GLNF Loge : Saint Jean d'Ecosse et la Vertu persécutée - Orient d'Avignon Date : NC


L’éthique des F\ M\ réguliers


« Si le chemin qui mène à cet état de sagesse semble ardu, on peut cependant
le trouver. Mais si on le découvre si difficilement, c’est précisément que c’est un
chemin ardu. Comment serait-il possible, si le salut était sous la main et si l’on
pouvait y parvenir sans grand effort, qu’il fut négligé par presque tous ? Mais
tout ce qui est beau est difficile autant que rare ».

 Spinoza («L’éthique»)

Vous m’avez demandé de lancer le débat sur le thème que notre Très Respectable G\ M\ souhaite voir traiter cette année par les L\. Je vais donc essayer de cadrer sommairement le sujet, sans véritablement le développer, de façon aussi concise et précise que possible, en espérant susciter de fructueuses réflexions qui donneront autant de fructueux apports…

Dans sa rédaction même, ce sujet lie trois notions : celle d’éthique, celle de F\ M\ et celle de régularité, c’est-à-dire de conformité à la règle en 12 points, ce qui, on le remarquera en passant, n’a rien à voir avec la reconnaissance, puisqu’aussi bien des F\ peuvent travailler de façon régulière sans être reconnus et qu’au demeurant, avant d’être reconnues, les obédiences qui le sont devaient nécessairement travailler au préalable de façon régulière !

Parler d’éthique, sur le plan social et profane, c’est nécessairement évoquer une appréciation du bien et du mal : un individu ou un groupe d’individus approuve ou désapprouve un être, un comportement ou une action en fonction de critères moraux, la morale étant de ce point de vue un ensemble de règles sociales produites par une civilisation donnée pour protéger les rapports entre ses membres. Et ces critères changent avec les époques et les régions du monde : pour les Talibans d’aujourd’hui comme pour les Juifs d’il y a 2000 ans, il est moral, légitime, donc conforme à l’éthique, de tuer la femme adultère. D’un point de vue occidental contemporain, ce n’est évidemment ni moral, ni légitime et donc pas conforme à l’éthique. Il s’en suit qu’il devient évident qu’une éthique dont les fondements sont variables avec le temps et l’environnement ne peut pas être considérée par nous, M\, parce que ne relevant pas de l’absolu mais du relatif.

” La recherche d’un meilleur Moi “

Donc, clairement, nous ne nous situons pas sur ce plan social. Montons d’un cran, et voyons ce qu’est l’éthique d’un point de vue philosophique, en nous référant à Spinoza (1), continuateur en ce sens de la pensée platonicienne, et pour qui l’éthique correspondrait plutôt à un  perfectionnisme : il s’agit là de la recherche d’un meilleur moi, d’un perfectionnement de soi, avec pour objectif d’atteindre un état nouveau conduisant à une vie nouvelle, formule qui devrait parler aux M\ M\ de cette L\. On constate que nous sommes ici complètement dans l’objet de la F\ M\, et que nous avons glissé vers une conception plus initiatique des choses.

En effet, l’objet de la démarche platonicienne et maçonnique est de mettre le meilleur de nous-mêmes, la partie de soi qu’on aura dégagée de sa gangue (Cf. Vitriol) en harmonie avec le tout. On constate également que ce point de vue s’arrache singulièrement de l’étroite définition morale de l’éthique, de nature contingente, pour déboucher sur la notion d’harmonie, plus universelle. Comme le concevaient déjà les Stoïciens, il n’y a de bien que le bien moral et de mal que le mal moral, ceci devant être compris évidemment sur un plan pratique, par l’exercice du devoir, et pas seulement sur un plan théorique. Le philosophe ou l’initié doit parvenir, par un travail sur lui-même, à ne désirer spontanément que le bien. C’est un point qui serait bien sûr à développer.

Mais alors, quelle différence entre le philosophe et l’initié, le F\ M\ en l’occurrence ? Fondamentalement, à mon avis, le sentiment du sacré, du mystère et de la splendeur de l’existence, sentiment qui renvoie au premier point de la règle en 12 points. C’est ce qui fait que l’initié est un philosophe, mais pas qu’un philosophe.

Cette considération nous amène naturellement au troisième terme du sujet…

Evoquons donc maintenant cette notion de Régularité : il n’y a pas tant de moyens pour un philosophe d’accéder à la sagesse ou pour un initié de parvenir à sa propre réalisation. La F\ M\, et c’est en ce sens que René Guénon a pu dire d’elle qu’elle était a dernière société initiatique d’Occident, met à notre disposition la méthode du Rite. La méthode ? Son efficacité requiert deux conditions pour l’initié : la première tient à sa volonté de la mettre en œuvre, et ce n’est pas facile, comme notre V\ M\ l’a dit à notre nouveau F\ avant même le premier voyage qui allait faire de lui un M\ : « Mais ce travail est pénible, et demande beaucoup de sacrifices » (Cf. la citation de Spinoza en exergue…). La seconde condition tient évidemment à la pureté de la méthode, tant il est vrai que de petits arrangements avec le ciel en grandes compromissions, il est facile de dévoyer la F\ M\ : la règle en 12 points est en ce sens un
« garde-fou », et sa stricte observation nous assurent, au-delà de la pratique d’une « vraie » Maçonnerie, - une Maçonnerie Régulière -, d’espérer parvenir à cette fusion avec le tout, cette harmonie éternelle qui nous renvoie à une toute autre conception du bien et du mal, une perception universelle des êtres et des choses. C’est de cela dont il faudrait débattre, mes F\…

“ La méthode dans toute sa rigueur et sa pureté “

Vous voyez déjà, au travers de ces quelques notes ni construites ni développées, tout ce que peut recouvrir le sujet qu’il nous est demandé de traiter collectivement.

L’initiation

Traiter de la notion de vertu au travers des évocations qu’en fait le rituel du 1er degré suppose bien entendu un recensement des différentes occurrences dans lesquelles il en est question.
Incontestablement, on va le voir, cette idée est quasi omniprésente lors de la cérémonie d’initiation elle-même. Je vais donc d’abord vous en citer les divers passages qui nous intéressent ici, essayer d’en synthétiser l’idée générale, et ce que nous pouvons peut-être en tirer pour avancer au mieux sur le chemin qui est le nôtre.
La vertu dans le rituel du 1er degré.
Lors de la cérémonie d’initiation, donc, et dans l’invocation préalable aux épreuves, le V\ M\ dit notamment : « Qu’Il (le GADL’U) daigne protéger les ouvriers de paix qui sont ici rassemblés dans Son Temple, qu’il anime leur zèle, qu’il enflamme leur cœur de l’amour de la vertu(…) ».

« Profane ! Qu’est-ce que la vertu ? » Cette question suit l’invocation précédemment évoquée ; elle s’inscrit dans le cadre de la nécessité pour la L\ de connaître les principes de morale qui dirigent usuellement la conduite de celui qu’on s’apprête à recevoir. A cette question, bien sûr, chacun de nous a répondu a sa façon, avant que le V\ M\ ne recadre en quelque sorte les choses en précisant : « La vertu est une force de l’âme qui nous porte à faire ce qui est bien, même au détriment de notre propre intérêt ». Certes, certes, mais qu’est le bien lui-même ? 

Cette question, vous le savez, agite de façon récurrente tous ceux qui pensent un peu, depuis toujours, et il semble qu’il y ait deux sortes de bien, l’une relative et l’autre absolue. C’est là, me semble-t-il, que réside le fond de la question, et je me propose d’abordercet aspect du sujet dans la dernière partie de ce travail. Lorsqu’il énonce les trois devoirs du M\ (silence sur notre ordre, travail sur soi et obéissance aux règles de la F\ M\ et aux lois de l’Ordre Ecossais Ancien et Accepté) pour en informer le profane, le V\ M\ précise encore que le travail sur soi se fait dans trois directions : combattre ses passions, « pratiquer les vertus les plus douces et les plus bienfaisantes », secourir et assister ses F\.

A l’issue du deuxième voyage, moins difficultueux que le premier, le V\ M\ commente à l’attention du profane : « (…) les obstacles s’aplanissent de plus en plus sous les pas de l’homme qui persévère dans les sentiers de la vertu». Lors de la scène du parjure, le V\ M\ présente au néophyte les F\ comme de potentiels «vengeurs de la Maçonnerie et de la Vertu». 

En remettant ses gants au nouveau frère, il lui est rappelé qu’ils « indiquent que les mains d’un F\M\ doivent rester pures de tout acte blâmable, de même que sa conscience sera pure de tout sentiment vil ». Même si le mot n’est pas expressément cité, c’est bien de cette idée de pratique de la vertu dont il est ici question. On notera encore que le bien n’est toujours défini que par opposition au mal. Juste avant de lui rendre ses métaux, on informe le Frère nouvellement initié que : « La bienfaisance est l’une des vertus dont la pratique est la plus chère aux F\M\ ». Mais on lui précise également que « la charité cesse en effet d’être une vertu si elle est faite au préjudice de devoirs plus sacrés et plus pressants ».

1. Auteur de «L’éthique», dont un bref extrait figure ici en exergue, mais aussi de «Par delà le bien et le mal» «Jenseits von Gute und Böse».


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