Obédience : NC Loge : NC 26/02/2007
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Hiram, ordo ab chao

Cette planche se présente sous la forme d’une phrase nominale, sans verbe, peut-être faut-il déjà y voir là comme le prélude à la recherche du mot, de la parole perdue…

Quels liens entretiennent le mythe d’Hiram, et  la devise de l’ordre maçonnique en général « ordo ab chao »  ?

En guise d’introduction, traduisons la citation latine et structurons  notre réflexion à venir.

La traduction en langue française d’« Ordo ab chao » est l’ordre provient du chaos. Notre planche s’intitule donc en français : « Hiram, l’ordre provient du chaos».

 Livrons nous à présent à un exercice de parallélisme des formes. Le résultat de cette gymnastique intellectuelle pourrait être le suivant : « la relève d’Hiram provient de sa mort, l’ordre provient du chaos ».   

Nous sommes désormais confrontés à deux questions essentielles :
1ère question : la mort d’ Hiram représente-t-elle un chaos ?
2ème question : la relève d’ Hiram participe-t-elle à l’émergence de  l’ordre ?

Venons-en à la 1ère question : la mort de Hiram représente-t-elle un chaos ?

Hiram est-il vraiment mort ?

Assurément, oui ! Trois mauvais compagnons ont éliminé physiquement le Maître, c’est-à-dire,  celui qui avait fonction d’instructeur et de guide sur le chantier.

En assassinant Hiram, non seulement les mauvais compagnons n’obtiennent pas pour eux les secrets de la maîtrise, mais de plus et surtout, ils privent définitivement les générations de compagnons à venir de l’accès à la connaissance.    

Comment ne pas en être stupéfaits et accablés, comme en témoigne le signe d’horreur « Ah seigneur mon Dieu ! »  ?

Quelles sont les conséquences de cette mort ?

Nous ne pouvons plus lire les plans que Yahvé a donné à Salomon pour construire le Temple. La chair a quitté les os, il ne reste plus que le squelette de la tradition. Tout s’est désuni , c’est la rupture, la dislocation, la brisure d’une œuvre en cours d’élaboration.

C’est aussi la perte de confiance dans la classe de compagnons.
C’est enfin la rupture dans la chaîne de transmission du mot de maître ; la parole est perdue, définitivement.
Dés lors les enfants de la veuve ne sont-ils pas condamnés par un Dieu moqueur  à peindre sur les ténèbres dans un caveau d’insondable tristesse ?
La mort n’a-t-elle pas, en définitive, comme  toujours  le dernier mot ? Que faire contre la flèche du temps  bien acérée et qui atteint toujours sa cible ? 

La  tasse de thé se refroidit, le  morceau de glace fond sous la chaleur du soleil, la goutte d’encre se dilue dans l’eau d’un verre. Les pierres de la cathédrale gothique en ruine se brisent en mille morceaux. Les événements ne se produiront pas en sens inverse : les morceaux pierre ne se rassembleront pas pour redonner à la cathédrale son ancienne splendeur.

L’organisation de la belle cathédrale gothique est de loin supérieure à celle du tas de pierres informe qu’elle est devenue. 

En définitive, comme l’écroulement de la belle cathédrale gothique,  la mort d’Hiram semble créer un désordre absolu et je suis tenté d’inverser la formule : Hiram, chao ab ordo.

Mais essayons d’aller plus loin et interrogeons-nous : pourquoi Hiram est-il mort ? l’intérêt ne commandait-t-il pas qu’il vive, à tout prix  ?

Certes, il est un instinct apparent pour la vie ; mais, il est un instinct plus fort, mais moins visible,  celui de la permanence : Hiram a échangé sa vie contre plus haut qu’elle, sans que rien ne lui soit enlevé, bien au contraire.

Le maître a donné sa vie au temple qui fait son chemin dans les siècles, il s’est échangé contre le temple pour préserver la tradition, il aimait véritablement.

Plutôt la mort, dit-il que de dévoiler le secret qui lui a été confié. En ce sens,  ce qui eut été un désordre absolu fut que Hiram révélât le secret de la maîtrise; dans ce cas, les compagnons s’en seraient allés, certes enrichis de leur morceau de temple ; mais ces morceaux de temples au fond seraient  devenus de  simples gravats insignifiants car dépossédés de leur part divine.

Hiram a sacrifié sa vie pour nous, pour nous libérer de la peur de mourir, enseignant que l’essentiel réside dans l’œuvre réalisée et non pas dans l’existence de nos personnes. De ce point de vue, la vie d’Hiram prend tout son sens dans l’accomplissement de sa mort.

Dans ces conditions, la mort d’Hiram, bien au delà de son caractère désastreux, intolérable et insupportable, était une absolue nécessité pour qu’il puisse s’incarner en nous. Loin de clore, la mort d’Hiram nous fait éclore comme Maître.

Comment oser espérer devenir Maître sans affronter la déchirure symbolique de la  mort ? L’Esprit n’acquiert sa puissance que lorsqu’il ose regarder ce négatif en face et qu’il accepte de séjourner auprès de lui.  C’est l’esprit qui doit diriger la matière connue et maîtrisée, à l’image du compas, ouvert à 60 ° qui recouvre complètement l’équerre.

« Il faut savoir mourir pour naître à l’immortalité » résumait Gérard de Nerval dans le Voyage en orient, évoquant le mythe de la mort d’Hiram.

En ce sens, la mort d’Hiram est un véritable chaos, le tohu-bohu de la genèse, le mélange primordial d’ordre et de désordre. Souvenons-nous des paroles d’Hésiode : « le premier de tous les êtres fut le chaos, puis la terre au large sein comme s’il fallait qu’il existât d’abord une place pour les êtres».

Symbole type du mythe solaire associé au cycle de la végétation, Hiram doit mourir pour renaître aussi radieux que jamais.  Le rituel l’exprime bien : « Soyons remplis de joie, mes frères, la lumière est revenue. Notre maître a revu le jour, il renaît plus fort que jamais en la personne de notre frère … ».

Il n’y a pas lieu de désespérer : il n’est jamais que perpétuelle naissance. La chenille meurt quand elle forme sa chrysalide, la plante meurt quand elle monte en graine. 

Et certes il existe l’irréparable, mais il n’est rien là qui soit triste ou gai, c’est l’essence même de ce qui fut. Est irréparable ma naissance puisque je suis là. Le passé est irréparable, mais le présent m’est fourni comme matériaux en vrac aux pieds du bâtisseur que je suis et c’est à moi d’en forger l’avenir avec mes frères.
 
Nous abordons là  déjà la deuxième question de la planche : la relève  d’Hiram participe-t-elle à l’émergence de  l’ordre ?

Avant  d’apporter des éléments de réponse, essayons de définir l’ordre.
 
La définition de l’ordre est complexe : une page complète de très petits caractères  pour décliner les définitions dans le Petit Robert.

Quittons l’objectivité complexe du dictionnaire pour entrer dans le subjectif : pour moi, jeune Maître maçon, qu’est-ce que l’ordre ?

Pour moi, l’ordre c’est d’abord le rite ; un peu plus loin, le cosmos ; et encore au delà,  le grand architecte de l’univers.

Je pense d’abord au rite qui célèbre l’ordre de la vie car il rejoint quelque chose de fondamental en l’homme : la transcendance. Autrement dit, le rite nous  convie à participer à un but qui ne se montre point dans l’instant et qui se situe en dehors de nous. Les rites sont dans le temps un peu ce que la demeure est dans l’espace ; Car il est bon que le temps ne nous paraisse point nous user et nous perdre comme une poignée de sable.

Je songe également au cosmos. Pythagore aurait donné ce nom de « cosmos » à l’univers à cause de l’ordre qui y règne. Dans les philosophies traditionnelles, il y a le plus souvent analogie entre le cosmos et l’homme qui à son tour  est considéré comme un Temple, car il y a une relation étroite entre le macrocosme (l’univers) et le microcosme (l’homme lui-même).

Je songe enfin au Grand Architecte De L’Univers qui est à l’origine du cosmos.
Ah, si nous ne l’avions pas notre G.A.D.L.U. !, ce principe créateur qui  témoigne d’un « Sens » , d’un attachement à un Univers où le sens l’emporte du le Non –Sens, l’Être sur le néant, l’Ordre sur le Chaos.
A ce propos, l’invocation « A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers », sous laquelle nous nous plaçons pourrait être interprétée ainsi… Plaçons nous dans le cadre de la lutte de l’ordre contre le désordre, de la forme vivante contre la matière morte, dans le sens du combat contre l’absurde qui se poursuit depuis l’origine des temps. 

Compte tenu de ces définitions subjectives de l’ordre, il est temps de répondre à la deuxième question : en quoi la relève d’Hiram participe-t-elle à l’ordre ?

A mon sens, elle y participe sous trois aspects :

1er aspect : Sur un plan général, le retour à l’ordre passe, en pratique, par différentes phases suggérées par les rituels de cérémonies successives des trois premiers degré du REAA qui intègrent  le mythe d’Hiram.

2ème aspect : La relève d’Hiram participe par ailleurs à l’ordre en définissant l’œuvre du Maître : rechercher ce qui a été perdu, les secrets véritables du Maître maçon,  pour rassembler ce qui est épars et répandre la lumière.

3ème aspect : La relève d’Hiram participe également à l’ordre en créant une chaîne ininterrompue d’initiés pour conduire l’humanité à la connaissance de son âme.

La relève d’Hiram s’accomplit avec les autres dans la fraternité : il faut les efforts des trois maîtres qui dirigent la loge, le Vénérable et les deux surveillants , pour faire renaître Hiram.  

Elle donne un sens à la notion de fraternité : on est frère en quelque chose et non frère tout court. La fraternité se noue non pas seulement dans le partage mais dans le seul sacrifice, dans le don commun à plus vaste que soi.

En ce sens, la relève d’Hiram nous fait comprendre que ce n’est pas la mort qui a le dernier mot. Tel est bien le sens de la démarche initiatique maçonnique. C’est la vie de l’esprit qui se maintient jusque dans la mort, qui élève à soi la finitude en la transfigurant. Le temps n’est plus un sablier qui use son sable, mais un moissonneur qui noue sa gerbe.

Saint-Exupéry a écrit un hymne à son ami de toujours, Guillaumet : « Nous avons piloté sur les mêmes lignes, participé aux mêmes créations. Nous étions de la même substance. Je me sens un peu mort en lui. J’ai fait de Guillaumet  un des compagnons de mon silence. Je suis de Guillaumet. » Goûtons l’extrême profondeur de cette dernière phrase : « je suis de Guillaumet… » !

Aujourd’hui, je me sens un peu d’Hiram et de notre F FSG passé à l’orient éternel, mais il  faudra bien sûr des années et des années encore au jeune maître que je suis pour l’être véritablement, comme Saint Exupéry l’était de Guillaumet.    

Il ne s’agit point de moi. Je ne suis que celui qui transporte comme Hiram. Il ne s’agit point de toi, François, tu n’es que sentier vers les prairies au réveil du jour. Il ne s‘agit point de nous, mes frères de sacrifice : nous sommes ensemble dans la loge  passage pour le grand architecte de l’univers qui emprunte un instant notre génération, et l’use…

Il l’use certes, mais malgré tout nous construisons notre œuvre avec les  frères passés à l’orient éternel et nos frères en gestation qui demain, franchiront les portes du temple …Les grains de sable qui coulent du sablier ne nous perdent plus, mais nous accomplissent.

Très Vénérable Maître, j’ai dit…

O\ T\
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