la fin du chemin. Tu dois préserver cette ardeur pour des desseins plus utiles lui dis-je. Quel dessein peut-être plus utile que notre quête me dit-il. Melchior notre ainé, plus sage, intervint dans cette discution :

« il n'est point question ici d'utilité. Ton manteau est utile pour te protéger du froid, tes chausses sont utiles pour protéger tes pieds sur les chemins escarpés. Mais notre quête est une œuvre, une grande œuvre. Notre entreprise ne fait que commencer : l’œuvre achevée, tu ne la verra qu'une fois parti ».

Moi Balthazar suis à un âge ou l'on croit être sage, on a atteint la maturité d'esprit nécessaire à la réflexion. Mais nous sommes toujours dans l'attente de quelque chose. Le seul mot qui nous gouverne c'est...attendre : l'attente de la reconnaissance, l'attente de jours meilleurs, l'attente d'une réponse à toute les questions existentielles que nous nous posons. Mais nous devons agir, nous devons avancer. Cette œuvre que nous voulons édifier, c'est un tableau vierge, blanc, sur lequel tu vas commencer par faire un fond bleu pour allier le ciel et la terre, puis tu vas déposer tes couleurs. Et tu vas petit à petit approcher de la perfection, ou du moins de la beauté.

C'est une pierre que tu vas façonner patiemment, que tu vas polir sans jamais te lasser. Que vous soyez bâtisseurs de cathédrales ou Firmin, bâtisseur de muraille, votre œuvre n'est belle que si vous y croyez.

Melchior, lui, malgré son grand âge, marche sans se plaindre. Il semble serein et investi d'une mission divine. Nous sommes en admiration devant son calme et sa sagesse, mais que cache ce masque forgé par les ans ? Garde t-il en lui des rancœurs accumulées au fil des ans ? A t-il peur de ne pas atteindre le but de sa vie ? Et quel est -il ce but ? La sagesse est-elle fonction de l'âge ?

Un homme a dit : « l’expérience est une bougie qui n'éclaire que celui qui la porte » il devait être, lui, d'une grande sagesse.

Les jours passaient et le soleil nous brûlait la peau. Cette peau si différente sur chacun de nous. A nous trois, nous sommes la palette d'un divin peintre qui aurait voulu exercer son talent.

Noir, blanc, rouge... Trois couleurs signifiant pour certains la progression vers la lumière, vers la pureté spirituelle. Pour moi ce n'est que l'expression d'une différence physique sans importance. Il est vrai qu'à nous trois nous représentons tous ceux qui, sur la terre, essaient de vivre ensembles malgré leurs oppositions physiques et ou spirituelles. Vivre ensemble, c'est l’expérience que nous faisons tous trois depuis des mois. Nous avons une quête commune, mais notre manière de l'aborder est pour chacun la meilleure, nos expériences ou plutôt nos antécédents nous paraissent pour chacun plein de bon sens et de sagesse. Mais qu'en est il ? Nous devons plutôt conjuguer ces expériences et partager nos différences afin d'apprendre de chacun. Nous devons faire fi de nos oppositions et que chaque friction nous fasse avancer plutôt que nous diviser. L'amour seul doit nous guider même si parfois ça nous fait mal.

Je voudrais vous conter une histoire :

« Un jour, il y a très longtemps,dans mon village, un jeune homme affirmait avoir le plus beau cœur de toute la vallée. Tous étaient d’accord sur ce point : son cœur était parfait ! Aucune égratignure ou plaie sur son cœur et tous étaient unanimes qu’il s’agissait là du plus beau cœur qu’ils n’avaient jamais vus. Le jeune homme était très fier de son beau cœur parfait.

Un beau jour, un vieil homme sorti de la foule et dit :

« Pourquoi ton cœur n’est-il pas aussi beau que le mien ? »

La foule et le jeune homme observaient alors le cœur du vieillard. Il battait puissamment mais était plein de cicatrices et il y avait des morceaux en moins ça et là. Ils étaient irréguliers et mal ajustés. Les coins étaient déchirés. Il y avait même des endroits où il manquait des morceaux.

« Comment pouvez-vous dire que votre cœur est le plus beau de tous ? »

Le jeune homme regarda le cœur du vieil homme et vit dans quel état il était et se mit à rire :

« Vous plaisantez ? » dit-il. « Comparez votre cœur au mien. Le mien est parfait et le vôtre est une ruine pleine de cicatrices et de déchirures ! »

« Oui » répondit le vieil homme, « ton cœur est en effet très beau, mais je ne voudrais pas l’échanger avec le mien. Regardez, chaque cicatrice représente une personne à qui j’ai donné mon amour. Je déchire alors un morceau de mon cœur et le lui donne et souvent ils me donnent un morceau de leur cœur en retour pour le mettre à la place du mien. Mais les morceaux ne sont pas exactement les mêmes. Les coins sont déchirés, cela me rappelle que nous avons partagé de l’amour l’un à l’autre. Parfois je donne un morceau de mon cœur à quelqu’un d’autre, mais il ne me donne rien en retour. Ce sont les trous que vous voyez là. Donner son amour comporte des risques. C’est pourquoi ces trous me font du mal. Cela me rappelle que j’ai de l’amour pour ces gens et j’espère alors qu’un jour ils reviendront pour remplir mon cœur. Voilà, voyez-vous maintenant ce qu’est la vraie beauté ? »

Le jeune homme ne sût que dire et des larmes coulaient le long de ses joues. Il s’approcha du vieil homme, prit son cœur dans sa main et en déchira un morceau. Il l’offrit au vieillard avec des mains tremblantes. Le vieil homme accepta ce sacrifice et le déposa sur son propre cœur. Il en prit un morceau à son tour pour combler la plaie dans le cœur du jeune homme. Il ne passait pas exactement dans la plaie, il y avait quelques déchirures, mais le jeune homme regarda son cœur qui n’était plus parfait, mais il était beau, beaucoup plus beau qu’auparavant parce que l’amour du vieil homme circulait dans son propre cœur ».

Nous croyons tous que le chemin que nous avons parcouru nous a mené au but que nous recherchions, mais souvent nous nous trompons.

Les différences doivent nous faire progresser et non nous freiner. Est ce que le chêne s'émeut de la senteur de la rose et cesse de pousser sous prétexte qu'il n'aura jamais sa beauté et son parfum. Nous approchons du but, l'étoile est là toute proche. Pour ne pas perdre de temps, nous allons voir Erode et après lui avoir conté notre histoire, nous sollicitons son aide. Voyant sa réaction, nous préférons nous retirer, craignant son courroux.

Que n'avons nous pas fait là ! Notre impatience, notre manque de confiance en nous, le manque de réflexion va couter la vie à tous les enfants de la région.

L'étoile qui nous guidait s'est enfin arrêtée, nous arrivons au but fixé, découvrir et faire la connaissance de celui qui doit apporter la sérénité sur la terre.

Les paysans rencontrés, nous indique une petite maison perdu au milieu de nulle part. Nous approchons perplexes : « est ce ici que peut vivre un roi ? Ce lieu peut il abriter un envoyé du ciel ? » Lorsque j'entendis ces réflexions de mes compagnons, mon sang ne fit qu'un tour :

« vous n'avez donc rien appris de votre voyage ? Ces mois de réflexions et de retour sur nous même durant notre longue marche ne vous a pas permis de comprendre que l'apparence des choses n'est souvent que leurres qui voilent notre vision de la vérité ? »

Un couple nous fit entrer afin que nous puissions voir celui déjà considéré par beaucoup comme leur sauveur.

Gaspard s'approcha le premier de l'enfant, il déposa prés de lui l'encens qu'il ramenait …Cet encens qui dégage tant d'odeur et permet aux hommes de cacher aux dieux l'odeur de leur turpitude. La fumée qui s'élève lorsqu'on l'allume nous montre aussi le chemin qui devrait être le notre : celui de l'élévation de nos âmes et de nos esprits.

Je m'approchais à mon tour et déposais à ses pieds un sachet de myrrhe afin de lui transmettre tout l'amour du peuple que je représente. La myrrhe est pour nous chargée de passion et d'érotisme, elle est le symbole de l'amour passion et sans fard.

Le dernier à s'approcher fut Melchior. Il déposa sur le sol de l'or, des bijoux et des pierres précieuses. Il m'expliqua plus tard ce que signifiait pour lui ce geste :

il s'était défait de tout ce qui pouvait le rattacher au matèriel, au vulgaire, à sa vie d'avant, il voulait renaitre à la vie nouvelle qu'il entrevoyait depuis le début de notre périple. Il me donna par là une grande leçon d'humilité, car malgré son grand age et sa sagesse apparente, il était prêt aujourd'hui à se remettre en question pour enfin atteindre une certaine sérénité de l'esprit.

 Il était temps de repartir. Nous devions faire savoir au monde que tout n'était pas perdu. Nous devions apporter à tous un message de paix. Nous devions leur faire comprendre combien chaque être est unique mais que l'humanité ne doit faire qu'un.

Je m'appelle Balthazar et l'histoire que je viens de vous conter, point n'est besoin d'y croire...il suffit de la comprendre.

V\ M\ j'ai dit.


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