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Révolution, réaction et
Franc-maçonnerie

La franc-maçonnerie est décidément une démarche initiatique, un travail de quête et d’élaboration du sens. C’est ce que je me suis redis en pensant au sujet « Révolution, Réaction et Franc-maçonnerie » sur lequel je devais plancher. Un triptyque dont je me suis demandé comment j’allais m’en sortir et dans le lequel il n’est pas aisé de rentrer. « Réaction et Franc-maçonnerie », pourquoi pas tant il est clair que nous aurions eu là à évoquer le combat de la Lumière et de l’Obscurité. « Révolution et Franc-maçonnerie », encore mieux et là chacun, je le sais, avait sa pierre à apporter. Mais traiter des 3 réunis...

La révolution à elle seule... Sans exactement renvoyer à peu près tout et son contraire, le mot a un champ très large. C’est d’une part la révolution du latin revolutio, revolutum, revolvere : ramener, dérouler. Le contraire de volvere : enrouler. Bref, la révolution, déroule, dévoile, donne à voir. Révolution - révélation.

Au XIIème siècle, la révolution, c’est la révolution des astres dans le ciel. Une définition astronomique qui renvoie à la notion de cycle puisqu’au terme d’une révolution, une planète... revient au même endroit.

Au XVIème siècle le champ du mot révolution évolue, il inclut maintenant l’idée d’un changement important et soudain. On parle d’un renversement, avec en corollaire la réaction qui remet à l’endroit.

Même si on décide de ne s’intéresser qu’au champ Révolution - Réaction, il n’est pas possible d’ignorer le premier champ sémantique : le cycle.

Mais que penser de cette bipolarité Révolution – Réaction ? Peut-on en sortir ? Et que dire de son association à la Franc-maçonnerie ? Certes la maçonnerie moderne, spéculative, avec la doctrine que nous lui connaissons aujourd’hui, largement fondée sur les Constitutions d’Andersen publiées en 1723, est née au Royaume-Uni sur un terreau qui avait vu révolution, dictature, contre-révolution se succéder au 17ème siècle. C’est sans doute pour cela que ces Constitutions stipulent dans leur article 6 « De la manière de se conduire » que « il ne doit point être question d’aucune pique ou querelle particulière dans l’endroit où se tient la Loge, encore moins de disputes touchant la Religion, les Nations ou la Politique de l’Etat, parce qu’en qualité de Maçons, nous sommes de la Religion universelle dont il a été parlée ». Ces Constitutions qui postulent l’égalité entre les Frères. Ce qui en soit est un parti pris que l’on peu qualifier de révolutionnaire.

Qu’est-ce qui est révolutionnaire ? Dans la forme c’est le changement, le changement par opposition à l’immobilité, au retour en arrière, au conservatisme. C’est l’innovation, la découverte, par opposition à l’immobilisme. On le voit par exemple avec la révolution copernicienne qui, reprenant les acquis de Galilée, propose purement et simplement de changer de point de vue. On pensait que le Soleil tourne autour de la Terre ce qui rendait incompréhensibles et inexplicables nombre d’observations astronomiques. Si on considère que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, notre vision du monde en est changée. Et surtout nombre de phénomènes qui restaient mystérieux trouvent une explication, beaucoup de choses deviennent plus simples et fonctionnent pour ainsi dire mieux. Bef, la révolution copernicienne, en décentrant le point de vue, dérange, rompt l’ordre établi et permet de voir un autre ordre.

Mais attention, ce qui est révolutionnaire dérange, mais tout ce qui dérange n’est pas nécessairement révolutionnaire !

Qu’est-ce qui est révolutionnaire ? Dans le fonds et le contenu, c’est plus de Lumière, plus de transparence, d’explication, de compréhension, bref plus de quête qui selon l’objet et la période prendra des contenus différents. Dans le cas de la Révolution française (car celle-ci reste le modèle de la révolution, même hors de nos frontières) qui porte la marque d’un mouvement convulsif, d’une naissance dans la douleur, contrairement à la Révolution anglaise (Le Glorieuse Révolution), le contenu portera sur plus de liberté, plus d’égalité et plus de fraternité. Et les formes que prendra cette quête pourront alternativement être révolutionnaires ou réactionnaires : car pendant les 10 années que durera la révolution française, de 1789 à 1799, germeront tous les projets politiques. Un laboratoire en quelque sorte de tout ce qu’il était possible d’imaginer en matière de révolution et de contre-révolution.

La révolution de 1789 est celle d’un pouvoir autocratique lâché de toute part. Bien sûr par le tiers-état mais aussi par sa base, par une partie de la noblesse dont les prérogatives ont continûment été rognées. Comble, les caisses sont vides et on envisage de demander l’impôt aussi aux nobles. Certes rien de commun entre les nobles, petits et grands, et les cohortes du tiers-état regroupant pêle-mêle artisans, bourgeois, entrepreneurs, paysans, serfs, va-nu-pieds, etc. Bref 96% de la population qui n’est ni dans la noblesse ni dans le clergé. Il existe pour la noblesse une différence de statut quasi ontologique entre elle, qui même désargentée garde son statut, et le tiers-état qui même argenté n’arrive pas à conquérir le statut. Même si, on a à ce moment une noblesse qui a retrouvé son tempérament frondeur contre l’ordre établi.

Quant au tiers-état, on l’a dit, on y trouve de tout. C’est en quelque sorte la conjugaison du 3ème groupe. Et là encore, des lignes de ruptures et rien de commun entre grands bourgeois et la majorité des sans grades et des sans terres. C’est dans cet environnement hétéroclite que va se nouer une dialectique qui durera une dizaine d’années, où se succèderont révolutions bourgeoise et sans-culotte, avant le prendre fin avec le coup d’état de 99.

La révolution de 89 c’est celle d’aspirations multiples prêtes à en découdre avec un régime usé, dont le génie sera de véhiculer des mots d’ordre universels qui résonneront partout en Europe au-delà des frontières de l’Hexagone. Des mots qui réussiront à transcender un certain nombre de différences, voire de divergences au prix de compromis, voir de quiproquo.

Ainsi de la liberté ! Il s’agit bien sûr d’un leitmotiv hérité du Siècle des Lumières, et bien avant lui d’une longue tradition de pensée. Dans l’esprit de 89 il s’agit bien sûr d’une liberté de pensée et de conscience. Liberté du libre exercice de la raison, du libre-arbitre, mais aussi liberté économique. Car les revendications formulées par le tiers-état le sont, en large partie, par sa fange la plus éduquée, la plus bourgeoise. Pour elle la liberté, c’est aussi la liberté d’entreprendre. D’ailleurs dans le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adopté le 26 août 1789, on lit : « Les Représentants du Peuple Français […] ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'Homme […] sous les auspices de l'Etre suprême […]

Art. 1er.

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ».

Suit un article 2

« Art. 2.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ».

La déclaration se terminera par un article 17 qui revient sur cette question d’importance : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

Quant aux autres libertés, il en est question, bien sûr. Entre autres dans l’article 11 :

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement…». A condition, à condition…car l’article 11 se termine ainsi « sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

On touche ici à un des ressorts de cette révolution de 89 qui explique pourquoi l’accouchement fut difficile et pourquoi il y eut des réactions. On comprend que la noblesse ait mal réagi à l’affirmation du principe d’égalité de droit. Mais on comprend aussi qu’une bonne partie du tiers-état ait tout aussi mal réagi à la prééminence accordée à la propriété.

Parmi les premiers acquis de 89, il y a en quelque sorte la propriété pour tous. Un principe intangible. D’ailleurs si les lois des 4 et 11 août avaient aboli les droits seigneuriaux portant pour partie sur des droits symboliques dont nombre étaient déjà tombés en désuétude (tels que les droit honorifiques, les droits de justice, de servage, de corvées, de chasse, de colombier…), en revanche ces textes prévoyaient non par une abolition pure et simple des droits financiers et matériels des seigneurs mais la possibilité offerte à ceux qui en font l’objet de les racheter… Chère propriété. Les plus nantis voulaient se libérer d’une sujétion politique et avaient les moyens de racheter les droits dont ils faisaient l’objet. Les autres lorsqu’ils réaliseront qu’il leur faut payer de 20 à 25 fois la rente annuelle pour indemniser les seigneur n’y trouveront pas leur compte !

En fait commence alors un long travail pour aller au delà du formalisme. C'est-à-dire pour aller au-delà de la simple énonciation formelle des droits. Car si on a aboli des privilèges seigneuriaux, on réalise alors que la mise en œuvre effective de cette abolition se révèle de fait inapplicable pour le plus grand nombre. Et ce qui sera un mouvement important de la révolution va consister à essayer d’obtenir les moyens de cette mise en œuvre, de passer du virtuel au réel, et de faire vivre le droit dans les faits.

Inutile de dire que ce passage ne va pas se faire en 1 jour. Il faudra attendre le 17 juillet 1793 pour que soit proclamée l’abolition effective des droits seigneuriaux sans contrepartie ! Déjà en novembre 92 Saint-Just déclarait qu’il fallait « tirer le peuple d’un état d’incertitude et de misère qui le corrompt ». En décembre, Robespierre formulait très clairement la question à l’Assemblée et donnait l’équation suivante : « le premier des droits est celui d’exister. La première loi sociale est celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister, toutes les autres sont subordonnées à celle-là ». Affirmation du primat des moyens d’exister.

Au-delà du droit et de la liberté, se pose la question de leurs moyens.

Tout ce cheminement, de 89 à 93, s’est fait par à coups, dans l’agitation politique, dans un contexte rendu plus confus encore par les guerres menées de l’étranger. Tout ce temps pour aboutir à 93 et à la Constitution de l’An 1 et sa nouvelle version des Droits de l’homme et du citoyen dit de 1793.

Cette Constitution de 1793 allait plus loin que celle de 89 et se révélait plus démocratique : elle pose le principe du suffrage universel et non plus censitaire (certes ce vote n’était alors conçu que comme ne pouvant être que masculin…), elle reconnaît des droits économique et sociaux (droit de réunion, à l’instruction, etc), elle établit la légitimité de l’insurrection quand le gouvernement viole les droits fixés par la Constitution. Son article 21 stipule que « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ». Suit un article 22 : « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens ». Sans oublier le très intéressant article 28 qui laisse songeur aujourd’hui encore par tant d’esprit dialectique, où se joue en même temps l’affirmation du principe de la volonté populaire et de sa nécessaire et inéluctable évolution dans le temps : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Historicité !

Et puis aussi, de façon assez symptomatique il aura fallu attendre un décret d’août 93, faisant suite à la Constitution élaborée en juillet, pour que soit aboli l’esclavage, enfin. Un oubli de 89…

Un intermède en fait qui se terminera avec la décollation de Robespierre moins d’un an plus tard en 94 et ensuite la constitution de 95. On assiste alors à un mouvement de balancier avec cette nouvelle constitution. Les droits du peuple sont de nouveau restreints. Surtout, on revient explicitement à une définition formelle de la liberté et de l’égalité. Leur mise en œuvre effective est renvoyée dans le champ personnel, devenant une responsabilité individuelle et non plus sociale.

Les 5 années suivantes, l’ordre étant globalement rétabli, ne seront pas non plus un long fleuve tranquille. Il y aura des coups d’Etat, du suffrage plus ou moins censitaire, des mouvements populaires émanant de ceux qui se sentent dépossédés du pouvoir, des dictatures, les Enragés…jusqu’à la conspiration des Egaux de Gracchus Baboeuf et son projet communiste, avec l’abolition de la propriété et de collectivisation des biens.

10 ans pour un accouchement long et douloureux de la démocratie telle qu’elle existe aujourd’hui, sans doute imparfaite mais que l’on n’a pas réussi à dépasser jusqu'à présent.

Une histoire riche d’enseignements qui montrent d’une part que les positions ne sont jamais définitivement fixées, qu’il faut sans cesse consolider et réinventer. Et d’autre part que, faute de ce travail, ce qui était hier révolutionnaire risque aujourd’hui de devenir réactionnaire.

Quelques exemples simples, 3, illustrent cette situation.

Le passage du révolutionnaire au réactionnaire. C’est le cas par exemple de la notion de Nation. Certes le mot existait bien avant la révolution française, mais il acquiert à ce moment le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, celui de collectivité auto-organisée autour d’un projet politique. En ce sens, la nation est un concept éminemment révolutionnaire à la fin du 18ème siècle. C’est le peuple librement organisé qui décide de son destin. Et qui à l’époque, pendant plusieurs années de la période révolutionnaire, devra lutter contre les armées de l’étranger, venues des monarchies européennes. La nation c’est la légitimité de la communauté démocratique face à l’ordre des monarchies européenne de droit divin. Le nationalisme, c’est à l’époque la protection des frontières contre les ennemis de l’extérieur et les visées des émigrés.

De cette dimension politique de la nation, on passera au chauvinisme et à la préférence nationale fondée sur l’amour de la mère-patrie mais aussi sur la xénophobie et la haine de l’étranger.

Autre glissement : « Une charte pour bâtir l’école du XXIème siècle » présenté par le ministre Claude Allègre en 1998. Un texte qui réussit à être critiqué tant à droite qu’à gauche ! Tant par ceux qui trouvent le Mammouth bien gras que par les enseignants. Un texte très générique en fait d’une vingtaine de pages qui expliquent que l’école de la République est confrontée à de nouveaux enjeux, en fait sans véritablement le dire, à la massification de l’enseignement. Un enseignement gratuit et obligatoire conçu sur un modèle élitiste hérité de la 3ème République où il s’agissait, dans un esprit des Lumière, de former les cadres dont avaient besoin l’Etat et le développement économique. Un enseignement élitiste dont la logique consiste pour ainsi dire à arroser et à voir ce qui pousse, ceux qui poussent bien seront encouragés à persévérer et les autres sont par paliers successifs sortis du système éducatif.

La Charte pour une école du XXIème siècle mettait tout simplement le doigt sur une limite, ou une contradiction, d’un enseignement obéissent à un modèle élitiste mais dont on a changé la vocation en lui fixant l’objectif de conduire 80% d’une classe d’âge au baccalauréat !

Qu’est-ce qui est révolutionnaire / réactionnaire : garder immuable la grande école de la République qui fut pendant longtemps, et un ascenseur social, et une des manifestations les plus matérielles du lien national ou changer l’école d’une république qui a elle-même changé ?

Enfin 3ème dialectique qui interroge sur le sens à donner et à redonner à un projet. Aujourd’hui, qu’est-ce qui est du coté du progrès ou de la régression, militer pour une Constitution européenne sur le modèle de celle qui nous été proposée en 2005 ou s’y opposer ? S’arc-bouter sur un espace national ou mener à son terme sa dissolution dans un espace européen ?

C’est, me semble-t-il, au cœur de ces dialectiques que se pose la question du progrès social et du conservatisme, de la nécessaire remise en cause de solutions nées avec une époque, qui sont devenues des fins en soi et non plus des moyens au service de projets.

Des dialectiques qui sont parfois et douloureuses et difficiles par les remises en question qu’elles impliquent. Dans lesquelles il est possible de perdre de pied, de se perdre, qui requièrent patience, écoute, confrontation mais aussi acceptation des avis divergents dès lors que l’objectif est bien de concourir à un projet commun.

Dès lors, ce n’est sans doute pas un hasard si c’est au sein des Loges que va s’épanouir tout au long du 19ème siècle, en France, le débat social. Si c’est grâce à la discipline de travail de l’atelier que pourront émerger des consensus et des programmes qui irradieront hors du Temple, en évitant les tumultes conjugués des révolutions et des réactions.

J’ai dit

F\ L\


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