Obédience : NC Loge : NC Date : NC


La Légende
Un  Rituel en Langue Anglaise

Pour commencer, je vous présenterai, en traduisant assez librement, mais avec le souci de ne pas dénaturer le texte, un rituel en langue anglaise (Nigérian Rituel), dont j'ai eu communication par un de nos Frères. Voici : « Les thèmes du troisième degré de la Franc-maçonnerie nous invitent à réfléchir à la mort et nous enseignent que, pour un homme juste et pratiquant la vertu, la mort est moins effrayante que ne l'est la souillure du mensonge et du déshonneur. Les annales de la Franc-maçonnerie nous offrent l'exemple glorieux de la fidélité sans défaut et du noble sacrifice de notre Maître, qui fut assassiné avant l'achèvement du Temple dont le Roi Salomon avait décidé l'érection et dont il était, comme vous le savez, l'architecte principal ».

Cette mort se produisit ainsi : Quinze Frères Compagnons de la classe supérieure, ayant commandement sur les autres, constatant que le travail était presque achevé et que les secrets du troisième degré ne leur avaient pas été communiqués, conspirèrent afin de les obtenir par n'importe quel moyen, quitte à recourir à la violence. Cependant, au moment de mettre le projet à exécution, douze d'entre eux se récusèrent, mais les trois autres, dotés d'un caractère plus déterminé et ne reculant devant rien, persistèrent dans leur intention impie et, pour la mener à bien, se placèrent respectivement à la porte orientale, à la porte septentrionale et à la porte méridionale du temple, là où notre Maître se retirait habituellement pour rendre hommage au Créateur, à midi plein. Après avoir achevé ses dévotions, il entreprit de sortir par la porte du Sud. Là, il rencontra le premier de ces malfaiteurs qui, faute d'une autre arme, s'était muni d'une règle pesante. Menaçant, il demanda à connaître les secrets d'un Maître Maçon, assurant que s'il n'obtenait pas satisfaction, il était prêt à tuer. Notre Maître, fidèle à son engagement, lui répondit que ces secrets n'étaient connus que d'un très petit nombre et que, sans le consentement et l'approbation des autres Maîtres, il ne pouvait, ni ne voulait les divulguer. Il ajouta que, sans aucun doute, leur patience et leur travail permettraient aux Maçons zélés d'en prendre connaissance, mais que, pour sa part, il préférait la mort à la divulgation du dépôt sacré qui lui avait été confié.

Cette réponse n'étant pas jugée satisfaisante, le malfaiteur asséna un coup violent à la tête de notre maître, mais, confondu devant la fermeté de son attitude, manqua le front et l'atteignit à la tempe droite, avec une telle force que le Maître chancela et mit le genou gauche en terre. Se remettant du coup qui lui avait été porté, le Maître se dirigea vers la porte du Nord, où il fut interpellé par le deuxième de ces malfaiteurs, auquel il fit la même réponse, avec la même fermeté. Le mauvais Compagnon, armé d'un levier, lui asséna un coup violent sur la tempe gauche. Le Maître chancela et mit le genou droit en terre.

Voyant que l'accès à ces deux portes était interdit, le Maître, tout couvert de sang et sur le point de perdre connaissance, chercha refuge vers la porte de l'Est, là où le troisième mauvais Compagnon était posté. Celui-ci s'entendit répondre de la même manière (car même en cet instant dramatique notre Maître demeura ferme et inébranlable) et asséna au front de notre Maître un violent coup du maillet dont il s'était muni, et le laissa inanimé (...).

La disparition d'un homme aussi important que l'architecte principal ne manqua pas d'être ressentie par tous comme un événement extrêmement grave. Les plans et indications qui avaient, jusque là, été régulièrement apportés aux diverses classes de travailleurs, faisaient défaut. Ce fut le premier indice qu'une terrible catastrophe s'était abattue sur notre Maître. Les Menatschin, ou Préfets, ou, pour parler plus communément, les Surveillants, dépêchèrent les plus éminents d'entre eux auprès du Roi Salomon pour lui faire part du profond désarroi où l'absence d'Hiram les avait plongés, et lui transmettre leur crainte que cette disparition aussi soudaine que mystérieuse serait due à un événement catastrophique.

Le Roi Salomon ordonna de passer en revue tous les ouvriers, de tous les corps de métier. Trois d'entre eux manquaient à l'appel. Le même jour, les douze ouvriers qui étaient, à l'origine, partie prenante dans la conspiration, se présentèrent au Roi et firent de leur plein gré l'aveu de tout ce qu'ils savaient, avant qu'ils ne se fussent désolidarisés des conspirateurs. Ceci ne fit qu'augmenter la crainte du Roi Salomon pour la sécurité du chef de ses artisans. Il choisit alors quinze Compagnons en qui il avait toute confiance et leur ordonna d'entamer sans retard les recherches, afin de retrouver le Maître, pour s'assurer s'il était encore en vie ou s'il avait succombé aux tentatives des Compagnons de lui extorquer les secrets du degré supérieur.

En foi de quoi, une date fut fixée pour leur retour à Jérusalem. Ils s'organisèrent en trois équipes de Compagnons et s'en furent par les trois portes du Temple. Pendant plusieurs jours, ils se perdirent en de vaincs recherches. L'une des équipes revint sans avoir rien découvert d'important. Une autre eut plus de succès : un certain soir, après avoir enduré bien des privations et bien des fatigues, l'un des frères, qui se reposait, voulut s'aider à se lever en s'agrippant à un buisson qui se trouvait là et qui, à sa grande surprise, sortit facilement du sol.

Regardant de plus près, il vit que la terre avait été fraîchement remuée. Il appela donc ses compagnons. Unissant leurs efforts, ils creusèrent le sol et découvrirent le cadavre de notre maître, grossièrement inhumé. Ils le recouvrirent avec tout le respect possible et, pour reconnaître les lieux, plantèrent une branche d'acacia à la tête de la sépulture. Ils se hâtèrent donc de retourner à Jérusalem afin d'annoncer au Roi Salomon leur macabre découvert. Celui-ci, après avoir surmonté le choc, leur ordonna de préparer pour le Maître une sépulture digne de son rang et de ses talents. Dans le même temps, il les informa que, suite à ce décès inattendu, les secrets de la maîtrise étaient perdus.

C'est pourquoi il leur demanda d'être particulièrement attentifs aux signes, mots ou attouchements involontaires qui apparaîtraient pendant qu'ils offriraient au défunt un dernier et triste hommage. Ils s'acquittèrent de leur tâche avec la plus grande diligence. En fouillant le sol, l'un des frères, regardant autour de lui, vit certains de ses compagnons pétrifiés de douleur à la vue de ce lamentable spectacle, alors que d'autres, à la vue de l'horrible coup dont les marques étaient visibles, levèrent les bras en signe de communion avec ses souffrances. Deux des frères exhumèrent le cadavre et entreprirent de le relever, en lui donnant l'attouchement d'Apprenti. Sans succès. Ils essayèrent ensuite l'attouchement de Compagnon. Sans plus de succès. Voyant que les deux frères avaient échoué, un frère, zélé et compétent, aidé des deux autres frères, le releva sur son séant, pendant que d'autres s'exclamaient Mohabon, ou Macbenah, les deux expressions traduisant la même émotion, l'une signifiant le Frère est mort, l'autre, le Frère est ressuscité.

Il fut alors décidé que ces signes, mots et attouchements seraient ceux de la maîtrise, par tout l'univers, tant que le temps et les circonstances ne rétabliraient pas le Secret. Il faut aussi ajouter que le troisième groupe, qui avait poursuivi ses recherches dans la direction de Joppa et se préparait à rentrer à Jérusalem, passant par hasard devant une caverne, y entendit le bruit d'arrières lamentations et l'expression du remords.

Pénétrant dans la caverne, pour voir ce qu'il en était, ils trouvèrent trois hommes dont la description correspondait à celle des ouvriers qui avaient manque à l'appel. Accusés du crime, et ayant perdu tout espoir d'échapper, ils avouèrent. Ils furent ligotés et conduits à Jérusalem, où le Roi Salomon les condamna à mort, ce que la gravité de leur crime impliquait. Il ordonna que notre Maître fût inhumé aussi près du Saint des Saints que la loi juive le permettait. Sa tombe mesurait trois pieds de large et cinq pieds de long. Il ne fut pas inhumé dans le Saint des Saints, car rien de profane ou d'impur n'avait place en ce lieu. Nul n'y pénétrait, sauf le Grand Prêtre, une fois l'an, et ceci après de nombreuses ablutions et purifications, le jour du Grand Pardon car, selon la loi d'Israël, toute chair est réputée impure. Les mêmes quinze fidèles assistèrent aux funérailles, vêtus de robes blanches, et portantes des gants blancs, en signe de leur innocence…

Que retenir de ce Rituel ? Tout d'abord, que la légende est lue, et non représentée, alors que dans nos traditions, on tient fort à ce que l'assassinat d'Hiram soit représenté de manière dramatique et que le ou les candidats y prennent une part active, à telle enseigne qu'ils participent au meurtre du Maître. Mais ceci peut paraître un détail, quoique j'aie toujours considéré que la participation au meurtre était un message très fort et offrait un riche thème de réflexions. Un certain souci de réalisme fait ici que les conjurés n'étaient pas, au départ, trois compagnons, mais bien quinze. Scénario plausible, qui évoque les jacqueries, et, pour nous Belges, les révoltes des Métiers et des Bourgeois de la ville à l'égard de l'autorité du prince (quel qu'il soit d'ailleurs !). La révolte des compagnons tire son origine du fait qu'un petit nombre d'ouvriers ont effectivement eu accès la maîtrise.

Cependant, douze d'entre eux abandonnent la conspiration, pour des raisons qu'on effleure à peine : les trois autres sont dotés d'un caractère plus déterminé. Ce seront les douze velléitaires qui informeront le Roi Salomon. Le même souci de réalisme s'exprime à propos de la recherche d'Hiram ; on réunit une équipe de quinze et on la divise en trois, chacun des groupes rencontrant, dans sa recherche, une fortune différente ; le premier revient « bredouille » ; le deuxième trouve, par hasard, le cadavre du Maître ; le troisième trouve les meurtriers, déjà en proie au remords. Une différence importante, du point de vue de l'interprétation symbolique de l'épisode, réside dans le fait que l'acacia est planté par les compagnons chargés de rechercher Hiram.

LE RITUEL DU MARQUIS DE GAGES

Le rituel élaboré ou recueilli par le marquis de Gages (dont j'ai respecté la présentation, l'orthographe et la grammaire) relate les antécédents lointains de la mise à mort d'Hiram. Cela débute par la concupiscence du roi David à l'égard de Bethsabée, et le guet-apens où périra, sur ordre du roi, le mari de Bethsabée30. En foi de quoi, David, puni par Dieu, voit périr toute sa descendance, à l'exception de Salomon. Celui-ci, devenu roi, s'acquitte du saint projet que son père avait nourri, et qui était précisément la construction du Temple.

Les travaux sont entamés et chacun des ouvriers recevait son salaire le samedi soir. Mais Salomon se rendit compte qu'il se trouvait à court pour le salaire des maîtres. « Pour remédier à cet abus, il fit construire à l'entrée du Temple deux grandes Colonnes d'airain, de dix-huit pieds de hauteur, posées sur des piédestaux de huit pieds de hauteur, posées sur des piédestaux de huit pieds de hauteur et décorées de chapiteaux de 5 pieds de hauteur. À celle de l'entrée du Temple à gauche il fit mettre les lettres I et F\, cette Colonne fut dédiée pour les Apprentis qui moyennant un mot, un signe, un attouchement et une passe venaient déposer leurs outils et recevoir le salaire de leurs travaux. À la colonne de droite, il fit poser les lettres B\B\. Elle servait aux Compagnons qui aussi moyennant une parole, signe, passe et attouchement y venaient de même recevoir le salaire de leurs travaux. Les Maîtres étaient payés dans la chambre interne, qui venaient y frapper à ce grade et donnant un mot, signe, passe et attouchement, ils recevaient aussi le salaire de Maître ».

Dès lors, « trois scélérats de Compagnons qui avaient accoutumé de se glisser parmi les Maîtres pour en recevoir le salaire » se sentirent frustrés et décidèrent d'obtenir de gré ou de force le mot de passe des Maîtres. C'est, dit le rituel, par avarice qu'ils devinrent agresseurs et enfin meurtriers.

Attaqué à la porte d'Occident par un compagnon armé de la règle, Hiram est atteint à l'épaule gauche. Il cherche refuge auprès de la porte du Midi, où il est frappé du maillet à l'épaule droite. C'est à l'Orient qu'il est confronté au troisième assaillant qui le met à mort d'un coup de levier. Le dialogue entre Hiram et ses assaillants est fort semblable à celui que nous avons vu précédemment et que nous entendons dans nos Loges actuelles. C'est ensuite que nous pouvons, à bon droit, nous étonner : « En cet endroit, on donne un coup sur la tète du récipiendaire et les deux surveillants le renversent sur un cercueil en le couvrant d'un drap. Alors le maître continue : Je te conjure aux mânes du Respectable Hiram de paraître à nos yeux pour nous faire lire au fond de son cœur savoir s'il n'a point trempé ses mains dans le sang de l'innocent et s'il n'a point tourné nos mystères en dérision. Paraît, chère ombre si respectable à nos yeux, et ne permet point que tes enfants se trompent dans le choix de leurs frères. Celui qui est dans le cercueil saisit le récipiendaire par le milieu du corps et dit : Pourquoi viens-tu troubler mes cendres et ne connais-tu point la fausseté des hommes? Apprends, cher Maître, que le Compagnon que je tiens jusqu'à cette heure n'a point trahi notre divin secret mais sa vie n'a point été des plus exactes. C'est à vous autres à le corriger (...) ».

L'histoire continue. Les trois compagnons enterrent Hiram et plantent une branche d'acacia afin de reconnaître l'endroit de la sépulture provisoire et de pouvoir transporter ultérieurement le corps. Les compagnons sont découverts, et le candidat, reconnu innocent, est fait Maître. Il faut cependant remarquer que la réception du candidat  s'accompagnait de commentaires très sévères : on lui dit, ça effet, qu'« II cause la consternation dans notre Temple (...) On vous accuse d'indiscrétion sur nos mystères. Si cela est, je vous conseille de vous retirer et de ne point poursuivre à moins que vous veuillez confesser votre faute à tous vos Frères avec un vrai repentir, promettant de ne plus y retomber ».

On le presse d'avouer sa faute, de crainte que son sort soit celui du frère assassiné, allongé dans un cercueil. Il enjambe le corps. À chaque pas, il reçoit un coup d'un rouleau de carton ou de papier. Il tombe à genoux à l'Orient et prête son obligation, après quoi on lui lit la légende reprise ci-dessus.

Rituel américain

Un rituel américain, présenté par un certain Jabez Richardson, dans le Monitor of free-masonry, copyright 1860 et 1888, présente quelques caractéristiques particulières, dont les moindres ne sont pas :
- que le candidat pénètre dans le Temple, les yeux bandés, qu'on lui communique le signe de détresse et les mots qui l'accompagnant: « Is there no help for the widow's son? Ce qui ne se réfère à rien en ce moment, que le mot de passe est donné par syllabe, et que l'outil du Maître est la truelle, car elle permet de cimenter le groupe par l'amour fraternel et l'affection ».
                                                                                               
Ici aussi, la légende est lue. Dans ce rituel américain, on retrouve les quinze conjurés du rite nigérian. Ici aussi, la légende trouve son achèvement par la mise à mort. Le supplice est celui que prévoit, dans les textes du Monitor,
- le serment d'apprenti: que ma gorge soit tranchée, d'une oreille à l'autre, ma langue arrachée, et mon corps enfoui dans le sable à marée basse, là où le flux monte et descend deux fois en 24 heures.
- le serment de compagnon: que j'aie la poitrine ouverte, le cœur arraché, jeté par-dessus mon épaule gauche, et amené dans la vallée de Josaphat, pour y être la proie des bêtes sau­vages et des vautours.
- le serment des maîtres : que mon corps soit partagé en deux par le milieu, divisé entre nord et sud, mes entrailles réduites en cendres et jetées aux 4 vents, qu'il ne reste aucune trace parmi les hommes et parmi les Maçons.

Ma conclusion : prenons garde à ne pas transformer le message maçonnique en spectacle grand-guignolesque ! À trop en faire, on détruit l'émotion.

LE RITUEL EN USAGE DANS LA FEDERATION FRANÇAISE DU DROIT HUMAIN

La légende est présentée au candidat qui est appelé à s'identifier à Hiram; à partir du moment où celui-ci est assailli. J'ai mis la main sur deux rituels à ce grade, l'un paraissant moins solennel, plus actualisé, que l'autre. On y précise le décor : « Les maillets sont garnis d'une étoffe noire (...) La L.: est tendue de noir (...) Il n'y a pas de pilier dans le temple au 3e degré ni pavé mosaïque ». Ainsi donc la rupture avec les grades opératifssemble consommée, puisque, si l'on se réfère à l'étymologie, mosaïque signifie ouvrage des Muses.

Échapper à cet aspect opératif ne permettra cependant pas de se déplacer librement dans le Temple, ni de se tenir n'importe comment. Ce grade apparaît donc bien comme un passage, une transition, entre l’opératif et le spéculatif. Hiram est ici, non l'Architecte principal, mais « celui qui nous consolait dans nos peines et nous soutenait dans nos difficultés ». On le présente comme « savant dans l'art de l'architecture et dans le travail des métaux ».

Ce sont, non pas quinze mauvais compagnons qui murmurent contre le refus d'une «promotion» (augmentation de salaire, communication de secrets d'un ordre supérieur), mais quelques-uns.

Les trois mauvais compagnons ne sont pas les plus frondeurs, mais les plus vaniteux. On les dit ambitieux, envieux. Le Temple a trois portes: l'une à l'Orient, l'autre au Midi, la troisième à l'Occident. La première agression a lieu, comme dans le rituel cité précédemment, au Midi. L'arme de  l'agresseur est la règle. La deuxième agression a lieu à l'Occident (et non au Septentrion). Cette fois, c'est le levier qui est utilisé comme arme (il en va de même dans le texte en langue anglaise). La troisième agression se place à l'Orient, où le maillet achève Hiram. Dans l'un des deux rituels que j'ai consultés, Hiram, arrêté par le troisième complice jette à terre un bijou qu'il portait et sur lequel était gravé le secret des Maîtres: « Le M\ Hiram portait un bijou sur lequel était grave le secret des MM\. Se sentant condamné, il Jeta ce bijou afin que le secret ne soit pas dévoilé ». Nous ne saurons rien de plus à propos de ce bijou.

Dans cette version, l'accent est mis sur la frustration des compagnons auxquels on refuse l'accès  au rang supérieur. Ici aussi, ce sont trois personnages qui concrétiseront les intentions de plusieurs : « Ils virent avec envie ceux que leurs talents et leurs vertus plaçaient au-dessus d'eux et qui étaient admis dans la Chambre du Milieu ».

Comme à l'égard du rituel nigérian, notre perplexité est grande. Que sont devenus ceux qui avaient été élevés précédemment à la Maîtrise ? Le rituel n'évoque pas la recherchée menée par trois groupes de Compagnons. Elle sera le fait, pendant un premier temps, des deux Surveillants accompagnés des 1er et 2e Experts et de deux Maîtres. Ils sont accompagnés par le Grand Expert et par le Maître des Cérémonies. Les Experts tiennent l'épée de la main droite, les trois Maîtres de la main gauche. Ce sera la branche d'acacia qui éveillera leur attention et leur fera deviner qu'il s'agit de l'endroit où le Maître Hiram est enseveli. Les deux Surveillants rendent compte au Très Respectable Maître qui découvre le corps et détermine la qualité des meurtriers. C'est lui encore qui, avec l'aide des deux Surveillants, ranimera Hiram. Dans  un deuxième temps, le rituel reprend à Gérard de Nerval la description de la puissance de Hiram lors de la visite de la reine Balkis à Soliman. Dans cette version, on n'évoque pas la capture des criminels, non plus que le jugement à rendre. Ceci constitue une différence importante avec le rituel précèdent.

LE RITUEL EN USAGE DANS LA FEDERATION BELGE DU  DROIT  HUMAIN

Passons sur le paradoxe qui fait que la cérémonie commence par l'annonce de l'identité des candidats qui «ont droit à l'augmentation de salaire », laquelle a « obtenu un avis favorable de la Chambre du Milieu », pour, tout de suite après, les soupçonner du pire des méfaits. Le Maître (Hiram) est présenté, non plus uniquement comme un technicien de haut niveau, mais comme une sorte de gourou, de modèle : « II nous éclairait dans nos travaux ; il possédait les qualités et les talents qui mènent à la perfection. Il se nommait Hiram, il venait d'Orient où naît la lumière. Hiram, savant dans l'art de l'architecture comme dans le travail des métaux, avait été choisi par le roi Salomon pour édifier son temple et diriger le travail des ouvriers. Il avait sous ses ordres une multitude d'ouvriers répartis en trois groupes possédant mots, signes et attouchements particuliers ».

Le rituel ne mentionne que trois mauvais Compagnons. On leur attribue comme tares l'ignorance, l'hypocrisie et l'ambition, mais ils ne sont pas présentés comme des meurtriers potentiels. Ils souhaitent arracher le mot de passe, mais aucune précision n'est fournie sur les moyens à mettre en œuvre. La légende est alors racontée, les Compagnons en illustrent concrètement le déroulement.

Les trois portes du Temple sont situées respectivement à l'Occident, au Midi et à l'Orient. Hiram est attaqué à la porte d'Occident par le Compagnon armé d'une règle pesante. Ensuite, c'est à la porte du Midi qu'il est meurtri d'un coup d'équerre, pour être achevé d'un coup de maillet à l'Orient. On voit combien ces rituels français et belge se ressemblent, ce qui paraît normal à l'intérieur d'une même Obédience. Ici aussi, ce seront le Très Respectable Maître et les deux Surveillants qui identifieront et relèveront le corps. De même, on ne parle ni de la capture des criminels, ni du jugement à rendre. On indique cependant que la dépouille d'Hiram est ensevelie et qu'une branche d'acacia est plantée sur le tertre.

Analyse du rituel

Daniel Ligou, dans son Dictionnaire, reprend les lignes de force de la plupart des rituels « L'initiation au grade de Maître gravite autour de la légende d'Hiram, constructeur du temple de Salomon et assassiné par trois Compagnons. Cette légende est actuellement le lien fondamental de la Maçonnerie universelle. Hiram est le symbole de la domina­tion de soi-même, de la Maîtrise totale par la science et sur­tout par une volonté inflexible de respecter les valeurs morales, de rester fidèle au devoir quoi qu'il puisse en coûter, donc au péril de sa vie, Hiram personnifie l'honneur poussé jusqu'au sacrifice suprême. Il incarne la plénitude de l'Être dans l'excellence ».

Le parcours des Maîtres qui partent à la recherche d'Hiram est chaotique. Trouver Hiram est difficile. Voilà qui traduit cette pensée que se trouver est difficile. Que se définir est difficile, et que c'est làun travail qui n'aura point de fin.

Ce que J'on découvre en soi est très souvent source de tristesse. Dès lors que les apparences sont dépassées, nous nous retrouvons nus, pauvres d'idées nouvelles et de pensées courageuses. Pire même, la lucidité nous force à reconnaître en nous-mêmes les traces ou les effets des comportements que nous reprochons aux autres. Sous le vernis de la courtoisie, l'envie ; sous le brillant de l'intelligence, la médiocrité de cœur ou le faire-valoir. Parfois, il nous semble qu'une bonne conscience de citoyen respectueux des lois n'est que le résultat de la peur du gendarme ou, simplement, du manque d'occasions. Que l'on se souvienne de l'abondant courrier de dénonciations qui arrivait sur le bureau de l'occupant, pendant la dernière guerre, en France comme en Belgique, et que l'on se remémore les flots de délations qu'encourageait le régime stalinien, récompensant les dénonciateurs par l'attribution d'un logement ou d'un poste envié... Jusqu'au jour où une autre dénonciation concernerait les favorisés d'un jour.

Un élément important dans ces rituels réside dans l'affirmation que le Maître ne peut être relevé (Fédération française) ou retrouvé (Fédération belge) que par une action coordonnée de plusieurs Francs-Maçons. Certes, l'Apprenti, ayant tout à apprendre, ne peut travailler sans guide; certes, le Compagnon, habile dans une ou plusieurs techniques de construction ne peut, seul, ériger un édifice aussi majestueux qu'une halle, une cathédrale. Mais le Maître ?

Même celui-ci doit être à l'écoute des autres, des voix du passé, qui sont celles des constructeurs d'autres époques, ayant fait leur profit de leurs expériences, échecs ou réussites, et des voix du présent: un Compagnon vigilant signalera au Maître d'œuvre les dangers que court la construction sur un terrain fragile, ou en prenant trop de risques dans la hauteur des murs ou des tours. Le rituel précise ; « Souvenons-nous que l'union l'ait la force ». Devise nationale aidant, la Fédération belge précisera : « Souvenons-nous qu'isolés nous ne pouvons rien, mais qu'unis, nous pouvons tout ». Ce message de modestie est très souvent passé sous silence. Tout se passe comme si le Maître détenait la clé de la vie. Ce qui est, évidemment, erroné. L'accès à la Maîtrise nous encourage donc à faire face, à nous regarder avec autant de détermination et d'esprit critique qu'autrui le ferait.

Cet œil de l'autre, ce regard de l'autre, nous y avons été confrontés auparavant : c'est le miroir. Dans certains rituels, cet élément de la cérémonie fait partie de la mise en scène du premier degré (sitôt le bandeau retiré, on convie le futur Apprenti à se retourner. Il découvre alors soit son parrain, soit un miroir).

La présentation du miroir complète alors la symbolique du Cabinet de Réflexion. Bien entendu, fort rares sont les initiés du jour qui en perçoivent consciemment la signification, tant le rituel d'initiation les a perturbés. Ailleurs, la présentation du miroir fait partie de la cérémonie de réception au grade de Compagnon. Le miroir est alors le juge qui détermine si la démarche des candidats est recevable, s'ils ont l'approbation de leur conscience. Le respect de la vérité me force à ajouter que, à ma connaissance, personne n'a jamais reculé devant ce juge (et pourtant...).

Le miroir nous renvoie à l'œil de l'autre, en inversion. Seule une profonde introspection pourrait nous donner une perception de nous-mêmes plus exacte, mais cela est sinon impossible, du moins extrêmement difficile, voire pénible. S'il nous est difficile de voir, d'entendre, de percevoir les autres personnes telles qu'elles sont en soi, en faisant bon marché de leur apparence, de leur nationalité, de tout ce que nous savons d'elles, il est fort rare de se percevoir en toute objectivité. À la réflexion, cela est sans doute salutaire, car s'il est essentiel à une bonne hygiène de l'esprit de tenter de se mieux connaître, il est peut-être dangereux de vouloir tout comprendre, tout analyser, tout expliquer.

Nous nous devons cependant d'éviter les pièges les plus grossiers, tant dans la perception que nous avons des autres que dans celle que nous avons de nous-mêmes. Convenons cependant qu'il est rare d'être totalement étranger à la personne à laquelle nous nous intéressons. Se former une appréciation juste sur autrui est difficile. Il faudra s'efforcer de juger des œuvres, au lieu de jauger les hommes... Voilà qui pose un autre problème: celui du rapport de l'œuvre à son auteur. Une loi juste pourrait être proposée par un homme méchant, si cela peut lui rapporter quelques voix... Évidemment...

Quant à cette connaissance de soi que l'on évoque si volontiers dans nos milieux, tout en évitant d'en préciser les limites, ni les méthodes pour y parvenir, je crois que seules les réalisations concrètes peuvent permettre de l'approcher, car l'honnêteté la plus scrupuleuse n'empêchera pas de se leurrer sur soi-même.

La prudence impose de réserver à notre propre usage nos tentatives de jugement. Celles-ci doivent nous permettre d'élaborer une vue plus objective de ce que nous sommes, ou plutôt de ce que nous avons été, car chaque vie se compose d'une infinité de moments. De prise de vue en prise de vue, nous aurons une perception plus exacte de nous-mêmes et nous pourrons alors entamer ce qui est véritablement le grand œuvre, c'est-à-dire la transformation, raffinement de notre personnalité, en d'autres mots : La Maîtrise, Quel bien résulterait pour la Loge et pour nos contemporains si nous gardions cette préoccupation toujours à l'esprit.


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