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Etre Juif et Franc-Maçon

Théodore Monod, dans "le chercheur d’absolu", écrit : “Nous ne sommes pas une moyenne mais une addition. Nous ne sommes pas du gris, mais du noir et du blanc". Un Franc-Maçon de la Grande Loge de France peut être de toute origine philosophique ou religieuse.
"Etre catholique et Franc-Maçon de la Grande Loge de France", c’est un thème que nous avons développé en avril dernier, sous forme de dialogue avec l’un d’entre nous. Aujourd’hui, dans le même esprit, afin de vous mieux éclairer, chers auditeurs, je reçois notre Frère, Monsieur Jacky Franklin, juif de confession et franc-maçon de la Grande Loge de France.


Bernard Platon : La franc-maçonnerie et le judaïsme ont une conception me semble-t-il très proche de la place de l’homme dans l’Univers et du rôle qui lui est dévolu. N’y a-t-il pas tout d’abord une convergence théorique ?
Jacky Franklin : En effet, la Kabbale est très claire sur les rapports existant entre l’homme de Dieu : Dieu a placé l’homme puis s’est retiré pour qu’il puisse prendre sa place. Pour un juif, l’homme est autonome par essence. Il dispose de son libre-arbitre et est donc responsable.
En un mot comme en cent : Dieu a fait le pari de la perfectibilité de l’homme en devenir. La création n’est pas terminée, l’homme continue la création. Pour être exact, il est créateur pendant 6 jours et le 7ème, il redevient créature pour honorer son Dieu.
Pour le juif, l’éveil spirituel est la clé de son devenir. Il lui appartient de parfaire la création. C’est donc en toute logique que la Kabbale nous apprend que la première question qui est posée à celui qui accède au monde d’en haut, après sa mort terrestre, est :

“Es-tu devenu ce que tu es ?”
Pour le Franc-Maçon, l’homme est aussi créateur de lui-même. Sa vie est un voyage non pour faire mais pour devenir. Il devra passer du “Connais-toi toi-même” à “Deviens qui tu es” puis “Découvre ce à quoi tu sers”.
Le voyage qui amène à la perfectibilité et à la liberté est un voyage à l’intérieur de soi qu’il faut accomplir en taillant la pierre, symbole de l’homme, du matériel au spirituel.

Certes, Judaïsme et Franc-Maçonnerie ne donnent pas la même représentation du monde. L’un offre une voie religieuse, l’autre une voie initiatique. Mais l’un et l’autre entretiennent l’effervescence prometteuse d’une renaissance, d’une re-création, et sont universels car ils acceptent l’autre, reconnaissant les différences. L’un et l’autre combattent la pensée totalitaire et tous les dogmatismes. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans le rituel maçonnique cette définition du judaïsme, donnée à un légionnaire romain par un rabbin du premier siècle :
“Fais à autrui autant de bien que tu voudrais qu’on te fasse, tout le reste n’est que commentaire.”

B.P. : Etre juif, être Franc-Maçon, est-ce compatible, qu’est-ce que cela veut dire ?
J.F. : Pour répondre à cette question, il faut bien garder à l’esprit ces deux notions fondamentales d’être et de devenir.
Seul Dieu est celui qui est. En hébreu, le verbe "Etre" ne s’emploie que pour Dieu.
Les hommes, eux, sont en devenir d’être. Il leur faut un long travail, faire un long cheminement, symbolique ou religieux du matériel vers le spirituel pour intégrer, intérioriser cette sublime simplicité de l’Etre suprême que les juifs appellent Dieu et les Francs-Maçons, le Grand Architecte.

Le juif et le Franc-Maçon cherchent grâce à ce travail une harmonie, une paix qui leur permet de laisser coexister tranquillement progrès et tradition.
La communauté juive ou la communauté franc-maçonne, le groupe d’appartenance, n’est pas un obstacle à ce chemin spirituel vers l’autre, bien au contraire. Bien comprise, la notion de groupe ne doit pas développer l’ambition, l’orgueil ou le réflexe xénophobe, mais au contraire l’ouverture au monde. Son véritable sens n’est pas de développer l’exclusion mais la fraternité qui doit s’étendre au groupe puis à tous les hommes. Le but est ardu mais, comme il est dit dans un rituel : "Il est inutile d’espérer pour entreprendre et de réussir pour persévérer ...".
C’est cette quête commune qui illustre les relations entre juif et franc-maçon.

L’apprentissage de la liberté, évoqué au premier degré de la Franc-Maçonnerie, se retrouve lors de la célébration des deux soirées de Pâques, commémorant la sortie des Juifs d’Egypte. Ces deux cérémonies traduisent le même sentiment : Aller vers l’autre et aller vers le haut.
Cette tradition est transmise chez les juifs par la Thora, texte sacré aux 613 commandements, qui fonde la cohésion communautaire et en appelle à l’universalisme :
  
  Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 
  Respecte l’étranger car tu as été toi-même étranger en terre d’Egypte. 
  Le païen qui pratique la justice vaut le Grand-Prêtre de Jérusalem. 
  Il est plus grave de voler son journalier que de ne pas manger casher. etc.

Ce n’est pas par hasard si au siècle des Lumières, lorsque les Juifs furent reconnus comme des citoyens à part entière, ils furent nombreux à solliciter leur entrée dans l’ordre maçonnique.
Ils y retrouvaient une part du rêve messianique : le grand thème de la Fraternité Universelle.

B.P. : Et la Grande Loge de France ?
J.F. : Ce que j’aime dans la Grande Loge de France, c’est qu’elle propose une spiritualité sans dogme. Et par là même permet à chacun de définir sa quête spirituelle.
La Grande Loge est un ordre initiatique et universel fondé sur la fraternité. Elle a pour but le perfectionnement spirituel de l’Humanité en travaillant à la gloire du Grand Architecte, considéré comme un principe coordinateur et créateur.
Celui qui croit à l’existence d’un Dieu Révélé, comme moi, quel qu’il soit, peut y rentrer sans remettre sa foi en cause.
Pour celui qui ne croit pas en une religion révélée, la Grande Loge repose sur l’existence d’un Principe Créateur qui fait de nous une fraction intégrante du Cosmos. Notion que l’on retrouve, et c’est amusant, chez les scientifiques de Princeton (la fameuse "Gnose de Princeton", basée sur la physique et l’astrophysique, est cohérente avec le principe du Grand Architecte de l’Univers).
Tradition et progrès peuvent ensemble donner un sens à l’existence de l’homme. Maillon de la chaîne de la vie, réceptacle de l’esprit, l’homme peut, s’il s’éveille, recevoir et transmettre. Pour le Franc-Maçon, le Grand Architecte sert de point d’appui à l’homme pour devenir ce qu’il est, notion que l’on retrouve dans le judaïsme.

B.P. : A l’appui de ce que nous venons de dire, pouvez-vous nous donner un exemple concret de synthèse entre juif et Franc-Maçon ?
J.F. : Je parlerai d’Adolphe Isaac Crémieux (1796-1880)
Adolphe Crémieux excella dans les trois dimensions de son être : Français, juif, franc-maçon.
1) En tant que français : Avocat au barreau de Nîmes, puis à la Cour de Cassation, il fut élu député à Chinon en 1842 et à Paris en 1869. Là, il s’effacera devant celui qui a été son secrétaire, le jeune Gambetta. Il fut Ministre de la Justice en 1848 et en 1870. Il participera à la rédaction des constitutions de la 3ème République et finira sénateur à vie.
2) En tant que juif : Dès 1840, il se rend auprès de Mehemet Ali pour y intercéder en faveur de juifs accusés de meurtre rituel (un mouvement de soutien s’était développé dans toute l’Europe, ce qui prouve que les juifs émancipés n’avaient pas peur d’affirmer leur judaïté).
Moi qui suis juif pied-noir, il m’est agréable de rappeler qu’en 1870, Crémieux publie un décret qui déclare citoyens français les israélites indigènes du département de l’Algérie.

3) En tant que maçon Il est élu à la tête du Suprême Conseil de France. Comme politique et franc-maçon, son action n’a toujours eu qu’un seul but : harmonie et pacification. C’est lui qui réunira en 1875, à Lausanne, une assemblée des Suprêmes Conseils, pour harmoniser le Rite Ecossais Ancien et Accepté avec les "légitimes exigences de la civilisation moderne".
Véritable acte fondateur de la franc-maçonnerie moderne, cette déclaration de l’assemblée de Lausanne proclame "l’existence d’un Principe Créateur".
A la fois français, juif et franc-maçon, Adolphe Crémieux a joué un rôle déterminant dans ses trois appartenances communautaires, vécues non comme étrangères l’une à l’autre, mais complémentaires.

En travaillant sans cesse à "l’amélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur le plan matériel", il a pleinement accompli sa mission tendant à réaliser une promesse d’harmonie, qui est aussi une promesse de sens, à l’aube de ce troisième millénaire.

B.P. : En résumé, Jacky Franklin, que pouvez-vous nous donner en guise de pré-conclusion ?
J.F. : Pour les maçons, il existe un principe premier, impensable, inconnaissable, impénétrable, pénétrant l’Univers dans tous ses plans.
Pour les cabalistes, Dieu ne saurait être nommé. La seule désignation authentique est précisément un refus de toute définition : il est "En Soph", celui qui n’a pas de fin, l’infini.
L’absolu est l’esprit existant par lui-même. Dieu est celui qui est.
Le visible n’est que la manifestation de l’invisible.
L’harmonie universelle résulte de la complémentarité des contraires.
La vie humaine n’est qu’un point dans l’éternité.
Juif ou maçon, on sait attendre avec confiance le moment où nous passerons dans l’autre monde. L’amour est la clef de la vie.


B.P. : En fin de compte, qu’est-ce qu’aimer l’homme pour un juif, pour un Franc-Maçon en 1998 ?
J.F. : Aimer l’autre, c’est reconnaître en lui l’étincelle divine et l’aider, s’il le souhaite seulement, à l’exalter pour donner un sens complet à sa vie.
Aimer l’autre :
  
  - C’est lui permettre de pouvoir glorifier sa dignité dans le travail. 
  - C’est semer en lui les germes de la révolte contre toute injustice ou oppression, y compris religieuse (la Kabbale ne sous enseigne-t-elle pas que certains Docteurs de la Loi retardent la venue du Messie ou que l’arbre des rites cache parfois la forêt de l’amour ?) 
  - C’est intégrer le fait (comme le dit le Talmud) que la souffrance d’un seul déséquilibre le monde entier. 
  - C’est l’empêcher de démissionner, créer en lui la réflexion qui le fait créateur 6 jours sur 7 et créature le Shabbat. 
  - C’est ne pas le voir, au nom d’une fausse conception de l’amour, s’avilir et avilir en lui sa dignité d’homme porteur d’étincelle divine.

Aimer l’autre, ce n’est pas le croire parfait, c’est le croire perfectible, croire en son devenir et le lui dire, retrouver notre faculté d’enthousiasme pour partager avec tous.

Posted by Boaz YAKIN
Un lecteur nous écrit

Bonjour, 

J’ai découvert votre site, vous semblez être une personne intelligente, ce pourquoi je voulais réagir à votre page « Etre juif et Franc-Maçon ».

Il y a un problème de définition du « religieux » dans le judaïsme qui s’est culturellement greffé à la culture moderne, le judaïsme c’est avant tout un chemin, pas une approche dogmatique, effectivement comme vous avez pu le dire. Le mot religion renvoie historiquement à une approche dogmatique. Cependant dans le judaïsme, comme l’explique le Maharal de Prague,  il y a un « ordre » : l’intelligence dirige le cœur, et le cœur qui dirige la foi. L’origine de la croyance juive c’est donc l’intelligence et non un dogme religieux, ou ce qu’on appelle la foi, la foi étant l’aboutissement de l’intellect (Tanya). 

Il faut bien comprendre qu’il y a quatre niveaux de révélations pour le juif,  ce que l’on appelle le « pshat », c’est le sens simple, puis la michna- guemara ce qu’on appelle la torah orale, puis le midrach, commentaires profonds et voilés de la torah, puis la Kabbal, le « secret ». 

Le Marahal de Prague prévient qu’il faut tout étudié dans l’ordre, sinon on s’expose à de gros risques, la folie, devenir rebel etc … Il faut bien comprendre que la Kabbal a été dévoilée, mais elle est réservée à un public « très très privé » chez les juifs. 

Il faut comprendre que vouloir accéder à la Kabale sans atteindre le premier niveau Assya, renvoyant au monde de l’action, c’est-à-dire le monde des mitzvot (cf : le Tanya), c’est de la pure folie d’un point de vu juif. C’est une preuve de ce que l’on appelle la Gaava en hébreux, c’est à dire de l’orgueil. 

La volonté Junguienne de vouloir percé les mystères du monde voilé, c’est un illogisme au niveau Kabbalistique. Pourquoi ? Parce que dans cette vision du monde seul l’intellect individuel en est le moyen. La Kabbale, elle, nous apprend que sans le monde de l’action, la pensée humaine reste très limitée et obstruée par certains actes polluant et bloquant la pensée elle-même. 

Je ne comprends pas intellectuellement comment peut-on utiliser la Kabbale en rejetant son socle, le monde de l’Assya (des mitzvot). C’est comme avoir le plan d’un bâtiment,  stipulant de lisser le terrain pour y faire reposer la base, et ne pas en prendre compte. A coup sûr, le bâtiment s’écroulera. 

Sans aucune agressivité, je ne comprends pas intellectuellement comment utilisé la Kabbale comme outil, sachant qu’on en rejette les fondements. Car si vous pensez qu’elle est vraiment vraie, alors  il faut suivre « le manuel », si elle est fausse, alors quelque chose de vrai peut-il murir de quelque chose de faux ? Logiquement et de manière purement aristotélicienne, cela ne marche pas, par mécanique de causes à effets.  Peut-on faire pousser une plante sans graine, ou une rose à partir d’une graine de Cactus ? 

J’aimerai avoir votre avis, 

Merci pour votre coute et bon week end.


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