Obédience : NC Loge : NC 28/02/2005



En quoi Hiram est-il un Maître pour nous ?
Le crime était presque parfait


Comme le Christ, Hiram n’a pas laissé de paroles écrites mais des actes. Il a été utilisé par ses disciples et est devenu une figure emblématique de la F\M \ malgré lui, après sa mort. Si le Maître est bien celui qui transmet quelque chose par des gestes et un comportement, une parole, une relation privilégiée aussi, faudrait–il s’interroger sur ce que Hiram représente pour nous.
Est-il vraiment notre Maître, cet Hiram de la tombe duquel nous sommes nés nous-mêmes à l’état de Maître ? Sa légende n’est-elle pas surtout un récit symbolique qui nous aide à devenir conscients de nos devoirs, à réaliser également que  ceux qui œuvrent            pour le Progrès de l’Humanité ont des adversaires redoutables : ignorance, fanatisme et je dirais surtout, ambition et goût du pouvoir incarnés par      3 mauvais compagnons

La fin tragique d’Hiram nous présente un modèle, celui que nous devons suivre une fois Maîtres comme lui : il est celui qui accepte de mourir pour sauver le secret des Maîtres et ne pas le laisser tomber entre de mauvaises mains.
La mort d’Hiram nous pose plusieurs questions : la mort du Maître n’aurait-elle pas valeur éducative ? Ne serait-il pas inévitable que le disciple intervienne plus ou moins dans sa mort ? La mort du Maître ne serait-elle pas nécessaire pour que le disciple s’accomplisse ? Et n’aurait-elle pas une dimension sacrificielle ?
Hiram meurt sous les coups de 3 mauvais compagnons avant de renaître à l’Humanité : il se situe dans la lignée des dieux solaires Osiris, Mithra, le Christ, qui ont connu la Passion et la Mort. Sa mort est apparemment inutile et ne prendra son sens qu’après la putréfaction et la (re)naissance d’un nouveau Maître. Ce Maître hors du commun accepte le sacrifice de sa vie terrestre pour que chacun prenne conscience de la parcelle de Lumière qu’il porte en lui.
L’aboutissement sacrificiel est toujours une victime de substitution (ici, le récipiendaire substitué à Hiram), une violence de rechange pour éliminer la violence intestine des membres de la communauté (les 3 mauvais compagnons) et en restaurer l’harmonie. Cette mort sacrificielle fonde la F\M\. Hiram meurt en nous-même pour que naisse un Maître nouveau.
Le mythe laisse supposer que l’émergence du Maître se fait nécessairement par la disparition d’Hiram, par son sacrifice consenti ou par son meurtre. Mourir, fût-ce symboliquement, pour rendre possible la création, l’existence de l’autre n’est-ce pas un moyen d’accéder à la mythification, à l’idéalisation à l’icônisation ?
Hiram mort devient pour l’éternité le modèle, celui auquel il faut ressembler. Que serait devenu Hiram s’il avait vécu ? Aurait-il été capable de poursuivre son œuvre ?

Le mythe d’Hiram est central dans la F\M\. Il en est la pierre de touche. On pourrait presque dire que ce n’est pas la F\M ; qui est à l’origine du mythe d’Hiram, mais le mythe d’Hiram qui a inventé la F\M\.
Longtemps ce récit reçut une interprétation morale et ses exégètes mirent en valeur le sens du devoir du chef de chantier qui, au péril de sa vie, refuse de donner le mot de Maître aux mauvais compagnons qui veulent l’obtenir sans l’avoir mérité.
Le champ de l’interprétation est large, me semble-t-il et le mythe d’Hiram a le mérite de susciter le questionnement. En loge tout doit être, tout ne peut être que question. Parce que ce qui fonde la F\M\ est la recherche, l’interrogation incessante, parce qu’aussi ce qui fait qu’une histoire est un mythe est la possibilité et le désir de la relire, de la revivre encore et d’y redécouvrir encore et encore une nouvelle incarnation de notre vie, de notre esprit.

Première question, ce texte constitue-t-il une légende ou un mythe ?
Dans les deux cas, il s’agit de récits qui mettent en scène des éléments merveilleux. Mais légende et mythe sont deux genres de textes tout à fait différents. Une légende est un texte qui " doit être lu ", donc qui peut servir d'exemple, qui comporte une morale. En revanche, le mythe est un récit destiné à expliquer le monde ou une partie du monde. Une légende est morale, un mythe est métaphysique ou éthique.
Or, si le texte hiramique paraît moral (les commentaires traditionnels le poussent dans ce sens, les 3 compagnons étant censés représenter le fanatisme, l'hypocrisie et l'ignorance) on est quand même en droit de se demander quelle morale on peut en tirer. La signification morale de cette histoire n'est pas évidente.
En revanche, on voit bien que ce récit explique un certain nombre de choses dans le rituel et dans le symbolisme maçonniques. Il justifie tous les mots ou presque, attouchements et signes des 3 premiers grades. Ainsi le mythe d'Hiram justifie des pratiques et explique cet univers particulier qu'est le rituel maçonnique.

Peut-on rapprocher ce mythe d'un autre type de mythe connu ? Le premier auquel il est souvent fait référence est celui des dieux ressuscités : Jésus-Christ, Osiris. A un détail près : Hiram ne ressuscite pas. S'il se réincarne dans le corps d'un nouveau Maître, c'est parce que ce dernier choisit de s'identifier à lui et non parce qu'il est habité, hanté par l'esprit du Maître assassiné. La problématique du mythe d'Hiram est une problématique de transmission et non de révélation. De même, le meurtre d'Hiram ne peut être confondu avec un sacrifice propitiatoire, lequel est accompli dans certains anciens rituels pour garantir la réussite d'un projet et prend donc nécessairement place avant le projet et non après. A l'époque du meurtre, le temple est presque achevé. Exit donc le sacrifice rituel !
Plutôt que de chercher à rapprocher, comme on le fait souvent, le mythe et le rite maçonnique de mythes et de rites antérieurs, il importe d'en souligner la nouveauté et l'originalité, même si effectivement on peut entendre dans le mythe d'Hiram comme des échos de récits plus anciens. Mais ces échos-là, ne les entend-on pas dans tous les récits ?
Echos antiques, mais aussi médiévaux qui font de ce mythe apparu dans le 1e quart du 18e siècle, un trait d'union entre les corporations de maçons opératifs et la maçonnerie spéculative.

La notion de mythe demande à être précisée. En dépit du mode anecdotique généralement adopté, on ne sait rien ou peu de choses sur la vérité historique de l'évènement. La vérité du mythe concerne la réalité de l'être et non l'authenticité de l'évènement historique, en fait, un mythe c'est ce qui n'a jamais existé, mais qui sera toujours.
Evènement mythique :
-          le mythe offre un modèle exemplaire (Hiram)
-          le mythe crée le modèle à partir d'un évènement qui est arrivé (l'assassinat du maître par 3 compagnons)
-          le mythe exprime une réalité de l'être : la vérité du mythe est dans cette réalité

Examinons les différents aspects du mythe d'Hiram qui offre un large champ d'investigations. Si Hiram perdure dans la mémoire c'est bien parce qu'il fut assassiné d'étrange façon par 3 mauvais compagnons. Sa disparition tragique ouvrant une ère nouvelle de recherche de la Connaissance.
Le secret détenu par Hiram ne lui appartient pas personnellement puisqu'il ne peut le transmettre sans l'aide de ses frères. Par ailleurs, un secret ne peut être valablement transmis qu'à quelqu'un qui est prêt à le recevoir, quelqu'un reconnu digne par son travail et sa valeur personnelle et qui dispose des qualifications requises.
Transmettre à ces compagnons indignes qui le menacent, le mot de maître, c'est trahir la tradition dont il est le gardien et courir le risque de perturber la bonne marche de la construction du temple.
Hiram ne se sauve pas pour se sauver, mais pour préserver la tradition dont il est un des agents de transmission " plutôt la mort, dit-il, que de dévoiler le secret qui m'a été confié".

Une petite digression éthymologique nous aidera à saisir la nature même d'Hiram.
L'origine de son nom semble être phénicienne et à rapprocher de la racine hébraïque alef – heth – rech – mem = Ahiram qui signifie "Frère élevé, Frère exalté ou Frère de l'élévation". La signification du nom est tout à fait en rapport avec la nature de celui qui le porte. Hiram est élevé parce qu'il a accepté le sacrifice de sa personne au nom d'une cause supérieure. Il est élevé par sa connaissance.

L'exaltation à la Maîtrise, c'est la reconstitution du meurtre d' Hiram.  Que dit le mythe ? L'action se déroule dans le Temple de Salomon vers 960 av. JC, plus précisément à l'intérieur du Temple, alors que les travaux s'achèvent.
D'un côté, 3 mauvais compagnons inquiets de ne pas être Maîtres à l'approche de la fin des travaux du Temple. 3 mauvais compagnons dont nous ne connaissons pas le nom, l'âge et le métier (en tout cas pas dans notre rituel), mais qui par principe sont mauvais. De l'autre côté, Hiram ou Hiram Abi, célèbre architecte envoyé au roi Salomon par Hiram roi de Tyr pour diriger les travaux du Temple de Jérusalem.
Tout d'abord débarrassons-nous de deux interprétations liées au complot qui aurait visé Hiram.
La 1e hypothèse est largement développée par G. de Nerval dans Le Voyage en Orient. Balkis, reine de Saba, en visite sur le chantier du Temple de Jérusalem, serait tombée amoureuse d'Hiram. Salomon, jaloux, aurait fait assassiner Hiram.
2e hypothèse : Salomon fait tuer Hiram et les ouvriers afin qu'ils ne puissent pas entreprendre une autre construction. C'est ce que dit le Talmud et qui était par ailleurs une pratique parait-il répandue depuis l'Egypte.

Autre interprétation, de type freudien, avec deux variantes :
La 1e est basée sur "Je tue le père", passage obligé de la construction physique humaine. Dans la Bible, les Chroniques parlent d'Houram Abi, Abi signifiant "mon père" que l'on traduit généralement par "Maître".
Il n'y a pas de disciple sans maître et un maître qui n'a pu former que des disciples qui demeurent disciples, meurt naturellement avec eux. Donc, le disciple ne doit –il pas tuer le Maître pour devenir Maître à son tour ? Le Maître doit-il accepter la mort ?
Non seulement il doit l'accepter, mais même dans certains cas la provoquer. *Ce qui pose la question : Hiram, était-il un bon Maître ?

Une autre variante de cette interprétation peut être la prise de pouvoir par les Maîtres, eux-mêmes commanditaires du meurtre.
Oui, mais pour quel mobile ? Quel intérêt de tuer Hiram qui sait, ordonne et dirige ?
Ainsi disparaît la Maîtrise sous la dépendance d'un seul homme. Le pouvoir est partagé par l'ensemble des Maîtres et la chambre du milieu. Le Vénérable étant seulement le représentant de la loge. Hiram devient un mythe, c'est pourquoi, il faut retrouver son corps. Dans cette hypothèse les mauvais compagnons participent à l'émancipation de l'ensemble des maîtres

Abordons la version officielle. A l'approche de la fin de la construction du Temple, 3 compagnons veulent connaître les mots, signes et attouchement des Maîtres et s'adressent à Hiram. Il aurait pourtant été peut-être plus simple d'interroger un autre Maître, plus facile à circonvenir.
3 mauvais compagnons pas très futés, car ils plantent une branche d'acacia et abandonnent leurs outils près du tertre où est enterré Hiram. C'est le crime de la bêtise : d'une part, ils n'ont rien soutiré à Hiram et d'autre part, ils signent leur crime.
Ces 3 mauvais compagnons représentent allégoriquement l'ignorance, l'hypocrisie, l'ambition, ou bien l'ignorance, le fanatisme, l'envie ou encore l'inconscience, la concupiscence et la haine.
C'est l'opposition entre le courage et l'incorruptibilité d'une part et d'autre part la bêtise.
Comment expliquer qu'une fois leur meurtre commis, et le corps enseveli, les meurtriers signent leur forfait avec autant d'application ? La plantation d'une branche  d'acacia amène à la découverte de la sépulture, les outils abandonnés les désignent.
Pourquoi auraient-ils désiré que le corps soit découvert, puisqu'ils avaient pris la peine de l'enterrer loin du Temple ? Pourquoi ne pas le laisser en vue, à côté de l'édifice en construction ? Pourquoi faciliter la tâche aux Maîtres partis à la recherche d'Hiram et qui ne peuvent que devenir les ennemis des 3 compagnons et ne nourrir à leur égard qu'un désir de vengeance.
Est-ce parce que, conscients de l'inutilité de leur crime d'une part et envahis par la culpabilité, ces compagnons éprouvent le besoin d'être punis pour expier leur faute ?

Ce mythe nous enseigne une chose : le F.M. doit être prêt à tous les sacrifices plutôt que de faillir à son devoir. Nous sommes tous de mauvais compagnons. Il reste toujours une part de mauvais en nous.

Si Hiram était aussi sage et clairvoyant que l'on dit, il aurait dû déceler ce complot.
Il ne faut pas oublier qu' Hiram a embauché ces ouvriers, voire les a initiés et élevés au grade de compagnon. Comment doit-on comprendre ce mauvais choix ?

Penchons-nous sur le moteur de l'action de ces 3 mauvais compagnons : il y a chez eux une volonté impérieuse de s'accaparer ce qu'ils ignorent. Est-ce pour singer le Maître ? Immatures, ne pouvant pas attendre le temps de leur augmentation de salaire, ils démontrent qu'ils manquent de persévérance, de patience autant que de discernement et de réelles capacités. Cela étant, ces carences sont-elles suffisantes pour justifier leur aveuglement à commettre l'irréparable en éliminant physiquement un être qu'ils sont censés respecter et aimer comme Maître ayant fonction d'instructeur et de guide sur le chantier.
Ces motifs paraissent disproportionnés par rapport à l'acte commis. On ne peut trouver qu'un commencement d'explication que si l'on admet que ces 3 compagnons n'étaient pas aptes à recevoir l'initiation; ce qui pourrait alors expliquer le détournement des forces qu'ils vont mettre en action avec tant de violence. Parmi les interrogations et observations que fait apparaître ce mythe, on peut considérer, entre autres choses, que si ces 3 compagnons n'ont rien compris à l'œuvre qu'ils avaient à réaliser et que l'on doit les considérer inaptes à développer en eux les qualités initiatiques, la question se pose sur leur degré de responsabilité. Celle-ci semble davantage revenir à ceux qui ont la charge et le devoir de recrutement sur le chantier, dont le maître d'œuvre, Hiram lui-même.
Responsabilité du recrutement mais également de l'instruction, de la transmission par le Maître.
Ceci nous amène à penser qu'Hiram et les autres maîtres portent directement la responsabilité de sa fin tragique avec toutes les conséquences qu'elle comporte.

La mort d'Hiram possède au moins trois significations : morale, symbolique et initiatique.
Sur le plan moral, c'est celle d'un homme qui sacrifie sa vie pour garder un secret. Au plan symbolique, c'est l'illustration de la parole du Christ " En vérité, en vérité, Je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
Le plus important est sa signification initiatique. Le récipiendaire, tour à tour soupçonné puis éprouvé, comprend qu'en lui "le vieil homme" est mort et qu'un "nouvel homme" est né, qui va s'engager dans une quête spirituelle.

Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un assassinat prémédité, perpétré avec une violente détermination par 3 compagnons indignes, qui bien qu'allant jusqu'au bout de leur acte sèment, au lieu de les dissimuler, les indices qui sont autant de preuves de l'identité des coupables. Le crime aurait pu être parfait. Est-ce le remord, la culpabilité ou au contraire l'orgueil, la vanité qui poussent les 3 mauvais compagnons à signer leur crime, se désignant ainsi comme coupables ? Ces 3 compagnons s'exposent donc à un inévitable châtiment. Pourquoi ? Mais de cela, le rituel d'élévation à la maîtrise ne parle pas.

J'ai dit.

I\ M\

7068-J L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \