Obédience : NC Loge : NC 28/10/2004

 

Méditations iconographiques sur la Force au RER

Aujourd'hui vous l'avez compris je vais vous parler de la vertu de notre grade : la Force.

Non pas en général mais d'après ce qu'en montrent dans leurs tableaux et disent dans leurs textes nos rituels des 4 premiers grades, tant les trois premiers préparent le quatrième, lequel les éclaire à son tour, ainsi que nous le disent les instructions reçues à ce grade.

Premier constat : la notion de force (la force, les forces ou fortifier) revient très régulièrement dans nos rituels : 15 fois dans celui d’apprenti, 14 dans celui de compagnon, 12 dans celui de maître et 14 enfin dans celui de maître écossais, à quoi il faut ajouter 5 mentions dans notre Règle Maçonnique, soit une soixantaine d’occurrences, ce qui en fait un thème important.

Au-delà de cette approche spécifiquement rectifiée qui consiste à rechercher les variations sur un thème dans les quatre grades, j'ai tenu à enrichir cette réflexion spirituelle par une approche symbolique, avec le recours à la littérature emblématique, source de la plupart de nos symboles et emblèmes et dont nous retrouvons d'autres échos dans l'histoire de l'art, notamment à l'époque qui vit l'éclosion de la Franc-Maçonnerie.

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Du 16ème au 19ème siècle, la force fut successivement représentée, tant en peinture qu’en sculpture, par une colonne brisée, un lion apaisée et enfin par de très romantiques avatars d’Hercule, dotés de ses deux attributs caractéristiques : la massue et la peau du lion de Némée. Deux façons donc de symboliser la Force : par celui qui l’utilise (Hercule ou un lion) ou par ce à quoi on l’applique (colonne brisée, lion apaisée). Néanmoins, puisqu’il s’agit de représenter une vertu cardinale, ce n’est pas la loi du plus fort qui est mise en avant et qu’aurait pu incarner d’emblée Héraklès, le plus fort des héros de la mythologie, ou bien encore le lion, roi des animaux parce que le plus fort d’entre eux (1). On se souvient que c’est souvent l’affrontement des deux, homme contre animal, qui illustre force et courage, en un mot l’héroïsme : ainsi Daniel survit-il à la fosse aux lions (Dn 6,17-25) parce qu’il fut trouvé innocent, c’est à dire vertueux. C’est la même morale que nous présente Aulu Gelle avec l’histoire d’Androclès (2) dans les Nuits Attiques (V,14) ou Cesare Ripa quand il représente Lysimaque dansson Iconologie, Lysimaque vainqueur à mains nues du lion qu’Alexandre l’avait condamné à affronter : sydera cordis écrit de la Feuille dans ses Emblèmes et devises de 1691, « La force vient de la vertu du coeur ». Les drapeaux des régiments de Hesse-Cassel (3) portaient un lion couronné armé d’une épée et surmonté de la devise « nescit pericula », c’est-à-dire il ignore les dangers. Le roi croisé, Richard Coeur de Lion, n’en fut-il pas lui aussi un modèle ?

Autre héros mythologique, Cadmos, dont Ovide écrit qu’il « avait pour vêtement la dépouille d’un lion » et « une force énorme ». C’est ainsi qu’avant de fonder Thèbes, « de la dépouille du lion, il repoussa les assauts » du dragon, illustrant ainsi la célèbre maxime de Diego Saavedra
Fajardo, fortior spoliis (4), plus fort par les dépouilles, qui sous-entend que le succès appelle le succès. Plus important pour nous est le fait que Cadmos est à la fois guerrier et bâtisseur et c’est ainsi que le Primatice le représente, casqué d’une tête de lion et vérifiant l’équerre en main
l’élévation des murs de Thèbes : autant de symboles familiers aux maîtres écossais, n’est-ce pas ?

Quant à Hercule/Héraklès nous connaissons tous ses 12 travaux, comment il tua de ses mains le lion de Némée, comment il se fit de sa dépouille une armure, la tête lui servant de casque, et comment enfin elle lui fut inutile contre la tunique empoisonnée qui fut son linceul et la cause
même du trépas où son orgueil, « ennemi le plus dangereux de l’homme », selon notre Règle Maçonnique, devait tragiquement le conduire.

Enfin, Samson, le nazir de Dieu, nous donne à réfléchir sur la force, par ses forces et ses faiblesses, du lion à la colonne brisée, à rebours du parcours rectifié. Samson, « vit un jeune lion qui venait à sa rencontre en rugissant et sans rien avoir en main déchira le lion » (Jg 14,5-6, He 11,33), « avec une mâchoire d’âne il abattit mille homme » (Jg 15,16) et « fut juge en Israël pendant vingt ans » (Jg 15,20), c’est-à-dire leader spirituel, militaire, politique et bien sûr juge, interprète de la loi : en résumé, « il portait parmi les autres hommes les vertus dont vous avez juré de donner l’exemple ». Son intempérance et son imprudence, en un mot son orgueil, finirent par le perdre quand il trahit son serment de nazir, perdant ses cheveux et sa force, sa vue et sa liberté (Jg 16,19-21), aveuglé, tel « l'homme dans les ténèbres cherchant la Lumière » et dans les chaînes donc, comme dans nos cérémonies d’apprenti et de maître écossais, gouverné par ses passions, comme d’autres héros déjà cités ici. Samson se présentera alors ni nu, ni (très) vêtu...et abattra les colonnes du temple, lui qui était moralement et physiquement brisé et pourtant encore debout (adhuc stat) malgré sa déchéance.

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Glorieusement commencé avec sa victoire sur le lion, l’histoire de Samson finit tristement entre les colonnes brisées du temple de Dagon que sa force retrouvée lui permit de faire tomber (Jg 16,29-30). En Hébreux Shimshon signifie petit soleil ou brillant comme le soleil, ce qui, associé
au lion, est astrologiquement signe d’orgueil. Pensons ici à Louis XIV qui aimait cumuler les deux attributs, comme nous le montrent bien les Invalides. Peut-être est-ce pour nous mettre en garde que le lion est ici figuré « sous un ciel chargé de nuages et d'éclairs ». Car « s’il n’est pas
furieux, il est invincible » comme l’écrit de la Feuille qui redit au passage l’ambivalence de la force entre courage et orgueil, entre grandeur et fierté, entre vice et vertu…

Dernier avatar des dompteurs de lions, les templiers, dont l’article 47 de la règle proscrit la chasse, à l’exception de la chasse au lion à laquelle est entièrement consacrée l’article 48, je cite :

Il est certain que vous devez vous considérer comme mandatés, en dette vis-à-vis du salut de vos frères pour combattre ici-bas les mécréants qui sont les ennemis du fils de la Vierge Marie. Cette défense de chasser, dite ci-dessus, ne s’entend pas du lion car on dit « il rode cherchant qui dévorer » et « sa main contre tous, la main de tous contre lui »

car comme le dit la première épître de Pierre « votre partie adverse, le diviseur, comme un lion rugissant, rode cherchant qui dévorer » (1P 5,8) ce qui nous renvoie tant à la force, nécessaire pour mener le combat spirituel, qu’à la colonne brisée, que nous risquons de redevenir si le
diviseur l’emportait. La tradition templière rejoint ici la doctrine de Martinès de Pasqually, deux sources parmi d’autres du Régime Ecossais Rectifié.

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Notre lion qui repose tranquillement, apaisé, dompté, n’est-il pas le signe de nos passions animales enfin dominées par la force de la vertu ?

« Composé de coeur et de force » dirait de la Feuille ? Le drapeau du Régiment von Esstorf (1759) porte ainsi un rocher, sous un ciel nuageux, assailli par le vent et la foudre, et surmonté de la devise « Tu ne cede malis (5) » tiré de Virgile, quand aux enfers la Sybille dit à Enée : « Ne cède pas au mal, mais lutte encore plus courageusement contre lui » (Enéide 6,95). Ainsi dépouillé de ses excès martiaux, comme le maçon rectifié l’est des pénalités et vengeances communes aux autres rites, et pour reprendre des forces avant de poursuivre le combat, le lion doit se mettre « sous l'abri d'un rocher » et quel meilleur sanctuaire que « l’Éternel, mon rocher, ma forteresse, mon libérateur ! Mon Dieu, mon rocher, où je trouve un abri ! Mon bouclier, la force qui me sauve, ma haute retraite! » (Ps 18,3), comme le disent une dizaine de fois les Psaumes (6).

Ceci m’évoque le lion dormant qui chez de la Feuille porte la devise « son coeur veille » ou le lion couché portant la devise « vigilantia vincit » du drapeau colonel du régiment von Ottel (1761) de l’armée de Hanovre : « qui demeure sous l’abri du Très Haut, repose à l’ombre du Tout Puissant » chantait le Roi David (Ps 91,1), ce à quoi nous incite d’ailleurs notre Règle Maçonnique « lorsque sur le soir ton coeur satisfait te rappelle une bonne action, ou quelque victoire remportée sur toi-même, alors seulement repose tranquillement dans le sein de la Providence, et reprends de nouvelles forces (7) ».

En effet, « Les méchants fuient sans qu'on les poursuive, mais les justes ont de l'assurance comme un lion ». comme le dit le livre des Proverbes (Pv 28,1) et que Daniel Cramer illustre d’un lion et d’une colonne renversée à ses pieds.

L’usage de la colonne brisée comme symbole de la force, m’incite donc à revenir vers le rituel d’apprenti pour voir en quoi les évocations de la force dans les rituels des trois premiers grades préparent et annoncent le Maître Ecossais.

Apprentis, on nous enseigna que l’épée est « symbole de la force » et même de « la force de la foi en la parole de la vérité », cette « épée de l’esprit qui est laparole de Dieu » d’après le célèbre épître de Paul aux Ephésiens (Ep 6,17) et dont Claude Paradin dit dans une des ses Devises héroïques qu’elle permet de « se défendre des dangereux et mortels ennemis qui sont les vices » et qu’il illustre de deux bras, l’un tenant une épée et l’autre une truelle, ce qui nous évoque un passage important de notre cérémonie de réception, écho du chapitre 4 de Néhémie (autrefois appelé 2 Esdras 4).

Entre l’arme (pensons au marteau de Thor) et l’outil, le maillet «est entre les mains du Vénérable Maître l’emblème de la force » : avec lui l’apprenti teste ses forces, puis le compagnon à son tour qui les a redoublées.

Pour le compagnon, la force c’est BOAZ, sa colonne, « qui signifie le Seigneur est ma force (8) » quand pour le maître c’est « dans le silence et l’espérance » (in silentio et spe9 (9)) qu’elle se manifeste.

Enfin, dernière « marque distinctive des maîtres » rectifiés, le chapeau qui est « le symbole de l’esprit de force » et qui « doit accompagner les maîtres dans toutes leurs démarches » : la consigne est claire, il doit porter le chapeau, dans tous les sens du terme…

Le catéchisme de maître nous dit que la force est un attribut qui appartient « à Dieu même », une des « 7 vertus du maçon », un des « 7 dons spirituels qu’il doit demander à Dieu ». La force apparaît ici comme la passerelle entre l’homme et Dieu, comme le but d’un parcours qui irait des
dons spirituels aux vertus cardinales, « vertus et qualités essentielles d’un vrai maître » : une fois la force maîtrisée, ou plus modestement apprivoisée, peut-être alors donnerons-nous de nous une « image immortelle » enfin reconnaissable à ses trois piliers ?

La force, « vertu particulière du quatrième grade » est « force de volonté », dit notre rituel vert, à « usage raisonnable » et destinée à aider « à pratiquer » les autres vertus. Souvenons-nous que force sans vertu, n’est que ruine de l’âme, colonne brisée et qu’alors « la sagesse vaut mieux que la force » selon le mot de l’Ecclésiaste (Ec 9,16).

X\ B\

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Notes :

(1) Cf. Pv 30,30 : Le lion, le héros des animaux, ne reculant devant qui que ce soit.
(2) L’épisode du lion dans la vie de Saint-Jérôme raconté par La légende dorée est assez proche.
(3) Cf. Charles de Hesse Cassel, Eques a Leone Resurgent.
(4) Emblème 97, in Le prince chrétien et politique (1640, édition française 1668).
(5) Cf. « Si tu faiblis au jour de la détresse, ta force n’est que détresse » Pv 24,5.
(6) Cf. aussi : 1S 2,2 ; 2S 22,3 ; 2S 22,31-32 ; Ps 18,31-32 ; Ps 27,5 ; Ps 31,3-4 ; Ps 32,7 ; Ps 61,4 ; Ps 62,2-3 & 6-8 ; Ps 71,3 ; Ps 91,1 ; Na 1,7.
(7) ARTICLE VII. Perfection morale de soi-même. §4.
(8) Cf. Ex 15,2 ; 2 S 22,3 ; Ps 18,13 ; Ps 22,19 ; Ps 28,7-8 ; Ps 62,11 ; Ps 118,14 ; Is 12,2 ; Is 49,5 ; Jr 16,19 ; Dn 2,20.
(9) Isaïe 30,15.


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