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Ni Dieu, ni Maître

Traiter le sujet de Maître, j'entends par là, Maître Maçon, serait plus aisé, encore que... ! Traiter de Dieu, on est dans le risque de provoquer la naissance ou renaissance d'éternelles polémiques. Pourtant, je vais associer ces deux notions de Dieu et de Maître car je les trouve parfois voisines, voir superposables pour ne pas dire plus.

Je vous demanderai juste en écoutant cette analyse qui m'est personnelle de ne pas focaliser votre attention sur mot, qui pourrait être sorti de son contexte mais au sens global de cette analyse.

Il est aisé de constater qu'à travers les âges, il n’y a jamais eu de civilisation sans Dieux ou Maîtres. Le besoin de Divinités est essentiel à l’être humain.

Mais pourquoi ce besoin de Dieu ou de Maître ? Je n’ai pas de réponse bien sûr, à peine quelques intuitions sous forme d’autres questions.

Ce besoin serait-il une aspiration à l’élévation des cœurs et des esprits ? Ou bien le sentiment d’une protection suprême dans la conquête des espaces et de la réalité ? (je n’ai pas osé vérité !) Est-ce une pulsion irrationnelle comme tant de discours de religieux sur l’illumination de la foi tendent à le faire croire ?

Ou encore une émanation foncièrement logique de l’esprit et de la raison, incapables d’imaginer que les « choses » n’aient pas de causes et surtout, une Cause supérieure, que nous ne pouvons pas comprendre, et c’est logique, puisque après tout nous ne sommes que de pauvres humains ! Pourtant, la foi religieuse est un pur produit de la logique primitive qui élève les cœurs et les esprits jusqu’à en faire une âme.

La notion de Dieu ou de Maître est la projection de l’homme pensant, qui ne peut admettre ses limites et particulièrement celles que lui impose la mort. Contrairement à ce qu’avancent les croyants de toutes les religions - de même que les athées d’ailleurs - cette notion est logique. A mes yeux, rien n’est plus rationnel que l’idée de Dieu.

C’est même le produit suprême de la raison et je me suis toujours étonné de l’opposition des rationalistes et des religieux - à part peut être que les premiers ne prétendent pas avoir tout compris, alors que les seconds assurent et expliquent qu’il n’y a plus rien à apprendre.

Malheureusement, les hommes se sont emparés de l’universalisme qu’était l’Idée de Dieu et en ont fait des religions ! Et comme toujours, comme le veulent la Loi et les lois de l’univers, ils furent soumis aux courants et attirances contradictoires qui régissent celui-ci. D’un coté, les laïcs rationalistes prétendaient servir l’humanité en plaçant Dieu à l’extérieur de la politique (j’entends la politique noble, celle qui gère au mieux le quotidien d’une société en l’organisant) et les religieux en l’installant comme Maître de cette société.

Il n’est pas question de renvoyer dos à dos ces deux approches, ce ne serait ni juste, ni honnête. En effet, force est de reconnaître que par rapport à la première des lois élémentaires de l’humanité : « Tu ne tueras point », les religieux seraient condamnés sans appel. Alors, qu’à ma connaissance, aucun rationaliste n’a jamais voué à la mort quiconque s’opposait à ses arguments et développements. Mais depuis l’inquisition très catholique jusqu’aux ayatollahs et autres fanatiques de tous bords, les cadavres se comptent par dizaines de millions. En remontant l’histoire, et par ce constat, nous devons reconnaître que le plus grand ennemi de Dieu, n’est pas le scientifique, qu’il soit rationaliste ou athée, mais tout homme qui prétend en être son délégué.

L’abondance d’hypothèses, de possibilités, d’éventualités, de certitudes et de refus empêche toute réflexion impartiale, …c’est le mur. Mais, qu’on rejette cette idée et on se retrouve aussitôt confronté à son seul ego : c’est bien vite le désert, et le cercle vicieux des questions dont on connait les réponses… Et comme l’avance Nietzsche : « ce n’est pas le doute qui rend fou…c’est la certitude ».

Par contre, se lier aux religions est périlleux. Je souris à peine en disant que c’est d’abord faire de soi un assassin potentiel ! Qui plus est, le pire des assassins, celui qui a la conscience tranquille. Nos journaux contemporains comme les chroniques des siècles passés regorgent d’exemples de gens qui tuent au nom de Dieu, sans jamais se soucier d’ailleurs du premier des péchés capitaux que j’ai cité précédemment. La conviction de détenir, seul, la vérité divine (ou tout autre d’ailleurs) est d’une arrogance qui me fâche au plus haut point. Les exemples de cette arrogance nous ont été prodigués par toutes les religions qui revendiquaient - et revendiquent toujours - le privilège d’avoir vu Dieu, de l’avoir entendu et, suprême félicité, d’en être entendu.

Je me refuse à toute révélation ; la dignité humaine est dans le doute. Vivre sans religion expose à l’égarement. Les sectes guettent, le désespoir aussi. Des hommes prodigieux ont traversé les millénaires de l’histoire connue.

Pour moi, il en est un dont la voix ne se soit pas complètement éteinte : c’est Jésus. C’est le seul que je connaisse qui puisse éviter le désespoir et la folie. (mais il y en sûrement d’autres) Pourquoi ?

Il croit en Dieu bien sur ! Mais ses contradictions sont énormes et le plus obtus des inspecteurs de police le mettrait pour le moins en garde à vue. Jugez plutôt les citations suivantes, tantôt il dit :

« - Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés les enfants de Dieu ».
Et plus loin :
« - Croyez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Je vous le dis, non, je suis venu apporter la division ».
Ou bien :
« Je suis avec vous, même jusqu’à la fin du monde ».
Et
« Vous ne m’aurez pas toujours ».
Ou encore
« Que votre lumière brille devant les hommes afin qu’ils voient vos bonnes œuvres ».
Pour dire ensuite
« Ne faites pas vos aumônes devant les hommes pour être vu par eux ».

Les exemples foisonnent au gré des évangiles, mais peu importe, ce sont les contradictions mêmes de ce Jésus qui le rendent attachant : elles révèlent la voix d’un homme déchiré, et sûrement pas le discours affirmatif et péremptoire qu’une église a prétendu imposer. (Église crée d'ailleurs, en dehors de sa volonté).

Il croit en Dieu, mais rejette le carcan de la religion, bafoue le sabbat, injurie ses prêtres et le Temple dont ils tirent tant de fierté et, surtout, de pouvoirs temporels.

Il est le premier, après Bouddha, à tenir un discours de compassion pour l’autre, pour le prochain, pour le frère. Sa morale est fondée sur l’amour et la justice.

Poétique et parfois obscur, tendre et coléreux, ne dédaignant ni les soupers fins, ni les parfums ou la compagnie des femmes, mais habité surtout par le besoin de Dieu et de Liberté, Jésus est étonnamment contemporain. Il ne lui manque que le rire…

(Mais à mon avis les hauts responsables des différentes églises l’ont censuré).

Pourtant, malgré l’évolution de l’idée de Dieu que se font les hommes depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, le besoin de Dieu me parait être resté identique, et ce n’est pas parce qu’il a changé de forme qu’il a perdu d’intensité.

Cette nouvelle forme rejette plus ou moins les religions installées, refuse un Dieu révélé et s’approche d’un Dieu en perpétuelle création dans le réceptacle le plus apte à le recevoir : L’Homme. L’homme de la raison, l’homme de l’intuition, l’homme de l’instinct.

Imaginons donc, et pourquoi pas, que la Franc Maçonnerie de tradition à laquelle nous appartenons, plonge une partie de ses racines dans une interprétation différente que celle communément admise de la bible et des évangiles.

Après tout pourquoi pas, puisque nous sommes des loges de Saint Jean !

Jean, que les spécialistes en religion s’accordent à donner comme le disciple préféré, et, surtout, comme celui à qui fut transmis un enseignement particulier et secret. Nous ne sommes pas, loin s’en faut, des Christs ou des Messies, mais, et c’est plus facile, nous sommes tous des dieux…en puissance.

Je ne dis pas cela par provocation, mais parce que ma réflexion me fait conclure, aujourd’hui, que Dieu existe parce nous l’avons créé par l’absolu nécessité que nous en avions. Ce Dieu, est l’idéal de ce que nous aspirons d’être. Cet idéal, nous l’avons en nous, en la mémoire collective de l’humanité, donc, en puissance, nous serons Dieu quand nous aurons réalisé notre idéal.

Facile à penser, à dire, mais à faire...! Et c’est là que je reviens à Jésus, l’homme qui par son ascèse, par sa réflexion, par la transcendance qui fut la sienne devint créateur, devint assembleur des deux parties de sa personnalité, la spirituelle et la matérielle pour être alors l’Homme complet, debout face à lui même. Celui qui paraissant face à son créateur, « se regarde dans le miroir »  (vous savez, ce fameux miroir qui nous est proposé le jour de notre initiation).

Alors, la Franc Maçonnerie serait-elle une nouvelle religion ? Sûrement pas ! Sûrement pas et impossible !

En effet, religion implique révélation d’un Dieu, or que je sache, l’idéal dont je parlais précédemment, n’est pas atteint. Et toi, me demanderez-vous peut être, à quoi crois-tu ? Difficile pour moi de répondre clairement. Je ne crois pas à l’athéisme, mais je ne crois pas à la révélation. Je crois à ce Dieu inconnu pour lesquels les Athéniens réservaient un socle sans statue, les caodaïstes du sud Vietnam un trône vide à l’orient de leur temple et les francs-maçons une quatrième colonnette, dont la présence obsédante est due à l’absence.

En fin de compte, et comme vous l’avez sûrement remarqué, cette planche n’apporte aucune réponse (fort heureusement d’ailleurs !), elle se veut une toute petite étincelle de lumière pour ceux qui, comme moi, s’efforce de suivre la voie, difficile et délicate, qui chemine entre les abîmes de la négation et les déserts de la certitude.

J'ai dit Très Vénérable Maître

P\ S\


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