DH Loge : Constance - Orient de Cherbourg 05/04/2009

Le Pardon

"Il faut aller plus loin que la justice, il faut arriver au pardon, car sans pardon, il n'y a pas de futur". Voilà comment s'exprimait Desmond Tutu, l'Archevêque du Cap, en parlant de ce qui s'est passé dans son pays. Cette phrase nous montre le chemin et donne leur vrai sens à nos réconciliations, à condition bien sûr de ne pas se résigner à la séparation et de vouloir continuer à avancer.

Mais le pardon n'est pas chose simple. Il n'est pas un rideau tiré sur le passé, ou un masque criant une histoire dont plus jamais ne serait fait mémoire : «Pour que le passé cicatrise, il faut l'ouvrir, le désinfecter pour pouvoir refermer la page sans qu'elle pourrisse. »

Le pardon est d'abord œuvre de vérité. Il est aussi œuvre de courage et d'équilibre pour trouver l'attitude juste, qui ne soit pas faiblesse. À pardonner trop vite, ou trop à la légère, on ne fait pas non plus œuvre utile. Et la vengeance n’est pas la justice ; c’est la sagesse qui doit dicter au juste ses arrêtes.

Le pardon est par essence le garant de la permanence d’une société. Il est compréhensible que les personnes ayant subi un acte injuste soient les moins portées au pardon. C’est donc dans de telles circonstances que l’assistance d'un groupe de soutien peut le mieux s’éprouver en exprimant la fraternité plus facilement que l’individu isolé et bafoué. La société permettra ainsi à la victime, en l’invitant à cet acte re-naissant, de sortir de sa douloureuse position, de reconstruire son identité.

Il appartient à une société qui se veut civilisée de conserver intactes les valeurs les plus hautes lorsque l’individu faiblit. Et ces valeurs sont en premier lieu le respect de la vie de ses membres. Énoncer l’amour de la vie, c’est garantir la fraternité et la liberté à l’autre c’est-à-dire, notamment, lui offrir la possibilité de se transformer.

Pardonner, au niveau d’une société, consiste donc à donner à l’individu, inlassablement, une occasion de croire en lui-même, moteur de toute prise de conscience et de tout changement. Car c’est bien cela le pardon : accorder sa confiance en esprit à l’autre, malgré tout, en considérant son être spirituel au-delà de ses actes d’un instant.

Le mot de la réconciliation est l’esprit, qui contemple le pur savoir de soi-même comme essence universelle dans son contraire. Il faut cette opposition et cet échange avec soi-même pour atteindre enfin l’esprit absolu dont la relation et l’opposition est le Moi... Le Oui de la réconciliation, dans lequel les deux Moi se retrouvent dans la fraternité.

A l'issue du jugement rendu dans l'affaire d'une mère qui avait tué son enfant autiste, le président de la Cour d'Assisses s'est exprimé, tout à fait exceptionnellement, en ces termes: "Le pardon ne relève pas de la justice des hommes mais d'une autre instance. (…) Je suis intimement convaincu que vous pourrez vous reconstruire si vous vous pardonnez à vous-même".

Obtenir le pardon, au cœur d'un conflit, n'est pas chose aisée.
Les excuses, et le pardon dans une moindre mesure, peuvent devenir des attitudes banales mais elles rencontrent des résistances si l'on doute des intentions qui les sous-tendent. La flatterie est toujours redoutée. On pourrait symboliser la notion de pardon avec les idées de raccommodage, d'ajustage, de réparation pour réunir des pièces, en recollant, en articulant des membres disjoints, en soudant des jointures. On retrouve ainsi la place primordiale du forgeron dans les sociétés primitives. N'a-t-il pas une compétence remarquable en matière de soudure, lui qui sait fabriquer des instruments (herminette, haches...) au moyen de fers de qualités différentes?

Le but manifeste du pardon est que toutes les querelles, les inimitiés et les conflits peuvent et doivent aboutir à des moments de résolution qui redéfinissent les limites sociales. En ce point, l'excuse, le pardon et la pacification sont indispensables à la survie d'une société.

Pardon et modèle laïque

S'il n'y a pas de Dieu qui exige le pardon, dans quel but pardonnerais-je? Quelle est la fonction du pardon dans le modèle laïque ?

-         une fonction sociale: renouer les relations cassées, restaurer la "reliance" entre êtres humains. Sans cette fonction, chacun ferait le désert autour de lui.
-         une fonction de santé mentale et émotionnelle : ne plus porter au fond de soi rancœur et ressentiment qui détruisent et rendent amer, qui empêchent de grandir et d'évoluer. Aussi : se pardonner à soi-même, pour les mêmes raisons.

Cas d’une internaute

C'est alors que des amis communs, qui étaient restés en contact avec lui, m'ont appris qu'il était atteint de la maladie de Parkinson et que son état dégénérait rapidement. J'étais tellement troublée que j'ai eu recours à la thérapie, dans le but de comprendre ce qui m'arrivait et de savoir quoi faire avec ce terrible sentiment de culpabilité. Fallait-il voler à son secours, ou ignorer l'appel? Très rapidement, le thérapeute m'a fait prendre conscience, toute à ma culpabilité, que j'avais occulté complètement le mal qu'il m'avait fait, les infidélités, l'exploitation, la violence, les coups, et que ma culpabilité n'était que le résultat de ses manipulations qui avaient apparemment fort bien réussi. Il s'agissait moins donc d'obtenir son pardon, mais bien de le pardonner moi-même. Ce n'est qu'après tout un trajet, que j'ai pu lui écrire comment à présent je comprenais ce que nous avions vécu, et comment cette compréhension m'avait permis de grandir et d'évoluer. Je lui ai écrit aussi que je pouvais à présent sincèrement espérer qu'il en serait de même pour lui, et que je me sentais à présent capable de parler lucidement de tout cela s'il le désirait.
Ce que nous avons fait, non sans émotion de part et d'autre, après qu'il m'ait recontacté suite à ma lettre.

Depuis lors, nous ne nous sommes plus revus. Nous nous sommes dit au revoir, mes cauchemars ne sont plus jamais revenus, et je peux maintenant vivre de manière beaucoup plus riche et saine, ma relation de couple actuelle".

Edgar Morin écrit «pardonner, c'est résister à la cruauté du monde», et plus loin: «Renoncer au cycle infernal vengeance-punition est tout le problème de la civilisation». Le pardon, «est le pari sur la possibilité de transformation et de conversion au bien de celui qui a commis le mal»

Victor Hugo n'a-t-il pas dit : «Je tâche de comprendre afin de pardonner».

Jean Derrida, se démarquant de Jankélévitch affirme: «Oui il y a de l'impardonnable et c'est en vérité la seule chose à pardonner».

La poétesse Franche Cockenpot, qui a été défigurée par un agresseur nocturne inconnu et impuni, a rédigé un livre de poèmes sur les conséquences du tort, sur la spirale de la méfiance et de la haine dans les banlieues, etc. afin d'exprimer son pardon.

C'est le but horrible de la torture que d'obtenir de la victime qu'elle s'identifie à la seule trace d'une douleur, de faire de cette trace une obsession. La torture engendre ainsi une mémoire malade, incapable de se souvenir comme d'oublier: elle peut engendrer de graves troubles d'identité, par incapacité à retrouver un autre passé que cette trace, et par incapacité à s'identifier autrement, à faire autre chose. D'où la question posée à Miguel Anger Estrella, s'il est possible avec le temps de se délivrer d'une torture passée, et s'il y a un rapport entre la capacité à pardonner et la capacité à résister à la torture.

Il s'agit de trouver une dernière violence, qui répare la violence précédente. Se présentent alors deux possibilités: soit la punition qui fait payer par une douleur physique une faute morale, et rétablit ainsi l'équivalence entre la mal subi et la mal agi; soit prendre sur soi, décider que la violence précédente était la dernière violence, sacrifier sa vengeance en quelque sorte et rendre le bien pour le mal. Dans les deux cas, la peine comme le pardon ont ce caractère magique: une sorte de répétition éthique du mal physique, qui l'efface.

Exprimant autrement cette identité, Hannah Arendt écrit: "Le châtiment est une autre possibilité, nullement contradictoire: if a ceci de commun avec le pardon qu'il tente de mettre un terme à une chose qui, sans intervention, pourrait continuer indéfiniment II est donc très significatif, c'est un élément structure du domaine des affaires humaines, que les hommes incapables de pardonner ce qu'ils ne peuvent punir, et qu'ils soient incapables de punir ce qui s'avère impardonnable".
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From: Gérard Eizenberg
« Ma mère a été déportée à Auschwitz, mon frère âgé de 4 ans y a été gazé. Je me suis débattu des années avec la notion de pardon, que d'ailleurs il ne m'appartenait pas à moi d'accorder, puisque ce n'est pas moi la victime, et d'ailleurs, le pardon à qui? Il y a 2 ans, je suis entré dans une association, maçonnique par sa composition, nommée Cercle Mémoire et Vigilance, fondée par notre F. Sam Braun. Ce F., déporté à 16 ans, porte témoignage et parole d'espoir dans les écoles et dans les loges ».
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Du F.: Sam B.
«Et bien, mon ami, me voilà sur le divan.
Depuis que je suis adulte, ou du moins depuis que j'ai l'impression de réfléchir sur ma vie, j'ai toujours voulu extirper de mes pensées tout ce qui peut, de près ou de loin, ressembler à fa haine de l'autre, quel que soit cet autre. Je peux dire en toute franchise que je n'ai aucune haine pour ceux qui furent mes bourreaux et ceux de mes parents et de ma petite sœur  N'avoir aucune haine ne signifie pas, bien sûr, rester inactif devant les propos ou tes actes intolérants et d'exclusion. Est-ce que {'"expérience" de Auschwitz est la cause de cette attitude, je n'en sais rien, mais je suis en droit de le supposer. Pour le savoir il faudrait que je revive une 2ème fois une fois avec et une autre fois sans Auschwitz, et que je puisse alors comparer.

Une anecdote m'a beaucoup frappé. Après la marche de la mort, je me suis retrouvé à Prague où j'ai été physiquement libéré. J'étais très malade et suis resté cloué sur mon lit d'hôpital de longues semaines. Lorsque j'ai réussi à marcher, l'infirmière m'a pris parle bras et a essayé de me faire visiter sa ville. Nous marchions très lentement et elle me conduisait comme on mène un vieillard alors que je n'avais que 18 ans. Nous sommes arrivés sur une place où des prisonniers, soldats allemands cette fois, surveillés par un gardien, déblayaient toutes les pierres accumulées à la suite des bombardements. Lorsque le gardien m'a vu (tondu, maigre, je pesais 43 kilos), pour me faire plaisir, sans doute, il a retiré sa ceinture et s'est mis à fouetter ses prisonniers en me regardant. Je n'ai pas pu supporter le "spectacle" car pour moi, tout recommençait. Certes la main qui tenait le fouet n'était pas la même, mais les coups que recevaient ces pauvres types étaient les mêmes que ceux que j'avais reçus, et je suis parti en courant aussi vite que mes faibles forces me le permettaient  Alors est-ce Auschwitz ou ce que je suis au fond de moi qui est responsable de ma réaction ? Je n'en sais fichtrement rien, mais je pense que Auschwitz m'a tellement marqué qu'il a fait de moi un autre homme. Quant à fa prise de conscience de ce pardon que je sens avoir donné sans restriction aucune, je ne puis te dire quand tout cela a commencé. Lorsque je réfléchis à mes 50 dernières années, lorsque je prends conscience du temps qu'il m'a fallu pour parler devant les enfants, comme je le fais en permanence maintenant, puisque je suis resté muet durant 40 ans sur mes deux années passées au bagne, muet au point de ne pas en parler ni à mes enfants, ni à mes amis les plus intimes, je suis bien obligé de reconnaître que je suis sûrement devenu un autre homme que celui que normalement j'aurai dû devenir si les hordes haineuses ne m'avaient pas pris dans leurs filets.

Je pense qu'il faut sublimer sa souffrance passée si l'on veut évoluer et progresser, si l'on veut que notre vie ne soit pas inutile. C'est ce que j'essaie de faire avec plus ou moins de bonheur. L'absence totale de haine pour mes bourreaux me conduit même à dire aux enfants que le message qui me reste des camps d'extermination, outre l'horreur de l'intolérance poussée à son paroxysme, outre l'aveuglement de toutes les formes d'extrémismes, outre l'intolérable soif de pouvoir qui anime souvent les hommes, ce qui me reste de là-bas, ce n'est pas un message de mort mais un message de vie. il fallait tellement se battre, surtout contre soi- même pour la conserver, que là-bas la vie avait une réelle valeur.
Voilà mon cher psy ce que j'aurai peut-être dit à un psychologue si les jeunes comme moi qui sont revenus de l'enfer avaient été aidés plutôt que lâchés dans la vie, sans famille pour raccrocher leur besoin d'amour, sans repères pour orienter leur devenir.
Si j'avais été conseillé, je pense que je ne serai pas resté 40 ans seul pour attendre une hypothétique cicatrisation.

Je t'embrasse très fort et pardon pour ce long verbiage».
Sam B.

PS :
« A la vérité, depuis que j'ai lu ton travail et surtout depuis que, de mon côté j'interviens soit en public, soit en Loge, je me suis beaucoup interrogé sur le Pardon, et surtout sur sa signification car je fais partie de ceux qui ont pardonné, comme je te l'ai écrit une fois.

Certains disent, et ils n'ont pas totalement tort que le pardon donné à l'Histoire est absurde. C'est vrai, on ne peut ni pardonner, ni ne pas pardonner à l'Histoire. Ce serait une absurdité que pardonner aux évènements. Alors qu'est-ce au fond que le Pardon ? Je finis par penser que le "pardon c'est faire la Paix avec soi, c'est ne pas être habité par la haine, c'est ne pas connaître la rancune, c'est ne pas réclamer la vengeance".

En fait le Pardon, c'est soi vis-à-vis de soi ce qui est tout autre que le pardon chrétien qui serait plutôt le pardon à l'Autre pour gagner son paradis personnel. Le vrai pardon c'est avoir la Paix ici-bas, la Paix avec soi-même, alors que le pardon religieux (autre que bouddhiste) c'est pour avoir la paix post-mortem.

Si pour ma part j'ai fait la Paix avec moi-même, ne suis ni habité par la haine, ni par la rancune, ni par le besoin de vengeance, cela ne veut malheureusement pas dire que je vis TOUJOURS en paix avec moi, ce serait trop beau.

Voilà quelle aurait été la teneur de mon intervention si je pouvais aller à Cherbourg à la Tenue.

Je t'embrasse très fort »
Sam B.

Et une dernière citation extraite de "Dans le nu de la vie du Rwanda" par Jean Hatzfeld, journaliste à Libération:
"Je ne demande qu'une chose à Dieu: de m'aider à ne pas devenir méchant à l’encontre de ceux qui nous font tout ce mal. Je ne veux pas goûter à la revanche".

J'ai dit, V\ M\
M\ V\

Le Pardon - Johnny Hallyday
Paroles: P. Labro. Musique: David Hallyday   1999  "Sang pour sang"

Pardon
Je viens vous demander
Pardon pour tous les hommes
Qui n'ont jamais appris
Le verbe aimer

Qui n'ont jamais compris
La force de l'amour
La beauté de la vie

Pardon
Au nom de tous les hommes
Qui ne savent pas aimer
Oh ! Pardon
Au nom de tous les hommes
Qui n'ont jamais aimé
Oh ! Pardon

Pardon
Je viens vous demander
Pardon pour tous les hommes
Qui ignorent le prix
De l'amitié

Qui n'ont jamais connu
Les larmes d'un enfant
Le sourire d'une femme

Pardon
Au nom de tous les hommes
Qui ne savent pas aimer
Pardon
Au nom de tous les hommes
Qui n'ont jamais aimé
Oh ! Pardon

Donne-moi ton regard
Donne-moi ta lumière
Donne-moi de l'amour
Sans quoi, oui, je désespère

Apprends-moi à aimer
Apprends-moi la tendresse
Détruits mes habitudes
Détruits ma solitude

Oh ! Pardon
Pardon
Je viens vous demander
D'accorder votre grâce
A ceux que la vie
A blessé

Et lorsque le temps passe
Ils se retrouvent nus
Perdus désespérés

Pardon
Au nom de tous les hommes
Qui ne savent pas aimer
Pardon
Au nom de tous les hommes
Qui n'ont jamais aimé
Oh ! Pardon

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