Obédience : NC Loge : NC 02/11/2009
     
Mort et renaissance, le mythe d'Hiram

Voici l'heure pour moi de vous lire mon premier travail de Maître.

Pourquoi seulement maintenant ? Parce que le hasard des choses a fait, qu'à l'aube de ma maîtrise, j'ai accepté l'office de Secrétaire, office passionnant et instructif mais suffisamment prenant pour y consacrer tout le temps disponible, lorsque l'on est encore en activité. Ceux qui m'ont précédé comprendront et celui qui me suit est en train de comprendre.

Sept années de découvertes, d'écoute, de participation pour comprendre que la maçonnerie est un mouvement d'homme et qu'à ce titre, elle n'est pas parfaite. J'ai eu, et ai encore, des moments de doute provoqués par des paroles ou des comportements blessants d'un frère vis-à-vis d'un autre, et je ne m'exclue pas de ce constat. Je présente d'ailleurs mes excuses sincères si j'ai pu, à un moment ou à un autre, blesser l'un ou l'autre d'entre vous, par mon comportement ou des mots imbéciles.

Sept années toutefois qui m'ont permis de mieux connaître des hommes, des frères, d'horizons et de culture différents, de discuter et d'apprécier des points de vu parfois très éloignés de ceux que j'avais. Sept années temporairement interrompues par la maladie, laquelle m'a permis de découvrir le véritable sens du mot fraternité.

Sept années et l'impression de ne pas avoir beaucoup avancé dans la quête que je poursuis comme tant d'autres : quel sens puis-je donner à ma vie ? Quel sens la Vie elle-même a-t-elle ? Répondre à ces questions demande un gros travail de recherche et surtout, d'introspection objective.

La réflexion symbolique offre tellement de possibilités et ce, quelque soit le degré auquel on appartient, que je me suis senti incapable de choisir un sujet particulier. Aussi, me suis-je tourné vers vous, Très Vénérable Maître pour me proposer quelques thèmes. Au travers de ces derniers, il m'en est apparu un tout naturellement qui touche de près à certaines de mes préoccupations et est inspiré par le rituel du 3ème degré : la mort et la renaissance de notre Maître Hiram.

Mes Frères, vous connaissez tous les circonstances de sa mort telles que le rapporte notre rituel, aussi ne vous ferai-je donc pas l'injure de vous les rappeler : L'assassinat de Maitre Hiram par les 3 Compagnons, c'est l'étouffement de la Vérité par l'Ignorance, le Fanatisme et l'Ambition. Le grand intérêt du mythe d'Hiram, car il s'agit bien d'un mythe, et de poser, entre autres, la question de la mort et de la renaissance.

Mais de quelle mort parlons nous et de quelle renaissance ?

Évoquons tout d'abord le mythe d'Hiram. Ce dernier, architecte supposé du roi Hiram de Tyr , est un ouvrier sur bronze plein d'habileté, d'intelligence et de savoir-faire, fils d'une Veuve de la tribu de Nephtali et d'un père Tyrien (Premier livre des Rois chapitre 7, versets 13 et 14). Il n'est pas seulement un ouvrier sur bronze mais  également un spécialiste qui sait, en outre, travailler l'or, l'argent, le fer, la pierre, le bois, la pourpre, le violet, le lin et le carmin (Livre 2 des Chroniques, chapitre 2, versets 12 et 13). A ce sujet, il existe une théorie selon laquelle, Hiram-abi mentionné dans le livre des Chroniques, ne serait pas le même que celui du livre des Rois, mais le fils de celui-ci, appelé par Salomon pour remplacer son père, décédé au cours de la construction du Temple. Cette hypothèse est, bien entendu, impossible à démontrer mais elle présenterait l'avantage de pouvoir relier notre rituel à la Bible  puisque, nulle part dans celle-ci, il n'est fait mention de la mort d'Hiram et encore moins de son assassinat !

La mort d'Hiram, dans les circonstances dramatiques qu'évoque le rituel du troisième degré, permet la constitution du mythe. Et c'est bien celle-ci qui donne toute son importance à la chose. Dans son ouvrage intitulé “La symbolique du 3e millénaire”, Irène Mainguy cite, à ce propos, notre frère belge Raoul Berteaux qui définit ainsi la notion de mythe dans son livre “La voie symbolique”:
“Un mythe raconte un événement qui s'est réellement passé. En dépit du mode anecdotique généralement adopté, on ne sait rien ou peu de choses, sur la vérité historique de l'événement. La vérité du mythe concerne la réalité de l'être et non l'authenticité de l'événement”

Irène Mainguy résume cela en trois points :
Ø      Le mythe offre un modèle exemplaire, en l'occurrence Hiram
Ø      Le mythe crée le modèle à partir d'un événement: son assassinat
Ø      Le mythe exprime une réalité de l'être.

Autrement dit, Hiram, ouvrier de talent, doit mourir pour que le mythe existe. Ce dernier aide à percevoir une dimension cachée de la réalité humaine et met en action la fonction symbolique et analogique d'éveil de l'intuition spirituelle, autrement dit, il aide à réfléchir ! Le temps mythique est un temps cyclique qui crée une mémoire du monde car il se reproduit indéfiniment. Le mythe ouvre ainsi la voie à une réflexion symbolique et spirituelle, en l'occurrence, pour ce qui me concerne ce midi,  la mort et la renaissance.

Le petit Larousse définit celle-ci comme l'action de renaitre, un renouvellement, un retour. Si nous poussons plus loin, renaissance est synonyme de renouveau, régénération, rénovation, mais aussi de résurrection, palingénésie, réincarnation, métempsycose et bien d'autres termes encore qui montrent la richesse du sujet.

Mais d'abord, quelques définitions de ces différents mots :

La résurrection, du latin resurgere, se relever, exprime l'idée du retour de la mort à la vie.  Ce concept prend ses racines dans la naissance et la renaissance du cycle de la vie à travers le déroulement des saisons. Mais alors que le cycle des saisons voit éclore de nouvelles plantes chaque année, la résurrection sous-entend le retour à la vie de l'individu et de son enveloppe charnelle. L'exemple le plus célèbre  est celui du Christ ressuscité et j'aurais l'occasion de revenir, plus loin, sur cette notion liée à une religion.

La « palingénésie » signifie, en grec, "naissance à nouveau", "régénération". C'est le terme employé par les philosophes stoïciens pour désigner la reconstitution ou apocatastase du monde après que le Feu l'ait détruit, cela dans un Éternel Retour.
Plus simplement, c'est le retour à la vie, dans la nature, des divers éléments de celle-ci. Les plantes se nourrissent de minéraux, les animaux se nourrissent de plantes, les hommes se nourrissent des animaux ou de leurs produits ; en respirant, tout vivant assimile des germes et des poussières... De la sorte, les éléments de la vie s'échangent, se redistribuent après la mort, partout, toujours. Cela n'est pas sans rappeler la célèbre formule de Lavoisier que nous avons tous appris sur les bancs de l'école « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Ce terme est particulièrement adapté au cycle des saisons que j'évoquais tantôt.
La réincarnation est, quant à elle, une croyance que l'on retrouve à différentes époques et en  divers lieux selon laquelle un certain principe immatériel (« esprit », « âme », « conscience individuelle ») s'accomplit au travers de vies successives dans différents corps (humains ou animaux selon les religions). Dans cette doctrine, à la mort du corps physique, et contrairement à la résurrection, l'« esprit » quitte ce dernier pour habiter, après une nouvelle naissance, un autre corps, qui permettra à l'individualité de poursuivre ses expériences de vie et son évolution spirituelle ou morale.

Le mot est apparu au 19e siècle, donc à une époque récente, et suscite des controverses quant à son utilisation pour désigner cette croyance.  Il dérive du mot incarnation, terme religieux provenant lui-même du latin incarnatio signifiant « action de prendre un corps ». Plus spécifiquement, il s'agit de  l'action par laquelle une divinité s'incarne dans un être animé, en prend l'apparence. Dans l'hindouisme, Rama et Krichna sont des incarnations de Vichnou, de même que dans la religion catholique, le Christ est une incarnation de Dieu.

Mais, si le Dieu chrétien s'incarne dans le Christ qui meurt pour ressusciter ensuite et ainsi sauver l'humanité, cette résurrection ne correspond pas au principe de réincarnation suivie par l'ensemble des religions dont le celtisme, l'hindouisme, le boudhisme, le sikhisme, et bien d'autres...

Mieux, alors que les premiers chrétiens, sous l'influence d'Origène d'Alexandrie qui vécut à cheval sur les deuxième et troisième siècle après J.C., (185-254), croyaient dans la réincarnation, c'est le IIe Concile de Constantinople en 553 qui condamna cette thèse.

Pourtant, Hérodote, Socrate, Platon, Pythagore ont tous disserté sur cette doctrine de la réincarnation que seules, les 3 religions monothéistes réfutent, préférant le mythe du Jugement Dernier et de la résurrection de la chair.

Enfin, la métempsycose, mot dérivé du grec signifiant « déplacement de l'âme », élargit le champs d'action de la transmigration de celle-ci aux animaux, aux   végétaux, voire aux minéraux et non plus aux seuls corps humains. L'hindouisme,  en particulier, défend la métempsycose, la loi du karma, : « l'âme individuelle (âtman) doit se fondre dans l'Âme cosmique, dans le Brahman immanent et absolu, afin de se dégager du cycle des renaissances, le SAMASARA.

Dans le bouddhisme, ce terme désigne également le cycle infini des renaissances. Les hommes naissent, meurent et renaissent sans cesse dans un cycle infini duquel ils ne peuvent s'échapper. L'homme souffre en vain et, l'objectif même du bouddhisme étant la cessation de la souffrance, la pratique doit mener à un état de cessation de cette souffrance universelle, le nirvana. C'est uniquement lorsque l'on a atteint le nirvana que l'homme peut se libérer de ce cycle infini.

Le sujet est vaste, incommensurable, mais, à quelques exceptions près, l'ensemble des religions et des croyances proposent un Nivarna, ou un Paradis que l'homme doit atteindre par la pratique du Bien.

Quel rapport avec la Maçonnerie ? Il existe un parallèle indéniable entre l'action du F\M\ qui cherche, du moins à la G\L\D\F\, à mieux se connaître pour porter et pratiquer à l'extérieur du Temple un message d'amour et de vérité, et celle des religions qui, au travers de leurs pratiques propres, incitent leurs croyants à un comportement identique. La principale différence réside essentiellement dans le travail intérieur que se doit d'effectuer le FM, alors que dans les religions, l'adepte applique les rites sans rien pouvoir remettre en cause du dogme édicté.

Et pourtant, si l'on y regarde de plus près, le rituel maçonnique emprunte, à ces mêmes religions, des croyances qui participeront à cette démarche initiatique : c'est ainsi que, lors de la cérémonie de réception du Compagnon en Chambre du Milieu, la réincarnation est clairement affichée lorsque le T\V\M\ annonce aux FF\ présents « Notre Maître a revu le jour: il renait dans la personne de notre T\C\F\ » .

Et la mort me direz-vous, que devient-elle dans tout ça?

Et bien parlons-en. Dans l'esprit populaire, la mort est un phénomène irréversible qui se traduit par la perte d'un être que l'on ne reverra pas et dont le corps, enveloppe charnel, se décomposera dans un cercueil, ou sera brûlé, incinéré, selon les souhaits et croyances de chacun.

Selon ces mêmes croyances, le corps n'est peut être finalement que le réceptacle d'une chose sublime, l'âme, qui alors s'en échappe pour rejoindre un Eden dans l'attente du Jugement Dernier ou se réincarnera dans un corps ou dans autre chose. Je viens d'évoquer ces points, je n'y reviendrais donc pas.

Mais il existe d'autres morts, plus perfides ou plus enrichissantes. Par perfide, j'entends la mort spirituelle, celle de l'esprit. Quoi de plus triste que l'homme qui, s'enfermant dans ses préjugés, refusant de s'ouvrir au monde extérieur et à la lumière, sclérose progressivement sa pensée pour rejoindre le troupeau des ignorants, des fanatiques, et des ambitieux. Les trois compagnons qui assassinèrent Maitre Hiram ne symbolisent-ils d'ailleurs pas ces 3 tares ?

A l'inverse de ce qui précède, ce que j'appelle une mort enrichissante est celle qui permettra à l'homme de progresser sur les chemins de la vertu. Toute la question est de savoir comment faire. En effet, comment puis-je progresser si je suis mort, que mon corps part en putréfaction ? Bien sûr, si je crois en la réincarnation, vais-je réintégrer un nouveau corps qui me permettra, au travers de nouvelles expériences, d'évoluer spirituellement et, finalement, au terme de mon évolution, cesser de renaitre et atteindre le stade de la libération de l'âme. Encore faudrait-il, dans ce cas, que j'adapte ma vie en conséquence. Les bonnes actions de mon existence amélioreront les conditions de ma vie future et, inversement, les mauvaises actions les aggraveront.

La question est donc comment faire en sorte de distinguer les bonnes des mauvaises actions ? Et si au cours de ma vie d'homme vivant, libre et de bonnes mœurs, je parviens à distinguer le Mal du Bien véritable et que j'arrive à pratiquer ce dernier, ai-je encore besoin de me préoccuper de savoir laquelle de toutes ces croyances est la seule et unique Vérité ? La réponse est non puisque, pratiquant le Bien, mon âme immortelle sera libérée... après un temps plus ou moins long il est vrai et un certain nombre de corps usés, fatigués, jetés ou brûlés.

C'est ici qu'intervient la Franc-Maçonnerie, laquelle joue un rôle important comme catalyseur de la pensée.

Lorsque j'étais enfant et que j'allais chez ma grand-mère, j'aimais bien regarder un bronze, posé sur le marbre de la cheminée, représentant Saint Michel terrassant le dragon, et tenant à la main un oriflamme sur lequel il était écrit : « L'Esprit prime la Force ».

Par le biais de la réflexion symbolique et du travail, la Franc-Maçonnerie soutient cette démarche intellectuelle qui conduit à un plus grand questionnement et nous enrichit l'esprit. Mais le parcours maçonnique n'est pas une ballade de tout repos  En effet, travailler, chercher, discuter, confronter ses opinions sont des actions qui demandent de rester ouvert aux idées et aboutissent normalement à une remise en question de l'individu dans ses croyances, ses certitudes, ses comportements. C'est l'obliger à évoluer, à changer sa façon d'être, jusque parfois dans son intimité et, lorsque cela arrive, ce peut être très douloureux. Nous assistons alors à  la mort d'un individu pour assister à sa renaissance immédiate car vivant mais différent de l'instant d'avant.

Je ne sais si ma pensée est clairement exprimée car, au cours de l'élaboration de ce morceau d'architecture, les idées se sont un peu bousculées. J'avoue avoir sous-estimé l'ampleur du sujet. Mais, et quelque part ceci sera ma conclusion, c'est donc au travers de ces morts spirituelles successives que l'homme concoure à se façonner, à la recherche de sa Vérité. La mort d'Hiram n'est pas physique, elle est spirituelle. Les 3 mauvais Compagnons sont bien l'Ignorance, le Fanatisme et l'Orgueil, ou l'Ambition si vous préférez. L'intérêt du mythe, au travers du rituel, est la renaissance d'Hiram au travers du nouveau Maître : la Vérité renait toujours et, même au plus profond des ténèbres, la Lumière réapparaîtra. C'est bien ce qu'expriment les religions, c'est bien ce que signifie la Mort d'Hiram: « La Lumière qui nous éclairait a disparu » dit le T\V\M\ au futur Maitre. La recherche du tombeau d'Hiram, c'est la recherche du Mot perdu, de la Vérité. C'est à l'ombre de l'acacia que repose la Connaissance et que se trouve la sépulture. Mais la renaissance d'Hiram, alors que la chair quitte les os et que tout se désunit, c'est le T\V\M\ avec l'aide des FF\ 1er et 2nd Sur\ qu'elle s'effectue. Ce passage du rituel est l'un des plus important car il insiste sur un point essentiel : seul, nous sommes peu de chose mais ensemble, nous pouvons tout. A cet effet, la Franc-Maçonnerie peut apporter bien plus que toutes les religions car si chacun choisit son destin c'est avec les autres qu'il peut l'accomplir.

J'ai dit T\V\M\

J
\ P\

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