GODF Loge : Les Amis Réunis des Ardennes - Orient de Charleville-Mézières 29/03/2008

La Dette sociale

L’été dernier, je lisais un livret écrit par Denis DEMKO, informaticien châlonnais, intitulé : «Léon BOURGEOIS, Philosophe de la Solidarité ».

Cet ouvrage m’évoquait les points suivants :

Le premier : des souvenirs d’enfance. Je me souviens des longues discussions chez mes grands-parents, dans lesquelles les noms cités dans ce livre ( Ferry, Clémenceau, Gambetta, Bourgeois ) revenaient régulièrement aux lèvres des camarades socialistes de mon grand-père.

Le deuxième : qu’en est-il aujourd’hui, début du 21e siècle de cette théorie du fin 19e. Le solidarisme, la solidarité, l’action sociale n’est-elle pas tombée dans un assistanat implicite.

Le troisième : Qui suis-je ? Quelle est ma place dans la société ? Quel est mon rôle en tant que maillon ?

Commençons par nous resituer cette époque, fin 19e siècle.

A la fin du long processus qui voit l'établissement de la République en France, les années 1878-1879 se terminent par la victoire républicaine. Pour la première fois, tous les pouvoirs sont entre les mains des Républicains qui peuvent se rendre compte de l'ampleur des tâches qui leur incombent. «Le danger est passé, les difficultés commencent », dit Gambetta après l'échec des tentatives d'une restauration monarchique.

Comme tous les vainqueurs, les républicains se divisent en deux groupes principaux. «L’union républicaine », les modérés, a pour leaders Jules Ferry et surtout Léon Gambetta. Ces républicains prudents ne veulent réaliser que des réformes «opportunes ». En opposition, les radicaux trouvent en la personne de Georges Clemenceau, un chef de file et un orateur redoutable.

Un des points essentiels opposant modérés et radicaux est «la question sociale », autrement dit la façon dont la République doit se soucier des déshérités de tous ordres. Pour les modérés, il n'y a pas une question sociale, mais une série de problèmes à résoudre, le rôle de l'Etat devant être seulement incitatif. Certes Ferry admet l'utilité des institutions de prévoyance, caisses de retraites, caisses de secours mutuels, caisses d'épargne, caisses d'assurance contre les accidents, mais «à la condition que la prévoyance reste libre, que l'assurance ne devienne jamais une obligation ». Il semble se satisfaire que le gouvernement républicain soit :

« Le promoteur naturel de l'enseignement populaire, le surintendant de la prévoyance sociale et le tuteur des malheureux qui n'en ont pas »

Au contraire, les radicaux entendent : « poursuivre l'œuvre de réformation sociale inaugurée par la Révolution française dont le principe était la création d'une société «égalitaire », il faut compléter la conquête de la liberté par « la justice sociale ». La question sociale existe, mais on ne peut « la résoudre tout d'un coup » comme le pensent les socialistes partisans « de la violence et de la révolution ».

Toutefois, l'Etat républicain doit intervenir, quitte à mettre parfois en cause le droit de propriété, notamment dans les conflits du travail, car :

« C'est une liberté fausse, une liberté menteuse qui consiste à laisser le puissant écraser celui qui est sans défense » proclame Clemenceau à la Chambre des Députés en janvier 1884. Mais il faut attendre la solution de la question sociale, estime le leader radical, d'un puissant effort de l'Etat en faveur d'une œuvre d'éducation nationale émancipatrice, tout en rejetant le socialisme fondé sur la lutte des classes, même s'il existe à l'évidence des luttes d'intérêts entre dominants et dominés, car :

« La révolution ne peut produire que des violences stériles »… « Oui, la république a pour programme d'aider les faibles dans leur lutte contre les forts. Mais la libération des opprimés ne viendra pas seulement d'une école, d'un groupe politique, d'un homme d'Etat ; ils la devront, avant tout, pour leur dignité, à eux-mêmes »

Donc, dans l'incertitude et les changements politiques des années 1880-1900, le Radicalisme se trouvait pour la première fois obligé de compter avec une réalité nouvelle : la pénétration du prolétariat par le Socialisme, et la prédominance de plus en plus marquée des théories marxistes, ou collectivistes, dans le Socialisme français.

Ceci n'empêche pas une politique de « défense républicaine », une action commune entre républicains modérés, radicaux et la plus grande partie des socialistes lorsque la République paraît gravement en péril, lors des crises du boulangisme de 1885 à 1889 et surtout à l'occasion de l'Affaire Dreyfus de 1898 à 1906. Dans ces péripéties de « défense républicaine », les radicaux peuvent de plus en plus compter sur l'appui de la franc-maçonnerie.

La sensibilité radicale gagne de plus en plus de terrain dans les loges et dans des associations parallèles, telle la Ligue de l'Enseignement de Jean Macé et plus tard la Ligue des Droits de l'Homme.

Face à la montée continue du socialisme en France, devenu alors Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO) et se voulant non « un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution », le Parti radical doit réagir pour essayer de contrer la croissance d'un Parti socialiste.

C'est dans ce contexte de rivalité avec le socialisme révolutionnaire que se situe le plus grand effort pour doter enfin le radicalisme d'un corps de doctrine qui lui faisait défaut, pour passer du simple « état d'esprit » à une véritable idéologie qui pourrait efficacement s'opposer à la doctrine marxiste très structurée et de plus en plus conquérante. Ce sera l'œuvre de Léon Bourgeois et de sa doctrine de la Solidarité.

Le terme n'était pas inconnu. On pouvait se rappeler le petit groupe politique dénommé « La Solidarité républicaine », animé par le «Montagnard» Ledru-Rollin.

Plus récemment, un des fondateurs de l'Ecole laïque, Paul Bert, insiste en 1880 sur la nécessité de « l'Instruction civique » à l'école primaire, affirmant que :

« Dans le régime démocratique, à côté de la charité, ne la supplantant pas mais coopérant avec elle, se place la solidarité ; c'est-à-dire qu'à côté du devoir imposé à chacun par la morale, il y a, imposé par la politique à la société elle-même, le devoir de venir au secours de ceux qui souffrent ».

Ce mot sera repris par Léon Bourgeois en 1896 pour définir l'idéal républicain d'entraide humaine. Il est opposé ici à la charité individuelle (d'inspiration religieuse ou non) pour qualifier l'action de la Société civile « envers ceux qui souffrent ».

Léon Bourgeois souhaite : « mettre en œuvre une politique de solidarité. Il développe la théorie du quasi-contrat social, pour montrer la dette des privilégiés vis-à-vis des déshérités ».

Ce sera le fond du volume publié sous le titre de Solidarité.

Il s'agit, maintenant, de définir la Solidarité conçue par Léon Bourgeois. Ce n'est pas simplement la définition donnée par Littré, en 1877, « la responsabilité mutuelle qui s'établit entre deux ou plusieurs personnes », sens commun repris depuis par tous les dictionnaires et encyclopédies, donc, plus généralement, un « lien fraternel qui oblige tous les êtres humains les uns envers les autres », nous faisant « un devoir d'assister ceux de nos semblables qui sont dans l'infortune ».

Dans son ouvrage paru en 1896, Solidarité, Léon Bourgeois constate que la « Solidarité » devient de plus en plus une simple variante de la « Fraternité » de la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » et qu'elle s'y substitue de plus en plus dans le discours des hommes politiques, suivant d'ailleurs l'idéal de la Franc-maçonnerie.

Léon Bourgeois mise beaucoup sur le développement de la sociologie, subissant fortement l'influence d'Auguste Comte (1798-1857) considéré comme le fondateur de « science sociale », ou « physique sociale » étudiant les rapports donnés entre les hommes vus comme individus vivant en société.

Léon Bourgeois apprécie aussi l'enseignement, en France, de la sociologie de l'époque, son contemporain Emile Durkheim (1858-1917), professeur de pédagogie puis de sociologie à la Sorbonne, pour qui les « faits moraux » sont d'abord des « faits sociaux ».

Pour Bourgeois, comme pour Durkheim, plus l'homme se sentira solidaire de la société, c'est-à-dire « socialisé », plus il sera intégré. Il importe, pour l'auteur, contrairement aux socialistes, de réaliser « non pas la socialisation des biens, mais la socialisation de la personne », amenant la fin de la lutte des classes en montrant « l'échange des services sous l'opposition apparente des intérêts » et des classes, de même que dans une entreprise industrielle ou commerciale, par suite des obligations réciproques liant les membres de cette société, chacun prend « équitablement sa part des charges et des bénéfices, des profits et des pertes ».

Le « solidarisme » s'écarte ainsi de la doctrine du Contrat social de Rousseau qui ajoute à l'idée d'une association de fait l'hypothèse d'une convention préalable fixant les conditions de cette association, admettant « l'état de nature », l'homme parfait au commencement des choses, mais déformé par les vices des institutions et aboutissant à une aliénation totale : « L'homme est né libre, et partout il est dans les fers ».

On en vient vite à l'idée centrale du « solidarisme » :

« L'homme vivant dans la société, et ne pouvant vivre sans elle, est à toute heure un débiteur envers elle. Là est la base de ses devoirs, la charge de sa liberté ». « L'obéissance au devoir social n'est que l'acceptation d'une charge en échange d'un profit. C'est la reconnaissance d'une dette ».

Mais si la Solidarité « établit, en même temps que la liberté, l'égalité non des conditions, mais du droit entre les hommes », qui fixera ce compte des profits et des pertes, des avantages et des charges entre les associés ?

Léon Bourgeois admet des « difficultés » qui cependant « ne font point échec à la loi elle-même ». Il se plaît à rappeler l'affirmation d'Auguste Comte :

«  Nous naissons chargés d'obligations de toute sorte envers la Société ».

Par une sorte de « quasi-contrat social » chacun de nous est nécessairement débiteur de tous, donc « l'homme naît débiteur de l'association humaine ». Cette « dette sociale » s'explique par le fait que tout enfant, estime Léon Bourgeois, même le plus pauvre, reçoit un héritage social dans sa jeunesse et ses années de formation. Ses parents lui apportent non seulement la nourriture, mais un langage, l'apprentissage du maniement des outils ; l'école, plus tard, lui inculque au moins un enseignement primaire.

Léon Bourgeois en arrive ainsi à l'idée d'une « double dette sociale » que l'homme doit acquitter.

D'une part, l'homme doit rembourser, par son travail au sein de la société humaine la dette sociale contractée pendant ses années de formation.

D'autre part, l'homme doit, de plus, apporter sa contribution au progrès humain, progrès humain si cher à Condorcet, un des hommes de la Révolution souvent revendiqué par les radicaux.

Léon Bourgeois juge que l'homme a même une dette envers les générations futures et qu'il doit faire plus que rembourser sa dette sociale.

Alors seulement, cette double dette sociale acquittée, l'homme sera pleinement libre, et la loi positive peut assurer par des sanctions impératives l'acquittement de la dette sociale posée par ce quasi-contrat général.

Notre auteur a l'occasion d'exposer sa doctrine au Congrès International d'Education Sociale, du 26 au 30 septembre 1900, au moment de l'Exposition universelle de Paris. Le but du congrès est d'étudier « les conditions fondamentales d'existence de toute société humaine et les moyens de les faire pénétrer dans l'éducation de tous ».

Léon Bourgeois ayant développé l'esprit du solidarisme, il affirme :

« La Révolution a fait la Déclaration des droits. Il s'agit d'y ajouter la Déclaration des devoirs ».

C’est une claire allusion à l'obligation de rembourser, pour tout individu, sa dette sociale. Pour lui, toute œuvre éducative doit insister sur trois faits essentiels : l'homme vit dans un état de solidarité naturelle avec tous les hommes ; toute société humaine ne se développe que par la liberté de l'individu, condition du progrès (donc hostilité à la « dictature du prolétariat » des socialistes marxistes), l'homme veut la Justice, condition d'un ordre durable.

L'auteur rejoint ici Platon ; toute société doit s'efforcer de concilier l'Ordre et la Liberté… et propose ainsi de remplacer la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité » par « Solidarité, Justice, Liberté ».

Toutefois, ces idées de Léon Bourgeois ne sont jamais devenues la philosophie officielle du parti radical dans son ensemble et ne sont guère connues en dehors des cercles intellectuels radicaux, mais elles apportent : « une raison d'être à la position de juste milieu (ni libéralisme intégral, ni collectivisme) »

Un rôle capital est dévolu à l'Education qui créera en nous « l'être social », c'est-à-dire « un associé de la Société humaine » prêt à consentir dans tous ses actes le paiement exact de la dette sociale. Il ne conçoit pas le système d'éducation efficace sans « éducation sociale », sorte d'éducation civique renouvelée et amplifiée.

De même, pour les créateurs intellectuels, l'instruction est un dépôt ; il y a obligation sociale de communiquer les fruits de cette instruction, d'autant plus que le « producteur intellectuel » s'est trouvé déchargé de toute besogne matérielle par les travailleurs manuels. Reprenant la phrase de Michelet : « L'éducation est le premier et le dernier mot de la politique », Bourgeois affirme que « le problème social est, en dernier mot, un problème d'éducation ».

En pratique, il faut que l'instruction soit offerte, gratuitement, à tous, au delà du degré primaire, qu'elle enseigne, outre les connaissances de base, « les lois de la solidarité naturelle », de façon à conduire à la « socialisation de la personne ».

D'un autre côté, l'Etat doit avoir un rôle incitatif, en favorisant le développement d'un système d'assurances contre toutes les « incapacités naturelles » en assurant la vie matérielle de l'enfant, de l'infirme, du vieillard nécessiteux, ainsi qu'un ensemble d'assurances contre les « risques sociaux » : assurances mutuelles contre les accidents, le chômage… etc.

Le solidarisme va imprégner la pensée politique de l'entre-deux-guerres, au point que le nom a l'honneur des dictionnaires du temps. Le Dictionnaire encyclopédique Quillet, dans son édition de 1938, note que le solidarisme est un « système social et éthique fondé sur la solidarité » (page 4446).

Les radicaux au gouvernement, comme Jean Zay, ministre de l'Education Nationale de juin 1936 à septembre 1939, s'inspirent notablement du solidarisme de Bourgeois. Dans les Instructions ministérielles de Jean Zay, le terme de solidarité revient souvent, assimilé au développement du « sens social », spécialement par la méthode des « centres d'intérêt ».

Il favorisera le système des coopératives scolaires pour aborder les « problèmes réels » de vente, achat et échange. Les visites à des « gens de métiers » inculqueront aux élèves le « sens du travail d'autrui », donc la solidarité des hommes entre eux.

Cependant, le solidarisme va pâtir de l'extraordinaire déclin du radicalisme, trop lié à l'esprit de la IIIème République, après la seconde guerre mondiale.

En fait, cette solidarité diffuse et multiforme, variante sans doute d'une charité laïcisée, est d'autant plus prônée et semble d'autant plus nécessaire que l'exclusion sociale est de plus en plus dénoncée, de moins en moins supportée, et que l'absence d'intégration, ou la mauvaise intégration, d'une fraction minoritaire, mais non négligeable de la population, est de plus en plus préoccupante.

Aujourd’hui le solidarisme est-il mort ?

N’assistons-nous pas dans notre pays à une érosion de ce socle historique ? Le compromis qui visait à faire des individus autre chose qu’une marchandise échangeable est peu à peu remis en cause. La séparation entre les populations qui relèvent de l’assurance et celles qui relèvent de l’assistance est de plus en plus marquée.

Comment résister à cette évolution ? Il faut commencer par placer le débat sur un plan éthique. Il faut rappeler les inégalités inacceptables qui pèsent sur le destin des individus, et préserver l’accès de tous aux droits fondamentaux. La responsabilité va de pair avec la promotion de la liberté et de l’autonomie, mais elle peut conduire à la pire des injustices, celle de condamner les plus démunis comme étant responsables de leur sort. Avant de les incriminer, ne doit-on pas se poser la question de leur place réelle dans la société ?

Après cette lecture de la théorie de Léon Bourgeois qui est somme toute assez matérialiste. Comment pouvons-nous la traduire humainement ? La comprendre spirituellement ?

« L’homme vivant dans la société et ne pouvant vivre sans elle, est à tout heure débiteur envers elle. Là est la base de sa liberté ».

L’idée de solidarité telle que la conçoit Léon Bourgeois passe par un partage, par une redistribution. Ceux qui ont beaucoup reçu doivent beaucoup dispenser. Cette idée de « dette sociale » est bien la pierre angulaire du solidarisme, l’homme se doit de restituer sur une base contractuelle. Mais quels sont les critères d’évaluation des dettes et des créances ?

La reconnaissance de la dette n’est véritable que si la socialisation – le fait de reconnaître d’appartenir à une société et de devoir contribuer à son développement – est consciente. Il faut donc être personnellement conscient d’avoir beaucoup reçu pour se sentir investi du devoir de beaucoup donner. Il faut donc mettre au jour le savoir, les valeurs dont nous sommes l’héritier, le dépositaire pour, à son tour, les partager et les transmettre. Arrivé à cette prise de conscience, ne serait-il pas une des voies de notre parcours maçonnique, peut-être même une de ses fins ? But ou terminaison ? Je suis intimement convaincu de la nécessité de mettre en œuvre philosophiquement cette théorie de la solidarité. Dès lors, comment trouver la voie du partage des valeurs dont je suis le dépositaire ?

Dès mon plus jeune âge, mon grand-père m’a lui-même transmis simplement les valeurs qui sont pour moi essentielles à l’épanouissement de l’être humain. Ces valeurs sont : le respect de l’autre et l’amour du travail manuel et intellectuel. En mettant dans mes mains les outils, tels que le marteau, la lime, la scie, le crayon il m’a appris à travailler et transformer la matière brute en objet, en produit fini. Mais en façonnant moi-même la matière sous son regard, en suivant ses conseils, en regardant ses mains me guider, c’est aussi moi-même que je façonnais. Je construisais aussi mon esprit, j’élaborais ma pensée. Ce cheminement je le voyais linéaire comme la règle qui étalonne les graduations de ma vie. Ce chemin aujourd’hui, je sais que ce n’est pas une pure ligne. J’ai découvert qu’il était pentu et qu’il menait à l’élévation et qu’il fallait trouver le point d’appui, le point de rupture pour que ce qui semblait règle devienne levier.

En me présentant à la porte du temple, je venais chercher un lieu où mes valeurs sont incarnées par les hommes qui le composent. Cet endroit où nous nous réunissons ne représente-t-il pas symboliquement la vie sociale. Je nais apprenti, je grandis compagnon pour petit à petit apprendre et commencer à transmettre. Comme me disait Pierre Eric, dans transmettre il y a maître. Ce parcours m’a mis en lumière la rupture nécessaire au basculement qui a fait de moi un homme libéré, un homme libre. Il me fallait comprendre que ce que je concevais comme linéaire et plat était un levier qui allait me permettre de décupler les forces qui m’ont été transmises afin de m’élever par moi-même. Pour me tirer vers le haut, il me fallait aussi entrevoir la lumière qui m’attirerait désormais.

Ce point vers lequel je cheminais et que je ne pensais jamais atteindre a été pendant de longues années la personnalité remarquable de mon grand-père qui a su me transmettre ce qu’il jugeait essentiel pour moi. Aujourd’hui, je sais que la fin du chemin n’est pas d’atteindre ce qu’il était car je sais qu’il est un horizon pour moi, un but toujours présent qui tend ma vie vers quelque chose que je n’atteindrais jamais. J’ai compris aujourd’hui que ce qui était important était de marcher dans ses pas au rythme qui est le mien, que ce qui fait la valeur de mon grand-père à mes yeux, est qu’il ait su me transmettre l’essentiel et que la façon de me rapprocher le plus de lui était à mon tour, faire tout ce qui est possible pour être le meilleur passeur de valeurs, et chercher toujours à transmettre ce que d’autres m’ont eux-mêmes transmis.

Mon grand-père m’a donné le goût de l’outil. J’ai trouvé ensuite mon outil. Je l’ai mis au jour. Mais que vaut l’outil si on ne le met pas en action. Mon grand-père m’a aussi appris le souci de l’autre. Actionner le levier c’est avant tout lutter contre la résistance que l’on a en soi. Toute forme d’intolérance est une résistance. La force nécessaire à la mise en œuvre du levier est l’exact équivalent de la force de l’intolérance qui m’empêche de m’élever. Le chemin vers le plus grand respect de l’autre est la force qui permet de vaincre la résistance, voie qui donne la possibilité à l’être humain que je suis de s’élever. Il me faudra toujours vaincre toute forme d’intolérance et de non respect de l’autre.

Arrivé à ce point de rupture je me sens désormais aussi prêt à transmettre. Je retiendrai aujourd’hui les principes suivants : Etre conscient de ce que l’on a reçu est certes une condition nécessaire mais nullement suffisante. Il faut aussi trouver la force de s’élever, de vaincre la gravité en appuyant sur ce levier du connais-toi toi-même. L’initiation mène sur le chemin de la connaissance de soi, sur le chemin de la conscience des valeurs qui nous ont été transmises et des valeurs que nous nous sommes forgées. Transmettre ses valeurs est important mais aider son prochain sur le chemin de la connaissance de soi est tout aussi fondamental.

Se sentir prêt à transmettre comme le maître qui connaît les chemins car il les a lui-même emprunter ceci afin de guider l’apprenti, le compagnon pour qu’il trouve par lui -même ce qu’il cherche en lui est peut-être la clé.

J’ai dit. V\ M\

P\ R\


7056-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \