Obédience : NC Loge de Saint Jean Date : NC



La Morale en Franc-maçonnerie
Est-elle Dogmatique, Utilitaire ou Symbolique ?

La morale ou encore la loi morale est le fondement même de toutes les civilisations humaines que nous connaissons. Ce sujet inspire depuis l’antiquité la plus lointaine, des auteurs nombreux et prolifiques. Mon intervention, dans les dix minutes qui me sont imparties, n’aura donc rien d’exhaustif. Elle vise simplement à essayer de répondre aux questions posées et soulever quelques pistes de réflexions.

Le Larousse définit la morale comme « l’ensemble de règles d’action et de valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société ou, d’un point de vue philosophique : la théorie des fins des actions de l’homme ».

D’un point de vue très basique mais beaucoup plus clair, il s’agit de la notion de bien et de mal. La morale est, dans la plupart des cas, manichéenne.

La loi morale, au moins dans la tradition judéo-chrétienne, apparaît d’abord sous la forme de la loi religieuse. Le Décalogue est le modèle de cette conception : la loi s’impose à tous parce qu’elle n’a pas une origine humaine mais divine. Cette transcendance est nécessaire pour que la loi puisse s’imposer car, sans cela, les hommes n’auraient aucune raison de l’adopter. Bien au contraire, sans l’autorité de la loi, ils ne peuvent que se jeter dans la débauche et dans l’idolâtrie, ainsi que le constate Moïse, de retour du Sinaï.

Le corollaire de cette conception, c’est la puissance de châtier dont dispose Dieu. Il peut châtier les hommes de leur vivant, comme il le fait à Sodome et Gomorrhe. Mais le châtiment, dans la conception chrétienne, vient plutôt après la mort où les âmes des pécheurs sont livrées aux tourments éternels de l’enfer.

Même si la théologie fait de l’amour de Dieu le mobile de l’obéissance à la loi, c’est paradoxalement dans la crainte de Dieu que s’enracine la moralité : « qui aime bien châtie bien ».

A ce propos, je me permets de citer un de nos frères (il se reconnaîtra) qui, à la fin d’une planche, m’a glissé à l’oreille : « Les religieux vivent dans la crainte de Dieu alors que nous, les Francs-maçons, n’avons qu’une crainte : celle de se tromper, ce qui est bien plus difficile ».

D’émanation divine et donc « universelle », cette morale ne supporte aucune discussion de la part des individus qui doivent se contenter de l’appliquer. Même dans les pays où il existe une séparation du pouvoir temporel du pouvoir spirituel, la morale reste le fondement du Droit laïque.

Par essence, la morale est originellement dogmatique avec des postulats qui varient en fonction du contexte socioculturel.

La morale est donc toujours liée à un espace physique et temporel. Cette loi morale d’essence religieuse est toujours considérée comme universelle par ceux qui sont dans cet espace. Pour les autres, elle n’existe pas en tant que telle ; mais bien souvent ceux qui la considèrent comme universelle tentent de leur imposer. Les exemples historiques ou récents sont malheureusement nombreux : colonisation, intégrisme, etc.

La morale religieuse, dans son acceptation la plus absolue, peut être caricaturée ainsi : « si Dieu existe et que je combats à ses côtés, alors toute atrocité est possible ». Le développement, aujourd’hui des diverses formes de fanatisme religieux, jusque sous ses manifestations les plus monstrueuses, nous oblige à nous interroger.

Selon cette morale, la vie terrestre n’est qu’une vie misérable qui en saurait en rien être comparée avec la vie dans l’au-delà et, par conséquent, la mort n’est pas à craindre, ni pour soi, ni pour les autres, puisque de toutes façons, c’est Dieu qui décide de rappeler à lui les mortels. C’est pourquoi dans certaines religions cohabitent si facilement les préceptes moraux les plus incontestables, l’utilitarisme le plus prosaïque mais aussi le goût du sacrifice le plus terrifiant.

Quelles raisons morales conduisent à des dogmes qui enseignent que les bébés non baptisés erreront éternellement dans les limbes ? Comment admettre une justice divine qui condamne les enfants pour les fautes des parents ? Comment l’amour pourrait-il ordonner l’extermination des infidèles ou l’oppression des femmes ? Dans la plupart des cas, il s’agit d’interprétation malsaine ou de détournement des préceptes originaux.

Ce n’est pas le cas de la « Loi Morale » maçonnique que seuls les francs-maçons ont vocation à respecter. Même s’il rayonne dans le monde profane, le franc-maçon doit s’abstenir de faire du prosélytisme et conserver un esprit tolérant et ouvert.

Cette « Loi Morale » est mentionnée pour la première fois par le pasteur Anderson qui fut appelé à rédiger les Constitutions de la nouvelle Grande Loge d’Angleterre, sur les conseils et avec l'aide de Desaguliers en janvier 1723. Le premier chapitre de la première édition de ces Constitutions concerne Dieu et la Religion :

« Un Maçon est obligé par sa tenure d'obéir à la Loi morale et s'il comprend bien l'Art, il ne sera jamais un athée stupide, ni un libertin irréligieux. Mais, quoique dans les temps anciens les Maçons fussent astreints dans chaque pays d'appartenir à la religion de ce pays ou de cette nation, quelle qu'elle fût, il est cependant considéré maintenant comme plus expédient de les soumettre seulement à cette religion que tous les hommes acceptent, laissant à chacun son opinion particulière, et qui consiste à être des hommes bons et loyaux ou hommes d'honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou croyances qui puissent les distinguer; ainsi, la Maçonnerie devient le centre d'union et le moyen de nouer une véritable amitié parmi des personnes qui eussent dû demeurer perpétuellement éloignées ».

Nous trouvons dans ces mots une conception fédératrice universelle et librement consentie qui doit constituer un mouvement attractif pour, comme l'a remarqué Lamartine : « réunir ce qui est épars et pour écarter tout ce qui peut diviser ».

La loi morale, désignée par Anderson comme la « religion que tous les hommes acceptent », n’est toutefois pas opposée, comme ont pu le penser certains philosophes, à la notion de morale religieuse. Cette « loi morale » est le tronc commun des religions mais aussi des diverses philosophies, qu’elles se réclament ou non de l’athéisme même si ce dernier point n’est pas explicite dans les Constitutions d’Anderson, ce que l’on peut comprendre compte tenu de la date à laquelle elles ont été écrites.

Selon moi, la loi morale maçonnique est véritablement universelle car :

- Elle n’est pas limitée dans l’espace et le temps.
- Elle est librement consentie.
- En ce sens, elle n’est pas dogmatique.
- Peut-on la considérer comme utilitaire ?
- La première forme de la morale purement utilitaire (qui a pour principe essentiel l’utilité et non la puissance divine) remonte à Aristippe de cyrène, un disciple de Socrate. Il professait que le bonheur ne consiste qu'en plaisir, car plaisir et douleurs sont les seules choses tangibles de ce monde. Le laisser-aller au plaisir est la seule condition pour le goûter.

Un peu plus tard, Epicure fit un pas de plus : il nous dit que la recherche du bonheur est le but de la vie, mais que le bonheur vrai est un bonheur d'équilibre : atteindre la Sagesse en appréciant les belles choses de la vie sans en devenir dépendant, vivre en accord avec la nature. Cela le conduit à recommander à ses sectateurs de ne pas sortir d'eux-mêmes. La vie préconisée était sévère et élevée, mais égoïste dans ses principes comme dans ses conséquences : l'épicurien devait se désintéresser de la société des autres hommes, fuir les affaires publiques ainsi que les charges de la famille ou de l'amitié.

Nous sommes ici bien loin des valeurs de partage de la franc-maçonnerie.

La morale utilitariste va évoluer au cours des siècles. Bentham en 1789, réintègre les sentiments altruistes dans la morale utilitaire. Pour lui, trouver notre plus grand plaisir, c'est de trouver le plus grand bonheur du plus grand nombre car il y a une harmonie entre tous les intérêts humains.

En 1861, Mill distingue les plaisirs non seulement par leur quantité mais aussi d'après leur qualité. La morale de Mill substitue à l'intérêt particulier l'intérêt général : son principe est la recherche du bonheur général; ainsi sont justifiés le dévouement à autrui et le sacrifice, susceptibles d'augmenter la somme totale de bonheur.

Cette morale revendique le sacrifice et le dévouement personnel que pour autant qu’ils augmentent ou tendent à augmenter la somme totale du bonheur. Contrairement à certaines religions, elle refuse d’admettre le sacrifice comme une valeur intrinsèque.

En cela, la morale dans la Franc-maçonnerie pourrait être qualifiée d’utilitaire, dans la mesure où il n’y a rien qui rende l’individu plus bienfaisant et par conséquent qui soit plus utile que le culte désintéressé de la vertu.

Ce serait, à mon sens, limiter l’universalité de son message à des considérations trop terrestres. La Loi Morale évoquée dans les Constitutions d’Anderson a un champ d’application plus vaste, elle ne s’attache pas simplement aux effets que peux produire le comportement des francs-maçons, aussi bénéfiques soient-ils. Elle ne vise pas seulement à atteindre un bonheur, qu’il soit particulier ou collectif, mais à atteindre une véritable communion qui dépasse les barrières matérielles et mesurables. Cette loi morale ne fait pas état de la nécessité d’un quelconque sacrifice, elle est au-delà de cette notion.

Elle est à la fois simple à comprendre et parfois difficile à mettre en œuvre : l’aumône et la charité ont les mêmes effets matériels mais ne participent pourtant pas à la même morale.

Peut-on considérer la morale en Franc-maçonnerie comme symbolique ?

A l'inverse de la philosophie, le Symbolisme ne contient et ne cherche à définir nulle morale.

Raoul Berteaux indique, au début de son ouvrage « la Voie Symbolique » : « Le symbole constitue un processus de connaissance… Il est destiné à enrichir le domaine régi par la raison. Il est un outil pour progresser dans la voie du connais-toi toi-même ».

C’est sous cet angle qu’il faut examiner cette question.

Comme j’ai pu vous l’évoquer, la morale varie d'un lieu ou d'un temps à l'autre ; elle s'appuie sur des valeurs parfois opposées voire contradictoires et souvent discutées, tels que par exemple les critères du bien et du mal.

En Symbolisme, le bien et le mal ne sont que deux aspects d'un état d'être. L'un ne peut exister sans l'autre. Ils ont la même importance alors que la morale tend, dans la plupart des cas, à privilégier le bien.

Paradoxalement, s'il n'y a pas spécifiquement de morale en symbolisme, le symbolisme peut être, pour qui sait le percevoir, la meilleure école de morale. Le Symbolisme permet à chacun d'intégrer les valeurs éternelles qui fondent la morale universelle.

Par son universalité, le symbolisme est une école de tolérance, puisque qu'elle mène naturellement à la nécessité du respect d'autrui. L'un des messages porté par les Symboles est en effet celui de l'unité de l'Univers et donc du lien profond qui unit tous ses éléments constitutifs. Ainsi s'impose l'idée que l’autre n’est pas différent mais semblable ou complémentaire.

En ce sens, nous pouvons considérer que la morale en franc-maçonnerie est symbolique par son universalité et son message d’amour de l’autre. L’amour véritable est, selon moi, le plus beau des sentiments car s’il peut se partager, il n’attend ni n’a besoin d’aucune contrepartie.

La morale maçonnique s’adresse à chacun d’entre nous dans sa conscience la plus profonde. Elle fait appel à notre connaissance et non à notre savoir.

Ceci est d’ailleurs rappelé par le Suprême Conseil dans le Manifeste du Convent de Lausanne de 1875 : « …Aux hommes pour qui la religion est la consolation suprême, la Maçonnerie dit : cultivez votre religion sans obstacle, suivez les inspirations de votre conscience ; la Franc-maçonnerie n’est pas une religion, elle n’a pas un culte ; aussi elle veut l’instruction laïque, sa doctrine est tout entière dans  cette belle prescription : Aime ton prochain ».

J’ai dit, Vénérable Maître.

M\ L\M\


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