Obédience : NC Site : http://www.avs-philo-ethno.org 07/2006

 
Le Fanatisme
 
Quelle est cette bête immonde qui est en nous,  hommes dit civilisés, pour que, ce mal destructeur fasse sporadiquement irruption, comme un volcan et tue ?

Une étude sérieuse de l’Université Berkeley, (Californie) démontre que le mal destructeur (guerres, révolutions, désordres de toutes sortes) est nécessaire pour que la Loi de la Sélection Naturelle puisse socialement exercer son œuvre de renaissance. Presque toutes les grandes inventions (santé, art de vivre, progrès etc.), nous ont profité par la suite. Elles furent faites pendant une guerre.

(Les 3 lois de Carnot de l’entropie croissantes vers un chaos et, après pour une (meilleure) renaissance, sous d’autres et nouvelles  formes).   

Les leviers qui sont en nous sont multiples et variés, je ne citerais qu’un : le fanatisme, surtout religieux, car de nature irrationnel.  J’ai voulu savoir la définition exacte du mot « Fanatisme » dans le ROBERT, il nous dit :

FANATISME (1758) Foi exclusive en une doctrine, une religion, une cause, accompagnée d'un zèle absolu pour la défendre, conduisant souvent à l'intolérance et à la violence. Fanatisme religieux, politique. Combattre, exciter le fanatisme. « Rien n'égale la puissance de surdité volontaire des fanatismes » (Hugo). « J'aime les gens tranchants et énergumènes, on ne fait rien de grand sans le fanatisme » (Flaubert).  

Enthousiasme excessif. Fanatisme intellectuel, artistique (pour, à l'égard de qqn, qqch.). « Ce fanatisme presque toujours aveugle qui nous pousse tous à l'imitation des grands maîtres » (E. Delacroix). 
 
Tant que les hommes, persuadés de leur impuissance native, persisteront à s'agenouiller à la promesse d'un réconfort que leur misérable attitude leur interdit dès l'abord de recevoir, le fantôme des dieux morts continuera de les hanter et de les jeter éperdument dans une aventure où ils sont assurés de se perdre. Du temps que les mutations économiques - telles que le passage de la structure agraire au capitalisme, la transformation du capitalisme monopolistique en capitalisme d'État – (toujours cette entropie !), autorisaient le succès momentané de leurs entreprises, les régimes totalitaires n'ont jamais eu de peine à fanatiser le citoyen, à qui la religion de l'État et le culte d'un pouvoir infaillible garantissaient le salut. Nazisme, stalinisme, maoïsme ne le cédèrent en rien à la faveur des archaïques autodafés.
 
Séparé de la jouissance d'une vie qu'il sacrifie au nom d'une vie désincarnée et arfaitement « idéale », le fanatique en appelle rageusement à l'unité, unité avec Dieu, avec l'Église, avec l'État, avec l'Esprit saint. Et il se montre d'autant plus forcené que lui manque cruellement l'unité fondamentale, celle qui le réconcilierait avec son corps, avec le plaisir du vivant.
 
Être fragmentaire, souffrant d'un combat qui le dresse contre lui-même, il dénonce les diviseurs du parti, les déviants de la ligne droite, les ennemis sournois de la vertu. Pureté de la race ou pureté du marxisme, c'est toujours dans l'image d'une propreté absolue que s'absout la saleté du linge de famille, de secte, de faction.
 
Extirpant de soi la part la plus humaine, qu'il juge entachée de faiblesse, le fanatique manie volontiers le couperet de la rigueur, qui départage impitoyablement le sain de l'avarié. Il faut la cynique candeur de Robespierre pour parler de la « sainte guillotine » (machine du Docteur Guillotin, Frac Maçon), et proclamer froidement : « La Révolution n'est que le passage du règne du crime à celui de la justice. »
 
On ne peut mieux dire. Aussi bien est-ce un aveu qui siérait aux fanatiques de la punition pénale, à ceux qui exorcisent, par le moyen des peines de prison, voire de mort, infligées aux malfaiteurs, la malfaisance des pulsions réprimées qu'ils emprisonnent en eux.

Parmi l'espèce proliférant de ces « maniaques destructeurs de leur être », l'Encyclopédie distingue deux catégories principales :
 
« Dans un tempérament flegmatique, il produit l'obstination qui fait les zélateurs ; dans un naturel bilieux, elle devient frénésie [...]. Toute l'espèce est divisée en deux classes. La première ne fait que prier et mourir, la seconde veut régner et massacrer. » Peut-être faut-il convenir que les deux classes, le plus souvent, n'en forment qu'une ; de même que coexistent en chaque être humain l'actif et le passif, la dureté et la mollesse, le prêtre et le philosophe, le policier et l'insurgé, la raideur et le laisser-aller. Un état succède à l'autre, selon un mouvement de balancier prévisible, mais non cependant sans qu'une fonction particulière, un métier, une responsabilité sociale, un rôle ne viennent favoriser, cristalliser l'une ou l'autre attitude.
 
Il existe ainsi un singulier encouragement au fanatisme, c'est de confondre le développement des facultés d'éveil de l'enfant et ce que l'on appelait, il n'y a pas si longtemps, la formation du caractère. Ceux qui se flattaient jadis que leur enfant eût du caractère, une manière d'inflexibilité, de raideur opiniâtre qui passait pour la marque d'une « personnalité », savent depuis Wilhelm Reich quels ravages a causés cette carapace qui réprime et refoule les pulsions du corps.
 
Il existe un puritanisme de l'ordre, comme du reste de la subversion, qui ne laisse pas de se débonder, sous couvert de devoir, de rigueur, d'exemplarité, en une inhumaine cruauté. La propreté de la race exige la grande lessive des camps de concentration, la pureté de l'Église ou de la république jacobine a besoin de bûchers et de guillotines, le goulag sauve un certain marxisme des révisions qui en troubleraient la clarté.
 
Toute cela se défend, s'argumente, se raisonne, se conteste. Le malaise vient, pour qui examine, avec le recul du temps, les sanglants conflits religieux, politiques, idéologiques, sociaux qui ont dressés l'un contre l'autre les justes et les injustes, de ce qu'au fanatisme de la tyrannie répond trop souvent le fanatisme empanaché de liberté.
    
C'est que, indépendamment de la couleur idéologique de tel ou tel engagement, il existe, dans le fait même de s'engager pour une idée, une sorte d'imposture, voire de malformation.
 
Comment sacrifier son inclination naturelle au bonheur et espérer pour l'humanité tout entière une félicité que l'on se refuse au départ ? Le mépris de la jouissance en tant que manifestation de vie conduit l'individu tout autant que les sociétés à une sclérose du comportement, qui est le terrain d'élection du fanatisme. Le défoulement répond au refoulement aussi sûrement que le libertinage à l'austérité des mœurs, l'émeute au despotisme, la révolte à l'autorité, le diable à Dieu.
 
Ceux qui cherchent, pour reprendre l'expression du pasteur Turretin, des préservatifs contre le fanatisme feraient bien d'en découvrir les causes moins dans la perversité des doctrines et des opinions que dans le corps arraché à ses plaisirs, mis impitoyablement au travail, militarisé au service de cet esprit qui entend le dominer et le gouverner, comme le ciel des idées n'a cessé, jusqu'à présent, d'imposer à la terre l'abstraction de ses lois.
 
S'il existe en chacun une propension au fanatisme ordinaire, elle tient non à la nature humaine mais à sa dénaturation entropique. Que le devoir et la contrainte soient inconciliables avec le sentiment de bonheur et de sérénité indique suffisamment où le bât blesse. Chaque fois que l'appel des obligations quotidiennes fait taire et refoule les sollicitations de la jouissance, résonne l'objurgation de la vieille intransigeance : perinde ac cadaver.
 
Le manque à vivre produit l'inflation des valeurs destructives, comme si l'énergie libidinale employait à se détruire la force qu'elle ne peut investir dans son accomplissement. Cette détermination à marcher au-devant de la mort, à devenir un héros, un saint, un martyr n'a-t-elle pas servi de modèle et d'enseignement à des générations d'écoliers que, selon l'expression consacrée, l'on « armait » ainsi pour « affronter » la vie ?
 
Alexandre von SAENGER

                     
Bibliographie                                             
Dictionnaire LE ROBERT
Encyclopædia Universalis
Encyclopédie du Grand LAROUSSE
Dictionnaire philosophique LAROUSSE
Et : D. COLAS, Le Glaive et le fléau, Grasset, Paris, 1992

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