GLFF Loge : NC 24/04/2007


Les Mauvais Compagnons

Rituel au 3ème degré -  Elévation à la Maîtrise


La Maîtrise est conférée à la Compagnonne, seulement après qu'elle ait réalisé le programme préparatoire des deux premiers grades : l'Apprentissage et le Compagnonnage.
Pour être admise en Chambre du Milieu, la Compagnonne doit offrir de sérieuses garanties : ouvrière ponctuelle et assidue, faisant preuve d'intelligence et de curiosité, possédant les connaissances du Grade, elle est devenue celle dont les Maîtresses peuvent répondre.
C'est donc, le plus possible dépourvue des mobiles de  vanité ou d'orgueil et animée d'une demande de perfectionnement dans l'Art de la Construction  du Grand Œuvre, dans le but de travailler avec ses Sœurs et faire bénéficier celles moins instruites de la Compétence qu'elle désire acquérir, qu'elle se présente à nouveau à la porte du Temple pour y recevoir le grade de Maîtresse.

Au Rite Français, comme au Rite Ecossais Ancien et Accepté, la récipiendaire est alors introduite dans le Temple par une marche à reculons, face à l'occident, elle s'enfonce dans l'obscurité. Un seul repère se présente à elle, l'Etoile Flamboyante, c'est à partir d'elle, seul point de lumière dans cette obscurité qui l'enveloppe que la Compagnonne est invitée à revenir sur ses pas en repassant le chemin parcouru, pour faire le point sur elle-même.

C'est alors que plongée dans une longue et silencieuse méditation, la récipiendaire est soudainement interpellée par la Très Respectable Maîtresse :
"Compagnonne, avez-vous bien réfléchi à la démarche que vous faites? …
Vos mains sont-elles pures?...
Votre conscience est-elle tranquille?...."

Confrontée à une véritable introspection, une mise à nue de sa conscience, la Compagnonne soupçonnée d'être "un mauvais compagnon", puis disculpée au vu de ses mains "pures" et de son tablier "sans taches" est invitée à se retourner vers l'Orient.

Elle discerne des Sœurs plongées dans une profonde et silencieuse tristesse et apprend alors que l'œuvre de la Maçonnerie est compromise par suite de l'assassinat du Maître qui dirigeait ses travaux.
Découragées et ayant acquis la certitude que les criminels doivent être cherchés parmi les Compagnonnes, elles décident, avant de reprendre les travaux, que toute Compagnonne aura à prouver  qu'elle est innocente du meurtre d'Hiram.

C'est ainsi qu'au travers d'une ultime épreuve de vérité, la récipiendaire devra enjamber le cadavre du Maître afin de prouver son innocence par son courage face à l'image de la mort physique.

Disculpée définitivement, le récit du drame se déroule et la Compagnonne alors transformée en  victime, prend la place d'Hiram, le Maître disparu, et périt à son tour sous les coups des trois mauvais compagnons qui sont, dans la mise en scène du psychodrame, représentés par les trois Vénérables Maîtresses qui dirigent et instruisent la Loge : la Vénérable Maîtresse, la Première et la Deuxième Surveillantes.
La légende d'HIRAM :

HIRAM, "savant dans l'art de l'Architecture, comme dans le travail des Métaux", personnage central du mythe, nous est présenté comme le bâtisseur du Temple, conçu par le sage roi Salomon, à la gloire du Grand Architecte de L'Univers. Il lui fut également demandé de diriger les ouvriers.

Nous savons aujourd'hui que le personnage de "Maître HIRAM" n'a pas existé du moins tel que présenté et que le personnage cité dans la Bible, Hiram Abi, envoyé à Salomon par un autre Hiram, roi de Tyr, pour ses qualités de fondeur, est vraisemblablement à la base de l'inspiration de ceux qui ont établi le mythe du bâtisseur du Temple de perfection pour les besoins d'un symbolisme initiatique.

Hiram donc, fils d'une veuve, artiste d'une incontestable compétence, se vit confier par Salomon, les pouvoirs les plus étendus pour tout ce qui concernait la construction du Temple et la direction des ouvriers.
Compte tenu de la destination de l'œuvre, le rituel nous permet d'imaginer que cet homme possédait l'Art d'un Grand Initié : vertueux, respectueux des ouvriers, il prodiguait conseils et avis, aidait et encourageait les talents et toutes les bonnes volontés.
 Faisant preuve de rigueur, de justice et de bonté, il avait organisé et réparti le travail de manière équitable en divisant les ouvriers en trois classes distinctes : les Apprentis, réunis sous la colonne "B", les Compagnons, près de la colonne "J" et les Maîtres réunis à l'intérieur  du Temple. Les salaires étaient proportionnels aux capacités.

Alors qu'Hiram, le Maître respecté par sa douceur, ses vertus et son sens de l'équité, maintenait l'esprit des ouvriers au travail ; trois d'entre eux, compagnons, formèrent l'horrible projet d'arracher au Maître Hiram, "de gré ou de force", nous dit le rituel, le mot sacré des Maîtres afin de s'introduire dans la Chambre du Milieu.

Ils arrêtèrent leur plan et décidèrent de parvenir à leurs fins par la menace, n'espérant pas obtenir ce qu'il voulait en fléchissant la libre volonté du Maître.
Quelle que soit l'issue, ils étaient résolus de lui donner la mort afin d'échapper à la juste sanction de leur criminelle audace.

Ils choisirent d'agir, à la chute du jour, après le départ des ouvriers et alors que le Maître qui demeurait toujours le dernier, se trouverait seul.

Le Temple avait trois portes. Les conspirateurs se placèrent donc à chacune de ses portes : le premier à la porte du Midi, le second à la porte d'Occident et le troisième à la porte d'Orient afin que si le Maître échappait à l'un il ne puisse échapper aux autres.
Ainsi postés, ils sommèrent tour à tour, Hiram, de leur livrer ses secrets. Le Maître répondit successivement à chacun d'eux, en fuyant d'une porte à l'autre, qu'ils n'obtiendraient pas sa parole par des menaces et qu'il fallait attendre le temps voulu. Alors ils le frappèrent, l'un d'un coup de règle sur la gorge, mais le coup dévia sur l'épaule droite, l'autre d'un coup de levier sur la nuque mais le coup dévia sur l'épaule gauche, le troisième d'un coup de maillet sur le front qui l'acheva.

"Ainsi périt l'homme juste, fidèle au devoir jusqu'à la mort" nous dit le rituel.

Analysons le triple meurtre :
-                     Où se déroule t'il?
-                     Qui le commet?
-                     Comment est-il commis?

1.                  Où se déroule le meurtre?                                                                                           
En Chambre du Milieu, au centre du Temple.
L'accès à la Chambre du Milieu par l'élévation à la Maîtrise est la reconnaissance de l'aptitude acquise par la Compagnonne pour bâtir son temple intérieur.
Accéder à la chambre du milieu c'est se retrouver entre l'Equerre et le Compas, "c'est aller à la rencontre de son centre, devenir le centre, être le centre de l'union."

Mais lorsque la Compagnonne, candidate à la Maîtrise, est introduite, la chambre du milieu est plongée dans l'obscurité et se trouve réduite, divisée symboliquement en deux parties : le lieu des ténèbres où pénètre la Compagnonne et l'Orient où brille le Delta lumineux mais un rideau noir masque la vue et rend invisible l'Orient à la Compagnonne.

Accéder à la Chambre du Milieu est difficile, elle est le lieu de tous les périls.

2.                  Qui commet le meurtre?
Les trois meurtriers sont des compagnons.
A ce titre, ils sont membres des équipes qui travaillent sur le chantier et qui sont subordonnés au Maître Hiram.

Alors que l'édifice allait bientôt être achevé, un vent de révolte souffle dans l'esprit de certains ouvriers de la classe des compagnons qui, n'ayant pas obtenus d'être initiés aux secrets de la Maîtrise, s'estiment être injustement traités.
Le poison de l'envie et de la jalousie se fait jour et avec elles le dégoût du travail apparaît.  Aigris, mécontents, immatures, naît en eux le désir présomptueux d'obtenir des salaires plus élevés sans se donner la peine de les acquérir dans le temps, par l'étude et l'application.
Aveuglés par leurs passions, ils s'illusionnent sur l'étendue de leur instruction, persuadés que la Maîtrise leur est due.

Ainsi, ensemble ou chacun, ils symbolisent bien des comportements que l'on croise dans le monde profane ou bien, de la part d'initiés qui ont mal travaillé leur Pierre et ne maîtrisent pas de ce fait, leurs instincts, leurs envies, leurs ambitions.

C'est ainsi que peu à peu, leur avidité va les conduire à la lâcheté, en tendant à trois, à la tombée du jour, un guet-apens à Maître Hiram.
Leurs sentiments d'orgueil et de cupidité les poussent, par l'action concertée, à usurper un bien dont "ils ne méritent pas d'être détenteurs".

Une question se pose encore :
Pourquoi au Rite Ecossais Ancien et Accepté, les trois officières qui dirigent la Loge, prennent l'"habit des mauvais compagnons" et deviennent "actrices" du meurtre? 

Un constat s'impose : dans la société profane, comme parfois en Franc - Maçonnerie, ce sont bien souvent ceux qui détiennent le pouvoir qui ont le plus souvent le moyen de le détourner.
Par le détournement des valeurs inhérentes à leur fonction : mesure – discernement – respect – harmonie – sagesse…, ils sont à même de détruire ce qu'ils devraient construire.
  
3.                  Comment le meurtre est-il commis ?
Par trois coups !

Comme je le dis au début de ma planche, dans l'application symbolique du mythe lors de la cérémonie d'élévation à la Maîtrise, la récipiendaire, par transposition, s'identifie à Hiram : elle doit mourir à elle-même, prendre conscience de sa perte avant de pouvoir renaître.
Comme dans toutes les morts initiatiques, cette phase est le prélude à une renaissance à la fois physique, mentale et spirituelle en un nouvel Hiram.

Réfléchissons sur le choix des armes du meurtre et leurs points d'impacts :

·                    Selon le rituel, le premier coup est porté par le moyen d'une règle et le "mauvais compagnon" vise la gorge. Hiram réussit à dévier le coup qui l'atteint à l'épaule droite.

La règle, premier instrument du meurtre, est un des outils spécifique des compagnons, elle donne la ligne et permet de mesurer. Cet instrument, droit, linéaire, respire la droiture d'esprit. La règle représente la loi morale, dans l'obéissance librement consentie.
La perte de cette conscience morale, engendre le désordre intérieur et permet le passage à l'acte.
La règle, ici utilisée à contresens par le compagnon, produit un acte démesuré.
Ce dernier, rendu ignorant par le désordre intérieur engendré  par les illusions qu'il se fait de ses capacités, envahi par la vanité, perd sa conscience morale et c'est l'IGNORANCE qui porte le premier coup à la gorge du Maître. La gorge, lieu du passage du souffle et de la parole  ne sera pas détruit mais lésé car Hiram déviera le coup sur son épaule droite.

·                    Le second coup est porté par le moyen d'un levier et le second "mauvais compagnon" vise la nuque. Hiram affaibli, réussit à dévier le coup qui l'atteint à l'épaule gauche.

Le levier, outil spécifique du compagnon sert à maîtriser et décupler la force. Symboliquement, il lui permet d'agir sur le monde extérieur afin de le transformer et de le maîtriser. Le levier se doit d'être utilisé avec mesure. En effet, une force non maîtrisée devient brutale, tyrannique et dangereuse.
Ce levier, non contrôlé par la règle, animé par la volonté d'usurpation, devient force meurtrière : c'est le FANATISME qui porte le deuxième coup à la nuque du Maître.
La nuque, arrière du cou, est le siège des sept vertèbres cervicales. Comme la gorge, elle assure la liaison indispensable entre la tête et le reste du corps. Le Maître, diminué dans ses fonctions cérébrales, peut encore dévié le coup sur l'épaule gauche.

·                    Le troisième "mauvais compagnon", tue Hiram d'un coup de maillet au front.

L'ambivalence des outils, trouve ici son point culminant : l'arme du crime est le maillet du vénérable!
Le maillet, symbole du pouvoir et de la volonté qui exécute,  est l'instrument du commandement du sage et du juste.
Utilisé seul, sans le contrôle de l'équerre et du compas porteurs des valeurs morales d'honnêteté, d'intégrité, de tolérance et de discernement, le maillet devient le symbole de l'impétuosité, de la tyrannie dominatrice.
 L'outil de création devient outil de destruction.

C'est l'AMBITION qui porte le coup fatal au front du Maître.
Ce coup porté au front, siège de l'Intelligence, de "l'harmonie sublime réalisée entre le cœur et la tête", écrit Annick de Souzenelle, détruit la vie. Hiram s'écroule à terre, les pieds tournés vers l'Orient, la tête vers l'Occident, lieu du soleil couchant et de l'obscurité naissante, Il rend le dernier soupir.

Les "mauvais compagnons" ont assassiné le Maître, ils n'ont pas obtenus les secrets du Maître et en ont privé définitivement les futures générations de compagnons.

Pourquoi HIRAM doit-il mourir?

Si nous suivons la légende "hiramite",
Soit Hiram donne aux "mauvais compagnons" les mots et signes qu'ils exigent de lui et en ce cas il n'est pas digne d'être Maître puisque incapable de garder le secret, fut-ce au péril de sa vie.
Cette lâcheté personnelle le rendrait traître à sa vocation : car gardien de la tradition, s'il transmet le mot de maître à des compagnons indignes de le recevoir, qui n'ont pas les qualités requises, Il lui serait alors impossible de diriger les Maçons qui travaillent sur le chantier à la construction du Temple de Perfection.

Soit il garde inviolablement le silence et meurt avec dignité en parfaite harmonie avec ce que comporte la qualité de Maître et la notion de don total de soi qui en découle.

Hiram nous conduit vers un monde de perfection, le temple de l'"Idéal de Perfection".
Hiram incarne la grandeur du devoir et la force du serment. C'est par lui que le rachat du processus initiatique va se faire.

Le meurtre fondamental d'Hiram le Maître, par les trois "mauvais compagnons", représente la base même du mythe, le combat perdu des plus hautes valeurs de la franc – maçonnerie contre l'ignorance, le fanatisme et l'ambition.
Ce n'est pas par hasard, que l'initiation au grade de Maître comporte cette extraordinaire mort et résurrection de la récipiendaire en lui faisant vivre cette épreuve comme "meurtrier" tout d'abord, puis par cette transmutation en victime expiatoire dont la résurrection annonce son entrée dans la chambre du milieu et dans le secret et la connaissance.

C'est en abandonnant, en élaguant des pans de mon Ego ; c'est en tuant en moi, le "mauvais compagnon", que je vais modifier mes comportements et par cette prise en mains de ma conscience, relever le maître intérieur que j'ai tué.

Je conclurai avec Jacques TRESCASES que "toute démarche initiatique tend à purifier l'adepte des passions et préjugés responsables de sa mort spirituelle et cette rectification préalable faite, ressusciter l'Esprit que le profane avait assassiné.
Car de même que notre Maître Hiram, qui représente ce qu'il y a de meilleur en chacun de nous, peut constamment se suicider, s'invertir et se pervertir, de même en un instant, il peut ressusciter."

Je suis prête Mes Sœurs, si toutefois vous m'en reconnaissez digne, à poursuivre avec vous mon avancée sur le chemin initiatique de la connaissance et de la conscience.

J'ai dit,
 
E\ G\

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