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Les Cathares (Suite)
Le Catharisme

Le Catharisme est l'une des grandes religions de l'humanité, qui a régné sur l'esprit d'un bon nombre de femmes et d'hommes du moyen âge, de la Bulgarie à l'Europe de l'Ouest.
II est mêlé à notre histoire. Considéré à son époque comme une hérésie, il a déclenché des mécanismes d'annexion , de répression idéologiques qui ont pour nom « croisade » ou « inquisition », des modèles qui sous d'autres vocables n'ont toujours pas disparu du monde actuel.
II est enfin à la mode, à la mode chez les érudits en raison de la découverte de textes très importantes dans les dernières décennies , à la mode dans le grand public qui trouve dans le Midi de la France le support concret de leur rêves dans les « Citadelles du vertige » qu'évoque Michel ROQUEBERT.

Je ne vous imposerai pas ce soir une antépénultième chronologie de la Croisade contre les Albigeois ; bien sur je n'éviterai pas de retracer les grandes phases de cette épopée, mais mon projet aura l'objectif principal d'éviter les habituels clichés qui jalonnent tout essai de vulgarisation de ce sujet.
Pour cela il me faut bien affirmer ici que toute étude historique, doit commencer par une analyse critique des sources la plus objective possible.

Imaginer C'est‑ ce que les historiens sont souvent obligés de faire. Leur rôle est de recueillir les vestiges, les traces laissés par les hommes du passé, d'établir , de vérifier scrupuleusement un témoignage.
Mais ces traces, surtout celles qu'ont laissé les pauvres, le quotidien de la vie, sont légères, discontinues. Pour des temps très lointains, de l'an mil au XIII ème siècle, comme ceux dont il est question ici, elles sont parfois rarissimes et sujettes à des interprétations d'un ésotérisme douteux ....
Alors, comment peut ‑on raconter l'histoire ? Quels documents venus du fond des âges vont décrire ces événements lointains et nous permettre de comprendre ce qu'a été la tragédie du catharisme dans l'Occitanie médiévale
J'ai parlé plus haut de la rareté des sources, paradoxe dans le cas qui nous occupe : une matière volumineuse existe : les registres de l'Inquisition. Bien qu'elle soit jugée tendancieuse car écrite par des catholiques de surcroît cléricaux, sa richesse et son authenticité sont telles, qu'il sera surtout nécessaire d'élaguer ! !

Il sera inutile de tenter de reconstituer le catharisme, il suffira de le relater.

Outre le Corpus inquisitorial, je tenterai de faire parler tout au long de cet exposé, les témoins et acteurs proches de ce drame , et avant d'aller plus loin je voudrais citer les documents fondamentaux et contemporains de la période décrite et aussi présenter leurs auteurs .

Il ne reste qu'un petit nombre d'ouvrages dogmatiques écrits par les cathares eux-mêmes

     Un traité du XIIIème siècle (1220), attribué à BARTHOLOME DE CARCASSONNE (ardent propagateur du catharisme dans le diocèse d'Agen) et inséré dans le « liber contra manicheos » de DURAND DE HUESCA qui le cite pour le réfuter,
• Et le livre des deux principes attribués à l'Italien JEAN DE LUGIO (1240). Concernant la croisade elle-même je citerai
     Histoire des Albigeois de PIERRE DES VAUX DE CERNAY, moine de Citeaux qui en a suivi la première partie,
     La chanson de la Croisade Albigeoise, de GUILLAUME DE TUDELE, catholique occitan,
     Et enfin la Chronique de GUILLAUME DE PUYLAURENS, lui aussi catholique occitan.

Quelle image du monde avaient donc les hommes de ce temps ? Les hommes de culture se représentaient la terre plate : un vaste disque surplombé par la voûte céleste et encerclé par l'océan ; avec à la périphérie : la nuit, traversée de peuples étranges, monstrueux. On racontait qu'ils surgissaient de temps à autre en hordes terrifiantes avant coureurs de l'Antéchrist. Les tribus barbares venaient en effet de ravager la Chrétienté ....
De ce monde plat, circulaire, cerné de frayeurs ; Jérusalem constitue le centre. Mais en l'an mil, Jérusalem est captive, tenue par les infidèles.
Une fracture a divisé en trois portions la part connue de l'espace terrestre : à l'Orient, l'Islam, le mal absolu, à Byzance, un demi‑mal, une Chrétienté qui dérive vers le schisme, enfin l'Occident guetté en son sein par un mal sournois : l'hérésie ou les hérésies.
Le catharisme en fait partie, comment peut‑on le définir et d'ou vient‑il?

C'est une religion dualiste , venue pense‑t‑on d'Orient, et qui s'est répandue en Occident durant le XI ème siècle suivant les axes commerciaux: Balkans, Italie du Nord, Languedoc, Garonne.
On prétend habituellement qu'elle est le fruit d'une longue filiation dont les ancêtres seraient les Manichéens.
Manès est né en 216 en Mésopotamie et il est mort martyrisé en 277. Il se disait prophète et successeur de Bouddha, Zoroastre et Jésus. Il fit une synthèse de ces trois religions qui conduisit à un système dualiste : bien /mal, lumière / ténèbres
Ensuite les Pauliciens, dont le nom viendrait de Paul de Somosate, contemporain de Manès, mais évêque d'Antioche, vont aller plus loin: niant la divinité du christ, et admettant eux ­aussi l'existence de deux principes indépendants : le bien et le mal.

Mais un doute apparaît ici, cette filiation n'est attestée par aucun document : pas la moindre citation ou référence tirée de l'abondante littérature de Manès ne se trouve dans les documents médiévaux.

Beaucoup plus sûr est le lien avec les Bogomiles, inspirateurs directs des cathares, installés en Bulgarie.
On a coutume de dire que « cathare » vient d'un mot grec signifiant pur ou purifié, pourtant il reste là aussi, qu'aucun écrit authentique, aucune déposition devant l'inquisition, aucun traité de polémique, n'a jamais avancé que ce mot signifiait les purs ou que les croyants se l'appliquaient à eux mêmes.

Cette erreur, commune actuellement, remonte aux écrits de l'historien Charles SCHMIDT en 1849.

En Occitanie, et dans la plupart des textes d'époque on les nommait « Albigenses ou Albigeois ».
Ceci dit le Catharisme fut une religion Chrétienne, fondée sur une interprétation dualiste des Ecritures, le dualisme est une des grandes réponse au problème philosophique de l'existence du mal.
Tout d'abord ils rejetaient l'Ancien Testament, qui raconte l'histoire de la création du monde satanique : le monde matériel.

Bien qu'il soit de, tradition de dire qu'ils ne reconnaissaient que l'Evangile de ST JEAN, on pense qu'ils étudiaient aussi les Epîtres, les Actes, l'Apocalypse.

Encore l'Evangile selon ST JEAN, allez‑vous me dire! Quelle originalité peut‑il avoir, pour être en même temps l'évangile sacré des Cathares, et le
livre sacré de certains de nos frères ou sueurs d'autres obédiences maçonniques.

Dans le verset 1/18 de ce même évangile , il est dit : « Au commencement était la parole et la
  parole était Dieu   » Dieu lui‑même révèle aux hommes le Dieu invisible et ce faisant leur apporte la lumière et la vie. Le verbe est créateur, mais pas que cela ....L'évangile développe le thème de la foi, les motifs de la lumière et de vie, le thème de l'Amour fraternel est central.
Cela n'en fait pas encore un texte à connotation dualiste, mais on y arrive rapidement :

Le
verset 3/8 des épîtres dit : « Celui qui pratique le pêché est issu du Diable parce que le diable prêche depuis le commencement .... »
Nous tenons bien ici la règle d'or du catharisme. Jean de LUGIO dit : « j'ai l'intention de parler de deux principes. je réfuterai l'opinion du principe unique : s'il n y en avait qu'un, il faudrait qu'il soit nécessairement bon ou mauvais ». Au commencement étaient donc deux
principes : celui du bien et celui du mal et en eux existait de toute éternité la lumière et les ténèbres. Le Diable n'est pas issu de Dieu : il existe depuis le commencement.

Du principe du bien vient tout ce qui est lumière et esprit, du mal tout ce qui est matière et
ténèbres. Le monde sensible a été crée par le mal, c'est un néant crée sans Dieu : seul l'Esprit exprime la réalité.
Etayons ces principes par quelques extraits supplémentaires Verset 6/63 EV : « C'est l'esprit qui donne la vie, la chair ne sert absolument à rien ... »

Alors bien sur la doctrine va impliquer le détachement complet du monde, les cathares
devaient s'astreindre à un ascétisme absolu que pratiquaient les parfaits et les parfaites, appelés d'ailleurs par les Occitans, « les Bonshommes », les fidèles étant simplement nommés croyants.. A ce propos, les voeux de chasteté absolue prononcés par les parfaits ont fait couler beaucoup d'encre et divaguer beaucoup d'imaginations. II e'st aisé de représenter comme un aboutissement de la dogmatique une société cathare dépourvue de liens sociaux et familiaux.

Il est plus difficile de démontrer par l'Histoire la réalité de telles appréhensions ! !

Le Catharisme rêvait peut être d'une conversion universelle amenant la fin des temps. Mais ils se doutaient bien que sur le plan pratique le retard que s'acharnerait à provoquer le Diable, se ferait encore longtemps sentir ! !
D'ailleurs à l'époque du catharisme, moines et moniales catholiques, vivaient dans l'obsession du pêché de chair. Les deux églises ne condamnaient à la chasteté que leur clergé.
Pas plus l'une que l'autre ne vouait l'humanité à la destruction : ils n'étaient pas des adorateurs de la mort.

Et en opposition le verset 8/44 EV : « Tous venez vous de votre père le Diable, et vous venez accomplir le destin de votre père.. »
Le verset 2/15 EP : « N'aimez pas le monde ni les choses qui sont dans le monde, si quelqu'un aime le monde, l'Amour du père n'est pas en lui... »
17/12 EY : « ...le leur ai donné la parole , mais le monde les a hais... »
2/16 EP : « Car tout ce qui est dans le monde, le désir de la chair, le désir des yeux .... Ne provient pas du père mais provient du monde... »

Les parfaits donc, s'abstiennent de toute nourriture d'espèce animale, ils pratiquent la chasteté, mais ils professent aussi le mépris de la croix : « gardez‑vous des idoles.. » dit l'Evangile ! Ils méprisent les sacrements de l'église romaine, le culte des églises et rejettent l'Ancien Testament.
Leur seule prière est le Pater Noster, et leur seul sacrement le « Consolamentum » pour ordonner les parfaits et consoler les mourants qui en expriment le désir.

Les cathares affirment que leur église est la vrai église de Dieu, celles du Christ et des Apôtres, en opposition avec l'usurpatrice église Romaine qui est l'église du Diable : « nous nous n écoutons pas David et les prophètes mais seulement l Evangile , et nous ne vivons pas sous la loi de Moise, mais selon celle des Apôtres ... ».

Comme on le voit le catharisme est éloigné du catholicisme. Il est en fait beaucoup plus qu'une simple hérésie, un simple désaccord sur un ou plusieurs points de théologie : il procède d'une conception du monde, d'une démarche intellectuelle et spirituelle complètement opposées à celles du christianisme traditionnel.

Pour qu'une religion nouvelle se soit ainsi formée, il fallait qu'il y ait un terrain social favorable, une civilisation originale.

La soi-disant hérésie s'est développée avec succès dans plusieurs pays d'Europe, mais le catharisme en tant que civilisation ou du moins en tant qu'expression spirituelle la plus achevée d'une civilisation spécifique‑, avec sa culture, ses mœurs, ses lois, s'est surtout épanouie en Occitanie.
Dans le Midi de la France, la doctrine et le mode de vie cathares ont traduit l'âme et la sensibilité profonde de tout un peuple . Ce fut le produit spontané et naturel d'une certaine manière de voir le monde propre à cette société Occitane si différente de ce que l'on pouvait appeler alors la société française et qui ne concernait que le Nord du pays. A cet égard, l'histoire du catharisme apparaît comme une lutte à mort entre deux civilisations : celle du nord et celle du Midi de la France actuelle.
A Montségur, si les assiégés appelaient leur ennemis « les Français », c'est qu'ils pensaient eux‑mêmes appartenir à une autre nation, une autre civilisation.

Si nous dressions une carte de notre pays vers l'an 1209, début de la croisade contre les Albigeois, nous serions surpris de voir que toute la partie Ouest du pays soit les Duchés de Normandie, de Bretagne, d'Aquitaine, de Gascogne, le Comté du Maine, d'Anjou, du Poitou, appartenaient au roi d'Angleterre.

Toute la partie à l'est de la Meuse, de la Saône, et du Rhône jusqu'à Valence, faisaient partie du Saint Empire Romain Germanique ; le Comté de Provence appartenait à la maison de Barcelone.
II restait le Comté de Toulouse au Sud et le Languedoc, fief des Trencavel et farouchement indépendants, bien que liés avec le royaume d'Aragon.
Alors me direz‑vous, ou se trouvait la France.
Elle n'était pas bien grande, seulement constituée de l'Ile de France, englobant Paris et Orléans, plus quatre grandes régions vassales du Roi : les Comtés de Flandres, de Vermandois, de Champagne, et le duché de Bourgogne.

Pour quelles raisons ce petit royaume est venu se mêler d'affaires qui au demeurant ne le concernaient pas ? Car il faut savoir que la période 1159.1259 qui nous concerne ce soir couvre aussi la période de la première guerre de cent ans avec l'Angleterre.

Depuis l'an mil, les hérésies se sont implantées en Europe, les premiers bûchers d'hérétiques dressés à Orléans datent de 1022.
En 1056, le Concile de Toulouse condamne les hérétiques seulement à l'excommunication. Mais déjà vers 1100, l'hérésie règne en maître dans le midi de la France.
Pourtant à l'heure ou les premiers cathares sont jetés au feu, les premières grandes constructions religieuses chrétiennes marquent l'éveil de la sculpture, de l'architecture, et ouvrent une voie royale qui se nommera l'art roman . Deux siècles durant, de Saint Jacques de Compostèle à Saint Marc de Venise ; de Vézelay à Conques les maîtres d'oeuvre et tailleurs de pierres scellent à la face des peuples une nouvelle vision du monde.. . Mais cela, c'est le plein jour , et il n'est souvent que le lieu de fausses apparences : le refus de cette vision , la négation de cette unité, se frayent lentement un autre chemin, le fleuve des hérésies se creuse et s'élargit.

Dans le Midi de la France, les progrès de l'hérésie vont de pair avec la décadence de plus en plus grande de l'église ; et il est difficile de dire lequel des deux phénomènes détermine l'autre.
Ce que l'on sait des chefs de l'église du Midi à l'époque de la Croisade montre que de tels évêques auraient fait douter de la sainteté de l'église les catholiques les plus fervents : voilà ce que nous apprend le pape du moment, INNOCENT III, sur le clergé Languedocien et en particulier sur son chef BERENGER, archevêque de Narbonne, je le cite: « .. des aveugles, des chiens muets, qui ne savent plus aboyer, des simoniaques qui vendent la justice, absolvent le riche et condamnent le pauvre ; ils n'observent même pas les lois de l'église, ils cumulent les bénéfices et confient les sacerdoces et les dignités à des enfants illettrés. De là, l'insolence des hérétiques, de là le mépris des seigneurs et du peuple pour dieu et son église. Les prélats sont dans cette région la fable des laiques, mais la cause de tout ce mal, c'est l'archevêque de Narbonne : c'est homme ne connaît d'autre dieu que l'argent... Dans son diocèse on voit les nonnes et chanoines réguliers se défroquer, prendre femme, vivre d'usure, se fàire avocats oit médecins » ... .
Et un autre poème attribué à Hugues d'ORLEANS, en 1144 :

« Voici promu le moine à l'évêché, pale et amaigri par le jeune,
Il a tôt fait d'une dent bruyante et inlassable,
Engloutissant en six bouchées six gros poissons,
De prendre en moins de deux ans du poids et du lard,
A l'image des porcs affamés, lui qui au cloître s'abreuvait au fleuve,
Ure, fait de force vin si grand déluge,
Qu'on le porte au lit par les bras... ivre. »

Ces tableaux sont si éloquents qu'il semble difficile d'y rajouter quelque chose ! !

L'hérésie gagne le peuple et les féodaux à sa cause. Rongée à sa base, abandonnée de ses fidèles, privée de sa large assise populaire, l'église catholique languedocienne n'a plus ni bras ni cerveaux, cette catholicité exsangue agonise ... les paroissiens abandonnent les églises et vont écouter les sermons des bonshommes. L'église du paraître est abandonnée au profit de l'église de l'exemple.
Pauvres, les parfaits se mêlent à la vie du peuple et partagent ses travaux, ils aident les moissonneurs à ramasser le blé, ils redonnent du courage aux démunis par l'exemple d'une vie plus dure que celle du paysan.
Ils représentent pour leurs fidèles une force réelle, celle qui n'a pas besoin de pompes ou de cérémonies pour s'imposer. Ils sont l'exemple, ils sont comme ils le disaient eux‑mêmes, l'église d'amour, et leur église devenait puissante et prospère dans le pays, parce que ceux qui la rejoignaient avaient le sentiment d'appartenir à une communauté plus riche de vie intérieure, plus vivante, plus unie que ne l'était l'église catholique.

Le cri d'alarme lancé en 1145 par Saint Bernard ne laisse planer aucun doute : .. « l'église catholique n'a plus les rênes en main et Rome se voit contrainte d'évangéliser le Midi comme une quelconque terre paiènne » ... .
On envoie missions sur missions, le pape INNOCENT III a compris que pour répondre à l'attente du peuple, avide d'un enseignement simple, tourmenté par l'enrichissement et la corruption de l'église, il fallait miser sur une vraie croisade spirituelle : St Bernard, St Dominique sont envoyés, ces croisades prêchent toutes dans un désert : prétendant aller au peuple, se voulant pauvres ..ils étaient suspects.
L'hérésie s'étale au grand jour, et prétend lutter à armes égales avec l'orthodoxie, elle réclame et obtient des conférences publiques contradictoires, elle a ses propres assemblées, et lors du célèbre Concile de St Félix de Caraman en 1167, l'église cathare du Midi délimite ses diocèses et nomme ses propres évêques.
Les grands seigneurs du Midi, en dépit de l'attachement apparent qu'ils montrent à l'église, sont encore plus anticléricaux mais pour d'autres raisons. Le catharisme est pour eux prétexte à s'affranchir de la tyrannie de Rome.
A tel point qu'au début du XIIIème siècle, le comte de Toulouse RAIMON VI, assez favorable au catharisme qui depuis quelques années, s'était répandu dans ces états, se montre peu disposé à le réprimer.
La croisade pacifique organisée par l'église, les prédications de Bernard de Clairvaux, et de St Dominique ont comme on l'a vu précédemment, complètement échoué, et la papauté reproche au comte et aux autres barons occitans de n'avoir pas appuyé autant qu'il l'aurait fallu, l'effort qu'elle avait entrepris pour combattre l'hérésie.
RAIMON VI déjà suspect et même excommunié est en posture d'accusé. Le légat du pape INNOCENT III, qui s'appelle PIERRE DE CASTELNAU, est chargé de le ramener à l'obéissance. Les rapports entre les deux hommes sont assez orageux : le 15 janvier 1208 le légat est assassiné comme il s'apprête à traverser le Rhône. On accuse le comte de Toulouse d'avoir armé le bras du meurtrier.
Dès lors les dès sont jetés... et dans l'esprit du pape, qui accepte mal l'injure venant de lui être faite ; la croisade militaire est déjà décidée .....

Cette croisade est aussitôt prêchée dans la France du Nord, et y obtient un grand succès.
Pour les hommes qui ne s'étaient pas jetés dans un monastère, rompant avec tout, il existait un moyen de laver ses fautes, et gagner l'amitié de Dieu...
C'était la croisade : pénitence, épreuve, instrument de purification, prélude à la mort terrestre, prélude à l'entrée dans une autre vie .. .
L'armée donc, se réunit à Lyon et descend la vallée du Rhône. Le 22 juillet 1209 , elle est devant Béziers d'où le vicomte de TRENCAVEL vient de se retirer pour se réfugier à Carcassonne.
La ville est prise dans la journée, le massacre de 7 ou 8 milles bons chrétiens ( catholiques et cathares) qui a lieu dans l'église de la Madeleine et dont ARNAUD AMAURY, abbé de Citeaux et légat du pape fut le promoteur détesté, avec son fameux et peut être mythique
« .. tuez les tous, dieu reconnaîtra les siens.. ! » Quoi que l'on en dise , cette façon de procéder n'est pas forcément dans les moeurs de l'époque, c'est même une forme de terrorisme assez nouvelle: le troubadour GUILHEM FIGUERA, dira quelques années plus tard dans un célèbre sirventès contre Rome: « . .. vous portez Rome, un bien vilain chapeau, vous et Citeaux quifites, faire à Béziers une .si terrible boucherie.. ! »
Le ler août, les croisés assiègent Carcassonne. Après quelques jours de siège, le jeune vicomte accepte de parlementer avec eux. Il se rend à l'entrevue mais n'en revient pas. TRENCAVEL emprisonné, la population sort de la cité en abandonnant tous ses biens.
Les chefs militaires de la croisade, comte de NEVERS, duc de BOURGOGNE, refusent tour à tour le Vicomté de Carcassonne que leur offre ARNAUD AMAURY au nom de l'église. Tous s'accordent alors sur le nom de SIMON DE MONTFORT. A peine devenu le véritable chef de la croisade, il se hâte d'emprisonner TRENCAVEL dans une tour de son château ou il ne tarde pas à mourir ( 10 novembre 1209).

De 1209 à 1211, SIMON DE MONTFORT poursuit méthodiquement la conquête du Vicomté ; s'empare de Castres, Pamiers, Albi, Minerve, des châteaux de Termes, de Cabaret, montrant partout la même cruauté, se servant partout de la terreur et des bûchers comme arme de guerre.
Pendant ces deux années SIMON ne connaît que peu d'échecs.
C'est alors que le comte de Toulouse, toujours prudent, juge bon de se rendre auprès du pape pour se soumettre.
Sa ville est occupée, l'abbé de Citeaux et l'évêque FOULQUES de Toulouse y multiplient les prédications sans grand succès.
Le comte de FOIX disait de FOULQUES : « ... Quant il fut élu évêque de Toulouse, un tel feu se répandit sur toute la terre que jamais aucune eau ne pourra l'éteindre ... il semble qu'il soit plutôt lAntéchrist que le messager de Rome... ».
Alors les chevaliers de Toulouse, mais aussi les bourgeois se soulèvent.
Le pacifique comte est entraîné dans la guerre. Je ne raconterai pas en détail ces opérations militaires assez confuses et peu glorieuses pour le camp Occitan, mais en 1212, la situation de RAIMON VI comte de Toulouse paraît désespérée : il ne lui reste que sa ville et Montauban.

On dirait que dans cette guerre le diable s'est complu à multiplier les coups de théâtre : la situation se renverse brusquement. Le roi très catholique PIERRE II d'Aragon, vainqueur des Maures a las Navas de Tolosa, se considère comme le suzerain de Vicomté de Carcassonne et ne supporte pas de voir son autorité s'affaiblir dans cette partie du Languedoc.
PIERRE II fait savoir au pape, que SIMON DE MONTFORT et les légats attaquent des terres ou jamais l'hérésie n'a été présente et que pour parler clairement, ils mènent une guerre de conquête à des fins strictement personnelles. Les croisés feraient mieux, disait‑il de venir l'aider à chasser les Maures d'Espagne.
INNOCENT III conditionné par ses légats définitivement hostiles à Toulouse, ne change pas d'avis.
II ne reste plus à PIERRE II que de réunir son armée et de marcher sur Toulouse. Le 12 septembre 1213 a lieu la bataille de Muret à une dizaine de kilomètres au S.O. de Toulouse. Du côté aragonais, cette bataille se déroule dans un désordre indescriptible « ... chaque baron voulait livrer son propre combat, sans ordre ni tactique.. », les Français plus disciplinés ont vite raison des chevaliers du Midi. D'autant que le Roi d'Aragon est victime d'une sorte d'assassinat ; deux chevaliers français , ALAIN DE ROUCY et FLORENT DE VILLE, ont juré de tuer le Roi ... ou de mourir. Ils y parvinrent... le reste n'est plus qu'une horrible hécatombe.
Les mois qui suivent SIMON poursuit sa conquête : Agenais, Périgord, Sud Rouergue, son implantation s'accroît, mais Toulouse tient toujours. Il faut en faire le siège... le 25 juin 1218 SIMON DE MONTFORT est tué par une pierrière sous les murailles de la ville.
La chanson de la Croisade décrit ainsi sa mort : « Et vint tout droit la pierre, là on l'on en avait besoin, et frappa si fort le comte sur son heaume qui est de fer, que les yeux, la cervelle et les dents du haut, le front et la mâchoire lui mit en morceaux, et le comte tomba à terre, mort en sang et noir... »
Il est ramené en catastrophe à Carcassonne pour y être enseveli. Voici ce qu'en dit GUILLAUME DE TUDELE, dans sa chanson de la croisade: ... « Si pour tuer des hommes et répandre le sang... pour consentir à des meurtres, pour allumer des incendies, pour détruire des barons... polir attiser le mal et éteindre le bien, pour tuer des femmes, égorger des enfants, on peut en ce monde conquérir Jésus Christ, il doit porter l'auréole et resplendir dans le ciel.. »

La croisade féodale est maintenant terminée.

AMAURY DE MONTFORT, son fils, court d'échec en échec, on se retrouve dans la même situation qu'en 1208. Les parfaits recommencent leurs prédications, on assiste à une renaissance du catharisme.
AMAURY doit quitter le Midi, mais avant cela il fait abandon de tous ses droits au Roi de France LOUIS VIII : nous approchons du dénouement, la conquête royale va commencer. Louis VIII meurt rapidement, BLANCHE DE CASTILLE et LOUIS IX prennent le relais.
Le traité de Meaux est signé en 1229 par le Roi et le comte de Toulouse RAIMON VII, traité désastreux pour le Midi car il aboutira au rattachement du comté de Toulouse à la France.
Les années qui s'étendent de 1229 à 1249 sont marquées par les efforts faits par RAIMON VII pour tourner les conséquences désastreuses du traité, et les populations méridionales pour continuer à pratiquer la religion cathare en dépit de l'inquisition.

Quelques chevaliers comme TRENCAVEL, fils de RAIMON ROGER tentent bien vers 1240 de se réapproprier leurs fiefs, mais l'emprise de la monarchie française est trop forte.

Seul Montségur résiste encore, tous les croyants ont les yeux fixés sur le château, symbole de leur résistance religieuse et politique.

A l'abri de ses murailles, les parfaits cathares maintiennent toujours intacts la foi et les rites.
C'est de Montségur que part le 23 MAI 1242, l'expédition punitive qui massacre à Avignonnet, les Inquisiteurs GUILLAUME ARNAUD et ETIENNE DE ST THIBERY.
Dès ce meurtre, la destruction du repère que défend PIERRE ROGER DE MIREPOIX, est réclamée par l'église et le roi.
En Mars 1243, le sénéchal HUGUES DES ARCIS et son armée assiègent Monségur. Le siège dure presque un an, le 2 mars 1244 les défenseurs du château se rendent, les hérétiques n'abjurent pas leur foi .

GUILLAUME DE PUYLAURENS écrit ceci: « ....parmi eux était BERTRAND MARTI, qu'ils avaient fait leur évêque et tous ayant refusé de se convertir comme on les y invitait, ils furent enfermés dans une clôture faite de pals et de pieux, et brûlés là, ils passèrent au feu du supplice.. »

La dernière forteresse cathare, Quéribus, tombe en 1255. Malgré tout une religion ne saurait s'éteindre du jour au lendemain. Après Montségur, le catharisme ne disparut donc pas, mais il agonisa dans la clandestinité, traqué par les inquisiteurs.
Pendant des décennies, il ne restera dans les coeurs occitans que la haine de Rome et de l'inquisition .
Mais quelle morale à tout cela ? Le régime de terreur policière que l'inquisition sut, pendant plusieurs siècles imposer aux peuples d'Occident va saper l'édifice de l'église et entraîner un abaissement des valeurs fondamentales de la chrétienté.
Avant la croisade, quelques abbés se sont élevés contre les bûchers d'hérétiques et ont prêché la miséricorde.
Mais déjà au XIII siècle THOMAS D'AQUIN, que de certains nomment « saint », aura pour justifier les bûchers des paroles inadmissibles dans la bouche d'un vrai chrétien.
Qu'il est loin l'enseignement d'ABELARD : « Nous approchons de Dieu dans la mesure exacte où lui même s'approche de nous, en nous donnant la lumière et la chaleur de son amour.. »
Il n'est plus personne pour dire que quelqu'un qui se trompe en matière de religion, si tenté soient qu'il y ait une vérité, reste une créature de dieu, et qu'il est criminel de lui ôter la vie.
L'église qui oubliait aussi résolument cette vérité pourtant si simple ne méritait plus son nom de catholique. 

Je citerai en guise de conclusion un de mes maîtres: MICHEL ROQUEBERT

. .. . Sept siècles ont fait plus qu'une armée d'inquisiteurs, ils ont effacé tout souvenir. L'oubli a achevé sans bruit le travail des bûchers et les cendres de 1 hérésie que des mains pieuses s ont un temps recueillies ne sont plais qu'un sable incertain qu'on tente en vain de saisir avec des doigts émus : la foi n :y est plus.
Sans doute la doctrine des Purs, peut‑elle encore alimenter quelques réj7exions solitaires, mais surtout des conversations mondaines .... »

La croisade et l'inquisition ont atteint leur but : le domaine royal est agrandi, décapitée l'hydre immonde et provoqué l'avortement d'une religion d'état qui aurait pu devenir la religion d'un monde.
Seule la terre s'est mal cicatrisée et lorsque vous visiterez ces châteaux, souvenez de la superbe ARCANE 17, de ANDRÉ BRETON « ... et dans la pierre qui monte, toujours une avec le rocher  que je contemple, s'arc‑boutent transpercés de tous les rayons de la lune, les contreforts des vieux châteaux, en arrière plan desquels celui de Montségur qui brûle toujours... ».

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