Obédience : NC Loge :  NC Date : NC

 
De Janus aux deux Saints Jean
 
 
Par tradition, nous, Francs-maçons, nous nous réunissons chaque année les jours des fêtes de Jean le Baptiste et de Jean l’Evangéliste pour commémorer en une joyeuse fête ces dates si symboliques.

Depuis les temps anciens, les ouvriers et artisans se sont regroupés en associations professionnelles pour pratiquer le métier et défendre leurs secrets et leurs droits. Chez les Égyptiens, les Perses, les Syriens et les Grecs, on mentionne à maintes reprises l'existence de groupements professionnels, spécialement chez les constructeurs d'édifices. Sur les pierres tombales des artisans sont parfois gravés niveau, maillet, compas.
Depuis la nuit des temps, exercer un métier est une fonction éminemment sacrée. L'homme ne peut rien entreprendre sans l'aide de cette force qui a créé tous les êtres et toutes les choses. L'architecture apparaît très vite hautement symbolique car elle préfigure le mythe de la construction : construire le temple, c'est construire l'homme.

C'est l'unique chemin par lequel un homme peut accéder au domaine divin de la connaissance. Dans le respect du sacré, des devoirs et des secrets, l'homme entre dans le métier comme en sacerdoce, acceptant que sa vie future soit une ascèse dédiée au divin.

Selon Plutarque, c’est le second roi de Rome, Numa Pompilius, qui institua, à son avènement en 715 avant notre ère, les « Collegia» qui regroupent des artisans par corporations. Ces plébéiens s’assemblaient dans des temples, y tenaient leurs réunions, se réunissaient pour des agapes rituelles sous la conduite d’un « magister caene », l’équivalent de notre Maître des banquets, un préfet les dirigeait, chaque collège avait sa hiérarchie et son dieu tutélaire, en plus du dieu princeps Janus. Ils se devaient secours mutuel et bénéficiaient de privilèges liés à l’observance de leurs devoirs. Elles étaient placées sous la protection de Janus, le dieu à deux faces, qui est aujourd’hui l’un des moins connus des dieux antiques. C’était pourtant l’un des plus importants au temps de la Rome archaïque.

Ovide, dans le premier chant des « Fastes », enseigne que Janus s'appelait « Chaos » à l'époque où l'air, le feu, l'eau et la terre ne formaient qu'une masse. Quand les éléments se séparèrent, Chaos devint le tout premier être divin sous la forme de Janus, ses deux visages opposés représentant la confusion de son premier état. Dieu sans âge des passages et des commencements, il est appelé le « Maître des deux voies », voies accessibles par les deux portes solsticiales, celle des cieux (ianua coeli) et celle des enfers (ianua inferni), ces voies de droite et de gauche que les pythagoriciens symbolisaient par la lettre Upsilon, correspondant dans la Bible à la voie étroite, montante et semée d’épines vers la vertu, et à celle, large et descendante, vers le vice. Cette fonction explique son nom « Janus », à rapprocher du latin ianua (porte) et ianitor (portier).
 
Il est donc le dieu qui préside à toute espèce de transition d'un état à un autre. Il assure le passage du monde des hommes à celui des dieux et, à ce titre, était toujours invoqué au début de toute prière rituelle. Janus est symbole de la dualité au-delà de tout dualisme sans laquelle aucune vie n’aurait pu se manifester. Par-delà cette dualité, son visage central, invisible, indique la voie à suivre. Cette démarche conduit l’initié de la division à l’amour, de la multiplicité à l’Unité, de l’erreur à la Vérité et de la mort physique à la Vraie Vie.
 
Les collegia se maintinrent ainsi jusqu’au VIIème siècle, époque à laquelle elles se transformèrent en entrant dans le Moyen-âge féodal. Celui-ci est alors en effervescence. Les ordres religieux en pleine expansion deviennent peu à peu les principaux pourvoyeurs de travaux monumentaux. Comme l’a écrit un moine clunisien, « on eût dit que le monde en se secouant avait rejeté ses vieux vêtements pour se couvrir d'un blanc manteau d'églises ». (Raoul Glaber) Ces confréries de bâtisseurs se forment logiquement autour des grands chantiers de cathédrales.
 
A partir du XIIIéme siècle, on voit donc se développer des confréries d'artisans nommées les "francs-mestiers". Il est avéré que nombre de ces confréries s’abritent dans les censives de l’Ordre du Temple, où elles sont exemptées de redevances et bénéficient de privilèges corporatifs. Malgré la dissolution de l'Ordre du Temple en 1312 et l'exécution sur le bûcher de son grand maître Jacques de Molay deux ans plus tard, les Confréries des Francs-Mestiers ne cesseront d'exister et de se développer, avec l'accord royal, tant en France qu'en Grande-Bretagne. Il s'agit du maintien de la communauté des francs-maçons (dont le nom free-masons est apparu au Royaume Uni dans la deuxième moitié du XVème siècle) avec la transmission de leurs rites traditionnels, touchant à une époque où le bon exercice du métier revêtait un caractère sacré et initiatique.
 
En bonne logique, les maîtres d’ouvrage étant principalement des religieux, nous voyons alors Janus, expression païenne d’un rite traditionnel mal venu en ces temps de fervent christianisme, céder la place dans les associations de métiers aux deux Saint Jean. Ce choix est tout sauf fortuit puisque le choix du représentant de l’ésotérisme chrétien facilitait le passage d’une tradition à l’autre. Et si Jésus confia son Eglise terrestre à Pierre, c’est à Jean, le disciple qu’il aimait, qu’il confia la « Jérusalem céleste », comme la Rome éternelle fut confiée à Janus et non à Jupiter.
 
Le symbolisme des deux Saints Jean est indissolublement lié à celui des deux faces de Janus. Les uns comme l’autre symbolisent la dualité au plus haut degré de sa manifestation. Le Baptiste fêté au solstice d’été ferme l’Ancienne Alliance, loi de sacrifice, pour ouvrir la Nouvelle Alliance, loi d’amour. L’Evangéliste, lui, que nous fêtons au moment où la lumière prend le dessus sur les ténèbres, ouvre le Livre de l’Évangile du Verbe porteur du message d’Amour et de Lumière et ferme le Livre du Monde par son Apocalypse, annonçant la descente sur terre de la Jérusalem céleste et la seconde venue du Messie. Comme le dieu latin, ils ouvrent et ferment les portes solsticiales et les passages d’un monde à l’autre.
 
La date de la naissance du Christ a été placée par les chrétiens le 25 Décembre, trois jours après le solstice d’hiver. Afin de respecter les écritures qui indiquent que St Jean Baptiste était né 6 mois avant le Christ, nous fêtons sa naissance le 24 Juin, trois jours après le solstice d’été. Quant à elle, la fête de St Jean l’Evangéliste le 27 décembre, soit 6 mois et trois jours après celle du Baptiste. Ce décalage de trois jours entre l’évènement cosmique du solstice et sa célébration par les hommes se retrouve également entre le Vendredi Saint de la mort du Christ et le matin de la Pâque. Ces trois jours correspondent à la descente aux enfers, nécessaire avant la renaissance à une nouvelle éclosion. Ce chiffre trois est aussi omniprésent en Franc-maçonnerie.

Esotériquement le Baptiste et l’Evangéliste ne font qu’un. Comme Janus, ils représentent le passé et l’avenir. Après le baptême de Jésus, le rôle du Baptiste ne saurait que décroître, au plan du récit comme au plan symbolique. Le relais de la grande Lumière initiatique passe peu à peu à l’autre témoin : l’Evangéliste. « Il faut qu’il croisse et que je diminue ». Nous trouvons dans ce message adressé aux hommes l’expression de son humilité mêlée à la plus haute satisfaction d’une âme comblée par le travail accompli.
 
Je terminerai en rappelant que le Chevalier de Ramsay, dans son fameux discours de 1736, donne sa version de l’origine des Loges de Saint Jean :
« Du temps des guerres saintes dans la Palestine, plusieurs Princes, Seigneurs et Citoyens entrèrent en Société … et firent vœu de rétablir les temples des Chrétiens dans la Terre Sainte. Ils convinrent de plusieurs signes anciens, de mots symboliques tirés du fond de la religion … pour se distinguer des Infidèles, et se reconnaître d'avec les Sarrasins. On ne communiquait ces signes et ces paroles qu'à ceux qui promettaient solennellement … de ne jamais les révéler. Cette promesse … était un lien respectable pour unir les hommes de toutes les Nations dans une même confraternité. Quelques temps après, notre Ordre s'unit intimement avec les Chevaliers de S. Jean de Jérusalem. Dès lors et depuis, nos Loges portèrent le nom de Loges de S. Jean dans tous les pays. Cette union se fit en imitation des Israélites qui, lorsqu'ils rebâtirent le second Temple, pendant qu'ils maniaient d'une main la truelle et le mortier, portaient de l'autre l'Epée et le Bouclier ».
 
L’origine chevaleresque et croisée de la Franc-maçonnerie est mise en avant, s’opposant à la thèse opérative de son ami Anderson. Par extension, on parlera d’origine Templière bien que le mot ne soit jamais prononcé dans le discours.
 
Notons que le Chevalier a écrit ces lignes cinq siècles après la dernière croisade et qu’il avait épousé l’année précédente la fille d'un noble Écossais de l'Ordre de Saint-André du Chardon d'Ecosse, ordre chevaleresque créé en 1314 par le roi d'Écosse Robert Bruce, après sa victoire de Bannockburn, afin de récompenser les Templiers qui, réfugiés dans ses États après l'inique procès, auraient largement contribué à la défaite des Anglais. Mais ceci est une autre histoire…

Par M\ G\

7080-2 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \