DH Loge : NP 04/008

Perspectives sociétales
Risques techniques, sanitaires et sociétaux liés
aux nanotechnologies ? 

1 - Les nanosciences et nanotechnologies : une révolution scientifique ?

« Le nanomètre est au mètre ce que le pamplemousse est à la terre » ;
1nm =  vingt atomes d'hydrogène, mis côte à côte.
Tailles des atomes = 0,1 à 0,4 nm
Diamètre d’une molécule d’ADN = 2 nm (mais longueur = quelques centaines de nm à plusieurs mètres)
Virus : entre 10 et 100 nm
Diamètre d’un cheveu : 80 000 nm

Si les nanoparticules (agrégats d’atomes), inférieures à 100 nanomètres, nous environnent depuis la nuit des temps, présentes même dans l’air le plus pur, leur étude a révélé que leur taille rendait leurs caractéristiques physiques et chimiques différentes et imprévisibles.

A l’échelle nanométrique, les disciplines classiques, chimie, physique, biologie, électronique voient leurs frontières s'estomper et les grands principes de physique ne s'appliquent plus tels quels.

La réactivité des nanoparticules est  forte et leur composition offre des propriétés nouvelles; certaines particules persistent dans l’environnement et les tissus ; elles franchissent les barrières cellulaires. Les nanotechnologies permettent de manipuler, à l'échelle atomique, les éléments constitutifs de la matière.

Les nanotechnologies, c'est fabriquer de la matière un peu de la même façon que l'on fabrique une maison avec des Legos. Comme l’a dit un chercheur canadien « les nanotechnologies, c'est contrôler les propriétés de la matière à l'échelle du nanomètre pour obtenir des matériaux ayant les propriétés recherchées à notre échelle. » C'est de l'architecture à l'échelle atomique et moléculaire.

Les nanoparticules ouvrent la perspective d’une convergence nanotechnologie, biotechnologie, sciences de l'information et sciences cognitives (NBIC), avec la rencontre entre deux mondes, le vivant et l'inerte, et une imbrication plus étroite entre l’homme et la machine, l’information et la cognition (science du mental). (L’acronyme NBIC désigne un champ scientifique multidisciplinaire qui se situe au carrefour des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), des technologies de l’information (I)et des sciences cognitives (C) (Sciences cognitives : Ensemble de disciplines scientifiques qui étudient les processus psychologiques et physiologiques de la connaissance). Cette convergence entre plusieurs disciplines vise à terme une sorte d'hybridation entre le naturel et l'artificiel.)

Les nanotechnologies ont débuté avec l’invention du microscope à effet tunnel en 1981, instrument d’observation et de manipulation. En 1986, Eric K.DREXLER dans « engins de création » imagine des nanorobots autoreproducteurs, nécessaires au fonctionnement de la manufacture moléculaire, qui se répliquent jusqu’à consommer toutes les ressources de la planète et ne laissent subsister qu’une gelée grise (grey goo). L’auteur a ultérieurement regretté d’avoir inventé ce scénario inutile, voire nuisible, au développement des nanotechnologies.

C’est le microscope électronique qui a permis d’observer des nanoparticules comme les fluérennes créées par un arc électrique entre deux électrodes de carbone.

La création d’objets autonomes ne sera vraisemblablement pas vérifiée avant 10 ou 20 ans, si cette manipulation s’avère possible.

2 - Les caractéristiques du nanomonde

Une grande diversité

Les nanotechnologies recouvrent un grand nombre de domaines techniques : les matériaux nanostructurés aux propriétés de résistance et d’adaptation révolutionnaires, les nanoparticules, les nanoobjets, la nanoélectronique, les nanodispositifs mêlant objets nanométriques et biotechnologie. Ce secteur connaît un rythme accéléré d'innovations, avec une réduction du temps d'accès au marché. La diversité des objets, des lieux de fabrication et des disciplines impliquées est très grande. Alors qu’il est courant d’affirmer que les avancées technologiques découlent du progrès scientifique, la relation semble inversée pour les nanotechnologies.

Un enjeu économique majeur

De nombreux chiffres sont avancés, plus ou moins crédibles, mais les attentes sont énormes, en termes économiques et stratégiques. La perspective, d’ici à 2020, d’un marché très concurrentiel, de 1 à 3 milliers de milliards de dollars est évoquée. Les matériaux nanostructurés représenteraient le quart de ce marché.

Certaines nanoparticules sont utilisées depuis la nuit des temps, certains pigments présents dans les peintures rupestres par exemple. D'autres ont fait l'objet d'une attention particulière beaucoup plus récemment.

1 400 types de nanoparticules sont aujourd'hui commercialisés dans le monde; on aurait produit 10 millions de tonnes de noir de carbone en 2005, 300 000 tonnes de silice utilisées comme constituant des pneus verts, 3.800 tonnes de nanoparticules d’oxyde de titane.

Il existe déjà 700 produits de la vie quotidienne utilisant des nanoparticules, notamment les cosmétiques, les bétons de revêtement, les peintures, les pneus, les vitres, les composants électroniques.

Une remarque : le noir de carbone, produit industriellement, a de nombreux usages : comme pigment (encres), comme « agent de renforcement » (pneus, semelles de chaussure), comme isolant de la lumière (dans certains emballages)..., est utilisé depuis bien longtemps, ce qui donne une image de la difficulté de classement entre nanoparticules « naturelles » et nanoparticules créées intentionnellement à ce titre.

Le dioxyde de titane (TiO2), obtenu à partir de minerai, est utilisé comme pigment blanc. On le retrouve dans les peintures et les encres, mais aussi dans de nombreux matériaux (matières plastiques, caoutchoucs, fibres synthétiques...), ainsi que dans les cosmétiques, les dentifrices, les produits pharmaceutiques ou encore comme colorant alimentaire.

Le dioxyde de titane est également utilisé comme filtre anti-UV dans les crèmes solaires. Incorporés sous forme de poudre microscopique, il laisse cependant des traces blanches sur la peau. Ceci est du au fait qu'autour de 300 nm, les particules réfléchissent la lumière visible. En réduisant leur taille entre 30 et 50 nm, on supprime le phénomène de réflexion de la lumière visible tout en conservant la réflexion des UV. C'est ainsi qu'on trouve depuis peu sur le marché des crèmes solaires à base de TiO2 qui ne laissent plus de traces blanches.

Le dioxyde de titane est encore employé pour ses propriétés photocatalytiques dans l'élaboration de surfaces autonettoyantes.

Dans les peintures, la présence de nanoparticules améliore les fonctionnalités, la résistance à la corrosion, à l'usure, au frottement, et accroît la capacité de produire des couleurs différentes.

Les alliages métalliques que l'on utilise actuellement dans les matériaux de construction sont en général composés de grains de dimensions micrométriques. En diminuant la taille de ces grains à une centaine de nanomètres, on obtient des matériaux qui sont plus légers et qui ont de meilleures propriétés mécaniques. Les nanograins sont plus résistants car ils n'ont pas les défauts présents dans les grains des matériaux traditionnels ; le cuivre nanocristallin est ainsi trois fois plus résistant que le cuivre classique. Ils sont en outre plus malléables : en effet, quand on déforme le métal, les nanograins glissent plus facilement les uns par rapport aux autres. Les matières plastiques, à base de polymères, deviennent elles aussi plus résistantes et cessent d'être inflammables quand on leur incorpore des nanoparticules. Ces propriétés de résistance mécanique des nanomatériaux pourront être exploitées dans des secteurs aussi divers que les matériaux de construction pour le bâtiment, les appareils électroménagers et les appareils médicaux.

Les moyens de transports terrestres, maritimes, aériens et spatiaux fabriqués avec des nanomatériaux seront plus légers, emporteront plus de charge utile, consommeront moins d'énergie et seront donc moins polluants pour l'environnement.

En outre, les nanoparticules ont une autre propriété intéressante du fait de leurs petites dimensions : un excellent rapport surface/volume. Il permettra d'augmenter l'efficacité des catalyseurs, utilisés notamment dans le raffinage du pétrole et dans l'industrie des engrais, mais aussi de l'absorption des polluants (au moyen des filtres antipollution et des pots catalytiques des véhicules) et du stockage de l'hydrogène (carburant de la pile à combustible des voitures électriques).

Des enjeux technologiques déterminants

Plusieurs goulots d'étranglement pourraient être débloqués par les nanotechnologies : l’information (sécurisation, transmission, miniaturisation), les matériaux, l'agroalimentaire (qualité des aliments et traçabilité), les transports et le bâtiment (allègement et résistance des matériaux), l’environnement (purification et méthodes d’assainissement de l'eau), l’énergie, la médecine et la métrologie. Les nanotubes de carbone sont l'un des secteurs en développement car ils permettent d’améliorer, entre autres, la conductivité et les propriétés mécaniques des matériaux.

La nanomédecine. L’échelle nanométrique est indispensable pour faire progresser la médecine personnalisée, le ciblage des médicaments, l’imagerie moléculaire, la technique des implants cérébraux et pour observer l’intérieur des cellules, notamment à l’aide de biomarqueurs permettant d’identifier la présence d’un déséquilibre indiquant une maladie ou un signe précurseur de maladie. Des systèmes de « laboratoires sur puces » pourront bientôt fonctionner, permettant d’envoyer au médecin, par voie électronique, les données recueillies auprès du patient.

Les prothèses actuelles de hanche et de genou sont en métal et en polyéthylène et ont une durée moyenne de vie de 10 ans. Le remplacement du métal par de la céramique renforcée par des nanoparticules pourra augmenter cette durée à 30 ans. En outre, les prothèses recouvertes de nanoparticules auront une meilleure biocompatibilité : elles se fixeront plus solidement au tissu osseux et le patient les supportera plus aisément.

Domaine alimentaire : après les OGM, les nanotechnologies entrent dans la chaîne alimentaire.

Les chercheurs de l’Université de Wageningen en Hollande préparent le nano-lait au goût de coca et la nano-mayonnaise allégée . Il est surprenant que les chercheurs de cette université parlent ouvertement de leur travail, car les applications nanotechnologiques dans un domaine aussi sensible que l’alimentation, sont normalement tenues secrètes.

Si le groupe de consultants « Helmut Kaiser » estime que plus de 300 nano-aliments sont déjà sur le marché, le Projet sur les Nanotechnologies Emergentes du Woodrow Wilson Institute ne trouve que 3 produits dont l’étiquetage dévoile leur contenu nanotechnologique !

Pour Nestlé ou Kraft, il serait un jour possible :

- de mettre au point des aliments intelligents qui détecteraient si un individu est allergique à un composant d’un aliment donné et pourraient bloquer l’ingrédient en question ;

- de fabriquer des emballages « intelligents » relâchant une dose de molécules de calcium pour les personnes souffrant d’ostéoporose ; de manufacturer des aliments “fonctionnels” avec des contenus nutritifs renforcés;

- de fabriquer des nano-emballages « intelligents » permettant de rallonger considérablement le temps des produits alimentaires dans les rayons ;

- ou enfin, grâce à la nano-surveillance, de suivre les aliments du champ jusqu’au supermarché et au-delà.

L’exemple le plus connu symbolisant « l’aliment du futur » à base de nanotechnologies, était un produit de Kraft, une nano-boisson sans goût, contenant des centaines d’arômes dans des nano-capsules. L’idée étant qu’un émetteur de micro-ondes pourrait être utilisé pour déclencher la libération de la couleur, de l’arôme, de la concentration et de la texture, au choix de l’individu. Cette boisson « intelligente » fit parait-il beaucoup de bruit internationalement et demeure l’exemple le plus cité de nano-aliment.

Ces dernières années cependant, Kraft a senti, comme les autres grands de l’alimentaire, l’inquiétude monter à propos des aliments nanotechnologiques et ne parle plus publiquement de ses recherches sur les nano-aliments.

Pour mieux se distancer de la recherche dans les nano-aliments, Kraft a même cédé son Nanotek Consortium de recherches nanotechnologiques, auparavant très en vue, à son partenaire Philipps Morris USA et l’a renommé « Réseau Interdisciplinaire des Sciences et Technologies Emergentes ».

Par contre, en refusant de parler de l’utilisation qu’elles font actuellement des nanotechnologies dans la production alimentaire et de dévoiler leurs plans pour le futur, les compagnies alimentaires portent un coup très dur à la transparence. Sans obligation d’étiquetage des nano-aliments pour les fabricants, ni la moindre volonté de la part des firmes de le faire volontairement, il est impossible pour les citoyens de choisir ou de refuser de manger des nano-aliments. (voir les OGM)

Les firmes peuvent d’autant plus facilement abuser la confiance des citoyens, que les gouvernements faillissent à leur devoir qui est de réglementer les produits alimentaires nano et de s’assurer que les employés, les citoyens et l’environnement ne sont pas exposés dangereusement à des nano-matériaux

La Royal Society anglaise a soulevé de sérieuses inquiétudes à propos des risques sanitaires et environnementaux posés par la nano-toxicité dans son rapport de 2004. La Royal Society recommandait que « les ingrédients sous forme de nanoparticules soient soumis à un examen complet de toxicité par les services concernés, avant qu’ils ne soient autorisés à être utilisés dans des produits ». Malgré cet avertissement, les compagnies incorporent les nanomatériaux dans leurs produits et les cosmétiques, profitant de l’absence d’étude de risque indépendante. En 2006, deux ans après le rapport de la Royal Society, il n’y a toujours pas de loi encadrant l’utilisation des nanomatériaux dans les produits des consommateurs, pour s’assurer qu’ils ne mettent pas en danger la santé des gens qui les utilisent et celle des ouvriers qui les fabriquent, ou les écosystèmes dans lesquels des déchets de nanoproduits sont rejetés.

Dans l’agriculture

Pour l’agriculture, les nanotechnologies pourraient être la prochaine étape vers le plus « petit », en passant de la manipulation des gènes à celles des atomes. La manipulation des atomes pourrait permettre de remanier l’ADN des semences en vue d’obtenir de nouvelles propriétés dans les plantes, comme l’odeur, la période de croissance, les rendements, tout cela, en principe, sans modifier les traits héréditaires.

Les nanotechnologies pourraient aussi être utilisées pour fabriquer par manipulation atomique des engrais et des pesticides très puissant. Des nano-senseurs pourraient surveiller la croissance des plantes, les niveaux du pH, la présence des éléments nutritifs, l’humidité, les parasites ou les maladies, et réduire de façon significative les besoins en main d’œuvre sur la ferme.

Pour certains partisans des nanotechnologies, au contraire, au lieu de présenter un risque pour la souveraineté alimentaire, elles seront une aubaine pour les paysans du Sud, en augmentant la productivité et en éliminant la faim.

Mais pour tous ceux qui connaissent le dossier des OGM, les promesses du lobby pro-nanotechnologies leur rappelleront les mêmes promesses, jamais tenues, faites depuis 20 ans par le lobby des biotechnologies…

Comme pour les OGM, on nous fait déjà miroiter des progrès extraordinaires pour la santé, la protection de l’environnement, l’agriculture, la lutte contre la faim dans le monde… Pourtant, les premiers produits concernent des cosmétiques, des raquettes de tennis, produits destinés aux pays riches …

 

3 - Faut-il craindre les nanotechnologies ?

Libération titrait le 11 novembre 2005 : « dans le nanomonde, tout est petit, sauf les risques » ; et pourtant, en 2006, le budget consacré aux risques pour la santé ne représentait que 4% des dépenses totales de R & D, soit 40 millions de dollars sur un total de 1 milliards !

Une gestion des risques est nécessaire pour accompagner le progrès ; elle passe par une acceptation raisonnée des nanotechnologies. Quels sont les défis à relever ?

Les risques potentiels pour la santé et l’environnement

La base des connaissances de la toxicité des nanoparticules est différente de la toxicité chimique classique. La taille détermine les règles de pénétration et de déposition dans les cellules, dirige les mécanismes d'internalisation des nanoparticules dans les cellules, de migration dans le cytoplasme et le noyau, voire de passage de la membrane hémato - encéphalique. La réactivité considérable des nanoparticules entraîne un impact négatif sur le plan biologique. Ce n'est plus la toxicité de la particule elle-même qu’il faut prendre en compte, mais celle véhiculée par elle. La combinaison de ces effets avec la biopersistance des particules difficilement décelables par des analyses globales risque de provoquer, au niveau des cellules, une perte de fonction, une hyperactivité ou une perturbation de leur cycle. Ces réponses cellulaires anormales peuvent entraîner une réaction inflammatoire qui, lorsqu’elle persiste et s'auto entretient, est susceptible d’engendrer des fibroses et des cancers. Les nanoparticules, en particulier celles de carbone et de dioxyde de titane, ont un fort degré de pénétration dans l’appareil respiratoire et la faculté de passer les membranes cellulaires ; les résidus et les additifs utilisés pour les fabriquer présentent, eux aussi, un risque de toxicité.

Par exemple, Les fullerènes de carbone qui sont utilisés dans certaines crèmes et produits hydratants ont des propriétés antibactériennes mais il a été montré qu’ils provoquaient des lésions dans le cerveau de poissons. Même à des taux d’exposition bas, il a été démontré que les fullerènes provoquaient des lésions dans les cellules du foie humain.

Les nanoparticules d’oxyde de titane et d’oxyde de zinc - utilisées dans un grand nombre de produits cosmétiques, de soins corporels et de crèmes solaires - sont photoactives, produisent des radicaux libres et endommagent l’ADN des cellules de la peau.

Une évaluation toutefois difficile

Les travaux portant sur la toxicologie ne génèrent pas toujours des articles à fort impact ; aussi de nombreux chercheurs se détournent-ils de ces études.

De ce fait, les connaissances ne sont pas stabilisées ; des questions d'interprétation ou de corrélation entre les publications subsistent par ailleurs. Les experts, dans ce domaine, sont peu nombreux et leur indépendance est parfois contestée. Les doses couramment utilisées lors de ces expériences sont très excessives par rapport à celles auxquelles l'homme pourrait être exposé dans des conditions normales. Les effets à long terme sont difficiles à analyser et posent un problème ardu dans le montage des projets de recherche, car plus la manipulation est longue, plus elle est coûteuse. L'adaptation des méthodes d’évaluation suppose de nouveaux équipements pour les relevés ponctuels et de routine, et l’établissement d’une nouvelle relation science /technologie /marché. Or le coût des appareils de mesure des laboratoires peut atteindre jusqu'à 300 K€.

Les questions éthiques

Une transgression ? L'homme aurait créé une technique qu'il ne pourrait plus maîtriser, sur fond de transgression des valeurs culturelles fondamentales. Il aurait généré une nouvelle science, avec de nouveaux matériaux hybrides utilisant les pièces de la machine biologique. Une technologie naîtrait qui, grâce au biomimétisme, détiendrait le pouvoir de maîtriser et d'asservir la nature et l’homme. L'ère des nanos adviendrait, la société humaine devrait s’y adapter, voire se soumettre à l'avènement d’un transhumanisme annoncé par certains promoteurs du projet «nano» aux Etats-Unis. (les transhumanistes croient en la transformation future de la nature humaine par le biais de la technologie en vue d’atteindre des objectifs tels que l’abolition de la souffrance et la suppression des contraintes physique et matérielles, l’immortalité et la « superintelligence »)

Une accélération du passage de la recherche fondamentale à l'utilisation industrielle, rendant la réflexion éthique difficile ou inutile ? La recherche en nanosciences et nanotechnologies se signale par l'impossibilité de dissocier recherche fondamentale et recherche technologique.

Elle produit des synergies grâce à la convergence nano-bio-info-cogno (NBIC) aux effets imprévisibles.

Quant à l'usage militaire des nanos, par essence, il ne peut être transparent. Mais peut-on mener une réflexion éthique sur ce que l’on ignore ? Doit-on produire des innovations et les diffuser, avant de les comprendre et de les maîtriser ?

L'éthique, dans ce domaine, ne se résume pas à une analyse d'experts sur les bénéfices/risques et ne peut pas être normative. La nécessaire transparence est sans cesse remise en cause par une concurrence de plus en plus sauvage et par le mode de gestion des brevets.

Une prise en compte insuffisante de la dimension éthique de l’économie ? Les nanotechnologies seront utilisées pour remplacer et réduire la consommation des matériaux naturels et des ressources minérales qui se trouvent essentiellement dans les pays en développement. L'impact économique, à moyen et long terme, sera considérable, accroissant le fossé technologique.

La traçabilité est-elle une solution? Elle peut avoir des effets ambivalents, positifs ou négatifs, car des nanomatériaux traçables rendraient l'homme lui-même traçable.

Comment gérer la situation d’un individu « modifié » par les nanotechnologies ? Les conséquences, au plan diagnostique et thérapeutique, d'un nano-médicament, les perspectives de dopage cérébral et d’utilisation d’implants cérébraux doivent être correctement appréciées. Quel serait le statut légal d’un homme implanté développant un trouble du comportement, par exemple ? Quel serait celui d’un homme « augmenté » ?

Les impacts sociétaux

Des craintes diffuses. La perception des risques par le public s’exprime par la crainte diffuse d’une mécanisation de l’humain, d’atteintes irréversibles à la santé et à l’environnement, d’accidents, d’un renforcement des moyens militaires et des outils susceptibles d’être utilisés par des terroristes, alors que certains s'interrogent sur l'utilité pour le citoyen de telles techniques. Ces technologies concentrent sur elles certaines critiques de la technique. Elles sont susceptibles de raviver les craintes exprimées lors de l’émergence des technologies de l'information et de la communication et, surtout, des biotechnologies et les colères provoquées par les erreurs commises dans la gestion du risque, comme pour l’amiante. En même temps, elles suscitent attentes et espoirs, essentiellement dans le domaine médical, et elles s’inscrivent dans un cadre juridique, jugé suffisamment abouti par certains, incomplet par d’autres.

Des perceptions contrastées. Si 40% des Européens pensent que les nanotechnologies vont augmenter la qualité de la vie au cours des vingt prochaines années et 42% d’entre eux n’en savent rien, 49% des Américains estiment que les risques sont plus importants que les bénéfices et 7% n’en savent rien. Emmanuelle SCHLER dans un article « vision prospective sur la communication du risque dans le domaine de la nanotechnologie indique que « il est très probable que la grande majorité du public n’a que peu de connaissances ni d’intérêt pour cette technologie et ses dangers potentiels ». Les pays émergents d’Asie semblent, en revanche, moins réticents, la mention « nano inside » étant même un argument de vente.

Des moyens financiers insuffisants. En 2006, les États-Unis ont consacré environ 40 millions de dollars aux problèmes éthiques, portant essentiellement sur la sûreté, sur un total d’un milliard de dollars dépensé. Est-ce suffisant ? Peut-on convaincre que l’on veille à préserver la santé et l’environnement si on y consacre une part si faible des moyens financiers investis dans le développement des nanotechnologies ?

4 - Les éléments de réponse en France et dans le monde

L’application délicate du principe de précaution face aux incertitudes

Les substances arrivent souvent sur le marché avant la mise en oeuvre de procédures de précaution. L’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET) et le Comité de la Prévention et de la Précaution (CPP) estiment qu’il n'est pas possible actuellement de procéder à une évaluation des risques satisfaisante chez l'homme. Le CPP a formulé plusieurs recommandations en application du principe de précaution :

  • Assurer une réelle coordination des recherches transdisciplinaires intégrant physique, chimie, biologie, médecine, sciences humaines.
  • Recenser les nanoparticules issues des nanotechnologies et des filières de production, avec une normalisation de la nomenclature, et créer une base de données exhaustive.
  • Produire de nouvelles connaissances sur l'identification des particules et des populations exposées, la métrologie, l'évaluation des risques et développer de nouveaux tests par des criblages toxicologiques à haut débit.
  • Adopter des mesures de précaution sans attendre de nouvelles données et les proposer aux populations directement en contact avec la production des nanoparticules, leur utilisation ou leur désintégration à la fin de la vie des matériaux.
  • Protéger la population en général et mener une réflexion sur les écosystèmes. Les crèmes «barrières solaires» contenant du dioxyde de titane, à titre d’exemple, partent dans les égouts, sous forme de nanoparticules, et se retrouvent dans les écosystèmes.

La promotion d’une éthique de la recherche

Une interrogation sur le sens du nanomonde qui se construit dans les laboratoires et des recherches effectuées est nécessaire. Pour répondre à quels besoins ? Qui en profitera ? Les investissements consentis sont-ils justifiés ? Qui sera responsable en cas de problème ? Le Comité national consultatif d’éthique, les comités d’éthique du CNRS et de l’INSERM ont traité et traitent encore de ces questions. Ils ont émis des propositions.

  • La déontologie des chercheurs, comme la transparence des résultats et des sources doivent être encouragées, en s’appuyant sur la recherche fondamentale, le partage des connaissances et des bonnes pratiques, une gestion raisonnée des conflits d'intérêts.
  • Il faut créer dans les laboratoires des espaces éthiques et des lieux de débats, où chercheurs, ingénieurs et techniciens exprimeront leurs questionnements, et s'exerceront à la prise de parole.
  • Un contact permanent entre les scientifiques, le public et la société civile doit être établi, pour agir en concertation lors de la définition et du suivi des programmes de recherche. Un PICRI, partenariat institutions – citoyens pour la recherche et l’innovation, a été créé en Ile de France ; il vise à promouvoir des programmes de recherche reposant sur une collaboration étroite entre laboratoires publics de recherche, d’une part, et organisations de la société civile à but non lucratif, d’autre part. Ce dispositif s’inscrit dans la démarche du Conseil régional d’IdF qui souhaite jeter les bases d’une éco-région exemplaire en Europe en y renforçant les pratiques de la démocratie. La Région souhaite également diversifier les acteurs potentiels de l’innovation en mobilisant la société civile, source d’innovation ascendante.

Plusieurs institutions internationales ont abordé les problématiques posées par les nanotechnologies, afin de dégager des lignes directrices : l’UNESCO, l’Union Européenne, et le dialogue international responsable.

 Les travaux portent sur les enjeux éthiques des nanotechnologies, et des études prospectives sont en cours, visant à prendre en compte leur impact social et éthique, par une approche interdisciplinaire, sur la diffusion des connaissances et les questions de propriété intellectuelle.

Toutes travaillent sur la constitution d’une base de données relatives aux caractéristiques des nanoparticules.

À l'UNESCO, un programme est consacré aux enjeux éthiques des nanotechnologies, et des études prospectives sont en cours, visant à prendre en compte leur impact social et éthique, par une approche interdisciplinaire.

Ces travaux portent sur la caractérisation des nanoparticules, l’impact sur l’environnement, la toxicité, la nanomédecine, la vie privée, la confidentialité, la surveillance publique, les applications militaires, mais aussi sur la diffusion des connaissances et les questions de propriété intellectuelle. Les propositions convergent vers la nécessité d’une éducation à l'éthique, et d'un principe directeur éthique volontaire pour les scientifiques.

Les actions au sein de l’Union Européenne

Le 7ème Programme cadre de recherche et de développement devrait financer les nanotechnologies à hauteur de 3,5 milliards d'euros ; parallèlement, le plan d'action européen intègre non seulement la dimension entreprise/industrie, mais aussi le risque, la sécurité des travailleurs, des citoyens, des consommateurs, l'environnement et la question internationale. Des comités spécialisés ont été constitués, notamment sur la méthodologie d'évaluation des risques, et sur les aspects réglementaires.

Le projet NanoSafe, conduit par le CEA pour la France, est axé sur les risques. NanoSafe1 a permis d’établir un état des lieux. NanoSafe2, prévu sur quatre ans avec un budget de 12,5 M€, est plus ambitieux et comprend quatre sous-projets : développement de technologies de détection avec baisse substantielle de leur coût ; évaluation des risques par criblage et analyse rapide de toxicité ; sécurisation des systèmes et des procédés industriels ; aspects environnementaux et sociétaux, avec le recyclage et l’analyse du cycle de vie.

S’agissant des questions éthiques, le cadre général législatif européen semble approprié. Une réflexion stratégique sur l’éthique est néanmoins menée à travers les réseaux Eranet, NanotoLife et la plate-forme Nano-Medicine, qui a élaboré un document sur les stratégies de développement et des programmes européens plus ciblés sur la toxicologie des nanoparticules et la communication.

Le dialogue international responsable

Cette instance informelle, offre depuis 2004 aux représentants des gouvernements de tous les pays un cadre pour débattre sur la gouvernance des nanotechnologies et la convergence, afin d’anticiper les évolutions. 25 pays, dont la France, le Japon, et les Etats-Unis, y participent chaque année. Il préconise de consacrer une part plus importante des budgets publics et privés aux recherches sur les risques, en s’appuyant sur une coopération institutionnelle internationale renforcée, la constitution d’une base de données relatives aux caractéristiques des nanoparticules, l’adoption d’une méthodologie harmonisée d’évaluation multicritères de leurs impacts, et sur un observatoire sociétal.

Conclusion (reprise de la fiche d’information du DH)

Les F\M\ du Droit Humain doivent être en état de veille en observateurs des progrès technologiques. De nombreux problèmes éthiques autrefois théoriques rejoignent à présent l’actualité. Ils concernent l’individu, le citoyen, la société toute entière.

Si, pour nous éclairer, nous pouvons bénéficier des travaux des organismes déjà cités, nous devons aussi appuyer notre réflexion sur nos valeurs et nos outils.

N’y a-t-il pas lieu d’engendrer une prise de conscience rapide et compréhensible de nouveaux enjeux planétaires mal connus et pour lesquels il y a urgence à débattre, ici et maintenant, en FM prospectifs, afin de conformer nos actes à notre idéal : « Au progrès de l’humanité ».

Dès lors, quelles propositions élaborer pour espérer l’âge d’or et éviter l’apocalypse ?


7088-1 L'EDIFICE \