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Maître et Disciple

Si j’ai frappé à la porte d’un temple voici quelques années, c’est parce que je cherchais la lumière et que j’espérais la trouver parmi vous.
Si je suis ici ce soir c’est que cet espoir ne m’a pas quitté : la F\M\ reste pour moi une authentique école initiatique.
Je viens à chaque tenue pour poursuivre avec vous une recherche personnelle que j’ai entreprise voilà maintenant presque 25 ans.

Cette quête personnelle m’a fait emprunter des chemins divers à côté de celui de la F\M\. Sur ces chemins, comme dans de nombreuses traditions de spéculation spirituelle, j’ai souvent rencontré le couple Maître/Disciple.

À force de le côtoyer, de le voir évoluer, de participer à sa nature, ce couple Maître/Disciple m’est apparu comme étant à la fois le lieu, le sujet agissant et le moteur de la transmission ésotérique.

C’est pourquoi, pour rester dans un des axes essentiels de la F\M.\, « Transmettre la Tradition », je vous propose ce soir, mes frères, ma contribution sous la forme de l’état de ma réflexion sur cette relation Maître/Disciple, suivie d’un rapprochement avec ce que je peux dire sur le couple Maître Ma\ Apprenti Ma\.

Cependant avant d’aller plus loin, je voudrais attirer votre attention sur un point que je trouve essentiel.

Avant chaque prise de parole en loge, comme ailleurs, je crains toujours que parler pour essayer de transmettre soit une entreprise vouée à l’échec : mes mots ne sont pas les vôtres ; mon acception des termes que j’emploie n’est pas la vôtre ; mon référentiel personnel forge le sens que je donne à mon expression, les mots eux-mêmes sont parfois connotés si fortement que nous avons bien du mal à les entendre pour ce qu’ils sont. Notre écoute se trouve polluée par nos a priori.

De plus, la Tradition nous enseigne que celui qui sait ne parle pas et que celui qui parle ne sait pas. Quel terrible adage !

C’est bien sûr largement vrai, mais nous n’avons pas beaucoup d’autres moyens d’échanger dans ces courts laps de temps que nous laissent nos deux réunions mensuelles.
Qui plus est, je suis intimement convaincu que l’on peut transmettre un certain nombre d’éléments, de savoirs, de ressentis par les mots ; bref que la transmission n’est pas, malgré tout,   un mot complètement vide de sens.

La relation du Maître et du Disciple est, en fait, toute empreinte de cette espérance et voilà pourquoi je voulais l’évoquer devant ce soir.
Puisque le contrat sémantique est si important, commençons par les mots.

Qu’est ce qu’un maître ?

L’étymologie nous dit que le mot vient de cette langue sans doute mythique, l’indo-européen et du mot mag, qui a donné mega en grec et majus en latin, c’est-à-dire grand, puissant. Le mot donne également majesté et majuscule. Vient s’y ajouter un suffixe « ter », suffixe qui exprime la mise en opposition à l’environnement. L’ensemble peut donc signifier : celui qui est grand parmi les siens.

Mais le maître est aussi celui qui maîtrise, c’est-à-dire qui contrôle la situation, les gens, le pouvoir, le savoir.
C’est bien ce terme que caractérise l’état du compagnon qui reçoit son salaire : ses pairs, vous et moi l’avons reconnu maître d’un savoir minimum et capable d’avancer dans cette maîtrise suffisamment pour se rendre digne de siéger à nos côtés.
Ce mot se retrouve dans bon nombre de nos expressions courantes : maître d’école, maître-queux, maître de soi, maître à penser, etc...

Qu’en est-il du disciple ?

Le mot disciple vient du grec « diké » qui signifie montrer la voie juste ; le disciple est donc celui qui suit la voie juste qu’on lui a montrée. La discipline est la technique qui permet de suivre la voie juste.

Ces origines sémantiques sont importantes pour la réflexion car elles soulignent deux éléments essentiels :
-                   le maître n’existe que par rapport aux autres,
-                   et d’autre part, le disciple ne peut exister que si quelqu’un lui montre la voie.

Ces origines étymologiques éclaircies, que dit la Tradition ? Elle parle beaucoup dans la transmission initiatique du rôle du Maître.

Je ne ferai pas de compilation des textes classiques, mais l’une des phrases les plus fortes me semble être :
« Quand l’élève est prêt, le maître apparaît ».

Bien sûr, il y en a beaucoup d’autres, mais celle-ci met en lumière à la fois le lien, la complémentarité et la part de chacun, le tout en liaison étroite avec l’étymologie.

C’est donc le disciple qui révèle le maître. C’est-à-dire que le maître ne révèle sa nature que dans sa relation au disciple.
On ne peut être « maître » en soi, on ne le devient que dans le couple maître/disciple, quand le maître accepte d’endosser son rôle face à la demande du disciple.

Sans disciple, un homme peut être savant ou sage, mais pas maître.

Et qu’est ce que le disciple cherche dans le maître, le rabbi, le grand parmi les siens ?

Des réponses.
Des réponses aux questions qu’il se pose et qui le font sortir de ses habitudes.
Des questions sur Le sens.

Soudain, au milieu de sa vie ordinaire, qu’elle soit douce ou difficile, la question surgit, incontournable :

- Quel est le Sens ? Le Sens de ma vie, de mes actions ? Le Sens de la Vie, de l’univers ? Pourquoi ça plutôt que rien ?

Bien sûr, on peut trouver des réponses dilatoires du genre : c’est le hasard ou la nécessité.

Mais arrive un moment, Le moment où l’homme ne peut plus esquiver : l’angoisse jointe à l’espoir le poussent dans une quête, le plus souvent dans des territoires inconnus de lui, hors des routes qu’il fréquente habituellement.

Et quand il sent au plus profond de lui que son aspiration à une existence solidement assurée est totalement étrangère à la vérité de sa Vie, quand il accepte de voir les conflits entre sa recherche personnelle et les exigences de son environnement social, quand la nuit est devenue vraiment obscure, alors du fond de son cœur apeuré, il appelle le maître.

Car, sans en être vraiment conscient, le disciple sait que, quelque part, il existe un autre être qui peut l’aider à trouver les réponses.

Ce maître que le disciple cherche est un homme qui pourra l’aider à trouver son Sens. Et la rencontre se fera sur cette reconnaissance intime et individuelle. Cela n’a rien à voir avec l’admiration

Voilà un maître : il est libre, il est juste, il est juste dans ses paroles, il est juste dans ses actes, il exprime dans tout son être le Sens.
Il est humble dans sa propre quête et en même temps fier d’être un modeste serviteur de la Lumière.
Il marche dans la Voie et je veux marcher à ses côtés.
Il m’a regardé et il m’a reconnu.

Oui, le maître m’a reconnu : il lit dans mon cœur et il voit dans mon angoisse, l’angoisse qu’il a connue.
Il reconnaît en moi l’Etre essentiel qui cherche à se manifester.
Il sait qu’il ne possède pas la connaissance mais qu’il est possédé par la Vie et que la Vie ne cherche que l’épanouissement.
Il sait qu’il doit transmettre à qui veut, à qui peut recevoir.
Il sait que ce qui n’est pas donné est perdu et meurt.
Alors, après que le maître se soit assuré de la profondeur de l’engagement du disciple, la relation se met en place et la transmission peut commencer.
L’enseignement par le verbe reste le plus souvent la base, le terreau nourricier sur lequel va pouvoir se développer la transmission.

Bien sûr, le noyau essentiel de la transmission ne passe pas par l’intellect. C’est dans la fréquentation régulière du maître que se fera le travail. Et il faudra toute la puissance, la magie de la relation d’Amour entre le maître et le disciple pour que l’expérience du maître vienne enrichir le disciple, le préparer à sa propre expérience qui viendra... peut être... un jour...

Car, seule l’expérience personnelle directe permettra au disciple de rejoindre le maître, non pas dans ce qu’il est, mais dans sa nature de maître pour devenir à son tour un transmetteur.

Ce couple que je viens de présenter très sommairement, figé dans ses rôles, est bien sûr beaucoup plus complexe dans la réalité ; en particulier, le maître est maître pour son disciple, mais il reste aussi un disciple pour son propre maître qui même ……
Rabbi Hanina dans le Talmud dit : « J’ai beaucoup appris de mes maîtres, plus encore de mes compagnons d’étude, mais ce sont mes étudiants qui m’ont le plus appris. »

Le Maître reste toujours en chemin parce qu’il sait justement que la Voie est le chemin. S’arrêter, c’est croire que l’on est arrivé, c’est retomber dans le monde profane et perdre la notion du sacré.

En quoi maintenant ce couple maître/disciple peut concerner le F... M... ?
En rien, répondent certains frères: la F... M... ne connaît pas de maîtres, seul existe l’atelier et la pratique du rituel.
Pourtant, au risque de passer à leurs yeux pour un hérétique, je pense qu’au contraire, il y a bien matière à réflexions avec un « s ».

D’abord, pour reprendre les mots si importants, ne sommes-nous pas des maîtres ou dénommés tels ? Ou au moins, n’aspirons nous pas à le devenir ? Comment sommes-nous devenus maîtres ? Comment avons-nous progressé de l’état d’apprenti à celui de compagnon puis de maître ?

Pourquoi diable, alors que les opératifs ne le pratiquaient pas, avoir été chercher ce mot parmi tant d’autres possibilités ? Compagnon est un mot qui possède bien des qualités et un sens fort. Mais nos anciens ont choisi de reprendre le mot de « maître ». Ce n’est sûrement pas un hasard.

Seul l’atelier existe, me dit ce frère.

Fort bien, mais personnellement je n’ai jamais entendu le son de sa voix. J’ai en revanche entendu, écouté, bu les paroles d’hommes libres et de bonnes mœurs que j’ai trouvés, que je trouve encore porteurs de Sens.

Nous ne devons transmettre que le rituel et sa pratique, me dit celui-là.

Fort bien, mais alors pourquoi avoir investi des sommes aussi importantes dans des temples matériels pour nous retrouver chaque quinzaine alors qu’il suffirait de distribuer des opuscules et de les lire chacun pour soi dans le premier pré venu ?
Le GADLU y est aussi présent qu’ailleurs.

Cependant, si nous sommes réunis ce soir comme à l’accoutumé dans cet atelier, c’est que la présence des frères, le rapport intime qui se noue grâce à la fraternité que nous avons pris l’engagement de mettre en pratique sont des éléments déterminants de ce qu’est la F ... .M .... Et, d’ailleurs, au-delà des dogmes, les surveillants sont bien très formellement en charge d’un enseignement envers les apprentis.

Je crois au contraire que des hommes libres et de bonnes mœurs peuvent comprendre que l’adoration béate stérilise ; que l’homme, même initié, reste un homme et que son ego doit être tenu en laisse ; que le pouvoir corrompt plus sûrement que l’acide pour qui se laisse séduire par ses hochets.

Le maître Maçon est donc invité par tous nos textes à être un maître : il reconnaît par ces textes fondateurs qu’il a reçu la Lumière, non pas celle, bien sûr, qui jaillit quand je tourne l’interrupteur, mais celle du Big Bang, celle qui transperce les apparences, celle qui dissoud l’ego. Il reconnaît que la Vie est l’expression d’un Plan et qu’il est, lui, homme, poussière irremplaçable, capable de créer un autre maître par le pouvoir dont il s’est investi.
Nous devons poursuivre au-dehors ce que nous avons entrepris au-dedans : du temple sans doute, du temple intérieur peut être ?

Nous devons également assurer notre relève et trouver dans les profanes des êtres initiables.
D’ailleurs, est-ce vraiment nous qui les trouvons, ou bien est-ce eux qui nous trouvent, ou bien est-ce le G.A.D.L.U. qui nous fait les rencontrer ?

Je pense également que l’apprenti est un disciple qui cherche un maître : il en a toutes les caractéristiques.
Il est à la recherche du sens de sa vie, du Sens de la Vie. Et si un jour, comme vous et moi, il frappe à la porte d’une loge maçonnique, c’est pour demander la lumière qui éclairera son chemin, qui lui donnera le Sens.

Bien sûr, nous ne sommes pas dans un ashram indien, et je ne parle pas de gourou, bien que ce terme sanscrit soit bien mal compris. Mais l’occident a aussi sa propre lignée de maîtres qui n’étaient pas tous forcément dominateurs ou pédants.

J’ai beaucoup reçu de maîtres maçons qui ont accepté en toute humilité et avec force de jouer leur rôle de maîtres envers l’apprenti que j’étais et que je reste encore auprès d’eux. Je ne pense pas que cela soit ni de la fausse modestie de ma part ni de la prétention démesurée de la leur.

J’apprends à leur contact parce que leur propre cheminement me fait sortir de mes sentiers battus et me pousse à regarder dans d’autres directions. Les outils que sont l’écoute, le respect de l’autre et de ses opinions, me permettent de mieux profiter de leur différence parce qu’ils s’ouvrent à moi. Leur route, différente de la mienne, me conduit à des interrogations inattendues sur ma propre voie.

Dans le même temps, j’ai été terriblement frustré par certains maîtres qui esquivent cette relation, refusant de livrer leur expérience personnelle dont je présume toujours aujourd’hui l’importance. Je comprends que leur vision de leur rôle soit autre. Pourtant, je reste convaincu que leur propre démarche éclairerait mon chemin.

Quel dommage, quelle perte pour l’apprenti !

Les apprenants que nous sommes, si nous sommes vraiment en quête, viennent chercher ici une meilleure compréhension de leur propre sens, pour mieux jouer leur rôle dans le plan de l’Architecte.
Et c’est en mettant à la disposition des autres chercheurs notre propre expérience que nous pourrons nous faire progresser mutuellement. Le mythe de l’atelier seul maître n’est que le symbole d’un rabot toujours prêt à aplanir nos orgueils. L’atelier n’a pas d’autre réalité que celles des maçons qui le composent.

Et le G.A.D.L.U. n’y est pas davantage présent qu’ailleurs.

Alors mes frères, acceptons totalement notre rôle de maître, acceptons d’être tour à tour maître et disciple, nous transmettant des parcelles de la Lumière pour Sa plus grande gloire.

Pour achever provisoirement cette réflexion, je vous soumets une image proposée par Marc-Alain Ouaknin dans son livre « Mystères de la Kabbale » :

-«  L’expérience réussie de la Kabbale se traduit au niveau cosmique par la réunion des hommes et du Créateur. Et s’Il résidait dans le Temple entre deux chérubins, c’était pour nous apprendre que les relations entre les hommes sont la source de la descente de l’influx divin dans le monde : il en est ainsi de toute relation d’amour , homme / femme, maître / disciple. »

Enfin voici quelques lignes de Sédir sur le maître et son disciple :

-                   Quand tes ennemis t'accablent, quand tes amis te délaissent, quand tes fils te méprisent, quand tes chefs t'exploitent, quand ton idéal t'échappe, quand toute force en toi, tout désir, toute volonté se ralentit, tremblote et va s'évanouir, ne crains point : c'est là le premier cri d'appel du Maître qui, sans que tu le saches, t'a vu passer dans le vallon, et t'a élu du sommet radieux de la montagne mystique.
-                   Sois heureux dès lors, dans ton agonie ; et commence à tourner vers l'Ami anonyme le regard de ton âme. Ton chemin bifurque, et dès ce moment tu marches vers la béatitude prochaine.
-                   Ne t'enquiers point de ce Maître avec ton intelligence, tout alourdie de préconçus, toute ligotée de systèmes, tout indécise entre mille images brisées du Vrai permanent : cherche-Le avec ton coeur, avec ton pauvre coeur meurtri, avec ton précieux coeur que chérissent les Anges.
-                   La minute arrive où Il va t'apparaître : sous les haillons du mendiant, sous l'uniforme du prince, beau comme le séraphin, ou marqué des stigmates de la fatigue, de l'âge ou des martyres ; il n'importe. Ne considère pas l'apparence ; écoute ton coeur (…).
-                   Mais que de nuits désolées avant la pourpre radieuse de cette aurore ! Il n'importe ; le chercheur constant et passionné la verra resplendir dès que les ténèbres auront atteint la limite de leur obscurité, car il est écrit :
-                   « Je viendrai comme un voleur ».

Vénérable Maître, j’ai dit.

M\ H\


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