GLDF Loge : Stella Maris - Orient de Marseille 26/03/2007


 En avant !
ou le Maître des Cérémonies

Voilà l’invitation que je vous propose.
A bien y réfléchir, il ne s’agit pas d’une invitation.
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Un point d’exclamation rageur vient ponctuer mes mots. Injonction, ordre, absolue nécessité, impériosité, ce point d’exclamation m’y porte, vous y interpelle.
Que de violence dans un petit trait vertical auquel est appendu, isolé, un point ! C’est qu’il ne s’agit pas d’une promenade à laquelle mes mots vous invitent. Une force enfouie au plus profond de moi me pousse au cri. Pour un peu, telle la liberté guidant le peuple, je déchirerai ma chemise, bondirai au-dessus de l’autel des serments et viendrai vous prendre par le col, pour que, tous ensemble, nous sortions des torpeurs et tordions le cou à nos certitudes
Calme-toi, mon Frère.
 
C’est que je me sens porté par l’urgence, par la nécessité, soulevé de terre, emporté par un courant puissant. Mon crâne ne peut plus contenir mon cœur. Je dois avancer. L’immobilisme me guette, l’urgence du temps me presse. Le désespoir d’un monde, la désespérance de moi me poussent. Vacillant, en proie aux doutes, je plonge en moi et y trouve une force insoupçonnée, celle de refuser, celle d’être…enfin ! Cette impériosité du refus qui mène à la nécessité de la révolte, c’est après tout ce qui fait les grands hommes. Révolutionnaires brûlant d’un feu intérieur, résistants à l’oppresseur portés par leur courage, politiques habités par le sens du bien commun, tous ont su dire un jour non, tous se sont levés devant l’adversité, tous ont marché en avant !
 

Je me vois en homme de Giacometti.
Une de ces sculptures de bronze à taille humaine, un cri sans visage. Poings serrés, traits brouillés, prêt à tomber, souffrant et fragile …mais droit et symbole d’immortelle existence. Pour lui, nulle autre perspective que celle d’aller de l’avant.
Cet homme qui marche, c’est aussi mon exclamation : trait – point. Fragilité – force. Griffure de papier. Concentration d’éternité. Fil à plomb de ma vie. Centre, marque de la pointe d’un compas. Lame et larme. Piqûre.

 
Pourquoi tant de violence dans cet « en avant ! »? Pourquoi l’exclamation n’a-t-elle pas cédé sa place à l’interrogation ? En avant ? Oui, peut-être, pas tout de suite, attendons un peu... Si on m’invite, je peux refuser, tergiverser.
C’est que les rondeurs du point d’interrogation rassurent, alors que la violente sécheresse de l’exclamation angoisse.
L’interrogateur, ce presque cercle, dont l’ouverture ne laisse entrer que la lumière de l’occident, questionne mais jamais ne se livre. Il prend des risques, mais il les maîtrise.
Alors que le point d’exclamation est à la fois lame et fil, il peut se rompre à tout moment. Il est comme ces flammes devant nous. Toujours identiques et pourtant toujours renouvelées. Vacillantes dans l’air qu’elles épuisent, pouvant être mouchées d’un pincement de doigt, ou pour lui, d’un coup de gomme. C’est qu’il nous résume, ce point d’exclamation ! Comme en lui, une flamme fragile est en nous. Que ce feu sacré ne s’éteigne pas !
 
Peut-être me trouverez-vous bien pessimiste ce soir, mes Frères. Mais y a-t-il une issue, un abri calme où jeter l’ancre de son âme, une perspective pour les esprits étouffant.
J’ai tant de lourds sacs à porter, tant de bouillonnements contenus.
Où puis-je m’arrêter sans tomber ?
En quel lieu, en quel temps ma tempête cessera de m’éparpiller ?
Chercher sans se perdre, est-ce possible ?
Où en suis-je ?
 
                   Musique : Schoenberg. Verklarte Nacht.
 
Je sens ta main sur ma peau. Je sens la chaleur de ton sang contre moi qui ai si froid. Ton tremblement s’estompe sur mon enveloppe rugueuse. Tu me serres fermement. Tu prends confiance…Peu à peu, je me sens devenir toi. Je m’inclus dans toi. Ce qui est de moi se dilue en ta substance. C’est ton bras qui s’allonge. Il s’effile. Mon corps devient ton doigt dont l’ongle dur raye désormais le sol. C’est drôle, tu ressembles à une sorte de créature tripède, asymétrique, dont l’ombre portée par le jaune des bougies s’affiche, démesurée, sur les murs intérieurs du temple.


Un nouvel être est né, que tous regardent arpenter en insecte l’espace sacré.

Ensemble, nous mimons la danse rituelle, valseurs immuables autour de ce qui établit la force. Ensemble, nous fréquentons l’innomé qui est. Du nadir au zénith, de tous les points cardinaux, de blanc en noir, de tréfonds en voûte étoilée, nous parcourons la spirale ascendante et sans fin d’un temps sans mesure. Nous montons pas à pas l’escalier du midi en minuit.

Et ta marche jadis nerveuse, désordonnée, pleine d’espoirs de révolte, se calme, se cale sur le rythme que je t’impose.

Le bruit sourd de mon pas, c’est le battement de ton cœur !

C’est l’unisson des hommes dont les regards nous chauffent ! Pulsation utérine de notre mère nourricière ! Clous enfoncés dans notre ultime couche, lieu de toute germination !
 
A mon contact, tu voyages encore, cheminant par les éléments.
 
Car je suis la Terre, par la graine qui m’a porté ! Pour ce bois que voilà, plein de force et de vigueur, qu’il en a fallu des abandons ! C’est dans la pénombre et le froid humide que j’ai pris racine ! En est-il différemment de toi ? Toi qui inquiet méditait sur le coq ?
 
Car je suis l’Eau, que les branches de mes pères ont recueillie ! Sans elle, nulle vie ! Nul sang qui bouillonne, nulle liqueur qui transmet ! Eau qui purifie et apaise, eau amniotique où tu fus en premier !
 
Car de l’Air, je suis parfumé ! Des senteurs d’orage, des mirages de sécheresse palpitent dans mes veines, et s’infiltrent dans tes mains qui me parcourent. Et c’est ce souvenir que j’exhale encore quand mes feuilles à la nuit dialoguent avec la Lune. Cet air qui t’anime, cet air que module ta parole qui crée.
 
Et du Feu, qu’en dire ! Ultime sacrifice pour le plaisir des yeux et du corps qui se chauffe ! Vigueur de ta révolte et puissance de ton cœur ! Destruction ultime qui m’emporte en poussière, créatrice de sol !
 
Je suis l’aide qui empêche ta chute, je suis ton soutien. Je suis ta sagesse sur les terrains escarpés, celle qui te dit où te risquer, où prendre appui pour poursuivre l’ascension.


Je suis aussi ta force quand il faut te défendre ou ton levier pour soulever les obstacles.

En soulignant ton pas assuré quand tu parades, c’est ta beauté que je révèle.

Je suis l’inerte et le vivant, l’essentiel et l’inutile.

Chemine avec moi, en avant ! 
 
                 
Musique : Prokofiev. Ten pieces op 12. March
 
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En Maître des Cérémonies, je suis l’exemple, celui que l’on voit, l’image de l’esprit de la loge. Je marche en avant. Je marche devant. Je marche à droite, et puis à gauche. Je marche au dessus. Aucune dimension ne m’est refusée car je marche. Je suis le mouvement dans l’immobilité.
 
Je suis celui qui prend pied sur le sol. Je vous vois d’en bas. Des énergies souterraines m’envahissent, des germinations. Et mes pieds dans la terre tracent d’immuables cercles solaires…
 
Je suis le porte-flamme, d’orient en occident, de septentrion en midi. Je suis le bras qui éclaire, je suis aussi la main qui obscurcit. Je suis le passeur de lumière.
Mobile et immobile. En haut et en bas. Lumière et ombre. Je suis contrastes. Je suis profane et sacré. Je suis ordre et chaos.


Je suis Homme.
 
Dans mon pas, maintenant apaisé, m’accompagne ma canne, fidèle compagne.
Ma canne, buisson ardent qui ne se consume pas !


Ma canne, pacte d’alliance !
Ma canne qui est Celui qui est !
Ma canne, qui me lie à toi, mon Frère. ! Car le bois que je tiens, c’est toi. Car la force qui m’anime, c’est toi. Car l’en avant de mon âme, c’est toi. Et c’est encore toi qui m’accompagnes sur mon chemin.
 
                 Musique : Schubert. Impromptu D 899, op 90 Andante mosso
 
Teilhard écrivait : « en avant et au-dessus de soi, l’Humanité, émergée à la conscience du mouvement qui l’entraîne, a de plus en plus besoin d’un Sens et d’une Solution auxquels il lui soit enfin possible de pleinement se vouer » (Prière au Christ toujours plus grand).


Finalement, peu importe à mon sens les mots qui caractérisent cet « oméga de la raison », vers lequel se dirige inéluctablement l’homme, et on peut ne pas être d’accord avec Teilhard qui l’identifie avec le « Christ universel de la révélation ».

Pour moi, point n’est besoin de dire de quelle Vérité est fait l’Homme.
C’est dans l’en avant qui y mène et qui d’ailleurs s’impose à nous comme une nécessité, que le voyageur en est le plus proche.
Espérons donc.
 
Sur le mur du dispensaire de brousse où j’étais il y a peu, loin du tumulte du Monde occidental, une affichette disait : « seul celui qui voyage verra le long chemin qui mène à son pays ».
 
J’ai dit.
 
P
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                       Musique. Prokofiev. Music for children op 65. March

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